Extrait du Tendrel 17, Février 1989
Les six paramitas, ou vertus transcendantes, constituent le coeur de l’entraînement sur le chemin du grand véhicule, le mahayana. Ce sont : la générosité, l’éthique, la patience, la persévérance (énergie enthousiaste), l’absorption méditative et la sagesse (conscience transcendante). S’appuyant sur le dynamisme des relations entre les êtres, elles sont l’instrument de l’intégration de l’enseignement dans la vie quotidienne en action.
Considérées dans leur succession, l’une est la base permettant à la suivante de se développer. Formant en fait un tout indissociable, elles sont complètement interdépendantes, chacune d’entre elles étant purifiée par les cinq autres. Elles vont ainsi toutes se développer simultanément sur le chemin de l’éveil.
Le texte qui suit correspond au début de l’enseignement sur les paramitas donné par Guendune Rinpoché en juillet 85, se basant sur le Joyau ornement de la libération, ouvrage composé par Gampopa. Il traite de la première des vertus transcendantes : la générosité.
Les êtres ordinaires sont le fondement de la pratique des paramitas. En effet, s’il n’y avait pas d’êtres démunis, il ne serait pas possible de pratiquer la générosité. Si les autres n’existaient pas, il n’y aurait pas d’opportunité de développer l’éthique, la base de l’éthique étant la conduite juste qui s’abstient de nuire à autrui. S’il n’y avait pas d’êtres négatifs, personne ne chercherait à nous nuire et on n’aurait aucun moyen d’exercer la patience et la tolérance. Afin de pouvoir pratiquer et mener à leur terme ces différentes vertus, il est nécessaire de faire preuve de persévérance. Il faut donc appliquer la quatrième paramita : l’énergie enthousiaste. Si on ne développe pas ensuite les absorptions méditatives, nos qualités positives seront instables. Afin de comprendre toutes les qualités et de leur donner une dimension ultime, on fait s’épanouir la dernière paramita : la conscience transcendante, ou sagesse.
La générosité est définie en sept points qui vont être développés successivement :
- les défauts et les qualités qui naissent de la non-pratique et de la pratique de la générosité,
- l’explication de son essence,
- la classification,
- les caractéristiques essentielles de chacune de ces classes,
- la façon de l’accroître,
- la façon de la rendre parfaitement pure,
- le résultat qui est obtenu à travers sa pratique.
I. L’inconvénient de ne pas être généreux et les avantages de la générosité
1. L’inconvénient de ne pas être généreux
Celui qui ne possède pas cette vertu de générosité rencontrera la situation d’être sans cesse démuni. C’est l’expérience de la pauvreté. Pour la plupart des êtres qui n’ont aucune générosité, la conséquence est une naissance dans le monde des esprits avides. Ceux qui obtiendront une renaissance humaine seront soumis à des conditions d’existence difficiles, au dénuement. Le Bouddha l’exprime dans un soutra : « Celui qui est avare prendra naissance comme esprit avide et même s’il obtient une naissance humaine, il passera sa vie dans la pauvreté. » Dans l’explication sur le vinaya : « L’être qui est prisonnier de la cupidité et de l’avarice, qui n’a pas la capacité de produire la moindre générosité, sera conduit à prendre renaissance en tant qu’esprit avide et à expérimenter la faim et la soif. L’absence de générosité est la cause principale de renaissance dans le monde des esprits avides. »
Si on est dénué de générosité, on ne possède pas non plus d’aptitude à accomplir le bienfait des êtres et on ne pourra pas obtenir l’éveil. Ceci est expliqué par le Bouddha : « Celui qui ne peut pas pratiquer la générosité sera dépourvu de jouissance matérielle et n’aura pas davantage la capacité d’attirer à lui et de rassembler les êtres, et il est donc inutile de parler de sa compétence à réaliser l’éveil. »
2. Les avantages de la générosité
Celui qui est capable de générosité jouira dans toutes ses existences de conditions matérielles favorables et obtiendra le bonheur. Ceci est exprimé par le Bouddha dans un soutra : « Le bodhisattva qui pratique la générosité tranche toute possibilité de renaître en tant qu’esprit avide ; il tranche également toutes les émotions qui naissent de l’état de pauvreté et de dénuement ; et, à travers cela, il crée l’obtention de biens et de jouissances illimités. Celui qui s’efface de façon juste dans la pratique de la générosité n’aura pas de meilleur ami que cette vertu transcendante du bien. »
Ceci est illustré par Shantideva dans la Voie dans l’entrée médiane (madyamika) : « Celui qui aspire au bonheur devra jouir de conditions matérielles excellentes. Tant qu’il ne réunira pas ces conditions, il lui sera extrêmement difficile de posséder le bonheur. Pour cette raison, le Bouddha a d’abord enseigné la pratique de la générosité, comme étant la base de toutes les autres obtentions. »
Les bienfaits de la générosité sont d’obtenir les capacités et les moyens d’agir pour le bien des autres. Celui qui rassemble toutes les formes de don s’établit fermement dans le Dharma et a la possibilité d’y conduire les autres êtres. Le Bouddha dit : « Par la pratique de la générosité, l’individu transforme toutes les situations et fait ainsi mûrir les êtres. Celui qui est généreux obtient facilement la réalisation de l’insurpassable éveil… Celui qui pratique la générosité obtiendra des possessions… alors que celui qui garde jalousement pour lui ses acquisitions en sera dépossédé… Celui qui pratique la générosité est au cœur même des bienfaits, celui qui ne la pratique pas est en dehors de leur essence, son activité est inutile. Celui qui pratique la générosité n’a pas besoin de chercher une protection contre la souffrance ; celui qui ne la pratique pas doit s’efforcer de se protéger contre toutes sortes d’afflictions. »
Qui pratique la générosité ne connaît aucune peur. Qui ne la pratique pas est sans cesse en butte aux conflits, aux difficultés, à l’agression et à de nombreuses frayeurs.
Qui pratique la générosité montre rapidement le chemin de l’éveil. Qui naît sans générosité démontre tout aussi rapidement le chemin démoniaque.
Pour celui qui est généreux, toutes formes de jouissances positives seront illimitées, alors que pour celui qui est sans générosité elles seront très vite épuisées.
Cela signifie, dit Rinpoché, que celui qui n’est pas attaché à ses possessions et qui pratique la générosité obtiendra des causes de bonheur sans fin, illimité. Tout ce que nous expérimenterons au moment de notre mort sera le résultat de cette vie, de la façon dont nous aurons orienté notre esprit. Si nous sommes attachés à nos possessions et à nos biens, cela créera beaucoup de voiles dans l’esprit. Au moment où nous quitterons ce corps physique, les obscurcissements demeureront et nous serons alors sans liberté. Nous serons impuissants à transformer cette situation car nous n’aurons rien fait pour cela ; c’est à dire que dans le courant de notre vie nous n’aurons pas créé de conditions vertueuses à travers le corps, la parole et l’esprit et nous nous retrouverons donc extrêmement pauvre et démuni ; à ce moment-là on perd tout ce que l’on avait.
À l’inverse, même s’il connaît des difficultés dans le cours de son existence, celui qui pratique les vertus positives se trouvera à la fin de sa vie extrêmement riche et fortuné parce qu’il aura créé les vraies conditions du bonheur, tout le reste n’étant qu’illusoire et transitoire ; il n’aura pas à souffrir longtemps de ces circonstances présentes car il aura travaillé à l’obtention d’un bonheur définitif.
II. L’essence même de la générosité
Cette essence est sans attachement à aucune forme ni expression et est libre de la fixation et de la saisie réaliste. Ceci est expliqué dans l’ouvrage Les terres de bodhisattvas : « Quelle est l’essence de la générosité ? C’est un état d’esprit qui est sans attachement et qui produit les relations spontanées avec le monde et les êtres. [Elle est exprimée par] celui qui est capable de donner tout ce qu’il possède parce qu’il a rejeté toute chose comme ayant une existence propre, comme étant réelle par nature. »
III. La classification de la générosité
II y a trois formes de générosité :
- la générosité matérielle : elle consiste à aider les êtres du point de vue matériel ; elle est en relation avec le corps.
- la générosité de l’absence de peur : c’est la générosité amenant à protéger la vie des êtres ; c’est ce qui s’établit en relation avec la force vitale.
- la générosité du saint Dharma : c’est la générosité qui s’applique directement à la relation avec l’esprit des êtres.
IV. Les caractéristiques essentielles de chacune de ces classes
1. La générosité matérielle
La générosité pure doit être pratiquée à tout prix et la générosité impure abandonnée.
1.1. Les formes de la générosité impure
Elles s’expriment à quatre niveaux : état d’esprit, substance (l’objet donné), réceptacle et manière d’accomplir le don.
A. La générosité liée à un état d’esprit impur
- soit venant d’une intention contraire
II y a générosité provenant d’une attitude négative lorsque l’on donne pour nuire sciemment, pour devenir célèbre et avoir un retour dans cette vie, ou encore lorsque cela représente une forme de rivalité et de compétition avec les autres.
Ces trois formes de générosité impropre doivent être abandonnées par le bodhisattva. Cela est exprimé dans les écritures (Les terres de bodhisattvas) : « Le bodhisattva est celui qui ne pratiquera pas une forme de générosité conduisant soit à tuer d’autres êtres, soit à les emprisonner, soit à les punir ou les condamner, soit à les expulser ou les bannir… Le bodhisattva ne pratiquera pas le don dans l’espoir d’être célèbre et loué… Le bodhisattva ne pratiquera pas pour rivaliser ou se mettre en compétition avec les autres. »
Dans ces trois types de générosité, on essaie de prendre de l’ascendant par rapport aux autres, d’acquérir du pouvoir. - soit venant d’une pensée inférieure
Deux formes sont à abandonner par le bodhisattva : la première, c’est de pratiquer le don par peur de la pauvreté dans les vies futures ; la seconde, c’est de pratiquer la générosité dans le but de jouir ultérieurement de richesses, de l’obtention d’un statut, etc.
Le Bouddha dit : « Le bodhisattva refusera de pratiquer une forme de générosité basée sur la peur de rencontrer la pauvreté… Le bodhisattva ne pratiquera pas la générosité dans le but de parvenir à la richesse ou à des incarnations telles que le dieu Indra ou les monarques universels. »
B. La générosité liée à l’objet donné impur
Le bodhisattva ne pratiquera pas la générosité à travers le don de substances comme le poison, les armes, toutes sortes d’objets qui peuvent être nuisibles à soi-même et aux autres.
Ce qui n’est pas uniquement dans l’objet que l’on offre que réside l’impureté, mais aussi dans la motivation de l’offrande. Par exemple, la motivation peut être erronée. Le Bouddha exprime cela : « Si le poison peut être utile, bénéfique à quelqu’un, alors, bien que ce soit du poison, il faudra l’offrir. Si on offre des nourritures extrêmement fines mais susceptibles de nuire à la personne, alors on ne pratiquera pas une telle générosité…. De même que l’on devra couper à une personne son doigt mordu par un serpent afin de lui sauver la vie, de la même manière si l’on doit agir en sachant que c’est désagréable mais bénéfique, il ne faut pas hésiter. »
Tout objet pouvant devenir une cause de souffrance pour les êtres ne doit pas servir comme source d’offrande. On n’offrira pas non plus son père et sa mère, ni quelque chose qui peut provoquer la déchéance de ses parents, ni un de ses enfants, ni sa femme si elle n’est pas d’accord. Si on a beaucoup de possessions matérielles, on ne fera pas d’offrande médiocre ; au contraire on offrira beaucoup. Inversement, on n’offrira pas des biens gardés dans un but précis pour accomplir quelque chose. Ceci fait référence, dit Rinpoché, au fait que l’on pouvait demander au bodhisattva son corps ou une partie de son corps pour en faire un usage négatif, notamment utiliser cette offrande pour contrer des êtres et procéder à des actes propitiatoires auprès d’esprits négatifs. Ces formes de dons nuisibles ne sont pas appropriées.
C. La générosité liée à un réceptacle impur
De la même manière, on ne pratiquera pas la générosité envers des êtres qui sont soumis à des influences négatives, démoniaques ou autres ; on ne fera pas don de son corps ou de ses biens d’une manière qui va nourrir la folie ou le déséquilibre des êtres. Si on s’aperçoit qu’une forme de générosité apporte davantage de troubles pour quelqu’un, on s’en abstiendra. « On ne donnera pas de nourriture à des êtres lorsqu’ils sont repus, gloutons… On ne donnera pas de boisson à des êtres qui ont suffisamment et qui demandent simplement par gourmandise. »
D. Les moyens de donner impurs
On ne pratiquera pas la générosité si on est dans un état d’esprit négatif, si on le fait à contrecœur, par haine ou par colère. On ne donnera pas non plus avec une attitude méprisante ou irrespectueuse, expression de l’orgueil. Si on pratique la générosité envers un mendiant, on le fera sans se moquer de lui, sans le réprimander, le critiquer ni dévoiler son état pour l’humilier.
Ainsi sont regroupées les façons impures de pratiquer la générosité.
1.2. Les formes de la générosité pure
A. L’objet donné
Il existe deux substances d’offrande : intérieure et extérieure.
- L’offrande intérieure
C’est offrir son propre corps. Dans les soutras, il est dit « que si on en a la possibilité et que c’est nécessaire, lorsque l’on nous demande notre main, il faut donner une main ; si on demande une jambe, il faut la donner ; si on demande l’œil, il faut donner l’œil ; si on demande la chair, il faudra donner la chair ; si on demande le sang, il faudra donner le sang. »
Néanmoins, pour les bodhisattvas débutants qui n’ont pas encore complètement uni leur esprit à l’indifférenciation de soi et des autres et qui n’ont donc pas réalisé la vacuité parfaite, il sera difficile de donner une partie de leur corps. À ce moment-là, ils devront pratiquer l’offrande intégrale du corps mais ne devront pas se séparer d’un de leurs membres ou de leurs organes.
Ce que cela signifie, dit Rinpoché, c’est que tant que l’on est dans la dualité « moi/les autres », deux formes d’intention s’affrontent : notre propre pensée, notre propre désir et la volonté de celui qui est en face de nous, et ces deux intentions sont souvent contraires. Tant que l’on demeure dans cette relation séparée entre soi et autrui, il faut pratiquer jusqu’à être capable d’échanger ses propres désirs avec ceux des autres et de faire place à la volonté des autres plutôt qu’à la sienne. Il faut s’entraîner à ce renversement. Pour cette raison, tant que l’on n’a pas réalisé la complète équanimité de soi-même et d’autrui, il ne sert à rien de donner une partie de soi si on est attaché à un « je ». Tant que l’on a une saisie égocentrique très structurée, si on veut pratiquer quelque chose qui est trop difficile, cela ira contre le progrès spirituel, créera simplement davantage de souffrances et renforcera encore cette saisie égoïste. On peut pratiquer le don de son corps et de ses membres dans la mesure où cette pratique anéantira complètement toute forme de saisie égoïste.
Il est dit dans le Bodhicharyavattara : « Lorsque, partant d’une bonne intention, mais sans avoir une réalisation conséquente, on veut donner son corps, ceci est une erreur et on devra s’en abstenir. Au contraire, on devra d’abord utiliser ce corps pour aider les êtres et pour la réalisation de la pratique permettant d’obtenir les parfaits moyens d’accomplissement du bien d’autrui. » - L’offrande extérieure
II s’agit de tous les objets extérieurs au corps qui sont dignes d’offrande : des boissons, des vêtements, etc., toutes choses qui nous appartiennent en propre.
Le bodhisattva « maître de maison » ou laïc qui ne fait pas don de son corps ou de ses biens n’est pas un bodhisattva. Il est dit que ceux qui ont pris des vœux sous une forme ou sous une autre doivent pratiquer la générosité et donner absolument tout, sauf les trois robes monastiques. Si on donnait ces robes, cela nuirait au bien des êtres.
B. Le réceptacle du don
II y a quatre types de réceptacles :
- ceux qui sont l’expression spécifique vers qui on peut pratiquer la générosité : les lamas,
- ceux à qui la générosité sera particulièrement utile : les parents,
- ceux vers qui la générosité s’exprimera parce qu’ils souffrent,
- ceux à qui elle s’appliquera parce qu’ils sont des ennemis qui cherchent à nous nuire.
C. La manière de pratiquer cette générosité
L’intention doit être pure et la façon de donner excellente.
L’intention pure repose sur l’amour altruiste et la compassion qui nous amènent à pratiquer la générosité dans le seul but d’être utile et bénéfique à tous les êtres.
L’acte lui-même doit être excellent : le bodhisattva pratique la générosité avec honneur, de ses propres mains, le moment venu et sans nuire aux autres. L’acte est excellent lorsque les trois moments de la générosité sont portés par la joie et le bonheur du don :
- avant de donner, lorsque l’on en est au stade de l’intention, on se réjouit de cette intention même,
- au moment du don, on le fait dans l’état d’esprit de dédicace complète,
- lorsque l’on a pratiqué la générosité, on entretient la joie et l’enthousiasme sans aucun regret.
« Accomplir le don de façon honorable », c’est le faire avec respect. « De ses propres mains » signifie que l’on ne dit pas à quelqu’un de le faire, mais que l’on agit soi-même. « Le moment venu » signifie que l’on doit juger du moment le plus propice. On s’abstiendra de faire des offrandes d’objets appartenant à notre famille si cela entraîne des larmes versées ; on ne donnera pas des objets dont on n’est pas propriétaire ou qui ont été acquis de façon malhonnête ou en dépossédant quelqu’un.
La façon juste de pratiquer le don est exprimée à travers trois points : la générosité sera pratiquée de façon continue, sans partialité et elle sera menée jusqu’à ce que tous les désirs des êtres soient parfaitement satisfaits.
2. La générosité qui protège de la peur
Cette forme de don peut être la protection contre la peur des brigands, la crainte des conditions extérieures (animaux, maladies, menaces des éléments). L’essentiel de cette pratique revient à protéger la vie.
En particulier, pour dissiper toutes formes de dangers et de menaces pour les êtres, la pratique de Tara est tout à fait excellente et puissante. De même, les pratiques comme celle de Mahakala servent à dissiper les obstacles en relation avec le Dharma, l’enseignement.
À travers ces pratiques, on accomplit un bienfait personnel parce que l’on trouve pour soi-même une protection, mais on peut étendre celle-ci par la dédicace et la force des souhaits. D’une manière générale, toutes les formes d’activités vertueuses que l’on accomplit à travers le corps, la parole et l’esprit ont pour résultat de nous protéger de toutes les souffrances du samsara.
3. La générosité du Dharma
3.1. L’objet de la générosité
Il s’agit de ceux qui écoutent avec dévotion, intérêt et respect les enseignements du Dharma.
3.2. L’intention
A. L’intention négative à abandonner
C’est lorsque l’on enseigne le Dharma dans le but d’obtenir la réputation, des honneurs, la célébrité ou des biens matériels. Si on enseigne le Dharma avec la volonté d’en tirer un profit personnel, cela sera tout à fait inutile. Le Dharma complètement pur sera souillé par cette motivation impure et à travers un tel acte on créera simplement un karma négatif.
On expliquera donc l’enseignement avec une pensée libre de toute attitude matérialiste. C’est ce que tous les bouddhas ont montré.
B. L’intention bénéfique à pratiquer
C’est l’intention qui repose sur la compassion envers tous les êtres. « Afin de mettre un terme à la souffrance, on fera don de l’enseignement dans le monde, sous une forme accessible. »
3.3. La matière même de l’enseignement
L’enseignement doit être donné d’une manière qui soit complètement en accord avec les soutras, la parole du Bouddha. Il ne doit rien y avoir de contradictoire. Ceci est exprimé dans Les terres de bodhisattvas : « L’enseignement doit être donné de telle sorte qu’il ne soit pas en contradiction avec la substance même du Dharma, d’une façon qui soit en accord avec les différents moyens de l’exprimer et qui ait pour but d’amener les êtres à s’en tenir de façon parfaitement pure aux différentes formes d’entraînement destinées à acquérir une attitude juste. »
3.4. La façon d’enseigner
Lorsqu’il est requis un enseignement, on n’enseignera pas tout de suite. « Le don de l’enseignement ne doit pas être fait immédiatement… Quand on vous demandera un enseignement, vous direz : “ Je n’ai pas encore bien étudié le sujet. ” Ce sera la première réponse à donner. » (soutra) Par contre, s’il n’y a pas de requête d’enseignement, mais que l’être rencontré paraisse digne de recevoir l’enseignement, il est alors bon d’enseigner.
En ce qui concerne l’environnement, on choisira un endroit convenable, qui soit à la fois ouvert, vaste et plaisant à l’esprit. Un texte dit : « On enseignera dans un lieu propre, agréable à l’esprit, sur un siège vaste et confortable. » On s’installera sur un trône recouvert de brocart. On devra se laver, porter des habits seyants, être pur intérieurement et avoir une conduite en accord avec les enseignements, pour pouvoir les donner. Ensuite, chacun s’étant installé autour du trône, avant de donner l’enseignement on devra réciter des prières pour dissiper les interférences. La récitation du mantra a le pouvoir d’écarter toutes les forces qui créent des obstructions à l’explication du Dharma, à des lieues et des lieues de distance. Grâce au mantra, même des êtres négatifs qui ne sont pas expulsés ne peuvent plus nuire à l’enseignement.
L’enseignement sera donné clairement et à voix modérée. Tout ceci, dit Rinpoché, montre que celui qui donne l’enseignement doit le faire de façon pure, avec une bonne motivation. Il doit aussi enseigner avec joie, en voulant créer quelque chose de bénéfique. On pratique ainsi la générosité sans rien attendre en retour, ni gratitude, ni rien d’autre ; on agit sans avarice ni mesquinerie, dans un état d’esprit joyeux et enthousiaste.
Tous ces dons ne sont pas perdus pour nous-même et mûriront au contraire dans le courant de notre être. Tout ce que nous donnons aux autres crée une énergie positive dont nous expérimenterons le résultat au moment de la mort où elle s’actualisera en un ensemble de conditions et de situations favorables à notre propre libération. C’est comme un investissement que l’on ferait dans une banque et dont on toucherait les intérêts le moment venu ! À l’inverse, au moment de la mort, nous serons obligés de nous séparer de toutes les choses que nous essayons d’obtenir et de conserver jalousement. Rien de cela ne pourra être emporté avec nous ; ces biens deviendront la possession des autres.
La générosité matérielle aide les êtres à goûter au bonheur. C’est une forme de générosité relative, liée simplement à cette existence. La générosité du Dharma est celle du don ultime qui donne les moyens d’atteindre l’éveil. La générosité qui protège de la peur peut se comprendre aux deux niveaux précédents : relatif et ultime.
V. La façon de faire s’accroître la générosité
On ne doit pas laisser s’amoindrir les différentes formes de générosité. Au contraire, on doit connaître les moyens de les fortifier. Le Bouddha a dit, dans le soutra L’Éclair du bodhisattva : « Shariputra, le bodhisattva expérimenté ne laissera pas sa générosité s’affaiblir, mais l’accroîtra. Il la développera par trois moyens : par la force de la sagesse primordiale, il la rendra supérieure ; par la force de la conscience transcendante, il l’étendra ; par la force de la dédicace, elle deviendra incommensurable. »
1. La force de la sagesse primordiale
Cette force va rendre la générosité complètement pure des trois cercles, car elle s’appliquera dans leur parfaite connaissance. Les trois cercles signifient qu’on reconnaît l’essence de la générosité comme vacuité, qu’on est conscient que la cause est en elle-même illimitée et que l’on discerne le fruit comme parfaitement immaculé. L’activité qui est libre des trois cercles est celle qui comprend que l’auteur de la générosité est semblable à une illusion n’ayant pas de nature propre, que la substance du don est semblable à un rêve, ainsi que l’objet vers lequel est dirigé la générosité.
Donc, entre celui qui donne, l’objet du don et celui qui reçoit, il n’y a aucune différence, ils sont tous vides et parfaitement non duels.
2. La force de la conscience transcendante
Afin que le mérite de la générosité se développe sans cesse, on la pratique avec la deuxième force, celle de la conscience transcendante qui lui permettra de se répandre. Celui qui pratique la générosité doit avoir pour seule intention d’établir tous les êtres dans l’état d’éveil. Au moment de l’acte lui-même, il doit être dépourvu d’attachement. Enfin, lorsque la générosité est accomplie, il doit être libre d’attente et d’espoir quant à un résultat ou un retour de son acte. Lorsque ces trois aspects sont présents, le mérite créé par la générosité peut réellement se répandre et se développer.
Le Bouddha dit : « Ayant pratiqué la générosité, le donateur ne demeurera pas attaché à l’objet offert, ni n’attendra de résultat pour lui-même. Le bodhisattva habile fera don de tout ce qu’il est bon de donner et, de cette manière, par cette forme de don éveillé, tout ce qu’il offrira deviendra incommensurable. »
3. La force de la dédicace
Le bodhisattva qui dédie sa générosité à l’insurpassable éveil de tous les êtres rend cette pratique incommensurable. Par la dédicace, non seulement la vertu qui est créée va s’accroître, mais elle va devenir intarissable.
Le Bouddha dit à Shariputra : « De la même manière que, si on fait tomber une goutte d’eau dans l’océan, cette goutte va y demeurer de façon inépuisable jusqu’à la fin de l’océan lui-même, tout acte de vertu parfaitement dédié à l’éveil demeurera totalement indestructible jusqu’à l’obtention de l’éveil même. »
VI. La façon de rendre la générosité parfaitement pure
« Par la conduite qui s’appuie sur l’essence de la vacuité et de la compassion, le mérite est rendu parfaitement pur. » La générosité qui repose sur la conscience de la réalité ultime ne conduira pas au cycle des existences. Parce qu’elle s’appuie sur la compassion, elle ne conduira pas vers les véhicules inférieurs. Au contraire, par la présence de la vacuité et de la compassion indissociables, la pratique de la générosité conduira à l’obtention de « l’au-delà-de-la-souffrance-qui-est-sans-demeure. »
La façon de s’appuyer sur la vacuité pour pratiquer est décrite dans un soutra : « La vacuité de la générosité doit être pratiquée en s’appuyant sur les quatre sceaux. » Ces quatre sceaux sont la compréhension que notre propre corps, tous les objets « extérieurs », les êtres à qui on donne et tous les phénomènes — y compris le Dharma et l’éveil — sont de la nature de la vacuité, sont vides en essence. C’est à travers la compréhension de ces quatre sceaux de la vacuité que l’on pratiquera la vraie générosité.
Le deuxième point sur lequel on s’appuie, c’est la compassion. La compassion est le fait de pratiquer la générosité parce que toutes les formes de souffrance qu’expérimentent les êtres, d’une façon générale ou particulière, ne sont pas supportables. C’est pour cela que le bodhisattva agit de façon généreuse envers eux.
VII. Le fruit de la pratique de la générosité
1. Au niveau ultime
Ce fruit se situe à deux niveaux : ultime et relatif. Au niveau ultime, la pratique de la générosité conduit à la réalisation de l’insurpassable éveil. « De cette manière, le bodhisattva qui pratiquera cette vertu transcendante de la générosité, l’ayant amenée à sa complète maîtrise, manifestera l’éveil parfaitement pur et insurpassable qui est la réalisation de la bouddhéité. »
2. Au niveau relatif
Du point de vue relatif, différents résultats découlent de la pratique de la générosité, suivant les types de don.
En ce qui concerne la générosité matérielle, le résultat sera de jouir de toutes sortes de possessions, de façon excellente, sans même avoir besoin d’aspirer à cela.
Par la générosité, on rassemblera les êtres autour de soi et on développera les capacités d’une pratique qui s’appliquera à les conduire sur le chemin de l’éveil.
« Le bodhisattva qui pratique la générosité coupe toute possibilité de renaître dans le monde des esprits avides et empêche également toute expérience de pauvreté et de dénuement physique ou moral ainsi que tout ce qui est lié aux manifestations des émotions perturbatrices… Dans tout ce qu’il entreprendra, il jouira de possessions et de biens illimités… Par sa générosité, il obtiendra la capacité de faire mûrir les êtres, c’est-à-dire de les amener à se libérer de leurs souffrances et à atteindre le bonheur… Celui qui offre de la nourriture obtient la force. Celui qui offre des vêtements obtient un teint excellent. Celui qui offre des moyens de locomotion obtient le bonheur. Celui qui offre des lampes obtient des yeux. »
Par la pratique de la générosité, on acquiert les jouissances physiques et matérielles.
Si on protège les êtres de la peur, on ne peut plus être perturbé par les Maras, les démons intérieurs, ni par toutes les formes d’obstacles extérieurs qui peuvent nous nuire.
Par la pratique de la générosité du Dharma, on obtient rapidement la capacité de réaliser l’éveil en rencontrant et s’associant à des Bouddhas. Tous les souhaits s’accomplissent rapidement. « Celui qui fait offrande pure du Dharma, celui-là s’associera aux bouddhas et tous ses désirs seront exaucés. »