"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."
LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ
"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."
LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ
Khenpo Ngédeun - Extrait de "Les modes de connaissance - Approfondissement n°2" - Août 2010
Explication des sagesses et des kaya qui sont le changement d’état des huit consciences
Avant de commencer, il est important de connaître la signification des mots tibétains namshé et yeshé. Namshé, que l’on traduit ici par « conscience ordinaire », est la contraction de l’expression nampar shépa. Shépa signifie « connaissance », nampa fait référence à un « aspect », une « apparence de l’objet » et le r à la fin de nampa est une particule d’orientation : « vers une apparence ». Nampar shépa est donc la connaissance de l’apparence d’un objet, la connaissance dualiste vers cet objet. L’objet est un phénomène qui apparaît, mais qui n’est qu’un aspect irréel connu par la conscience ordinaire. Le mot namshé implique donc que la connaissance connaît un aspect de l’objet mais n’a pas la capacité de connaître la nature véritable de cet objet. Le shé de yeshé signifie également connaissance. Yé signifie originel,primordial. On parle ainsi d’une connaissance primordiale, d’une sagesse qui est telle de tout temps. Cela fait référence au mode d’être
véritable, à ce que les choses sont vraiment de tout temps, depuis des temps sans commencement. Ce n’est pas simplement la connaissance d’une apparence, d’un aspect, mais la connaissance primordiale de la nature véritable des choses.
Ainsi, namshé, la connaissance ordinaire orientée vers un objet, connaît simplement une apparence et yeshé, la connaissance primordiale, désigne ce que l’esprit est de tout temps, de manière primordiale. Le caractère véritable de l’esprit qui est perçu par yeshé, c’est la nature de bouddha.
Lodrö Thayé commence par dire que c’est parce que nous ne connaissons pas la nature véritable de notre conscience base universelle, de l’esprit fondamental, que nous sommes pris dans la confusion des mouvements entre objet saisi et sujet saisissant. A cause de cette confusion, nous errons dans le samsara et éprouvons des souffrances dont il est difficile de se défaire. Nous sommes, en fait, dans un grand océan de souffrance parce que nous ne reconnaissons pas la nature véritable de notre esprit. Nous saisissons nos cinq skandha comme constituant un soi, mais cette saisie est circonstancielle. Elle n’est pas la nature véritable de l’esprit, mais un mouvement hors de cette nature véritable, un mouvement adventice. Si l’on parvient à se défaire de cette souillure circonstancielle, alors
la connaissance primordiale se révèle.
Un être sensible est l’accumulation des cinq skandha. Lorsque ces différents aspects ont changé d’état, c’est l’état de bouddha. Dans le Mahayanasamgraha, Asanga explique comment se produit ce changement d’état des différents constituants du samsara, qui permet de révéler les différents aspects de l’état de bouddha.
Le skandha de la forme
Lorsque l’agrégat de la forme a changé d’état, il se manifeste sous la forme d’un corps pur doté des trente-deux marques de perfection majeure , des quatre-vingts marques de perfection mineure et d’une infinité de paroles mélodiques. Grâce au changement d’état du skandha de la forme, toutes les qualités excellentes des corps formels d’un bouddha sont manifestées.
Parfois, nous doutons de ces explications, nous n’y croyons pas vraiment. Cependant, de nos jours ou dans l’histoire récente, il existe des pratiquants du Mahayana, du Mahamudra ou du Dzokchen qui ont commencé leur vie comme des êtres ordinaires, avec un corps physique impur, puis qui se sont entraînés dans le samadhi et ont développé la connaissance supérieure ; ils ont ainsi effectué un changement d’état, grâce auquel, à leur mort, ils ont pu manifester un corps d’arc-en-ciel ou un corps de lumière. Par la pratique, ces yogis ont actualisé un changement d’état de leur corps physique, ce qui leur a permis de se manifester sous la forme d’un corps lumineux. Des récits le relatent, on peut aussi le voir de manière directe. Cela s’est passé de nombreuses fois au Tibet. Il en va de même pour l’état de bouddha : le changement d’état de la forme se manifeste sous la forme des kaya d’un bouddha avec toutes les marques de perfection.
Le skandha des sensations
En tant qu’être ordinaire, on éprouve toutes sortes de sensations agréables, désagréables ou neutres. Lorsqu’on a effectué un changement d’état, ces sensations se manifestent sous la forme d’une félicité illimitée. Il n’y a plus de sensations agréables provisoires, plus aucune souffrance ni de sensations neutres. Habituellement, nos sensations intérieures dépendent d’objets extérieurs. Suivant les objets avec lesquels nous entrons en relation, nous éprouvons des sensations agréables ou désagréables. Lorsque les sensations ont changé d’état, il n’y a pas de dépendance par rapport aux objets extérieurs, mais l’expérimentation d’une félicité qui n’est pas contaminée par le samsara. Ce changement d’état est parfait à l’état de bouddha, qui est l’expérience d’une félicité infinie et non contaminée, mais il commence déjà lorsqu’on atteint les bhumi des bodhisattvas. On dit, par exemple, que le mahasiddha indien Nakpopa mangeait des excréments qui avaient pour lui un goût délicieux aux cent saveurs. Il les percevait comme tels parce qu’il avait effectué un changement d’état de ses sensations ; il expérimentait donc une sensation de félicité. Cela se produit lorsqu’on a réalisé les bhumi, et à l’état de bouddha la félicité est encore plus grande.
Le skandha des représentations mentales
Un être impur fait toutes sortes de distinctions entre ce qui est bon, mauvais, beau, laid, etc. à cause desquelles il crée pour lui-même et pour les autres un grand nombre de souffrances. Lorsqu’on pratique le chemin, on peut purifier ce fonctionnement en effectuant un changement d’état. A l’état de bouddha, le fonctionnement des distinctions cesse et on obtient le pouvoir sur toutes les manifestations du langage : mots, lettres et expressions. On peut alors enseigner aux autres la nature véritable des choses grâce à ce pouvoir sur les
fonctionnements du langage.
Le skandha des formations
Cet agrégat est constitué des formations associées à l’esprit, comme les événements mentaux, et des formations qui ne sont associées strictement ni à l’esprit seul ni au corps seul. Lorsqu’il a changé d’état grâce à la pratique du chemin, un bouddha a la capacité de manifester une grande variété d’émanations pour le bien des êtres, en accord avec leurs dispositions, leurs aspirations et leurs capacités individuelles. Il peut, par exemple, manifester l’un sous la forme du multiple, le multiple sous la forme de l’un, il peut transformer le feu en eau, etc.
Le skandha des consciences
Lorsque les différents fonctionnements de la connaissance ordinaire ont changé d’état, ils se manifestent sous la forme des quatre sagesses :
- la sagesse semblable au miroir,
- la sagesse de l’égalité,
- la sagesse discriminante,
- la sagesse accomplissante.
Le skandha des connaissances ordinaires est constitué des huit consciences qui sont les causes et les conditions qui permettent la manifestation du samsara. Le changement d’état de ce skandha est la manifestation des quatre sagesses.
Dans ce texte, Rangjung Dorjé se focalise sur le cinquième skandha, celui des consciences, et n’explique pas en détail les changements d’état des quatre premiers skandha. Il mentionne ainsi quatre causes qui permettent à la conscience de changer d’état et de se révéler comme étant de la nature de la sagesse.
La première sagesse est celle semblable au miroir. La cause qui permet d’atteindre cette sagesse au niveau de l’état de bouddha est l’étude et la réflexion sur l’enseignement du Victorieux, constitué de trois Corbeilles. Cette cause permet de développer la connaissance supérieure issue de l’étude et de la réflexion. Lorsqu’en tant qu’être ordinaire on s’entraîne à cette connaissance, on obtient le niveau non contaminé, le chemin des nobles, puis en continuant de développer cette sagesse, une fois atteint l’état de bouddha, on actualise la sagesse semblable au miroir. La cause de cette sagesse est expliquée dans de nombreux soutras et tantras. Dans un de ces textes, il est dit que la cause qui permet de s’éveiller à sa nature de bouddha est le fait d’étudier et de réfléchir à l’enseignement du Bouddha.
La seconde sagesse est la sagesse de l’égalité. La cause qui permet de l’atteindre au niveau de l’état de bouddha est de considérer de manière égale tous les êtres lorsqu’on se trouve sur le chemin, et d’essayer de se défaire de l’attachement ou de l’aversion que l’on a pour certains d’entre eux ; il s’agit de développer la bonté, l’amour et la compassion, et de s’entraîner à cultiver l’égalité de soi-même et des autres. Ainsi, on va pouvoir faire croître la connaissance supérieure, qui se manifeste à l’état de bouddha sous la forme de la sagesse de l’égalité.
La troisième sagesse est la sagesse discriminante. Ce qui permet d’actualiser cette sagesse au niveau de l’état de bouddha, c’est de s’appuyer sur un guide spirituel authentique, lorsqu’on est encore un être ordinaire, de recevoir des enseignements et des instructions clés, de cultiver notre compréhension jusqu’à réaliser ces instructions, puis de les enseigner aux autres. Cette cause permet d’actualiser la sagesse discriminante.
La quatrième sagesse est la sagesse accomplissante. Ce qui permet d’actualiser cette sagesse au niveau de l’état de bouddha, c’est le développement d’une motivation juste, pure et altruiste, lorsqu’on est un être ordinaire, et le fait d’être uniquement animé par le souhait d’accomplir le bien d’autrui. Cette cause permet de manifester la sagesse accomplissante.
Ces quatre causes permettent d’actualiser les quatre perspectives de la connaissance primordiale d’un bouddha, il est donc nécessaire de s’y engager. En effet, nous possédons la nature de bouddha, nous avons donc ce qui est nécessaire pour actualiser l’état de bouddha. Développer ces quatre causes nous permettra d’atteindre cet état. En fait il y a deux séries de causes, les causes lointaines et les causes immédiates. Celles que nous venons d’expliquer sont les causes lointaines de l’actualisation des différentes sagesses. Une deuxième série de causes décrit les causes immédiates des différentes sagesses, à savoir les changements d’état des différents fonctionnements de l’esprit samsarique. Ces causes sont expliquées dans le Sutra des trois kaya, où il est dit que le changement d’état de la conscience base universelle permet d’actualiser l’état de bouddha, et plus particulièrement la sagesse semblable au miroir. Le changement d’état du mental perturbé permet d’actualiser la sagesse de l’égalité. Le changement d’état de la sixième conscience, la conscience mentale, permet d’actualiser la sagesse discriminante. Enfin, le changement d’état des cinq consciences sensorielles permet d’actualiser la sagesse accomplissante.
Dans les soutras et les tantras, on peut trouver un très grand nombre de classifications différentes des sagesses. La classification en quatre sagesses, que nous venons de voir, est très connue. Une autre classification courante distingue deux formes de sagesse : d’une part, la connaissance des choses telles qu’elles sont véritablement et, d’autre part, la connaissance des choses dans leur diversité. La première forme de sagesse est la connaissance de l’égalité de tous les phénomènes, c’est-à-dire la connaissance du mode d’être ultime et profond de tous les phénomènes. La deuxième est la connaissance de toutes les apparences relatives, perçues comme un rêve, une illusion, comme des reflets qui apparaissent sur un miroir. Ces deux formes de sagesse ne sont pas deux sagesses différentes possédées par un bouddha, mais simplement deux manières pour la connaissance éveillée de connaître les choses. Ainsi, ces noms différents ne désignent pas plusieurs sagesses distinctes, mais simplement plusieurs fonctionnements de la sagesse de l’état de bouddha. Ces deux sagesses sont de même nature.
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