"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."
LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ
"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."
LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ
Retrouvez sur cette page des enseignements parus dans la revue "Tendrel" éditée par Dhagpo Kagyu Ling jusqu'en 2002.
Lama Guendune Rinpoché
L' esprit de l'éveil dans sa phase d'aspiration
Notre approche du dharma sera faussée à la base si l'on n'a pas réalisé vraiment ce qu'est le refuge, si l'on ne s'est pas tourné dans cette direction de la confiance totale, de l'abandon de l'égoïsme, si l'on n'a pas atteint la bonté fondamentale qui fait que l'on se tourne entièrement, complètement vers les autres pour les aider et si cette bonté ne motive pas notre action et notre pratique. Parce que l'on est souvent négligent, l'aspect du refuge et des préliminaires nous semble peu important et l'on passe donc très rapidement dessus, sans vraiment approfondir, sans vraiment comprendre les choses. On se retrouve alors dans une sorte d'activité-dharma : étude, réflexion, fréquentation des centres, pratiques, méditation, etc. mais, en fait, le fond des choses nous échappe complètement, nous sommes sur la surface et nous glissons, en utilisant les moyens du dharma, sur de vieilles traces, de vieux rails qui sont les rails habituels d'intérêts égoïstes. On se trompe et il faut espérer qu'à un moment ou à un autre on va prendre conscience de cette erreur, on va finalement opérer la transformation nécessaire, mais cette erreur peut durer très longtemps avant que l'on s'en rende compte. On peut avoir le sentiment d'être quelqu'un de généreux, d'intéressé principalement par les autres, on peut ainsi se donner l'illusion à soi-même et même aux autres d'être généreux et ceci peut durer très longtemps sans qu'on en prenne jamais conscience. Notre activité a alors une similitude avec l'activité profane, celle que l'on pourrait avoir dans le monde, comme une activité professionnelle ou sociale dans laquelle finalement on se justifie par de belles intentions en disant "Je travaille et, si je suis connu, je pourrai faire connaître le dharma à plein de gens", ou "Si je suis riche, je pourrai être généreux", bref, si "je" suis ceci, si "j"ai une grande réputation, si "je" suis socialement bien établi, "je" pourrai faire profiter les autres de ceci et de cela. Mais la vérité profonde derrière cela est mon désir d'être bien établi socialement, d'avoir du succès, d'être riche, de gagner. Et l'intention altruiste n'est qu'un vernis, une excuse, une bonne conscience à bon marché pour nous permettre de développer tranquillement la recherche de notre intérêt égocentrique et rien de plus. La preuve en est que, si l'on ne réussit pas dans cette recherche de gloire, de renommée, de succès, l'on est abattu. On n'a pas réussi à obtenir ce que l'on voulait pour soi. C'est bien le signe qu'à la base ce n'était pas l'intérêt des autres qui était recherché, celui-ci n'était qu'une excuse, qu'un prétexte, et c'était bien notre intérêt personnel qui était en jeu. Le même processus se continue mais avec la couleur, le vernis du dharma: on peut tout à fait entrer dans les mêmes structures, avoir les mêmes tendances et glisser sur le dharma sans jamais l'approcher vraiment. Il faut donc vraiment se remettre en question, se demander quelle est notre motivation profonde et regarder dans tous les moments d'étude, de méditation et de réflexion ce qui nous motive.
C'est dans cette vision profonde, honnête de nous-mêmes, de notre motivation, que réside la possibilité d'une transformation, d'une prise de conscience, d'une évolution. C'est vraiment la clef de toute chose, c'est pour cela que l'on parle d'intentions et la façon même dont on décrit ces intentions, dont on les qualifie de bonnes ou de mauvaises, est importante. On parle souvent en français d'intention bienveillante ou malveillante. Cela peut paraître un peu radical, mais en fait malveillante signifie "que l'on retire aux autres sans rien leur donner". Bienveillante veut dire "que l'on donne aux autres". Entre bonne et mauvaise, bienveillante et malveillante intention, vous pouvez choisir la traduction qui vous convient, mais cela se rattache toujours à une intention qui est foncièrement tournée vers soi ou foncièrement tournée vers les autres. Il s'agit d'une prise de conscience progressive qui nous amènera à être totalement tourné vers les autres. Cette intention représente donc l'essentiel du travail. C'est autour de ces deux formes d'intention que tout va s'articuler. Soit l'on développe une intention qui est malveillante, négative, qui est égocentrique, dans le sens où elle va nu i re aux autres et où elle va aussi nuire à nous-mêmes, car elle nous portera dans une direction qui est celle de la confusion, des émotions et finalement, ultimement, de la souffrance.
Soit l'on développe l'intention bienveillante qui est celle qui donne aux autres, qui nous libérera de la dictature de l'ego, du poids de l'égoïsme et nous conduira vers la limpidité, la clarté, la sagesse et la libération de la souffrance. Cela s'articule autour de ces deux notions: égoïsme et altruisme. Toute la différence sera là. Tout le travail sera d'abord orienté vers l'observation de nos intentions et le développement d'une attitude. Ensuite, ce travail sera davantage tourné vers la pratique, vers l'action qui sera liée à ce nouveau tremplin, à cette nouvelle direction que l'on se donnera.
L’esprit de l'éveil dans sa phase d'application
A la suite de cette phase d'aspiration du développement de l'esprit de l'éveil, le besoin de l'action se fait naturellement sentir: il devient nécessaire de s'engager entièrement, complètement, totalement. L ' accomplissement de cet acte de Libération des êtres devient nécessaire pour chacun d'entre nous sur le chemin de la pratique. On entre donc dans la deuxième phase de l'esprit de l'éveil qui est la phase d'application, de mise en action. On a développé une intense compassion, une bonté fondamentale, qui s'applique ou plutôt qui prend pour objet tous les êtres sans la moindre exception, qui voit en eux la bonté de nos parents de cette existence et qui souhaite profondément les libérer, avec sagesse, avec amour. On commence donc à pratiquer et c'est là tout le travail habituel de réflexion, de méditation, d'étude, avec un souci de persévérance; il ne s'agit pas de quelque chose de fugace, de passager, d'une envie soudaine et très fugitive qui s'élève en nous, mais c'est un engagement total de notre vie, voire des vies jusqu'à l'éveil, dans la pratique afin d'en obtenir le fruit. Il s'agit d'aller jusqu'au plein développement des qualités de l'esprit. Il y a alors une notion de persévérance et d'engagement qui se développe et que l'on exprime par notre action au travers de l'étude, de la réflexion, de la méditation. Cette action ne comporte aucun retour vers soi-même, il n'y a aucun espèce d'intérêt personnel dans ce travail, c'est un travail purement altruiste puisque l'on a compris la raison d'être de la pratique. Et puisque l'on a compris la raison d'être de la pratique, on la met en action. On va continuer à pratiquer au travers de tout ce que notre vie va nous faire rencontrer, à savoir les difficultés, les réticences, ainsi que toutes les limitations qui sont les nôtres, et cela sans jamais baisser les bras, sans jamais se décourager, car la force motrice est une compassion infinie, un amour et une bonté sans limite. C'est là que l'on puisera la force de l'action pour aller au-delà de tous les obstacles. Si l'on faiblit, si l'on est fatigué ou effrayé, si l'on atteint certaines limites, c'est simplement parce qu'à un moment on manque de confiance dans les trois joyaux, parce qu'on a perdu de vue cette force et qu'on laisse parler davantage les peurs, les exigences et les réticences de l'ego. C'est là que se trouvent les limites et ou se situe le travail, le combat.
Cette attitude d'esprit est essentielle: si l'on n'a pas compris la raison d'être de la pratique du dharma, le moindre obstacle sonnera le glas de notre pratique et l'on s'arrêtera là, on ne fera plus rien. Au fil du temps, on rencontrera des émotions, des difficultés, des problèmes; c'est la raison d'être du chemin, la raison d'être de la pratique. Il faut aller au-delà, vers quelque chose qui s'appelle l'éveil et vers la capacité de libérer tous les êtres de la souffrance. Si l'on s'arrête à l'obstacle et que l'on n'a pas une vision qui le transperce, afin de voir la réalisation derrière, notre effort va s'y arrêter. On va se dire: "je" souffre, "je" suis malade, "je" suis abattu... et, de ce fait, on est à nouveau focalisé sur "je" : "j'aime", "je n'aime pas", "je veux être heureux", et l'on n'est pas dans l'esprit de la pratique du dharma. Très rapidement on se recroquevillera sur son petit bien-être, ses douleurs, ses difficultés, on cherchera des échappatoires, des refuges provisoires, et l'on oubliera ce qu'est le véritable refuge, c'est-à-dire la compassion de l'éveil, la sagesse.
Notre vision est très limitée et centrée sur nous-mêmes, elle s'arrête à l'obstacle et le prend comme une difficulté personnelle. A l'inverse, si l'on a une confiance totale dans les trois joyaux, notre vision transpercera cet obstacle et verra plus loin, elle percevra le fruit du chemin qui se trouve derrière l'obstacle et elle prendra cet obstacle comme une opportunité de travail, une qualité à mettre en avant, une énergie à développer. L'obstacle n'est donc plus vu comme quelque chose d'écrasant qui va nous détruire et nous épuiser, mais comme quelque chose de stimulant.
Paradoxalement, on peut rencontrer une immense joie à faire face et à affronter les obstacles, puisque lion sait qu’ils sont des étapes, des marches vers cette élévation qui nous conduira à l'éveil et nous donnera la capacité d’aider tous les êtres. La confiance dans les trois joyaux et cette capacité de passer au travers de la vision des difficultés nous permettent donc de trouver la joie dans la pratique et même dans la confrontation avec la difficulté. Sinon lion s’arrête, on est bloqué et on ne trouve pas l'énergie pour aller au-delà ; on nia pas véritablement compris le sens du refuge puisque lion a perdu la confiance. Par conséquent, nous nous retournons vers nos problèmes, vers notre bien-être, vers notre peur et l'on perd la compassion. Ayant perdu la compassion et la confiance, on perd le fil conducteur de la pratique du dharma. Il est donc essentiel de transpercer les obstacles en les voyant pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des tremplins vers l'élévation et non des murs qui sont des interdits ou des blocages qui nous affectent personnellement.
Le dharma n'est pas une "multirisques"
Dans la pratique, on rencontre ses propres difficultés, ses problèmes, voire des maladies. Ceux-ci ne sont pas le fait du dharma. On a accumulé les causes et les conditions de ces souffrances bien avant d'avoir rencontré le dharma. Nous avons ce passif karmique qui est une composante de notre être et, que nous pratiquions ou pas, ces problèmes vont survenir de toutes façons. La bénédiction du dharma, \ c'est de nous préparer à gérer ces émotions et ces difficultés pour en faire des outils spirituels. Si l'on n'a pas compris cela, on aborde le dharma avec l'état d'esprit d'être finalement entré dans une compagnie d'assurances. Quand on prend le "refuge-tous risques-multirisques" qui nous protège contre tout, et que les problèmes surgissent, on se dit alors: "J'ai souscrit une police d'assurances, j'ai payé ma cotisation, j'ai fait mes pratiques, et voilà que les accidents arrivent, je ne suis pas couvert". La colère s'élève donc, on se sent floué, trahi et, finalement, plutôt que de développer de la confiance et de la force, on développe du dépit, de l'amertume et de la colère que l'on attribue à l'incapacité des trois joyaux à nous protéger. Il s'agit de quelque chose de très ordinaire que l'on rencontre parfois chez les pratiquants et qu'il convient de bien déceler en soi-même pour le corriger. Ces problèmes et ces difficultés sont le résultat karmique de nos actes. Avec l'aide du dharma, on va pouvoir gérer cet héritage du passé, dans l'instant présent, pour créer un futur qui aille dans la direction de l'éveil; on va pouvoir gérer ses émotions pour en faire des outils spirituels. C'est cela la fonction du dharma. Ainsi, dans cette perspective, lorsque les problèmes surviennent, on discerne la bénédiction des trois joyaux qui nous permettent de faire mûrir très rapidement des graines karmiques dans un environnement propice, qui est celui d'un esprit ouvert aux instructions du dharma et l'on est à même de gérer ces difficultés. On peut alors développer un sentiment de gratitude, on peut remercier les trois joyaux de faire mûrir toutes ces graines karmiques ici et maintenant.
On va pouvoir gérer celles-ci maintenant et non pas après la mort, non pas dans le bardo où l'on sera dans le désarroi, totalement perdu et incapable
de les gérer, non pas plus tard, dans d'autres existences, où l'on n'aura peut-être pas rencontré le dharma, mais maintenant. On développe donc de la gratitude envers les trois joyaux, qui font mûrir ces circonstances karmiques ici et maintenant, dans un environnement propice à leur transformation et à leur adaptation à la voie. On développe également davantage de confiance en les trois joyaux, parce que l'on voit qu'ils sont capables, par leur sagesse et leur compassion, de faire mûrir des graines karmiques au moment approprié, dans la circonstance appropriée, c'est-à-dire à un moment où l'on pourra en tirer le meilleur parti. La gratitude et la confiance se renforcent dans le courant de notre esprit, parce qu'on a compris que le passif karmique est là, qu'il sera géré ou qu'il sera à gérer d'une façon ou d'une autre, et que la prise de refuge et la pratique du dharma ne représentent pas une assurance dans le sens où on l'entend généralement.
Abandonner les tendances égocentriques
La confiance et la dévotion dans la capacité de libération des trois joyaux dépendent de la place que prend la saisie de l'ego. Il s'agit d'une sorte de combat pour un espace, l'espace de l'esprit. Et plus l'empreinte de la saisie égocentrique est profonde, moins il y a de place pour la confiance, moins il y a de place pour la compassion. En fait, c'est un travail d'évacuation de la tendance égocentrique pour laisser de la place, en l'esprit, à la confiance. Plus on travaille, plus on s'efforce de développer cette confiance et plus il y a un travail de sape qui se fait sur la saisie égocentrique. Une sorte d'usure de cette saisie égocentrique a progressivement lieu au travers du développement de la confiance dans les qualités des trois joyaux. Par conséquent, l'amour et la compassion naissent de cette
confiance. Si l'on ne prête pas attention à ce travail, la saisie de l'ego s'installe peu à peu, prend ses quartiers et ses aises dans notre esprit, et dirige toute chose. Et même la pratique du dharma peut être dévoyée: on abordera l'étude et la pratique du dharma avec une confiance très relative et une compassion très faible qui seront peut-être une simple couverture, une sorte de prétexte et de bonne conscience pour continuer notre étude, notre r~flexion, notre pratique. En fait, la motivation profonde derrière tout cela sera d'être tranquille, d'obtenir la sécurité, de se protéger le mieux possible, d'acquérir un état bienheureux de félicité, une espèce de nirvana personnel. Bien évidemment, dans ce cas-là, on montre très peu d'ardeur à l'ouvrage de bodhisattva, parce que travailler pour les autres, oeuvrer avec les autres pour les autres, signifie souvent, pour ne pas dire toujours, laisser tomber sa tranquillité, son calme et sa sérénité. En effet, il faut s'agiter, mouiller sa chemise, et notre but premier qui était le calme et la tranquillité est dérangé. On se refuse donc à l'autre, on se refuse à aller vers le travail de bodhisattva. Comme on veut garder cette prérogative, cette citadelle de tranquillité de l'ego, on dira que l'enseignement n'est pas correct, ou que ce n'est pas exactement ce qu'on veut faire, ou encore que cela ne nous intéresse pas dans l'enseignement. Nous travaillons alors à la carte, pas au menu; nous prenons les choses qui nous intéressent dans l'enseignement et nous nous retrouvons donc totalement à côté du sens profond du dharma. Celui qui va vers l'éveil se dit en sanscrit bodhisattva: "celui qui a développé l'intention altruiste, tournée vers le bienfait des autres". Bien évidemment, on fait alors le don de son corps, de sa parole et de son esprit. C'est la première chose que l'on fait lorsque l'on prend refuge. Mais on fait aussi don de sa tranquillité, de ses rêves, de son calme, de son bien-être, puisque l'on met tout cela au service des autres. Il faut développer un immense courage, une grande vaillance pour aller dans cette direction. C'est pour cela que l'on dit qu'un bodhisattva est un être courageux qui va vers l'éveil. On peut presque parler de chevalier de l'éveil, de "héros" de l'éveil dans le sens moyennâgeux, le chevalier étant celui qui, sans peur et sans reproche, travaille à libérer ceux qui souffrent et qui ont besoin d'aide. Il y a ainsi une notion de vaillance que l'on trouvera en soi au travers de la compassion. Lorsque nous verrons la souffrance des autres, en nous s'élèveront naturellement cette ardeur et cette vaillance, et nous pourrons laisser tomber notre petit territoire, notre petit nirvana privé, nos rêves de tranquillité, pour aller effectivement au travail.
Le regard intérieur
Le développement du noble esprit de l'éveil est la chose la plus importante tout au long du chemin vers l'éveil, et il faut le faire avec profondeur et authenticité, c'est-à-dire sans superficialité. Il ne s'agit pas simplement d'avoir un regard rapide sur soi-même et de se dire: "C'est vrai, je suis un bodhisattva, je suis bon, je pense aux autres, je les aime; bien sûr, ils ne comprennent pas toujours, ils n'ont pas tous cet esprit de l'éveil que je maîtrise si bien". En fait, on est toujours dans les vieilles habitudes. Habitude et méditation en tibétain se disent avec le même mot. On pourrait dire que l'on a tellement médité sur "je regarde les autres" que l'on est devenu un maître dans cette méditation. Notre regard est constamment tourné vers les autres et, partant bien sûr du principe que nous sommes un bodhisattva plein de bonté et de qualité, nous nous disons: "Les pauvres, ils souffrent, ils n'ont pas cet esprit de l'éveil, il faut absolument que je leur montre, il faut absolument que je les corrige". On a ainsi une très grande capacité à discerner les problèmes que l'on voit chez les autres, à décortiquer leurs difficultés, à prodiguer des conseils à propos de ce qu'ils devraient faire. Mais jamais l'on ne regarde en soi pour voir si l'on n'aurait pas effectivement les mêmes problèmes. Et c'est là que se place le manque, c'est cela qu'il faut apprendre à faire. Il faut garder cet esprit vif et pénétrant qui est tourné vers les autres, et simplement l’inverser pour le tourner vers soi et regarder si l'on a bien cet esprit de l'éveil tel que nous venons de l'expliquer. A-t-on vraiment cet intérêt altruiste tourné vers les autres ? N'y a-t-il pas, Inconsciemment caché derrière un repli, l'idée du bénéfice qui va nous revenir au bout de l'action ? Si oui, que faut-il faire ? Quels sont nos défauts, que1s sont nos travers, où doit-on travailler pour se corriger et s'amé1iorer ?Ce retour sur soi est essentiel.
Pour l'instant, notre vision est semblable à notre visage, qui est tourné vers l'extérieur, que tout te monde peut voir, mais pas nous. L'on n'a jamais vu son propre visage, on en a vu les reflets.Et c'est peut-être là la chance que nous avons, à savoir que les autres nous renvoient des reflets de notre visage, ils sont des miroirs. les miroirs ne sont pas toujours agréab1es. Mais notre façon de voir et de penser à l'heure actuelle est tournée vers l'extérieur. Il n'y a que de très rares retours vers L'intérieur, et l’on est vraiment, honnêtement, profondément persuadé d’être quelqu’un de bien et les problèmes de relation sont dus à l'autre, au fait qu'il ne comprend pas. Ce travail de découverte, d'analyse de son propre caractère est fondamental, parce que c'est sur la base de cette analyse que l'on va effectivement commencer à voir les problèmes, les défauts. C'est seulement alors que l'on pourra commencer à transformer quelque chose. Il s'agit aussi de voir les manques qui, au niveau de la confiance, au niveau de la compassion, au niveau de l'esprit de l'éveil, devront être comblés. Prendre conscience de l'aspiration et de la mise en action qui devront être développées, ainsi que des efforts qui seront nécessaires, fait aussi partie du processus. On ne pourra véritablement s'en rendre compte que si l'on regarde en soi-même, que si l'on part de l'hypothèse qu'il existe des problèmes et que ceux-ci ne sont pas présents uniquement chez les autres.
La vigilance
Nous allons maintenant évoquer toutes les attitudes qu' il convient de développer dans toutes les circonstances de la vie. Ces attitudes pourront conduire à l'éveil, pour peu que l'on cultive la vigilance. La vigilance devient donc un outil essentiel, indispensable au développement de l'esprit de l'éveil, puisque c'est simplement avec et grâce à cette vigilance que l'on pourra voir et juger effectivement de l'état de notre esprit, dans la méditation, dans l'étude, dans la réflexion, mais aussi dans tous les petits détails de la vie quotidienne. Pour cela, il faut transformer cette vieille habitude qui est la nôtre de regarder à l'extérieur et de projeter critiques et analyses. Il s'agit plutôt d'avoir une sorte d'introspection constante, d'analyser le courant de notre être en permanence et de regarder l'esprit.
La patience
Une autre qualité indispensable au développement de l'esprit de l'éveil est la patience. Il faut beaucoup de patience pour arriver à l'éveil et il faut donc s'habituer à cultiver cette qualité qui est foncièrement celle d'un bodhisattva. On a besoin de patience vis-à-vis de soi-même bien sûr lorsque l'on atteint ses limites, lorsque l'on rencontre des blocages impossibles à transcender, mais aussi vis-à-vis des autres et cela est indispensable. Dans cette manifestation, nous sommes en contact, en relation pourrait-on dire, les uns avec les autres au travers du jeu de l'interdépendance. En effet, les actes créés antérieurement au travers du corps, de la parole et de l'esprit de chacun tissent une sorte de trame qui lient les êtres les uns aux autres et, au travers de ce réseau de relations, les interactions peuvent jouer. Ainsi toute action qui vient de l'extérieur vers nous-mêmes n'est pas neutre, elle ne sort pas du vide pour nous arriver, elle ne naît pas de l'autre pour venir vers nous et nous nuire, mais il s'agit d'une continuité. Puisque notre mémoire est courte, l'on a perdu la trace de cet enchaînement de circonstances partant d'un acte initial et il nous reste simplement la dernière section de cette histoire. Il nous en manque une partie et c'est pour cette raison que l'on a du mal à gérer la relation quand elle vient de l'autre sous forme de conflit, d'agression ou de difficulté. L'autre peut être une personne physique, un être humain, mais l'agression peut aussi provenir d'une maladie ou d'une difficulté quelconque. On a donc du mal à gérer cela, parce que l'on pense que l'autre est à l'origine de l'agression, qu'il en est par conséquent responsable, ce qui nous arrange parce que cela nous maintient dans l'idée que nous sommes innocents. Cela nous dérange aussi, car nous ne comprenons pas pourquoi un être innocent serait agressé par un autre. "Si cela se passe, c'est parce que cette personne a, en elle, de la colère, de la jalousie" se diton, et l'on retombe ainsi dans le schéma traditionnel consistant à projeter sur l'autre toutes nos peurs et nos obsessions, voire nos névroses. Il est donc important de comprendre cette loi de l'interdépendance qui s'appuie sur ce qu'on appelle le karma, interdépendance entre la cause initiale d'une action et le fruit qu'elle porte. Il est essentiel de comprendre la trace qui existe entre la cause et l'acte et de savoir que cette trame qui gère notre vie et notre relation avec les autres est là en filigrane. Cette perception peut nous permettre de développer profondément la patience lorsqu'une difficulté survient dans le champ de notre expérience. Cette difficulté vient non pas de l'autre, mais par l'autre. On pourrait dire plus exactement qu'elle nous vient au travers de l'autre. On va faire, dans un premier temps, grâce de son innocence à l'autre et l'on va considérer qu'il s'agit d'une trace plus ancienne, du rebond d'un acte que l'on a créé et qui nous revient au travers de cette difficulté. "J'ai créé quelque part un trouble dans ce réseau, dans cette trame de l'interdépendance, cet écho me revient." C'est l'exemple du billard. L'on a envoyé une bille, qui revient vers nous par l'effet de bande. Si l'on ne voit effectivement que l'effet de bande, on peut se dire que la bille revient à cause de la bande du billard, mais en fait il y a eu un acte premier qui a envoyé la bille, un premier bing avant qu'il y ait un bang. Il s'agit donc d'un aller et retour, et l'on ne perçoit que le retour; c'est pour cela que l'on est mal à l'aise, c'est pour cela que l'on n'arrive pas à gérer la difficulté. Il faut ouvrir cette vision à la lumière et à la bénédiction du dharma qui nous fait comprendre qu'il y a un aller ayant qu'il y ait un retour. A partir du moment où l'on accepte le fait d'un aller, on voit sa part non pas de culpabilité mais de responsabilité dans l'ensemble, dans la relation. Cela nous permet de voir que l'autre n'est pas tant le fauteur de troubles que le catalyseur d'une réaction dont nous avons été à l’origine. Cela nous libère de cette tendance à jeter le blâme sur l'autre; à projeter la faute sur l'autre, et nous renvoie à nous-mêmes et à notre propre responsabi1ité dans cet enchaînement. La difficulté vient de ce retour d'un acte qu’il va falloir assumer, gérer, voire transformer en outil spirituel.
On développe donc de la patience du fait que l'on commence à comprendre le fonctionnement de la relation avec les autres. Quand la patience est présente, la colère ne va pas directement vers l’autre et l'on est aussi plus patient vis-à-vis de soi-même. Afin d'effectuer ce travail, on étudie les enseignements et on réfléchit à leur propos. Ensuite, il faut ayoir le courage de reconnaître sa responsabilité, la volonté d'accepter cette onde de choc qui nous revient et de l'absorber dans un espace de patience, d’amour et de compassion pour éventuellement créer un écho fait d'altruisme et de bienveillance. Si l'on n'arrive pas à faire cela, la relation à l’autre sera impossible, et le chemin vers l'éveil sera interrompu dans cette relation. La connaissance est une qualité de fond qu'il faut patience. Il y a aussi une dimension de joie qui est importante, parce qu'en voyant ce retour s’effectuer, l'on se dit : « finalement, c’est ici et maintenant » et l'on accueille ce problème non plus comme un problème mais comme une grâce, comme une bénédiction, comme une bonne nouvelle parce que quelque chose va se libérer dans notre passif karmique; Nous allons apurer cette dette dont nous serons finalement soulagés. Une liberté est donc présente; alors pourquoi être triste Voir l'autre comme son maître
Nous venons de parler de la patience qu'il s'agit de développer face aux problèmes récurrents qui viennent heurter notre vie. L'on est parfois confronté à des situations passagères, à de petits accrochages avec des gens, à des prises de becs, voire un petit peu plus, qui marquent et viennent ponctuer notre existence. Là aussi il faut développer la patience, une patience beaucoup plus vive, moins sur le long terme mais dans l'instant, sinon, vu la vivacité de l'action, l'on a tendance à répondre très rapidement et à partir dans une relation d'agression. Dans ce cas-là, il faut développer un réflexe profond, naturel, ancré en nous au point de surgir de manière inconsciente. Il s'agit de dire, quand l'agresseur arrive: "C'est lui le maître, c'est quelque part un enseignement, c'est le doigt mis sur l'endroit douloureux que je dois corriger." Le réflexe premier, ordinaire, est de se défendre, de répondre, voire d'agresser en retour. Si l'on se dit: "c'est mon maître" et que l'on a naturellement le réflexe de joindre les mains, alors plutôt que de voir un agresseur l'on voit son maître et cela nous met en phase immédiatement avec le sens profond de l'enseignement. Notre réaction sera une réaction immédiate de détachement de la situation. L'on se dégagera de ce besoin de se défendre, de se justifier, pour se mettre dans un autre état d'esprit: on verra la souffrance de l'autre, sa colère, son mal être, on verra toutes sortes de choses qui développeront davantage de compassion en nous, et surtout on se mettra dans une position qui nous permettra d'apprendre et de nous dire: "II faut que je sois vigilant, que mes oreilles soient ouvertes, que mon esprit soit en alerte, il faut que j'apprenne ce qui est à apprendre dans ce moment-là, et je te remercie de me donner cette opportunité." Cette attitude est extrêmement importante et doit être naturelle, il faut presque que ce soit un conditionnement. C'est difficile parce que, face à l'agression verbale, l'on peut garder une certaine distance et rester zen, mais lorsque la personne vous saisit par le col, voire vous frappe ou vous malmène, c'est encore plus difficile. Il s'agit donc d'aller plus loin encore, d'être capable, même dans la circonstance d'une agression physique, d'un contact de proximité, de se dire: "C'était seulement le fruit d'un immense orgueil, je suis comme tout le monde, je peux prendre un coup de temps en temps. Merci de m'avoir montré cela. Merci de m'avoir donné cet enseignement." Etre capable de faire cela est un travail, c'est une forme de patience instantanée qu'il faut développer.
Le fruit de la vigilance et de la patience
Avec ce travail de patience, de vigilance, d'introspection, l'attitude d'esprit bienveillante tournée vers les autres va se développer naturellement et aura comme conséquence première de grignoter le territoire de l'ego, de prendre l'avantage sur lui. Puisqu'il y a cet espace, et que dans cet espace de l'esprit il y a un combat pour la préséance - soit c'est l'ego, soit c'est l'altruisme - l'esprit de l'éveil qui est développé par la force de la vigilance, de l'introspection, de la patience et du courage, va progressIVement prendre le terrain de l'ego, d'une façon très naturelle. C'est un peu comme le soleil qui gagne sur l'ombre. Les intentions égoïstes vont se désagréger, perdre de la valeur, perdre de l'intérêt, on va les percevoir comme très vaines finalement et les laisser tomber naturellement.
C'est une victoire de l'esprit de l'éveil, une victoire des qualités de l'esprit sur sa propre part d'ombre. L'on va effectivement vers la clarté, vers la lumière de l'éveil et de la réalisation. Si l'on n'est pas capable de laisser tomber l'intérêt égoïste, même si l'on prétend travailler pour les autres, il y a toujours une lutte de terrain et la place de l'ego restant intacte dans l'esprit, on ne peut pas gagner plus de terrain pour les autres. Il est évident que l'on doit laisser de la place aux autres en travaillant sur soi, que, pour travailler sur l'abandon de cette dictature de l'ego, il est nécessaire de développer la compassion, la confiance, toutes ces qualités que l'on vient d'exposer. Il faut vraiment être très au fait de cela, des mécanismes de l'esprit, et voir que si l'ego prend la place, il n'y a pas de place pour les autres. Par contre, si l'on travaille pour les autres avec les efforts quotidiens que cela demande, alors naturellement il y aura une usure, on pourrait presque dire une dilution, une dissolution de la saisie égocentrique.
Les trois corps formels
Lorsque ce précieux, ce noble esprit de l'éveil anime complètement notre esprit, toutes les productions de cet esprit, que ce soient les pensées, les intentions ou les souhaits, sont exclusivement altruistes et l'on est constamment préoccupé par le bien-être des autres, par la manière de les aider, par la recherche du remède que l'on pourrait leur apporter. Il n'y a pas une trace d'intérêt égoïste, pas un moment où, de façon consciente ou inconsciente, on se dit: "Si je fais telle chose, cela va peut-être aider mais ce sera bien pour moi", ou "Que vais-je pouvoir récupérer dans cette histoire ?" Tout cela n'a plus lieu d'être dans notre esprit qui est un esprit de bodhisattva. Les intérêts personnels, comme le besoin d'être reconnu comme quelqu'un qui fait quelque chose de bien, qui laisse sa trace dans l'histoire, qui gagne de l'argent avec cela, sont totalement obsolètes, disparaissent et tombent dans cet esprit qui ne s'accroche pas à ces idées. Celles-ci ne nous effleurent même plus et c'est cela un esprit de bodhisattva. C'est ce vers quoi l'on tend et si l'on s'aperçoit que ces qualités ne sont pas présentes, il faudra les développer. C'est ce que l'on appelle donner naissance au précieux esprit de l'éveil. Et lorsqu'il est né, il faut le maintenir et le développer jusqu'à sa perfection. C'est le travail, c'est la voie.
On peut avoir des repères sur le niveau de développement de cet esprit de l'éveil. Par exemple, on pense très sincèrement et honnêtement que l'on veut le bien des autres, que l'on serait heureux si tout le monde était heureux. Mais quand on voit quelqu'un qui réussit, on éprouve un petit malaise, on est un peu gêné, jaloux, sans vouloir se l'avouer. On se dit: "Il a été aidé par quelqu'un d'autre et moi, j'aurais pu le faire aussi bien, voire mieux." On est donc un petit peu marri de ne pas avoir eu l'idée avant l'autre. Mais au fond, qu'est-ce qui compte ? Que l'autre soit heureux ? Si l'autre a été libéré par quelqu'un d'autre ou par quelque chose d'autre, quelle importance ? Si l'on voit cet instant de déplaisir s'élever en nous à la vue du succès et du bonheur des autres, c'est là la trace d'une récupération égoïste. Il en est de même s'il n'y a pas un petit signe de gratitude ou de remerciement lorsque l'on a aidé, si notre acte passe totalement inaperçu, reste anonyme, on peut se sentir un peu froissé. On aurait pu faire un petit geste qui nous aurait montré que l'on avait été remarqué et remercié. Ces éléments indiquent une récupération. Il faut donc être vigilant à ces petits signes et y faire attention de façon à corriger cette attitude. C'est le travail, le développement, la perfection du noble esprit de l'éveil. Il est vrai que l'on est très intéressé par sa propre libération, quand on entame le chemin c'est que l'on a envie d'arrêter de souffrir. Cela demeure dans le fond: "Quand est-ce que moi, j'atteins l'éveil ( C'est bien beau tous les autres !" Il faut bien comprendre que le chemin vers l'éveil c'est faire abstraction des desirata de l'ego, abandonner la saisie égocentrique et cela passe donc forcément par l'abandon de l'intérêt personnel. L'on pourrait croire, dans la confusion qui est la nôtre, qu'abandonner tout intérêt personnel signifie abandonner aussi l'idée d'atteindre l'éveil, ou le souci qui était le nôtre de nous libérer de la souffrance. Il faut bien comprendre que, dans le développement de l'action altruiste, il y a le développement de ce que l'on appelle les capacités formelles d'aider les autres, au travers des deux corps formels que sont le nirmanakaya ou corps illusoire, le plan physique qui agit pour les autres, et le sambhogakaya ou parole éveillée, la communication éveillée qui va inspirer les autres au travers de toutes les richesses de l'esprit. Ces deux niveaux de réalisation, le corps et la parole éveillés, fonctionnent pour les autres, mais lorsqu'on les développe au travers de l'action altruiste, au travers de la démarche du bodhisattva, l'esprit éveillé qui est à la base de tout se libère. Il se libère de la saisie égocentrique, des confusions et souffrances qu'elle génère, et l'on obtient donc un bienfait personnel. Si l'on recherche son propre bienfait, on n'obtient ni le sien, ni celui des autres. Mais si l'on recherche celui des autres, on obtient celui des autres et en prime le sien. Il n'y a donc pas de souci à se faire.
En développant la compassion, on parachève les deux corps formels qui seront l'expression de l'activité altruiste, et le développement de la sagesse, qui fait partie partie du travail du bodhisattva, nous conduit à la perfection de l'esprit éveillé que l'on appelle en sanscrit le dharmakaya, le mode d'être ultime, où l'on réalise la sagesse première, libre de la saisie égocentrique. Ainsi, dans le travail altruiste qui implique sagesse et compassion, mû par le besoin profond d'aider les autres, on obtient la libération des autres et, comme une sorte de corollaire, sa propre libération.
L‘éveil est au coeur même de l'esprit
Si l'on maintient une attitude très ordinaire quant à la perception de soi-même, dans notre approche du dharma au travers de l'étude, de la réflexion puis de la pratique de la méditation, il sera très difficile d'atteindre l'éveil, parce qu'on sera sans cesse renvoyé à ses propres incapacités. On manquera d'ardeur, d'ampleur dans la vision, on manquera de confiance en soi et cela altérera notre confiance en les trois joyaux. Il faut donc développer une attitude d'esprit générale, qui soit beaucoup plus ample, beaucoup plus vaillante, courageuse, beaucoup plus déterminée que celle que l'on développe généralement lorsque l'on considère sa propre personne, que l'on pense être limitée, sans beaucoup de capacité.
Grâce à cette vision plus ample, p/us large que t'on développe, l'on va comprendre que l'éveil n'est pas si loin finalement, au moins pas hors d'atteinte de nos capacités. Si 'on reste ans une perspective limitée, frileuse, qui a peur de passer ses limites, d'aller un petit peu plus loin que d'ordinaire, on est très limité et effectivement l'éveil paraît quelquechosed1impo5sib)e, d'inimaginable, d'inatteignable. L'inaccessible état que l'on se découragera progressivement d'atteindre. Si l'on considère que, sur la base de la nature de bouddha, il est possible de travailler d'instant en instant en direction de cet éveil, alors le chemin va se faire, on avancera. A chaque pas que l'on va faire sur la voie, même si c'est un petit pas, on va se rendre compte que l'éveil n'est pas aussi loin qu'on le pense. Effectivement, l'éveil n'est pas très loin puisque c'est la réalisation de l'esprit en lui-même, tel qu'en lui-même, et que cet esprit est déjà là. Il ne s'agit pas de quelque chose que l'on doit obtenir ou acheter; l'éveil n'est pas une marchandise que l'on va essayer de se procurer quelque part dans un stock qui serait très éloigné, où il faudrait aller le chercher à grand peine. L'éveil est au Coeur même de l'esprit, c'est l'esprit qui arrive finalement à se connaître et à se réaliser. L'éveil est très proche, il est à la fois éloigné et intime. Il restera éloigné aussi longtemps que j'on demeurera dans cette perspective frileuse qui n'a pas d'ardeur ni de vaillance. Mais si l'on développe une vision plus courageuse, on se rendra compte, à mesure qu'on avancera, que l'éveil est proche, intime. Tilopa disait à ce sujet: "D'aucuns pensent que l'éveil pourrait s'accomplir à l'extérieur et, pour cela, déploient une quantité phénoménale d'énergie. Que de peine et de sueur, en vain !"
La nature de bouddha
La raison pour laquelle cet éveil est si intime est que sa cause fondamentale, sa graine primordiale pourrait-on dire, est la nature de bouddha, le tathagatagarba en sanscrit. Cette nature de bouddha anime l'esprit de tous les êtres, l'esprit avant qu' i I ne soit mon esprit en opposition à l'esprit de l'autre, l'esprit premier. Cet éveil est également nommé le corps de vérité ultime, ou dharmakaya en sanscrit.
L'esprit est immatériel, il n'est ni né, ni soumis à la cessation, il n'a pas de résidence particulière et pourtant il est omnipénétrant, c'est-à-dire qu'il emplit et anime l'espace, l'espace matériel, l'espace de l'esprit, et par cela pénètre et anime tous les êtres qui participent de cet esprit. Au coeur même de l'esprit de tout un chacun il y a cette nature de bouddha qui est la cause première de l'obtention de l'éveil. Reste à chacun à comprendre que l'ego, l'égocentrisme, la saisie égocentrique viennent limiter cette liberté naturelle de l'esprit et, par un chemin de travail, à apprendre à s'en défaire, à s'en libérer, pour réaliser l'esprit en lui-même, tel qu'il est premièrement.
Dans les textes, il est dit: "L'éveil est au coeur de l'esprit et les êtres l'ignorent", les êtres sont des bouddhas qui s'ignorent et s'ils parvenaient à se débarrasser des voiles qui obscurcissent cette nature de bouddha, ils seraient alors des bouddhas manifestes. Tout le travail consiste à dégager l'esprit des voiles provenant de l’ignorance qui l'entravent et par conséquent génèrent les émotions, entraînant 5 actions qui se transforment en tendances habituelles qui nous font répèter sans cesse les mêmes actes. Au travers du corps, de la parole et de l'esprit, on cumule une sorte de poussière d'ignorance qui couvre la nature éveillée de l’esprit, qui couvre la vision de l'esprit qui ne peut se connaître, étant dans l’ignorance de sa véritable nature. Le travail pour atteindre l'éveil n'est pas tant de construire ou de fabriquer un éveil que de le dégager, de le libérer, de le nettoyer de cette poussière d'ignorance, d'émotions, de karma et d'attitudes compulsives habituelles qui entravent sa liberté. Tout ce travail est donc un travail de "désenfouissement" en quelque sorte, au travers de la sagesse, de l’éthique qui nous permettra de contrôler les actions du corps, de la parole et de l’esprit, de façon à les libérer de ces tendances et par conséquent de l'ignorance. Utilisant les moyens donnés par le dharma, on pourra arriver à réaliser que ces trois expériences qui sont les nôtres: le corps, la parole, l'esprit, ne sont pas en fait des plans ordinaires, tels que nous les percevons. Notre perception de ces trois plans est parasitée, polluée, distordue, par l'ignorance, les émotions, les habitudes, les quatre voiles qui recouvrent l'esprit. Si l'on peut progressivement engager l'esprit, le corps et la parole de ces voiles, on verra au travers de cette vision ordinaire de notre corps, de notre parole et de notre esprit pointer ce qu'on appelle les trois kaya, c'est-à-dire les trois modes d'être primordiaux. Le corps va se révéler progressivement être le corps de sagesse, la manifestation du jeu de la forme et de la vacuité, ce qu'on appelle la forme divine, que l'on médite parfois sous la forme des divinités de méditation. Notre corps apparaît non pas comme quelque chose de matériel mais comme le jeu de la manifestation et du vide, comme le nirmanakaya ou corps illusoire.
Notre parole n'est plus perçue simplement comme un son agréable ou désagréable, mais comme l'écho de cette nature ultime de l'esprit qui est la vacuité, comme le jeu du son et de la vacuité, comme ce qui fuse dans l'espace de l'esprit et permet le jeu du corps illusoire, établit le lien entre l'esprit et le corps au travers du verbe. On réalise progressivement par la récitation des mantras ou celle des textes, et par la purification qui en résulte, ce qu'on appelle en sanscrit le sambhogakaya ou corps de perfection de la jouissance de toutes les richesses, de toutes les qualités de l'esprit.
Finalement, par le travail de la méditation, laissant l'esprit reposer en sa véritable nature, par la confiance que l'on développe en les trois joyaux, par la méditation un maître comme étant indissocié de notre esprit, l'esprit peu à peu se pose en lui-même et se rencontre. Il voit que sa nature est ouverture, espace, liberté et il se réalise non plus comme un esprit confus, limité, ordinaire, mais comme le mode d’être ultime ou dharmakaya, le corps de vérité ultime.
Ce n’est pas quelque chose qui demande un effort dans le sens où il faudrait construire quelque chose, mais cela demande un effort dans le sens où il faut libérer quelque chose. Progressivement, avec les moyens qu’offre le dharma, on libère le corps, la parole et l’esprit de cette gangue d’ignorance qui les emprisonne, pour retrouver la liberté naturelle de ce corps, de cette parole et de cet esprit, afin que l’esprit se réalise au travers du corps et de la parole comme étant cette nature de bouddha qui ne l’a jamais quitté.
Dhagpo Kagyu Ling
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