"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."

LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ

Revue "Tendrel"

Retrouvez sur cette page des enseignements parus dans la revue "Tendrel" éditée par Dhagpo Kagyu Ling jusqu'en 2002.

Les cinq vues erronées - Partie 1

Guendune Rinpoché

A plusieurs reprises dans Tendrel, nous avons eu l'occasion de vous parler de l'ou-
vrage intitulé l'Océan du Sens Ultime, composé par le IXe Karmapa. Les ensei-
gnements parus précédemment sur Chiné et Lhaktong, ainsi que sur le Mahamoudra et
les maladies, étaient directement tirés de ce texte. Aujourd'hui encore, nous allons nous
pencher sur cette úuvre importante en vous proposant un extrait de la troisième partie
de l'ouvrage, qui développe de nombreux points de pratique et met en garde contre les
écueils que l'on peut rencontrer. Cette fois, le passage commenté par Guendune
Rinpoché traite des vues erronées, au nombre de cinq, dont la présence chez le prati-
quant peut empêcher la réalisation du Mahamoudra, quels que soient les efforts
déployés dans la pratique.

Dissiper les cinq vues erronées permet aux expériences et à
la réalisation de s'élever. La première de ces vues dont il
faut se débarrasser est la vue erronée à propos de l'objet.
En fait, il ne convient pas d'avoir des idées telles que devoir
rejeter les trois ou les cinq poisons, les dix actes non-vertueux,
etc. ; penser qu'il faut essayer d'accomplir et parachever la
générosité, les dix actions vertueuses, etc., est tout aussi impropre. Dans cette voie particulière, il importe d'abandon-
ner les idées dualistes et les saisies duelles, ce qui veut dire qu'il
faut apprendre comment intégrer au chemin les cinq poisons et
comment réaliser qu'ils sont les cinq sagesses. D'ailleurs, dans
l'état naturel et ultime de la réalisation du Mahamoudra, il
n'existe pas le moindre concept d'acceptation ou de rejet, ni la
moindre idée d'accomplir ceci et d'abandonner cela. Ce genre
de saisie, considérée comme réelle, sur ce qu'il convient de
rejeter ou de ne pas rejeter n'a pas lieu d'être sur la voie du
Mahamoudra. Nous devons donc faire un effort constant pour
nous tourner vers ce vrai sens profond et le mettre en pratique ;
alors nous ne tergiverserons pas entre ce qu'il faut laisser et ce
qu'il ne faut pas abandonner. Si l'on souhaite réellement
réaliser le Mahamoudra, il est nécessaire de transcender cette
sorte de doute et ce type d'hésitation.
Mais si, en entendant ces mots, vous pensez que cela est
parfait, qu'il n'y a plus aucun effort à faire pour accumuler du
mérite, qu'il est possible de continuer à accomplir n'importe
quelle action que l'on aime et qu'il n'est pas nécessaire d'avoir
des concepts de non-vertu et donc des idées de purification,
vous êtes dans l'erreur : ces idées sont complètement fausses.
Nous avons besoin de continuer à pratiquer la générosité, à
faire des offrandes et accomplir toutes les autres actions vertu-
euses ; par contre, il nous faut abandonner l'attachement au
mérite qui découle de ces actions et l'attachement aux actes
mêmes quand on les accomplit avec le sentiment très fort que
l'on est en train d'agir de faÁon vertueuse.
Si, par exemple, on fait un don, avec la seule pensée de
dissiper par cet acte de générosité la souffrance des autres êtres,
il n'y a pas d'attachement mêlé au don. Mais si à cet acte de
donner se superposent des idées telles que : "Oh, c'est très
bien, cette personne sera libérée de la souffrance, je suis en
train de faire une très bonne action qui va la rendre heureuse,
un résultat bénéfique va en découler", il faut les écarter. De la
même manière, quand on fait des offrandes, la seule pensée qui
doit habiter l'esprit est une foi très profonde et très grande et
un respect identique pour les objets d'offrande, les Bouddhas,
les bodhisattvas, etc. On peut également développer le souhait
suivant : "Puissent tous les êtres à travers cette offrande
accumuler du mérite par le corps, la parole et l'esprit" ; mais il
ne faut pas entacher ce pur état d'esprit par l'adjonction d'un
état d'attachement impur dans lequel on va penser : "J'ai
offert tout ceci, tout cela, je suis très généreux, etc."
Sur le chemin du Mahamoudra, il convient d'abandonner
ces sortes d'attachements. Faisons une brève citation : "Même
si on offre des centaines de milliers d'offrandes aux divinités,
si on s'accroche à ces offrandes avec le sentiment d'un soi,
d'un moi qui offre, quelle est alors l'utilité de tout cela ?" De
telles citations nous font comprendre qu'il faut abandonner ce
type de saisie et d'attachement dans l'action. Dans l'acte qui
consiste à accumuler du mérite, on ne doit pas se préoccuper de
soi le moins du monde ; si on peut réaliser ce chemin, on suit la
voie des illustres bodhisattvas. Mais si on accomplit des actes
vertueux en ayant encore la forte idée d'un moi, le mérite
accumulé demeure alors dans le cadre du Petit Véhicule.
Quand est venu le temps de pratiquer le Mahamoudra, il
faut, chaque fois que l'on agit, le faire dans un état totalement
libre d'attachement et de saisie. Il n'y a ainsi aucune attitude
figée quant à la cause et l'effet, aucun concept préétabli sur ce
qui est bon ou mauvais, vertueux ou non-vertueux, et on se
conduit de faÁon vraiment spontanée, libre d'attachement et de
saisie. Sur le chemin du Mahamoudra, il faut cultiver cette dis-
position d'esprit dans l'action car, en fait, s'il n'existe ni saisie ni
attachement à un moi réellement existant et si nous ne faisons
pas de ce moi le point de référence de toutes nos actions, on ne
peut en aucune faÁon nuire aux êtres vivants, quelle que soit la
manière dont on agit. Pouvoir agir sans attachement rend
automatiquement nos actes purs et sans taches : c'est le plus
profond enseignement de la noble voie, la voie du Grand
Véhicule.
En résumé, toutes les tendances duelles, tous les points de
vue contraires ó que ce soit par rapport aux actes propres au
samsara ou au nirvana, qu'ils soient vertueux ou non, ce qu'il
faut rejeter, ce qu'il faut abandonner, etc. ó si on peut tous les
ramener à la saveur unique de la sagesse primordiale non-
duelle, on a alors clarifié cette vue erronée spécifique de
l'objet.
Ceci constituait la première des cinq vues erronées.
Voyons maintenant quelle est la seconde et essayons de faire
s'épanouir expériences et réalisations en dissipant la vue
erronée quant au concept de temps.
Vouloir accumuler le plus possible dans l'espace de temps
le plus court, essayer d'atteindre dans cette vie l'insurpassable
Eveil ou, au contraire, avoir l'idée d'accumuler très progressi-
vement du mérite et de progresser vers l'Eveil au long d'in-
nombrables kalpas, aucune de ces pensées n'a de vraie raison
d'être. Du point de vue ultime, dans ce concept de temps, il n'y
a aucune différence, si minime soit-elle, entre un espace de
temps long et un espace de temps court. Celui qui veut
réellement aller au cúur de la pratique du Mahamoudra doit
comprendre et réaliser que l'on ne peut faire de différenciation
entre le passé, le présent et l'avenir. En fait, ces trois temps ne
peuvent être rangés dans des compartiments propres et
distincts, ni considérés comme des entités existant séparément :
le présent, le passé et le futur. Ce ne sont que des termes utilisés
par des êtres qui sont dans un état de confusion semblable à
celui d'un enfant. Le passé n'existe pas en tant que tel car, à un
moment, il a été le présent et même, avant cela, il était le futur.
Pour les mêmes raisons, on ne saurait donner au présent et au
futur une existence propre et indépendante. Ces trois temps
sont une seule et même chose : aucune séparation claire ne peut
les différencier.
Vous ne pouvez définir où s'arrête le passé et où
commence le présent ; de même, vous ne sauriez dire où cesse
le présent pour faire place au futur. Dans la voie du Maha-
moudra, c'est dans le moment instantanément présent que la
réalisation s'élève ou non, c'est à l'intérieur de cet instant
présent que nous réalisons ou non l'état de notre esprit. Nous
avons, pour cette raison, besoin de comprendre, de réaliser que
les trois temps n'ont pas d'existence indépendante et séparée.
Tous trois ne font qu'un, sans distinction aucune.
Pour le yogi, pour le méditant qui a réalisé ceci, la béné-
diction d'un kalpa ou d'un instant est identique : puisqu'il a ré-
alisé l'égalité d'un kalpa et d'un instant, leurs bénédictions ont
exactement le même pouvoir. Si on parvient à réaliser que tous
les concepts, toutes les manifestations ó y compris les trois
temps ó ne sont rien d'autre que la clarté et l'expression de
l'esprit, alors, gr‚ce à cette réalisation, serait-elle d'une
fraction de seconde, on va être en mesure de purifier tous les
actes négatifs commis pendant des kalpas innombrables. Cela
est rendu possible par le fait que cet état de réalisation est un
état d'absorption méditative d'un pouvoir immense ; c'est
pourquoi nous devons réaliser les trois temps comme dénués de
temps.
Ceci met fin à la seconde vue erronée.
La troisième vue erronée concerne notre nature essentielle.
D'autres voies, d'autres systèmes religieux développent l'idée
que notre espri.t est pour l'instant mauvais ou négatif, qu'il
nous faut nous détourner de ce genre d'esprit et que nous avons
donc à travailler, à suivre un chemin pour accéder, dans le
futur, à un esprit de sagesse bon et positif, état auquel nous
parviendrons ultérieurement, état ou chose qui n'est donc pas
présent pour l'instant. Celui qui est sur le chemin du
Mahamoudra comprend que la racine de tous les phénomènes
quels qu'ils soient est l'esprit lui-même et qu'il n'y a donc rien à
abandonner, rien que l'on doive rejeter. Si on aspire à un état
de sagesse autre que son propre esprit, il faut savoir que cela est
totalement impossible.

Depuis le tout début, depuis l'origine des temps, notre
propre esprit est spontané et a pour essence naturelle les cinq
sagesses. Telle est la profonde et irréversible certitude du
profond et secret Mantrayana. Citons, Shang Rinpoché :
"Pour qu'il y ait du feu, le bois est nécessaire ; pour que
s'épanouisse un lotus, il faut de la boue ; pour que la moisson
soit abondante, il faut de l'engrais. Nous devons comprendre
qu 'en abandonnant toutes les émotions perturbatrices, nous ne
pourrions même pas entendre le nom de sagesse. " Cela signifie
que plus les émotions perturbatrices sont présentes, plus
grandes sont les possibilités de sagesse. L'essence de l'esprit
s'exprime naturellement en conscience claire et vacuité ; c'est
quelque chose qui s'élève sans obstruction : l'essence de l'esprit
correspondant à là Sagesse-semblable-au-miroir. Le fait qu'en
essence l'esprit soit dénué de toute caractéristique et qu'ainsi
toutes les choses qui s'élèvent aient une saveur unique corres-
pond à la Sagesse-de-1'équanimité. Le fait que, bien que vides
de toute nature véritable, les choses apparaissent dans leur
individualité sous d'innombrables formes, correspond à la
Sagesse-qui-connaÓt-toutes-choses-dans-leur-individualité.
Tous les phénomènes qui se trouvent dans le samsara ou au-
delà ont depuis toujours été inséparables de la sphère de
manifestation ; cette sphère est au-delà de toute expression et
en sa nature essentielle demeure la Sagesse-du-dharmadathu.
Celui qui réalise son propre esprit réalise l'état naturel de tous
les phénomènes ; dans cet instant est réalisée la Sagesse-qui-
accomplit-toute-chose, quel que soit le besoin, l'utilité, le fruit
ou le résultat.

Il nous faut parvenir à cette compréhension que la nature
essentielle de notre propre esprit est l'ensemble des sagesses des
Bouddhas ; nous devons également apprendre comment
demeurer dans l'essence de cet état de sagesse. Avoir les
moyens de bannir totalement tout attachement aux impuretés
équivaut à dissiper la vue erronée concernant notre nature
essentielle.

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