La méditation

Lama Jigmé Rinpoché - Extrait du livret "La méditation" - Décembre 2007

Que faire avec l’ego ?
Pour un pratiquant bouddhiste, il est important de connaître certaines notions, par exemple la notion d’ego. Quand on nous parle d’ego, nous pensons : « Puisque l’ego est mauvais, je vais m’en débarrasser et devenir quelqu’un d’autre. » Nous tombons assez facilement dans le jugement en ce qui concerne la saisie égocentrique montrée par le Bouddha et nous voulons nous en débarrasser. Il est assez dangereux, en tant que pratiquant, de réagir de cette façon. Plutôt que de porter un jugement, qu’il soit positif ou négatif, demandons-nous comment utiliser l’ego de façon juste. Il en va de même avec des notions comme l’ignorance, la confusion, l’illusion, etc. ; il est inutile d’essayer de s’en débarrasser pour trouver quelque chose de mieux, cela ne fonctionne pas. Demandons-nous plutôt comment utiliser l’ego et l’ignorance. De toute façon, sur le chemin spirituel, nous devons compter avec l’ego jusqu’à un certain niveau de compréhension obtenu grâce à la pratique, et en essayant de nous en défaire, nous ne pouvons rien accomplir. Progressivement, si nous utilisons l’ego de façon juste, notre perception et notre compréhension changeront jusqu’à ce que nous réalisions l’au-delà de la souffrance, l’émergence des réelles qualités de l’esprit.
J’insiste sur cet aspect car nous pensons que l’ego est si pesant qu’il n’est pas possible de nous en débarrasser. A cause de cela, nous perdons l’enthousiasme nécessaire pour suivre le processus des enseignements du Bouddha, et comme nous avons l’impression de n’être capables de rien, nous abandonnons la pratique. Sous l’emprise de nos habitudes, nous voulons nous débarrasser au plus vite du « mauvais » en nous pour laisser place au « bon », malheureusement cela ne fonctionne pas avec l’ego. Même si nous avons la ferme intention de rester vigilants, les émotions perturbatrices s’élèvent constamment et notre esprit ne change pas. Il n’est pas possible de le remplacer par un autre ! Il nous faut plutôt savoir comment agir correctement tout en accueillant ces émotions perturbatrices, afin de ne pas produire de négativité. Ce n’est pas facile, mais si nous nous référons aux enseignements et observons le moment présent, beaucoup de possibilités s’offrent à nous : c’est ainsi que nous pouvons progresser dans notre compréhension. Il faut pour cela procéder très lentement. J’ajoute cette remarque, car lorsque nous abordons la notion de saisie égotique, nous voulons immédiatement nous débarrasser de l’ego et c’est alors que les difficultés apparaissent.

Méditation authentique
Le texte Le placement de l’attention au plus près de quatre [objets] aborde le corps puis les sensations, l’esprit et les phénomènes. Mon sentiment – qui n’est peut-être pas partagé par tous – est que nous ne comprenons pas tout immédiatement. Dans un premier temps, nous entendons les termes et nous acquérons certaines notions. À l’écoute de l’enseignement, nous sommes parfois satisfaits, parfois un peu perturbés. Lorsque nous allons à la rencontre de la réalité, certains aspects ne sont ni agréables ni faciles à aborder. Par exemple, aborder le corps nous conduit à penser à notre corps humain mais, en réalité, il est fait référence à tous les aspects physiques que nous pouvons percevoir. Une fois ces enseignements écoutés, il faut les contempler, ce qui fera naître en nous une certaine compréhension. Sur cette base, nous pouvons alors entrer dans la phase de méditation.
Normalement, dans les enseignements, ces deux dernières étapes ne sont pas si distinctes, je les sépare cependant ici afin de les rendre plus claires. Il faut méditer de manière juste, c’est ce qui permettra d’atteindre l’état de bouddha. Le terme « juste » ne comporte aucun jugement de valeur, mais indique simplement une adéquation entre la méditation et le but recherché à travers elle. C’est la même chose qu’en mécanique : afin d’obtenir le bon résultat, nous ne pouvons pas mélanger les pièces au hasard ! Notre compréhension est d’abord limitée et c’est grâce à une méditation juste que nous l’approfondirons progressivement. À cette fin, nous utilisons la pacification de l’esprit ou entraînement à la quiétude (zhiné ou shamatha) et la pratique de la vision profonde ou entraînement au discernement (lhaktong ou vipashyana).
Nous avons une première compréhension de l’enseignement sur lequel nous nous sommes concentrés et avons réfléchi, puis nous recevons davantage d’instructions. Tout d’abord, nous comprenons les termes mais pas encore le sens de ce qui est expliqué. En prenant pour base la méditation de zhiné appliquée de façon juste, nous pouvons continuer par la méditation de lhaktong et peu à peu ce qui n’était pas compris s’éclaircira. Quel est le sens de la méditation de lhaktong ? En tibétain, lhaktong signifie « voir plus que ce que l’on perçoit d’habitude ». Lhaktong permet de comprendre plus profondément les enseignements sur lesquels nous nous concentrons. Dès qu’ils sont pleinement assimilés, il est possible de vraiment les appliquer, sinon parfois nous réussissons à le faire mais d’autres fois non. C’est ce que nous vivons au quotidien : dès que nous avons compris quelque chose, nous pouvons utiliser cette connaissance concrètement, alors qu’en l’absence d’une bonne compréhension, nous devons redoubler d’efforts et d’attention sans être sûrs que cela fonctionne.
Il nous faut donc d’abord contempler notre compréhension du sens en demeurant dans l’attention, puis méditer pour affiner cette compréhension et y adhérer.

Ce qu’est le fruit
Expliquons d’abord ce qu’est le fruit car il est important de savoir ce que nous allons obtenir ! Si nous connaissons le résultat nous pourrons comprendre l’intérêt d’appliquer les méthodes proposées !
Les enseignements du Bouddha montrent que la cause fondamentale de la souffrance est l’attachement. Nous avons tous une certaine compréhension de cela mais nous ne savons qu’en faire. Remarquons au passage que la saisie de l’ego, qui semble être la cause du problème, est en fait un attachement : l’attachement au soi. Nous nous identifions à un soi, le saisissons et toutes les circonstances rencontrées sont alors colorées par cet attachement, mais si nous réalisons qu’aucune raison ne justifie l’attachement, le résultat recherché apparaîtra et nous ne souffrirons plus ! Une certaine panique peut s’élever en entendant cela : qu’allons-nous devenir si nous n’avons plus aucun attachement ? En fait, dès que cela est vraiment vu, ni peur ni souffrance ne prennent place, seule demeure la possibilité d’actualiser toutes les qualités.

L’explication que je donne est simple, car je ne détaille pas l’ensemble des raisonnements. Néanmoins, tous les enseignements sont liés à ce que nous venons d’expliquer. Une fois que nous sommes conscients que l’attachement constitue la source de nos problèmes et de notre souffrance, notre réaction première est de vouloir nous détacher. Aller immédiatement dans cette direction ne fonctionne pas et, concrètement, génère davantage d’insatisfaction. En revanche, lorsque le sens émerge à l’intérieur de nous-mêmes, il n’y a plus aucune raison de s’obliger à se détacher : le détachement prend place naturellement.
Reprenons l’exemple du diamant : de l’avis général, dans le monde entier, un diamant a une très grande valeur et il est, de ce fait, source d’un grand attachement. Il est donc assez difficile d’abandonner le point de vue qu’un diamant est précieux. En revanche, si nous intégrons l’idée que le diamant n’est jamais qu’un caillou, il n’y a plus alors de raison intérieure d’y être attaché. Supposons que quelqu’un nous donne une pierre ordinaire trouvée sur le chemin en nous disant qu’elle est de grande valeur ; nous regarderons cette pierre, remercierons certainement la personne, mais nous n’aurons aucune raison d’y être attachés et la perte de cette pierre ne sera pas cause de souffrance. Si nous comprenons le sens des choses de cette façon, il n’y a plus de raison de souffrir.
Revenons à la pratique de la vigilance sur les quatre objets. Tout d’abord, en écoutant les instructions, nous recevons des informations, puis nous y réfléchissons en nous demandant si cet enseignement est valide ou non pour nous. Une confiance prend alors place, car nous nous rendons compte de la pertinence des enseignements reçus. Cependant, nous pouvons avoir le sentiment que ces instructions ne nous sont pas destinées pour le moment, puisque nous ne parvenons pas à changer immédiatement. Il est inutile de penser de cette façon, l’important ici est de percevoir la justesse de l’enseignement. De façon générale, il s’agit d’un processus progressif et lent ; par une pratique continue de la méditation, nous obtiendrons une compréhension du sens (quelques rares personnes, grâce à des préparations accomplies précédemment, peuvent parfois changer dans l’instant !).

Sur la base de la compréhension issue de l’écoute et de la contemplation, nous méditons. La méditation permet d’intégrer le sens ; c’est comme un enfant qui grandit : une maturité nouvelle lui fait voir les choses différemment. Un jour, par exemple, il se rend compte que ses jouets ne sont plus si importants, sa vision des choses a évolué. Nous ne pouvons pas accomplir un tel changement uniquement par un processus intellectuel. Certes une compréhension est acquise, mais nous restons liés à ce que nous sommes. Le sens véritable de tous ces aspects que sont le corps, les sensations, l’esprit et les phénomènes est intégré par la méditation. Si nous méditons de façon continue et régulière, nous réaliserons alors progressivement le sens des enseignements. Ce n’est pas comme ouvrir la fenêtre et voir immédiatement tout le paysage : intégrer le sens passe par un processus qui se déploie étape par étape, progressivement.

Vacuité
La mise en pratique des instructions sur la méditation mène à la compréhension directe du sens de shunyata, la vacuité. C’est ce qui est décrit dans Le placement de l’attention au plus près de quatre [objets] : en nous concentrant sur ces instructions, nous intégrerons progressivement le sens de la vacuité. Cette compréhension changera notre désir. Grâce à une vision nouvelle, nous percevrons les choses différemment. Pour le moment, nous savons que la vacuité est importante mais nous ignorons ce qu’elle est vraiment. Tous les enseignements affirment qu’il est important d’en avoir une connaissance, mais nous ne savons pas comment la découvrir par nous-mêmes. Alors, nous nous limitons aux mots derrière lesquels nous mettons nos propres concepts. Cela donne un résultat, mais pas celui qui est attendu !

Que recouvre vraiment la vacuité ? Lorsque nous en entendons parler, nous pensons à un espace vide ou à du néant. Cette compréhension ne constitue pas le sens du terme « vacuité ». Même si nous sommes conscients que la vacuité n’est pas ce que nous pensons, nous ne savons pas pour autant ce qu’elle est exactement. Pour comprendre la vacuité, il faut savoir de quoi est constituée la matière ; cependant une connaissance détaillée de la matière ne suffira pas forcément à nous convaincre. C’est en développant notre potentiel de sagesse (sherap) que nous pouvons obtenir une perception claire de la vacuité, ce qui aura notamment pour effet de pacifier l’esprit.
Une réflexion superficielle sur les enseignements permet d’en imaginer le sens mais pas d’en avoir une compréhension claire, qui s’obtient, comme cela a été expliqué auparavant, en appliquant le processus de la méditation.

Comment obtenir le fruit
Sur la base des instructions que j’ai données dans le passé, des niveaux de clarté peuvent s’élever si vous développez un environnement intérieur approprié. Il est nécessaire de rassembler les causes justes pour bénéficier de cet environnement intérieur. Ces causes invisibles appartiennent au karma accumulé, c’est-à-dire aux actions bénéfiques et nuisibles accomplies. Avec un environnement intérieur positif, l’esprit peut percevoir la réalité telle qu’elle est. Si cet environnement n’est pas favorable, même avec beaucoup d’efforts, il sera difficile de percevoir cette réalité. Il s’agit en fait de rassembler les conditions fondamentales liées à la bodhicitta, c’est par elle que les pensées et les actions deviennent positives. De même, il faut préserver une attitude relative positive au travers des états d’esprit et de la conduite justes. C’est pour cela qu’il faut les étudier, les connaître. La méditation liée aux conditions bénéfiques permet de réaliser la sagesse (sherap). C’est de cette manière que nous percevons la réalité telle qu’elle est et que nous avançons vers l’éveil. C’est une façon simple d’expliquer notre fonctionnement. Il est important de le savoir, car même si nous avons une notion de la vacuité, il y a encore à faire quant aux situations concrètes. C’est en combinant les différents aspects que nous rassemblons une base pour obtenir le fruit juste.

Il est question de vacuité mais, ces choses qui sont dites être vides, nous les percevons. Ce sujet est donc un peu compliqué... Néanmoins, comprendre comment nous percevons les choses et connaître la définition de la vacuité nous sera très utile. Nous n’en parlerons pas aujourd’hui car il faudrait entrer dans trop de détails, cependant nous pouvons intégrer ce type d’enseignements dans le programme à venir. Par exemple, il existe un enseignement du 3e Gyalwa Karmapa qui distingue namshé, la conscience partielle, notre esprit confus, et yeshé, la conscience primordiale, l’esprit réalisé. Il fait la différence entre notre esprit avec ses concepts ordinaires et l’esprit accompli, dans le but de passer de l’un à l’autre. Évidemment, ce cheminement correspond à la réalisation de la vacuité, c’est pourquoi ce texte explique ce qu’est la vacuité. Le Gyalwa Karmapa décrit les différentes vues possibles avec le résultat auquel elles mènent.
Aborder un tel ouvrage demande de connaître le contexte et l’objectif de l’enseignement, sinon il est difficile de le comprendre. Les méditations fondées sur les différentes vues possibles y sont décrites, avec le fruit qu’elles procurent. Le 3e Gyalwa Karmapa explique comment réaliser l’état de bouddha et comment les autres chemins n’y mènent pas. Nous pouvons avoir l’impression que l’auteur porte un jugement sur les approches qui diffèrent de celle qui mène à l’éveil; il ne s’agit pas d’un jugement, mais du discernement nécessaire afin d’identifier clairement le chemin qui conduit à la libération. La lecture de ce texte permet d’avoir une meilleure compréhension mais, encore une fois, c’est par la méditation que le message de ce texte se fera de plus en plus clair dans notre esprit. C’est pourquoi le connaître est très aidant. Le texte s’appelle Namshé yeshé namjepé tenchö, il est assez extensif. L’étudier permettra d’acquérir une vue, une compréhension qui sera d’un grand bienfait pour notre méditation.

Grâce à une préparation appropriée comme celle dont nous venons de parler, nous pouvons avancer pas à pas sur le chemin. Pour aller plus vite avec sa voiture, il est possible d’installer un turbo. De même, installer le turbo du Vajrayana permettra d’accélérer le processus de la pratique. En effet, si nous comprenons bien la définition de la vacuité et donc la nature véritable de la matière physique, et si nous pratiquons le Vajrayana sur la base de cette compréhension, nous ne serons plus là de façon fabriquée, mais nous serons présents à notre vraie nature. En fait, nous sommes confus au sujet du corps physique: nous imaginons qu’il est réel alors qu’il s’agit juste d’une mécanique. En lieu et place de notre corps, notre sagesse sera présente et il sera alors facile de nous y connecter car il n’y aura plus de séparation entre nous et la sagesse ou le yidam. Dans la terminologie chrétienne, on utilise le concept d’union à Dieu. Dans le bouddhisme, il est dit que nous sommes soutenus par les qualités du yidam. Bien sûr, cela ne se réalise pas immédiatement, il faut pratiquer et être pleinement présent.
Parfois, nous désirons nous rendre quelque part, mais comme nous n’avons pas les informations nécesaires, il nous faut d’abord les rassembler pour savoir comment arriver à destination. Une fois que nous sommes bien informés, tout devient facile. Avoir accès à ce type de préparation sera très utile pour la pratique du Vajrayana. Cette méditation n’a rien de magique ; il s’agit de quelque chose de très pratique ! Si les bons éléments ne sont pas emboîtés, rien ne fonctionne ; par contre, lorsque tout est bien combiné, cela va très vite.
Il est difficile de faire du feu sans bois. En revanche, si nous avons fait sécher du bois au préalable, nous obtiendrons une bonne flambée. Dans notre cas, il s’agira d’un feu de sagesse !