"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."
LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ
"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."
LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ
Khenpo Ngédeun - Extrait de "Les modes de connaissance - Approfondissement n°1" - Août 2009
Le Traité qui distingue entre connaissance ordinaire et connaissance primordiale par le 3e Karmapa Rangjung Dorjé. Approfondissement par Khenpo Ngédeun sur la base du commentaire de Jamgön Kongtrul Lodrö Thayé.
Verset 1
M’étant appuyé sur l’écoute et la réflexion,
Et afin de m’adonner à la méditation,
Je me suis retiré dans la solitude.
C’est là qu’il m’a semblé utile d’exprimer ce mode d’apparition [de la réalité].
Ce premier verset, composé par Rangjung Dorjé, montre son mode de vie : c’est une présentation concise de sa « complète libération », son namtar *. Il s’est tout d’abord appuyé sur une éthique excellente. Sur cette base, il s’est ensuite engagé dans les trois pratiques bouddhiques que sont l’étude, la réflexion et la méditation. Il a commencé par écouter et étudier les enseignements de manière extrêmement vaste et profonde : il est dit que Ranjung Dorjé a étudié tous les soutras et tous les shastra disponibles au Tibet à son époque. Il a réfléchi au sens de ces enseignements jusqu’à en avoir une connaissance définitive, puis il s’est retiré dans la solitude et a cultivé sa connaissance certaine en méditant, jusqu’à obtenir le fruit de cet entraînement, la complète libération. En retraite, il a ainsi réalisé le mode d’être véritable de tous les phénomènes. Il a également développé la compassion, c’est pourquoi il s’engage à composer ce texte, afin que, dans le futur, tous les êtres en nombre aussi vaste que vaste est l’espace puissent s’appuyer sur sa propre réalisation pour se libérer du samsara.
Dans son commentaire, Jamgön Kongtrul Lodrö Thayé commence par déclarer que le troisième Karmapa est comme un second Victorieux ; il est l’égal du Bouddha lui-même. Ultimement, il n’y a aucune différence entre la complète libération du Bouddha et celle de Rangjung Dorjé, en cela qu’ils ont tous deux réalisé l’état éveillé de bouddha. Cependant, même si ultimement il est un bouddha, le Karmapa manifeste, de manière provisoire, qu’il naît au Tibet sous une forme humaine, afin de guider, par différentes actions, les êtres ordinaires hors du samsara.
Ainsi, le troisième Karmapa a pris naissance, puis s’est appuyé sur la base du chemin, l’entraînement à l’éthique ; ensuite, il a entrepris les autres pratiques, l’étude, la réflexion, etc.
Sans entrer dans les détails, il faut se rappeler qu’il y a trois types d’éthique :
- l’éthique extérieure des vœux de libération individuelle,
- l’éthique intérieure des vœux de bodhisattva,
- l’éthique secrète du Vajrayana.
Ces trois sortes d’éthique représentent l’assise de toutes les qualités, et sans elles ce serait comme s’il n’y avait pas de terre pour soutenir les montagnes ou les maisons. L’éthique excellente est le fondement d’où jaillissent les bienfaits provisoires — par exemple les renaissances agréables des mondes humains ou divins — et le bien définitif — la libération du samsara et l’état de bouddha. Rangjung Dorjé, un être extrêmement noble semblable au Bouddha, a pourtant montré l’exemple en s’engageant dans cet entraînement qui est le fondement de tous les autres.
Dans la Guirlande des joyaux **, Gampopa souligne l’importance de l’éthique. Il parle du « vaisseau de la libération : les vœux et les samaya ***». Le samsara est comparé à un océan ; si l’on souhaite le traverser pour se rendre sur la rive de la libération ou de l’état de bouddha, il est nécessaire d’avoir un bateau. Ce qui fait office de bateau est le maintien des trois types de vœux. Les vœux et leur maintien sont donc importants en général, et plus spécifiquement les samaya, les vœux du Vajrayana. Certains samaya correspondent aux cinq familles de bouddhas, et les trois niveaux de vœux sont inclus dans chacun d’entre eux, c’est pourquoi il est particulièrement important de les respecter.
Sur cette base, Rangjung Dorjé a suivi de nombreux guides spirituels, sans aucune partialité. Il a ainsi étudié auprès de maîtres de toutes les traditions tous les soutras, les shastra et les tantras qui étaient disponibles à son époque.
L’étude et la réflexion sont très importantes. Il est nécessaire de s’y engager sans interruption, sans se satisfaire de peu. Si quelqu’un n’étudie guère et uniquement ce qui l’intéresse, il peut penser que sa tradition est la meilleure et critiquer les autres par ignorance. Or, il est important, tout particulièrement dans le Vajrayana, d’avoir une connaissance de toutes les traditions et écoles de pensée bouddhiques. En effet, critiquer par ignorance certaines traditions, le Theravada par exemple, c’est, d’après le Gyü Lama, comme abandonner la doctrine du Bouddha dans son ensemble. Effectivement, toutes ces traditions ont été présentées par le Bouddha Shakyamuni et les critiquer revient à rejeter le Dharma, ce qui est extrêmement lourd de conséquences karmiques. Sur la base de cette connaissance vaste, on met ensuite en pratique une seule tradition. En effet, en cultiver une et la réaliser permet de réaliser toutes les autres. C’est ce qu’ont fait Rangjung Dorjé ou Jamgön Kongtrul Lodrö Thayé : ils ont beaucoup étudié auprès de tous les maîtres présents au Tibet à leur époque, puis ils ont mis en pratique une tradition afin de la réaliser, la tradition Kagyü.
Dans la Prière de souhaits du Mahamudra, Rangjung Dorjé explique l’importance d’une telle connaissance : « Par l’étude des textes et par le raisonnement, on se libère du voile de la non-connaissance. » Le premier vers montre que la connaissance supérieure, issue de l’étude des textes et des raisonnements qui y sont développés, permet de dissiper les ténèbres de l’ignorance. Cette étude, bien que nécessaire, n’est cependant pas suffisante. Il est également indispensable de réfléchir à la signification de ce que l’on a entendu et étudié, de l’analyser et de l’approfondir, afin de se l’approprier, d’en intérioriser le sens.
Le Bouddha a souligné l’importance d’une analyse personnelle de l’enseignement. Si on n’y réfléchit pas, on peut par la suite développer des doutes, parce qu’on a laissé en l’état l’enseignement reçu, sans chercher à le comprendre précisément et complètement. Dans ce cas, on reste en surface, on ne descend pas dans les profondeurs du sens de l’enseignement ; c’est ce que précise la phrase suivante des Souhaits du Mahamudra : « Par la réflexion sur les instructions orales, on détruit les ténèbres du doute. » C’est en réfléchissant aux instructions que l’on a reçues du maître ou que l’on a vues dans les textes et en les analysant que l’on dissipe les doutes, les compréhensions erronées et les incompréhensions. Ainsi, on parvient à une connaissance définitive de l’enseignement, une certitude quant à son sens. C’est cette connaissance définitive que l’on cultive dans la méditation, comme le dit Rangjung Dorjé : « Par la lumière issue de la méditation, scintille l’état naturel tel qu’il est. Puisse la clarté de ces trois sagesses se développer ! » Si, au contraire, nous méditons sans être parvenus à une connaissance définitive, notre compréhension n’a pas de profondeur, nous cultivons quelque chose dont nous ne sommes pas certains, et nous ne sommes donc pas à l’abri des erreurs. S’il n’y a aucune certitude, il n’y a aucune stabilité, pas de profondeur dans notre compréhension. Même si nous cultivons cette compréhension, cela ne mène à aucune réalisation stable. Pour parvenir à une connaissance définitive, il faut étudier le sens des textes et y réfléchir en utilisant les raisonnements qu’ils exposent. Grâce à cela, les incompréhensions, les compréhensions erronées et les doutes sont éliminés.
Après avoir étudié l’enseignement et y avoir réfléchi, il est important de mettre en pratique la compréhension du sens excellent à laquelle on est parvenu. L’attitude de Rangjung Dorjé a été de se retirer dans la solitude et d’y cultiver le sens véritable, tel qu’il est. Grâce à cet entraînement, il a obtenu le fruit excellent, c’est-à-dire la réalisation de la nature véritable des phénomènes et de l’esprit.
L’expression « se retirer dans la solitude » se comprend à trois niveaux. Le premier est la solitude extérieure : on retire son corps et sa parole de toutes les perturbations du monde. C’est ce que l’on fait par exemple dans la pratique de shamatha ; on prend du recul afin d’extraire son corps de toutes les perturbations extérieures. Ensuite, il y a le niveau intérieur qui consiste à extirper son esprit des perturbations causées par les afflictions, tels les trois poisons que sont l’aversion, le désir et l’ignorance. Enfin, il y a la solitude au niveau secret qui permet de se libérer des constructions mentales erronées, à savoir le fait de percevoir la réalité sur la base d’un objet perçu et d’un sujet percevant. Grâce à ce triple isolement, on peut s’établir dans un samadhi authentique qui permet de réaliser la nature du samsara et du nirvana.
Lorsqu’on a obtenu une réalisation de ce sens véritable, on développe en post-méditation la compassion pour tous les êtres. C’est dans ce cadre que Rangjung Dorjé a composé son traité, avec la motivation d’aider tous les êtres en nombre aussi vaste que vaste est l’espace ; c’est par compassion pour eux qu’il a composé ce shastra dans lequel il explique le fonctionnement de la connaissance samsarique et de la sagesse.
En général, il est important pour tous les pratiquants de pacifier ces trois types d’agitation : l’agitation extérieure du corps et de la parole, l’agitation intérieure des afflictions et l’agitation secrète des constructions mentales dualistes. Plus particulièrement lorsqu’on est un pratiquant débutant, il est important de se retirer des perturbations extérieures, c’est pourquoi de nombreux maîtres conseillent de se retirer dans un lieu solitaire. Au Tibet, on allait dans les montagnes ou dans des lieux isolés. En effet, comme le dit Gampopa, un débutant n’a pas la force de combattre les afflictions. Dès qu’il y a un objet vis-à-vis duquel une affliction peut se développer, un objet d’aversion ou de désir, il est très difficile de ne pas se faire prendre par cet objet et de ne pas développer d’afflictions par rapport à lui. Il est donc important de fuir les émotions perturbatrices, c’est-à-dire de se retirer loin des objets qui les génèrent, afin de s’entraîner à les pacifier. Dans un lieu solitaire, notre corps et notre parole sont isolés, et comme il n’y a pas d’objet qui pourrait générer notre colère ou notre désir, même si ces afflictions ne sont pas éradiquées, elles sont pacifiées grâce aux circonstances, et nous pouvons alors nous entraîner plus paisiblement. Cependant, même dans un lieu solitaire, il est possible de continuer d’entretenir mentalement toutes sortes d’afflictions. C’est pourquoi le second isolement est important : intérieurement, il est nécessaire de pacifier les perturbations qui agitent notre esprit. En effet, même si extérieurement notre corps et notre parole ne sont plus pris dans un tourbillon déclencheur d’afflictions, il est possible que notre esprit continue à entretenir ces afflictions, d’où l’importance de s’entraîner jusqu’à atteindre un niveau où l’esprit aussi se pacifie. Le troisième niveau d’isolement, celui des constructions mentales dualistes, n’est pas facile. Il ne s’agit pas de décider d’arrêter de penser de manière dualiste, c’est le fruit d’un entraînement qui n’est accompli qu’à un certain niveau. La vie de Rangjung Dorjé illustre le chemin à suivre : il s’est engagé dans l’étude, la réflexion et la méditation, s’est appuyé sur les trois solitudes puis, sur cette base, s’est absorbé en samadhi et a pu réaliser le sens excellent. Ainsi, ce verset et son commentaire ont pour but de nous inspirer, afin que nous générions foi et dévotion envers Rangjung Dorjé et les autres maîtres qui ont pratiqué comme lui, et que nous suivions leur exemple.
C’est de cette manière qu’on peut accroître la connaissance supérieure issue de la méditation et réaliser le mode d’être véritable. Comme on l’a vu, il est nécessaire pour ce faire d’avoir au préalable développé la connaissance supérieure issue de l’étude et de la réflexion, qui elles-mêmes ne se déploient que sur la base de l’éthique. C’est ce qu’exprime le second bouddha Vasubandhu, maître indien du 4e siècle que cite Jamgön Kongtrul Lodrö Thayé :
Demeurant dans une éthique [parfaite] et se pourvoyant d’écoute et de réflexion,
On s’engage pleinement dans la méditation.
Vasubandhu présente ainsi les quatre pratiques dans l’ordre de leur progression : tout d’abord on s’établit dans l’éthique, puis on s’engage dans l’étude et la réflexion, enfin on cultive sa connaissance en méditation.
Au début, il est donc nécessaire de s’appuyer sur le fondement de l’éthique excellente, ce qui permet ensuite de faire croître toutes les qualités. Comme le dit Nagarjuna dans la Lettre à un ami :
Le Sage a enseigné que l’éthique était le fondement des qualités,
Comme la terre qui soutient l’animé et l’inanimé.
Il parle de l’éthique en la comparant à la terre. L’éthique est le fondement de toutes les qualités que l’on peut développer sur le chemin, de même que la terre est le fondement de tout, qu’il s’agisse des êtres sensibles, de l’animé, ou de tous les phénomènes inanimés, les arbres, les maisons, etc.
La citation de Vasubandhu est extrêmement célèbre et utilisée par tous les lamas et khenpo qui enseignent sur le bouddhisme. En deux vers en effet, Vasubandhu résume tout le chemin que suit un pratiquant pour atteindre la libération et l’état de bouddha. Le mot traduit ici par éthique, tsül en tibétain, signifie en fait « façon » ; il s’agit ici de la manière de se comporter. Il est important de respecter une attitude éthique car c’est la cause principale permettant d’obtenir un précieux corps humain. Un insecte par exemple, même s’il se trouve dans cette tente, ne peut pas comprendre ou mettre en pratique l’enseignement. Le précieux corps humain est donc le support qui permet de se développer vers l’éveil. Sa cause est l’éthique. C’est pourquoi celle-ci est le fondement de tout le chemin.
Ce qu’on appelle le « précieux corps humain » au niveau des soutras, est appelé
« corps vajra » dans le Vajrayana. C’est le support qui permet de s’engager dans les phases de développement (kyérim) et d’achèvement (dzokrim), par la pratique basée sur les éléments du corps subtil que sont les nadi, les prana et les bindu. Le corps vajra est doté de six éléments et la cause de son obtention est également le maintien de l’éthique. Ainsi, même si la dénomination de ce support de pratique change entre le niveau des soutras et celui des tantras, sa cause principale demeure la même : le maintien de l’éthique.
Sur la base de l’éthique, on s’engage dans les autres pratiques bouddhiques que sont l’étude, la réflexion et la méditation. Grâce à la sagesse issue de ces trois entraînements, on peut parvenir à l’état de bouddha, qui est la réalisation du mode d’être ultime des phénomènes et de l’esprit. L’éthique seule ne suffit donc pas. Il faut étudier et réfléchir, particulièrement sur le sens des soutras et des shastra. En effet, pour atteindre l’état de bouddha, il est nécessaire de réaliser l’absence d’essence du soi et l’absence d’essence des phénomènes. Or, ces explications se trouvent dans les soutras et les shastra. Si on ne s’appuie pas sur les textes, on ne peut pas parvenir à une réalisation des deux absences d’essence. Même si l’on s’engage dans la méditation, cela ne permettra pas de générer la connaissance supérieure. Or, sans la connaissance supérieure issue de la méditation, on ne peut pas atteindre le chemin de la vision, c’est-à-dire que l’on ne peut pas avoir une vision directe de la vacuité ou de l’absence d’essence et on ne peut donc pas atteindre l’état de bouddha. C’est pourquoi l’étude et la réflexion sont nécessaires pour atteindre l’état de bouddha.
C’est ce qu’exprime Asanga dans le Mahayanasamgraha :
Sans les tendances habituelles de l’écoute, etc.
Il n’est pas possible qu’un fruit apparaisse.
Cela signifie que, si l’on ne développe pas l’habitude ou les tendances habituelles de l’écoute, de la réflexion et de la méditation, on ne peut pas générer le fruit du chemin, l’état de bouddha.
Ainsi, si nous développons la connaissance supérieure issue de l’étude, nous obtiendrons un bienfait provisoire et un bienfait définitif. Si nous ne la développons pas, nous ne pourrons pas faire la distinction entre ce qu’il est bon de pratiquer et ce qu’il faut éviter. A cause de cette ignorance, même si nous nous engageons dans toutes sortes d’actions, elles n’auront pas la force nécessaire pour nous permettre de développer la connaissance supérieure et d’avancer sur le chemin. Dans la vie suivante, nous aurons des facultés limitées. Notre intelligence ne nous permettra donc pas d’éliminer notre ignorance au sujet de la réalité ; nous ne pourrons pas trancher la saisie de l’existence du soi et des phénomènes, ni progresser sur le chemin qui mène à l’état de bouddha.
Sakya Pandita, un grand maître tibétain du début du 13e siècle, a dit que, même s’il devait mourir le lendemain, il continuerait encore à étudier et à réfléchir au sens des textes, afin que son intelligence et sa compréhension continuent de se développer. En effet, tous nos actes créent des imprégnations mentales, l’habitude de nous engager dans tel ou tel type d’activité. Si nous voulons partir en voyage, par exemple, nous confions notre maison et nos possessions à quelqu’un d’autre afin qu’il en prenne soin, et nous les récupérons à notre retour. De même, les actions dans lesquelles nous nous engageons font prendre à notre esprit des directions particulières qui continuent dans les vies suivantes. C’est pourquoi, même si nous devons mourir demain, nous engager aujourd’hui dans l’étude ou dans la réflexion n’est pas du temps perdu ; cela crée des habitudes qui généreront un bienfait dans les vies suivantes. Ainsi, la tendance à la connaissance supérieure issue de l’étude va nous permettre de ne pas être ignorants en ce qui concerne les objets de connaissance. Grâce à notre intelligence, nous aurons confiance dans les situations ; par exemple, nous n’aurons pas peur si nous devons enseigner ou si l’on nous pose des questions, parce que notre intelligence aura été développée grâce à la connaissance supérieure issue de l’étude. L’étude et la réflexion vont également être la cause de notre complète libération. Nous pourrons nous libérer de nos compréhensions erronées, de nos incompréhensions et de nos doutes au sujet des objets de connaissance et du chemin ; notre esprit sera plus détendu. C’est ce qu’exprime Rangjung Dorjé dans les Souhaits du Mahamudra :
Avoir tranché les imputations au sujet de la base, c’est avoir acquis l’assurance
de la vue.
Le terme « base » fait ici référence à tous les phénomènes et à leur mode d’être véritable. Nous avons à propos de cette réalité toutes sortes de conceptions purement imaginaires. Rangjung Dorjé aspire donc à générer la confiance, l’assurance, qui vient de la vue juste et qui peut trancher toutes ces imputations que nous attribuons aux phénomènes. Or, l’assurance de la vue ne peut être acquise que par l’étude et la réflexion.
Quiconque développe la connaissance supérieure issue de l’étude et de la réflexion deviendra un sage et, dans toutes ses vies, aura des facultés et une intelligence acérées, sera capable de détenir les différentes corbeilles de l’enseignement du Bouddha Shakyamuni, et pourra rencontrer le Dharma et discuter à son sujet avec les différents bouddhas et bodhisattvas, etc. Cela présente donc de nombreux bienfaits.
De plus, générer la connaissance supérieure issue de l’étude et de la réflexion purifie partiellement le voile cognitif**** et permet de développer une compréhension du mode d’apparition des phénomènes et de leur mode d’être véritable. Sans la connaissance supérieure issue de l’étude et de la réflexion, on reste dans sa confusion habituelle, sans éliminer le voile dualiste.
Un troisième bienfait lié au développement de cette connaissance supérieure est qu’on aura également la capacité de tourner parfaitement la roue du Dharma pour le bien des êtres, leur permettant ainsi de progresser sur le chemin vers l’éveil. Sans connaissance, il est difficile d’enseigner le Dharma. C’est ce qu’exprime le Sutra concis [de la Prajnaparamita] :
Grâce à la connaissance supérieure, il a reconnu complètement la nature
des phénomènes,
Et a transcendé totalement les trois mondes, sans exception.
Le Suprême Seigneur des Hommes a tourné la précieuse roue
Et a enseigné le Dharma aux êtres afin de tarir leur souffrance.
Cela signifie que, grâce à la connaissance supérieure, on peut développer une complète connaissance de la nature véritable des phénomènes qui nous permet d’aller au-delà des trois royaumes du samsara. Celui qui fait cela est un chef suprême, car son excellence lui permet de tourner la précieuse roue du Dharma. Ce terme de « chef suprême » fait référence à un monarque universel, une figure traditionnelle indienne dotée de sept attributs précieux, parmi lesquels se trouve une précieuse roue. Lorsqu’un tel monarque décide quelque chose, cette roue le devance là où il souhaite se rendre et établit tous les êtres qui se trouvent autour d’elle dans un état de bien-être. De même, si nous développons la connaissance supérieure, nous aurons la capacité d’enseigner de manière juste et authentique l’enseignement du Bouddha Shakyamuni pour le bien des êtres, et de pacifier ainsi la souffrance qui se trouve dans notre esprit et dans celui d’autrui. C’est également ce qui est expliqué dans l’Amas de Joyaux (Ratnakutasutra) :
Grâce à l’étude, on connaît tous les dharmas,
Grâce à l’étude, on abandonne ce qui est insensé,
Grâce à l’étude, on se détourne des négativités,
Grâce à l’étude, on accède au nirvana.
Les différents bienfaits de l’étude sont mentionnés dans ce soutra : la connaissance supérieure issue de l’étude permet de développer la connaissance de tous les phénomènes, de se détourner de ce qui n’est pas utile pour la progression sur le chemin, d’éliminer les négativités et d’obtenir l’au-delà de la souffrance, le nirvana.
Si on ne s’engage pas dans ces pratiques, on ne peut pas comprendre les deux absences d’essence. Même si l’on médite, il s’agit d’une méditation idiote : quand bien même on s’absorberait en méditation, sans compréhension de l’absence d’essence du soi, on ne pourrait pas abandonner la saisie d’un soi. Or, c’est ce qui génère les afflictions, qui nous poussent à nous engager dans des actions perpétuant le samsara.
Le commentaire cite l’exemple d’une personne qui, dans le passé, s’est engagée ainsi dans une méditation dépourvue de la connaissance supérieure issue de l’étude et de la réflexion. Ce pratiquant non bouddhiste, un tirthika***** appelé Udraka, s’est entraîné au samadhi pendant douze ans, et a ainsi développé des facultés supra-sensorielles et le pouvoir de faire des miracles. Sa méditation ne lui a cependant pas permis de se libérer de la saisie d’un soi et il n’a donc pas pu couper la racine du samsara. C’est ce qu’exprime le Sutra du roi des samadhi (Samadhirajasutra) :
Bien qu’il ait cultivé l’absorption méditative
Il n’a pas grâce à cela détruit la saisie d’un soi.
Au contraire, il a été perturbé par les afflictions :
Tel fut l’entraînement au samadhi d’Udraka.
Il existe, dans les courants bouddhistes comme non bouddhistes, de nombreuses méthodes de calme mental et toutes sortes de pratiques sur le corps subtil. Elles permettent, dans les deux cas, de développer certaines qualités et capacités provisoires. La spécificité de la méditation bouddhique, cependant, est que l’on s’engage dans ces méthodes sur la base de l’étude et de la réflexion qui permettent une compréhension de l’absence d’essence du soi et des phénomènes. En effet, le but de la méditation étant de réaliser le mode d’être véritable des phénomènes, il est donc nécessaire de méditer sur les phénomènes tels qu’ils sont. Il s’agit alors d’une méditation spécifique, qui aboutit à un résultat spécifique : l’élimination définitive de la saisie d’un soi, qui est la racine du samsara. Le but de la méditation bouddhique est donc la libération du samsara et l’obtention de l’état de bouddha, c’est pourquoi la connaissance de l’absence de soi est nécessaire.
Cependant, l’étude et la réflexion ne permettent pas, à elles seules, de se libérer du samsara et d’atteindre l’état de bouddha. En effet, même si l’on a une très grande connaissance supérieure issue de l’étude et de la réflexion, cela ne suffit pour se libérer du samsara. Pour cela, la méditation, l’entraînement, est nécessaire. C’est ce que dit le Chapitre de la collection de samadhi (Samadhisambharaparivarta) :
Ce qui épanouit la sagesse est l’étude.
Si elle est associée à la réflexion
Et que l’on s’applique à la méditation,
On obtient grâce à cela l’insurpassable accomplissement.
Ainsi, l’étude permet de développer la connaissance supérieure. Ensuite, on réfléchit au sens de ce que l’on a étudié et on cultive cette compréhension en méditant, pour ainsi intérioriser une compréhension certaine de l’enseignement. Grâce à cet entraînement, on obtient l’accomplissement suprême, l’état de bouddha.
Dans le Sutra des dix terres (Dashabhumikasutra), le Bouddha dit :
Ô, fils des Vainqueurs ! Exhortez les bodhisattvas débutants à commencer
par s’exercer à la récitation.
Lorsqu’ils ont beaucoup étudié, exhortez-les à la solitude !
Le Bouddha s’adresse à ses disciples bodhisattvas, afin de les aider à guider les êtres sur le chemin. Il leur explique que, lorsque leurs instructions sont destinées à des bodhisattvas débutants, il est nécessaire de commencer par souligner l’importance de l’étude, et ensuite seulement, de leur demander de demeurer dans la solitude.
En fait, les trois pratiques sont nécessaires. Sans méditation, on ne peut pas parvenir à une connaissance directe de la réalité ultime. On peut en avoir une idée, mais pas une vision directe. C’est comme l’expérience du sucre : si quelqu’un n’a jamais goûté de sucre et si on lui décrit cette saveur, il se fait une idée de ce que cela pourrait être, mais il ne le sait pas vraiment. Si au contraire il goûte du sucre, il en a alors une expérience directe. De même, l’étude et la réflexion font naître une certaine compréhension du mode d’être véritable des phénomènes, mais ne permettent pas de le réaliser directement. C’est ce qu’exprime le Soutra de l’ornement fleuri (Avatamsakasutra) :
La saveur sucrée de la canne à sucre
N’est pas goûtée par sa seule explication,
Mais si l’on mange de la canne à sucre
On expérimente la saveur sucrée.
De même, la réalité de la vacuité
N’est pas goûtée grâce aux descriptions,
Mais si on la cultive sans cesse
Elle apparaît à la connaissance qui se connaît elle-même.
En fait, l’étude et la réflexion d’une part et la méditation d’autre part sont comme les deux ailes d’un oiseau. C’est la conjonction de ces pratiques qui permet de progresser sur le chemin et d’atteindre le fruit. Un oiseau à une aile ne peut pas voler ; de la même façon, on ne peut pas progresser jusqu’à l’état de bouddha si l’on ne s’engage pas dans toutes ces pratiques.
En quelques mots, la personne qui souhaite obtenir la libération du samsara commence par s’appuyer sur l’éthique, puis développe l’étude et la réflexion, ce qui lui permet de couper toutes les imputations erronées sur les phénomènes et de parvenir à une connaissance définitive du mode d’être véritable des phénomènes. Elle cultive ensuite cette connaissance définitive en méditation et élimine ainsi progressivement toutes les constructions mentales dualistes et toutes les imprégnations laissées dans l’esprit qui l’empêchent d’avoir accès au mode d’être véritable. Ainsi se déploie progressivement la sagesse d’un bouddha, qui connaît tous les phénomènes tels qu’ils sont et tels qu’ils apparaissent. Ces quatre pratiques peuvent être comparées respectivement à la terre (l’éthique), à une graine (l’étude) et à l’eau, la chaleur et l’engrais (la réflexion et la méditation) qui fortifient la graine. Les fruits récoltés sont comparables à la connaissance primordiale de l’état de bouddha.
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Dhagpo Kagyu Ling
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