Trois options de pratique

 

Lama Jigmé Rinpoché - Extrait du livret "Les trois options de pratique" - Avril et mai 2010

Pour qu’une pratique se développe dans la direction de l’éveil, différents ingrédients doivent être associés : la compréhension du sens de la nature de bouddha, de la vacuité ainsi que des méthodes.
Il existe trois méthodes différentes ; il ne s’agit pas de pratiquer les trois, mais de choisir celle qui nous correspond le mieux en fonction de notre degré de compréhension. En effet, pour s’engager dans une méthode il faut l’accepter, se l’approprier, et donc élire celle qui convient le mieux.

L’association de la méditation et des enseignements affine la compréhension qui devient beaucoup plus effective. Ce point est très important. En effet, nous recevons des enseignements et les acceptons ; cependant, malgré plusieurs années de pratique, nous ne parvenons pas à les mettre en œuvre parce que nous ne les avons pas vraiment assimilés. Prenons un exemple. Se spécialiser dans un domaine professionnel demande une phase d’apprentissage au cours de laquelle on acquiert une connaissance pour ensuite la mettre en application, et cette mise en application repose sur une compréhension du sujet. Un ensemble de conditions est donc réuni afin de mettre en œuvre les connaissances acquises. Si nous ne parvenons pas à appliquer les enseignements malgré plusieurs années de pratique, c’est parce que nous ne sommes pas profondément convaincus. Il ne s’agit pas d’une erreur de notre part, mais simplement de l’habitude du samsara qui est ancrée en nous depuis des vies. Ce que nous avons été dans le passé a laissé en nous une empreinte si forte qu’elle s’est densifiée en une tendance que nous reproduisons aujourd’hui. Celle-ci perturbe et agite l’esprit, et pacifier celui-ci demande donc des efforts ; en effet, le samsara imprègne notre esprit, ce qui entrave ce processus de pacification. Le ressac de cette tendance nous tire en arrière parfois, nous soulève agréablement d’autres fois, mais ces vagues finissent toujours par nous ramener un peu plus vers le large. Afin de pénétrer dans une dimension plus profonde, il est nécessaire d’acquérir une autre habitude : celle de la méditation.
Dans un premier temps, nous devons réfléchir à ce qui est dit et étudier l’enseignement ; dans un deuxième temps, il faut mettre en œuvre la méditation, puis, dans un troisième temps, l’appliquer encore et encore jusqu’à ancrer au plus intime de nous-même une habitude qui nous permettra d’accomplir ce que nous recherchons.
Ces quelques explications nous sont données afin que nous comprenions pourquoi la mise en application du Dharma peut échouer. Prenons le temps d’y réfléchir : l’enjeu est de taille, car il s’agit de changer notre façon d’être ordinaire. Cela demande des efforts et la méditation seule n’est pas suffisante ; pour qu’un véritable changement prenne place, elle doit être combinée avec une connaissance des enseignements. Cette association permettra à notre esprit d’intégrer le sens profond de l’enseignement, ce qui entraînera un changement de perception. Cette modification de la perception transformera notre habitude et permettra une compréhension approfondie du Dharma qui aura alors une répercussion sur nos choix de vie. En effet, ces choix s’effectuent toujours en fonction de nos préférences, et si notre préférence va au Dharma, nous nous dirigerons naturellement dans la direction de l’enseignement. Ce processus s’accomplit à un niveau subtil de notre conscience et nous pousse à mettre l’enseignement en œuvre. Il s’agit d’un développement au long cours, mais qui demeure accessible.

Chaque tradition présente des qualités, mais aussi des manques. Par exemple, la tradition Théravada insiste beaucoup sur la méditation : dix heures par jour y sont consacrées. La mise en œuvre et l’application sont excellentes, le problème réside en l’absence d’explications au sujet de la vue – la direction – qui sous-tend la pratique. […] Ces écoles n’abordent jamais l’explication de la nature de bouddha, et il manque alors une vision globale de l’éveil.
La tradition Zen fournit une structure remarquable pour la posture physique et pour la circulation des énergies dans les canaux subtils du corps – ce qui se rapproche de l’expérience de certaines pratiques de la retraite de trois ans –, mais le pratiquant reçoit très peu d’explications sur le chemin.
Les traditions tibétaines, en revanche, fournissent des explications détaillées sur le chemin, mais elles ne sont pas très structurées. En effet, le Namshé Yeshé, par exemple, permet de comprendre le processus naturel de la vacuité, ce qui est parfait pour mettre en œuvre les conditions de la réalisation de la nature de bouddha. Ce texte explicite différentes vues qui sont des descriptions de la direction à prendre : la vue empruntée et appliquée dans la pratique conduira à son résultat spécifique. L’essence – ou nature – d’un bouddha fait référence à notre nature profonde à tous ; l’actualiser est à notre portée et constitue le but du chemin. La compréhension de la nature de bouddha est essentielle afin que nous utilisions de façon adéquate les méthodes proposées pour atteindre cette destination. En combinant ces différentes explications à la méditation, tout ce qui est nécessaire pour progresser jusqu’à l’éveil est réuni.

Un meilleur résultat pourrait être obtenu en associant ces trois approches : la posture physique, la structure même de la pratique (avec une durée précise de méditation), et la compréhension intellectuelle de la nature de bouddha et de la vacuité.

La seule méditation, même effectuée en dilettante, est aidante et porteuse de bienfaits, mais ceux-ci sont insuffisants pour obtenir l’éveil. Un sportif de haut niveau qui ne s’entraînerait qu’une heure par jour ne pourrait prétendre à une grande réussite ; six ou sept heures d’entraînement par jour sont nécessaires pour atteindre le plus haut niveau. La même chose s’applique à l’éveil : il faut s’y entraîner et méditer, tout en combinant les différents aspects qui ont été évoqués.

La méditation est un exercice, une méthode qui ne conduit pas en tant que telle au résultat que le pratiquant cherche à atteindre. La compréhension de ce qu’est le but à atteindre permettra de fournir les bons efforts pour y parvenir. Si le pratiquant ne sait pas précisément où il souhaite aller et reste dans le flou, il n’atteindra jamais l’éveil malgré les efforts déployés, car le but demeurera indéterminé. Inconsciemment, nous avons besoin de savoir où nous allons et d’avoir un point de mire. Connaître le but signifie comprendre ce qu’est la nature de bouddha, c’est-à-dire savoir quel est notre propre potentiel. En le connaissant, nous parviendrons à l’actualiser, en fonction de nos capacités et des efforts que nous fournirons. Pour l’instant, un bouddha est pour nous une statue, nous ne savons pas précisément ce que recouvre ce terme ; nous savons vaguement que l’essence d’un bouddha est une qualité de sagesse, mais nous ne percevons pas encore comment cette sagesse se manifeste.

Trois méthodes de pratique sont proposées ; il s’agit d’élire celle qui est la plus facile à mettre en œuvre en fonction de notre ressenti. Souvent, nous nous sentons obligés de méditer et nous nous contraignons parfois à effectuer une pratique qui ne nous convient pas, et c’est ce qui crée des problèmes et des tensions.

La première option de pratique est celle de la méditation de shamatha*. La première étape consiste à apprendre à méditer. Ensuite, le pratiquant est à même de fournir les efforts nécessaires pour demeurer dans cet état méditatif, ce qui constitue la partie essentielle de l’entrainement. « Habiter » la méditation ne signifie pas rester trente minutes ou une heure en absorption, mais demeurer dans cette dimension pendant une longue période de temps. Il faut donc faire naître une habitude.

La seconde option est liée au Vajrayana et repose sur des instructions de pratique précises. Par le biais d’une méditation spécifique, le pratiquant se relie à la manifestation de grands bodhisattvas, de bouddhas ou de yidam, qu’il utilise comme un soutien. Il est envisageable de commencer, dans un premier temps, par une pratique très simple qui deviendra plus élaborée en fonction de notre capacité et de notre investissement.

La troisième alternative appartient aussi au Vajrayana. Il s’agit davantage de se tourner vers un yidam ou un bouddha visualisé face à nous-même, de lui adresser des souhaits et des prières, et de lui présenter notre aspiration à atteindre l’éveil et à voir les autres y parvenir. Cette méthode se décline selon différentes étapes simples, mais peut devenir plus détaillée.

Chacun peut trouver la méthode qui lui convient parmi les trois proposées, la seule condition indispensable est d’être engagé dans le Dharma, sinon la mise en œuvre est difficile. Ces trois options portent toutes leurs fruits ; certaines sont peut-être plus rapides, encore faut-il pour cela que les conditions soient réunies et activées. Il s’agit donc d’élire celle qui correspond le mieux à notre situation individuelle. Certaines personnes ne se sentent pas à l’aise avec les rituels, pour d’autres les visualisations n’ont aucun sens ; elles peuvent donc se tourner vers la première option décrite brièvement, celle de la méditation. Ces propositions sont offertes afin que chacun puisse trouver la pratique qui lui correspond. Le temps et la régularité qui y sont consacrés entrent en jeu, mais si ces méthodes varient, le résultat est identique. Chaque option peut être approfondie et comporter davantage de précisions, mais pour qu’une évolution se produise, il faut une mise en pratique. Sans cela, les questions demeurent intellectuelles et les réponses agitent simplement l’espace de mouvements d’air, car l’enseignement n’est pas réellement assimilé. Un besoin de précision indique un investissement et des efforts ; sans eux, la pratique reste imprécise, floue et émotionnelle, et les réponses apportées aux questions sont alors vite oubliées. En pratiquant, vous rencontrerez différents blocages et peut-être certaines incompréhensions, l’aspect « technique » de la pratique demandant d’être clarifié, qu’il s’agisse des visualisations, de la façon d’accomplir cette pratique ou encore du chemin et de son but. Si les questions émergent d’une pratique sérieuse, les réponses données l’amélioreront et soutiendront ses progrès.
Depuis deux ans, on peut noter une réelle progression due à la réunion de plusieurs conditions : la présence de Khenpo Chödrak Rinpoché, par exemple, qui enseigne chaque année en été, mais aussi la structure mise en place avec un groupe de lamas qui travaillent ensemble. Les bases ont été transmises et continuent de l’être, nous approfondissons maintenant les instructions et abordons des sujets plus élaborés. Pour un certain nombre d’entre vous, une compréhension émerge et s’installe. Nous pouvons juger de cette compréhension par les questions qui sont posées aux maîtres comme Gyalwa Karmapa ou Shamar Rinpoché. Normalement, dans l’apprentissage du Dharma, les connaissances sont vérifiées par des examens ; ici, nous n’organisons pas d’examens, il est donc difficile de juger de la compréhension des uns et des autres, mais les moments de questions-réponses nous permettent de nous rendre compte de la progression des pratiquants.
Ces différentes options nous seront bénéfiques dans notre vie actuelle, mais aussi dans les suivantes. Nous naissons, vieillissons et mourons, mais la vie continue ensuite. Ces méthodes nous aideront pour aborder la vie suivante et traverser l’état intermédiaire** en faisant face à ce que nous devons affronter, mais aussi en évitant de commettre certains actes inappropriés à ce moment-là. Aujourd’hui, nous ne ressentons pas vraiment l’urgence d’agir pour préparer nos vies futures. Pourtant les solutions pour l’avenir se préparent maintenant ; le temps passe, et même si aucune difficulté visible ne se manifeste parce que nous sommes habitués à nos conditions de vie, nous ignorons ce que nous rencontrerons à la destination suivante. Prendre en considération notre prochaine vie nous permet de choisir la direction appropriée ; suivre les méthodes proposées offre de bonnes circonstances en cette vie, mais les prolonge aussi dans les vies à venir. Il ne s’agit pas seulement de résoudre nos problèmes temporaires, nous nous inscrivons ici dans une démarche plus globale qui permettra surtout d’obtenir de meilleures conditions afin de poursuivre dans les vies prochaines le chemin entrepris.
De plus, la notion de compassion est importante. En effet, si nous constatons la souffrance des autres êtres sensibles et que nous souhaitons les aider, nous devons nous engager à leur apporter un soutien. Cet engagement ne peut s’effectuer que dans les limites de notre champ de capacités et de connaissances. Les façons de venir en aide sont multiples et le soutien sera d’autant plus efficace que notre esprit aura acquis un certain degré de clarté, c’est-à-dire de sagesse. La sagesse est une capacité de l’esprit et les méthodes de méditation proposées permettent de la développer. Le but de la pratique peut être abordé sous plusieurs angles, de manière générale ou spécifique. Nous sommes tous dotés de diverses habiletés et connaissances ; avec une certaine sagesse, ces capacités seront décuplées et nous deviendrons alors un véritable soutien pour les êtres.
Les enseignements donnent du sens à la vie, le désarroi survient en général lorsque nous perdons ce sens. Si le Dharma nous l’apporte, tâchons de ne plus le perdre. Pourquoi planter des fleurs aujourd’hui, si nous savons que nous mourrons demain inéluctablement ? Il est donc recommandé de cheminer au plus près de la direction impulsée par les enseignements pour trouver une véritable liberté.

Quand le Bouddha a commencé à enseigner, de nombreuses personnes ont atteint l’éveil. Cela s’est poursuivi un certain temps : les disciples qui s’engageaient dans cette voie parvenaient rapidement à la libération, puis, au fur et à mesure que le temps passait, de moins en moins de personnes sont parvenues au but. Pourquoi ? Le Bouddha a tout d’abord transmis les bases à ses premiers disciples en enseignant Les Quatre vérités des êtres nobles, ainsi que le Placement de l’attention au plus proche de quatre [objets], le tout combiné à diverses techniques méditatives. Appliquer les différentes méthodes précitées en les associant aux enseignements nous permettra également d’atteindre l’éveil. La seule différence entre nous et ces pratiquants du passé est notre défaut de compréhension et le manque de disponibilité de notre esprit ; ces « fanatiques de l’éveil » se dévouaient corps et âme à leur objectif. Ce que le Bouddha a proposé à ses disciples et ce que nous proposons ici aujourd’hui est pourtant identique. Les méthodes sont nombreuses, il s’agit de faire une sélection plutôt que d’essayer de les pratiquer toutes. Nous sommes dans une phase d’essai, peut-être n’allons-nous pas atteindre l’état de bouddha immédiatement, mais il est certain que de bons résultats seront obtenus. Dans un premier temps, par exemple, nous aurons beaucoup plus d’espace et de recul, et nous parviendrons également à comprendre l’origine de la souffrance qui nous entoure. Emprunter la bonne direction permet d’écarter immédiatement la souffrance en appliquant les méthodes proposées ; celles-ci nous donneront également la possibilité de trouver de meilleures conditions dans nos vies suivantes. Lorsque nous sommes jeune, nous recevons une éducation, puis nous nous spécialisons dans un domaine. Depuis la naissance, nous nous consacrons à la préparation d’une vie agréable ; ensuite nous travaillons pour obtenir une bonne retraite. C’est la même chose pour les enseignements du Bouddha, sauf que ce dernier va plus loin et que sa vision est plus vaste. Son enseignement consiste à obtenir davantage de sécurité dans cette vie-ci, mais aussi à éviter les mauvaises conditions dans les suivantes. L’ensemble dépend des circonstances que chacun rencontre et de la réflexion qui sera appliquée aux enseignements, le tout en lien avec la méditation. Unir l’étude et la réflexion à la pratique méditative, quelle que soit la méthode adoptée, apportera une aide certaine.