Tous ceux qui ont eu le bonheur d’approcher Sa Sainteté Shamar Rinpoché et d’écouter ses enseignements ont certainement été frappés par son étonnante capacité à s’adapter au monde occidental et à sa culture. Toutes les fois qu’il l’estime nécessaire, Shamar Rinpoché n’hésite pas à sortir du cadre traditionnel des enseignements tibétains pour indiquer aux occidentaux, de façon très claire, ce qu’il convient de faire ou pas. Sa Sainteté s’appuie pour cela sur des exemples précis rencontrés dans le monde moderne et nous permet ainsi de mieux voir le chemin à suivre.
C’est au centre de Kamalashila, en Allemagne, que Shamar Rinpoché a donné l’enseignement qui suit, lors de l’été 86. Bien évidemment, ces conseils alors destinés aux Allemands sont d’une grande valeur pour tous les Occidentaux.
Quand vous pratiquez, vous recevez de votre instructeur un grand nombre d’enseignements que vous ne trouverez écrits dans aucun livre. La signification n’en est pas différente, mais ils sont adaptés aux circonstances individuelles. Supposez, par exemple, qu’il y ait une centaine de personnes faisant toutes la même pratique ; elles auront chacune des expériences personnelles, bonnes ou mauvaises, et recevront de leur instructeur des conseils différents en fonction de leurs problèmes particuliers. Étant donné que ces personnes ne rencontreront pas toutes le même problème, le conseil ne sera pas le même dans chaque cas. Quelqu’un capable de donner ce type de conseils est ce que nous appelons un instructeur chevronné, et un tel maître qualifié est très rare.
La doctrine bouddhiste dit : « II est très difficile d’obtenir une vie humaine, et plus difficile encore une vie humaine réunissant toutes les conditions pour pratiquer le Dharma ; il est difficile de rencontrer le Dharma authentique et, une fois que vous l’avez trouvé, il est difficile de rencontrer le véritable maître. » Un instructeur aussi compétent est très rare bien que, de nos jours, vous en rencontriez d’excellents.
Cependant, il n’est pas facile, de nos jours, de rencontrer un lama qualifié dans toutes les pratiques de tous les véhicules. Ils furent nombreux, mais de nos jours ils sont très, très rares. Supposez que vous vouliez accomplir les pratiques du shravakayana ; nous pouvons vous donner les enseignements et vous dire de faire cette pratique, mais l’enseignement éprouvé, né de l’expérience, cela nous ne pouvons pas vous le transmettre. Nous ne sommes pas qualifiés dans les pratiques du shravakayana ou du pratyekabouddhayana ; nos réalisations reposent sur le bodhisattvayana. Il existe, dans ce yana, de nombreuses pratiques différentes : certains d’entre nous se sont réalisés à travers la pratique des six doctrines de Naropa, certains exclusivement à travers le mahamudra, d’autres grâce à la pratique de Chakrasamvara, Kalachakra ou Vajrayogini, d’autres encore à travers le dzokchen ou les pratiques des sakyapas… Chacun de nous est qualifié pour quelque chose de différent. Nous autres, kagyüpas, sommes particulièrement attachés à transmettre des enseignements éprouvés sur le mahamudra ou les six doctrines de Naropa.
Enseignement éprouvé signifie enseignement qui appartient à une lignée qui en a fait l’expérience. Je peux vous donner un exemple. Un jour, Gampopa était en méditation et eut une vision d’un aspect terrifiant de l’enfer. Cela le rendit aveugle ; c’était pendant la journée, ses yeux étaient ouverts, mais il ne pouvait rien voir. Il rampa comme un petit enfant jusqu’à la grotte où se trouvait Milarépa et lui demanda ce qui n’allait pas : « Je dois avoir de très grands obstacles, ma méditation ne semble pas juste. » Milarépa répondit : « II ne t’arrive rien ; la seule chose, c’est que ta ceinture de méditation est trop serrée et que ta concentration est trop tendue, ce n’est ni bien ni mal. Si tu desserres ta ceinture, ta cécité disparaîtra. » Et c’est ce qui advint. Voilà un enseignement basé sur l’expérience : aucun enseignant, qui apprend uniquement des livres, ne peut vous donner ce conseil quand ce genre de problème surgit, parce que ce n’est pas spécifié dans les livres. C’est un problème personnel. Vous ne pouvez pas répertorier tous les problèmes individuels de chaque être vivant dans un livre ; même si celui-ci remplissait la terre entière, il ne pourrait pas tout contenir.
Il est difficile de trouver un instructeur compétent qui puisse donner ce type de conseil très précis à chaque individu. C’est pourquoi je dis toujours aux gens, où que j’aille : « Ne gaspillez aucun moment quand vous voyez Kalou Rinpoché ou Guendune Rinpoché, car ils sont très qualifiés et assez âgés ; le temps est court pour les rencontrer. Allez et demandez conseils et enseignements, en particulier de Guendune Rinpoché puisqu’il est toujours en Occident et non pas en Inde, et qu’il vous est donc facile d’aller recevoir ses enseignements. » La raison pour laquelle je dis cela est qu’ils disparaîtront, comme le Bouddha a disparu et, lorsqu’ils ne seront plus ici, vous aurez gaspillé votre temps.
Par exemple, prenons un endroit où le Bouddhadharma n’existe pas et où les gens ne connaissent pas le Dharma. Si, dans ce lieu, arrive un maître très qualifié, personne n’y prêtera attention ; mais si un dresseur de singes s’y rend, tout le monde ira le voir : ils choisiront le dresseur de singes plutôt que le maître confirmé. De la même manière, si un instructeur non qualifié se rend dans cet endroit, les gens le suivront spontanément alors qu’il leur sera difficile d’être attentifs à un bon instructeur, du fait de leur karma. Ceci est très important à savoir.
Je peux vous donner un autre exemple prouvant combien il est difficile de choisir l’instructeur authentique. Quelqu’un, du nom d’Elizabeth, m’a appelé du Danemark. Elle avait des problèmes avec une personne et voulait mon avis. Elle connaissait une dame qui lui avait déclaré se souvenir de ses vies passées et qu’une connexion existait entre elles deux ; cette personne disait aussi qu’elle avait des méthodes particulières pour atteindre l’illumination, qu’Elizabeth devait suivre. Elizabeth, par conséquent, décida de suivre la dame en question : ce que cette dame disait devait être vrai puisqu’elle le disait, la preuve étant qu’elle le disait ! Les gens peuvent croire ce genre de propos aisément. Mais si quelqu’un leur donne un enseignement vivant et méthodique, qu’ils devraient réellement suivre, ils trouvent cela terrible et disent : « Ce n’est pas un enseignement qui me convient. » Ils le décident simplement. Quelqu’un qui n’a pas atteint l’éveil n’a pas l’aptitude à décider par lui-même quel enseignement est juste et lequel est faux. Quand vous allez à une conférence, vous écoutez et décidez : « Ceci est l’enseignement qu’il me faut » ; mais comment pouvez-vous prouver que vous prenez la bonne décision ?
C’est ainsi que des instructeurs tels que Rajneesh peuvent attirer autant de personnes : elles-mêmes l’ont choisi comme leur guide. Tous ses enseignements sont très simples : vous n’avez rien à contrôler, être là simplement ; ils font aussi beaucoup de pratiques sur des divinités et pensent que c’est juste, parce qu’intéressant. Mais si vous vous concentrez et réfléchissez vraiment, pourquoi donne-t-il ces enseignements ? Tous les êtres vivants connaissent cela, même les moustiques et les jeunes abeilles ; il est inutile d’initier les gens à cette pratique, ils la connaissent naturellement. Mais ils sont ignorants et stupides quand il s’agit de choisir entre le vrai et le faux, et tant de personnes sont ainsi abusées.
On nous a appris que nous ne devions pas nous critiquer les uns les autres, mais on nous a également appris que nous devions faire remarquer à autrui l’erreur qu’il commet, sinon les gens resteront dans la confusion, ne sachant pas ce qui est juste et ce qui est faux, et c’est mauvais pour tout le monde.
C’est ainsi que le Bouddhadharma a été préservé. Chaque fois qu’un érudit bouddhiste ou un professeur écrit un livre, celui-ci est examiné par un grand nombre d’enseignants du bouddhisme ; s’il y a une légère erreur ou une différence avec la lignée du Bouddha, ils le signalent et empêchent la parution du livre ; si l’écrivain orthographie mal un mot ou fait une erreur dans la construction de la phrase, il doit alors s’excuser. Du fait de la profondeur du bouddhisme, en temps normal, quand quelqu’un écrit un livre, bien que ses idées puissent ne pas être fausses, il y a forcément quelques erreurs, simplement parce que toute la terminologie humaine est insuffisante pour tout expliquer ; aussi doit-il corriger son travail encore et encore. Si sa thèse est vraiment erronée, la publication sera arrêtée. Si elle n’est pas fausse, l’ouvrage peut être revu et publié. C’est pourquoi, jusqu’alors, le Bouddhadharma n’a jamais été utilisé de manière abusive.
Dans ce monde, tant de bonnes et de mauvaises choses peuvent arriver ! Le Dharma peut changer ici et là facilement. L’enseignement du Christ a été maintes fois remanié par de nombreux érudits et s’est éparpillé dans plusieurs directions. L’enseignement hindouiste a toujours changé : autrefois, il existait environ six cents sectes différentes en Inde, et maintenant il y en a plus encore ; c’est tellement libéral ! Mais les bouddhistes ne peuvent jamais agir ainsi. C’est pourquoi il est important que l’instructeur prévienne ses étudiants quand l’un d’eux fait une erreur ; n’allez pas penser que le professeur est en train de le critiquer : la seule chose qui lui importe est que les gens ne soient pas fourvoyés.
D’habitude, avant d’enseigner le Dharma authentique, les instructeurs essaient de transmettre aux étudiants l’habileté du discernement, l’habileté à savoir ce qui est vrai et ce qui est faux. Mais ici, en Occident, nous n’avons pas encore les écoles appropriées mettant l’accent sur ce type d’enseignement. Il existe une discipline assez vaste appelée la logique bouddhiste, dans laquelle est enseignée aux étudiants la perspicacité, cette habileté particulière à reconnaître ce qui est faux et ce qui est juste, afin qu’ils puissent discerner si un instructeur enseigne correctement ou non. Mais, ici, c’est difficile car de telles écoles n’existent pas.
Il y a six ou sept ans, nous étions plus libéraux et autorisions n’importe qui à parler du Dharma en Occident, car nous souhaitions que celui-ci s’y développe et ainsi, au moins, les gens pouvaient en avoir une première approche. Nous n’avions pas tous des relations avec les pays, leurs villes et les gens, alors s’il se trouvait quelqu’un qui s’en chargeait, nous le laissions libre de propager le Dharma. Mais maintenant que celui-ci est très bien établi presque partout en Occident, il devient très important d’être plus attentif et de suivre les étapes nécessaires pour enseigner convenablement.
Les gens peuvent facilement croire de drôles de choses : ils disent avoir vu Dieu, ils disent avoir établi une connexion avec le Bouddha, Avalokiteshvara, ou qui que ce soit d’autre. Ou bien ils disent avoir reçu une forme de méditation transcendantale très facile à pratiquer… Beaucoup de gens ici accordent trop facilement foi à de telles affirmations. Vous ne devriez pas ! Restez vigilants ! Les mots « ils disent que » ne sont pas une preuve valable. Il y avait, il y a longtemps, une religion en Inde qui enseignait de nombreuses pratiques pour atteindre le soleil : l’illumination et la libération devaient être trouvées au-dessus du soleil ; la libération était comparée à un parapluie à l’envers ; cette religion disait aussi que vous pouviez vous transporter physiquement de ce monde jusqu’au soleil et, là, être libéré. La preuve en était qu’il existait une émanation de Krishna sous la forme d’un perroquet ; un certain professeur revendiquait une connexion directe avec les perroquets et enseignait que, si vous faisiez leur pratique, ils vous donneraient des ailes spéciales avec lesquelles vous pourriez voler jusqu’au soleil, le pénétrer et aller au-delà. La preuve qu’il donnait était sa connexion directe avec les perroquets et personne ne pouvait le contredire. Les imbéciles le croyaient. C’est la même chose maintenant. En ce temps-là, les gens ne savaient pas que le soleil était très chaud ; ils pensaient que le soleil était plus petit que la terre, ils l’adoraient et croyaient ce professeur hindou lorsqu’il disait qu’il avait des connexions avec les perroquets.
De nombreuses personnes en Allemagne et en Amérique ont ce même problème ; les Français beaucoup moins : ils ont tant d’opinions différentes, c’est une aide qui leur permet d’éviter ce type d’erreur. L’esprit allemand ressemble davantage à un interrupteur : une fois pressé, il se fixe sur son idée et en reste là. Que cela soit juste ou faux dépend de la chance : si c’est juste, alors c’est très bien, si c’est faux, alors c’est très dangereux. Une fois que vous avez décidé que quelque chose est juste, il devient difficile de changer votre point de vue ; votre esprit est si inflexible. Cette attitude, vous devez la changer.
Quand un instructeur tibétain prend la responsabilité de donner l’enseignement authentique à ses étudiants, il n’hésite pas à montrer du doigt leurs erreurs, parce qu’il doit veiller sur eux.
Vous souvenez-vous de Jim Jones ? Il rassembla un grand nombre de personnes en Guyane, leur donna beaucoup d’enseignements, puis, finalement, leur dit que ce corps et ce monde étaient sales et qu’ils devaient tous mourir pour entrer dans le royaume de Dieu. Il poussa tous ces gens à prendre du poison. Ceci se passait il y a quatre ou cinq ans. Cet événement a pu se produire à cause de ce même type d’esprit, parce qu’une fois que vous croyez, vous croyez aveuglément ; votre esprit n’a pas de souplesse. Les Allemands en particulier ont un esprit fort, ce qui est bien, mais peut être dangereux. Il est donc très important d’avoir plus de souplesse quand il s’agit du Dharma.
Je ne cherche pas à vous insulter. Je vous enseigne, parce que l’ignorance est propre à tous les êtres vivants. Il est très important d’être libre de tels obstacles, si présents ici comme en Amérique. Si vous recevez un enseignement authentique, vous le mettrez à profit car votre concentration sera aiguisée.
Traduit de l’anglais par Sylvie Hénaut