"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."
LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ
"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."
LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ
Retrouvez sur cette page des enseignements parus dans la revue "Tendrel" éditée par Dhagpo Kagyu Ling jusqu'en 2002.
Jigmé Rinpoché
Comment écouter l'enseignement
La voie et l'enseignement du bouddha n'ont qu'un seul but: regarder et reconnaître notre esprit. Il y a parfois une petite confusion dans les termes parce que, lorsque l'on parle de chemin ou de voie, on a l'impression qu'il s'agit d'aller quelque part, d'atteindre un endroit extérieur à nous. En fait, la voie du bouddha parle d'abord de notre esprit, de ce potentiel qui peut être actualisé et de cette connaissance qui peut être mûrie. En tibétain, bouddha se dit Sangyé. Sang veut dire "qui a purifié tous les voiles et tous les obscursissements" ; il ne reste alors qu'une grande clarté. Cyé signifie "développer et élargir la connaissance que l'on a de son esprit". On appelle cette connaissance sagesse. Quel que soit le nom qu'on lui donne, elle n'est pas simplement un concept ou une idée, elle est réellement présente. Nous avons vraiment cette sagesse en nous, en notre esprit, et le chemin, la voie du bouddha, a pour but de reconnaître cette connaissance qui est là. Ainsi, quand on parle du chemin, il n'y a rien à l'extérieur de nous-mêmes, tout est en nous. Le chemin spirituel nous apprend à travailler avec notre propre esprit. D'où l'importance de l'écoute. Dans un premier temps, il faut écouter l'enseignement; si l'on entame un chemin spirituel et que l'on comprend mal en quoi il consiste, on risque de chercher à l'extérieur de soi ce qui est à rechercher à l'intérieur. Pour ne pas se tromper, il est important au départ de bien écouter l'enseignement, de passer du temps à y réfléchir, pour ensuite le mettre en pratique. C'est de cette façon-là que nous pourrons reconnaître ce qu'est vraiment notre esprit.
Dans les enseignements, on parle de la nature de bouddha et de la nature de l'esprit. En tibétain, cela se dit déshé nyingpo. On parle de nature de l'esprit parce qu'il ya un potentiel présent en tous les êtres. Ce potentiel est une qualité, et la capacité à réaliser ce potentiel fait partie de cette qualité. Le potentiel ainsi que la capacité à le réaliser sont donc présents en chacun. Nous sommes le point de départ du chemin.
La situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant, dans cette salle, avec les difficultés que nous rencontrons avec les micros, est exactement à l'image de ce qui se passe dans la pratique. Au départ, cela ne marche pas vraiment, on a des problèmes; petit à petit, en essayant, on arrive à résoudre ces problèmes et finalement ça marche.
L'important est donc de commencer avec soi-même et de développer une attitude juste. L'autre point de référence, le point central, est le "moi", le "je" : je suis un individu. Il est important de regarder cela, parce que chacun a des sensations différentes à propos de ce qu'il est. Certains pensent qu'ils ont trop d'ego, d'autres qu'ils ne seront jamais capables de s'en sortir. Certains pensent qu'il n'y a aucun problème, que tout va bien. Chacun pense que sa façon de concevoir la vie est normale et juste. On dit que ce qui s'élève dans l'esprit, que la façon de penser et de se concevoir, dépend des tendances habituelles, des habitudes mentales et de la manière dont on pense. Notre façon de concevoir les choses dépend de l'éducation que nous avons reçue, des études que nous avons suivies, du milieu d'où nous venons, de notre culture, de notre environnement, des connaissances que nous avons accumulées. Nous sommes un amalgame de tout cela.
Si l'on regarde ce que l'on est, on le fera d’abord avec une certaine clarté. On est capable de se voir clairement, même si de la confusion se mêle à cette perception. Si l'on ne réfléchit pas, si l'on ne pose pas ce regard intérieur, on reste confus. Et on trouve que ce qui se passe en nous est normal: "Depuis que je suis né, je suis comme cela et il en sera ainsi jusqu'au moment où je mourrai." Par contre, si l'on tourne son regard vers l'intérieur, on se rend compte qu'il y a de la confusion et qu'on est capable de voir l'essence de cette confusion, de voir ce qu'elle est. Pour l'heure, tout est mélangé: on ressent un besoin d'y voir plus clair, un besoin de clarifier l'esprit et, en même temps, on s'aperçoit de la difficulté d'aller au-delà de cette confusion. On se rend compte combien l'ego nous limite. C'est pour cette raison que nous sommes tous là, que nous cherchons une voie, parce que la confusion nous habite et que nous avons envie de la dépasser. Si l'on ne fait rien, rien n'arrêtera cette confusion, elle va se nourrir d'elle-même. Comme l'a dit Gampopa : "il n'y a pas de début, if n'y a pas de fin, cela continue sans cesse." Cela continue sans cesse, mais pas toujours d'une façon aisée. Il y a des moments où l'on est confronté à des expériences de souffrance auxquelles il est difficile de faire face. Tout dépend du karma et des causes que l'on a accumulées. Il faut faire quelque chose face à la situation dans laquelle on se trouve, d'où l'importance de suivre un chemin. Il y aura une progression sur ce chemin, on ne peut pas tout changer d'un coup ni s'échapper de la situation dans laquelle on se trouve. La voie du bouddha est un chemin qui permet de développer la clarté qui est en nous. Cette clarté est une base qui nous amènera petit à petit à approfondir la compréhension que nous avons de nous-mêmes, à l'élargir jusqu'à l'éveil, jusqu'à ce que nous devenions nous-mêmes bouddha. Pour développer cette compréhension de nous-mêmes, nous avons besoin de points de référence, de guides. On les trouve dans le dharma, dans l'enseignement du bouddha. L'idée de chemin apparaît de nouveau. Nous allons voir poindre une certaine clarté, que les enseignements vont nous permettre d'approfondir et, à nouveau, de la confusion va apparaître. On prendra conscience d'une confusion que l'on n'avait pas vue avant, et on trouvera à nouveau dans le dharma, dans l'enseignement du bouddha, les moyens de dépasser cette confusion, celle-ci révélant la clarté mais aussi une nouvelle confusion, et ainsi de suite. Cette référence au dharma est nécessaire et on a besoin de tous ces enseignements variés pour progresser sur la voie, jusqu'à l'éveil.
On parle de nature de bouddha, on parle de chemin, et surtout on parle de résultats. On parle d'avoir les fruits de la pratique, et pour cela il ne faut pas faire preuve de trop d'impatience. On peut comparer la pratique au fait de faire pousser une plante ou de la pelouse. Si l'on regarde attentivement la pelouse, et ce pendant longtemps, on ne la verra pas pousser. Il en va de même avec la pratique. On a parfois l'impression de faire du surplace, et pourtant, même si l'on ne voit pas pousser le gazon, on se rend compte au bout d'un certain temps qu'il s'est développé. Même si l'on ne voit pas l'esprit grandir et se développer, quelque chose se passe tout de même, d'où l'importance de l'enseignement et de la confiance que l'on y met. Confiance en l'enseignement, en la pratique, en les différentes méthodes qui sont enseignées et qu'il s'agit de mettre en pratique. Mais là un autre piège apparaît; on risque de devenir prisonnier de la méthode et de la pratique. Ce que je dis est simplement, mais si l'o reste dans cette simplicité, on n'aura pas de résultat. Il faut approfondir. Pour cela, on a besoin de plusieurs méthodes, de beaucoup d'enseignements, de techniques différentes, et l'on pourra alors avoir un résultat, on pourra réellement travailler avec l'esprit. Les méthodes qui nous sont transmises nous permettront de nous libérer de la confusion et de l'ignorance/mais ii ne s'agit pas de dépendre de la méthode; il faut se libérer des moyens que l'on a acquis, sinon on est piégé. Si pour le moment, les choses ne sont pas encore très claires, avec du temps et de la patience toutes ces idées seront plus faciles à comprendre.
Si l'on considère les grands maîtres du passé comme Milarépa et qu'on étudie leur biographie, ainsi que les méthodes et 'es instructions qu'ils ont transmises, sans les approfondir, on a l'impression que tous ces enseignements comportent des contradictions, qu}une chose est dite à un moment et qu"à un autre moment, c'est son contraire qui est dit. C'est pour cela qu'il est tellement important de ne pas se laisser piéger par la méthode et de ne pas se bloquer sur un point. Par exemple, il est dit qu'il ne faut pas chercher à être un érudit, parce que cela n'a aucune importance de savoir par le biais des autres. Puis, plus loin, il est dit que si l'on médite sans savoir ce que l'on fait, cela ne sera pas efficace. D'un côté, on nous dit qu'il ne faut pas étudier et, de l'autre côté, on nous dit qu'il est très important d'étudier. Si on se limite à une compréhension superficielle, cela semble contradictoire. Mais cela ne l'est pas en fait. Certaines instructions sont nécessaires pour certains, et à certains moments. Si l'on a l'esprit trop étroit et si l'on reste dans cette étroitesse de la compréhension, on aura des problèmes avec l'enseignement du bouddha, et peut-être certains d'entre vous en ont-ils déjà. C'est pour cela que le plus important est l'esprit et qu'il ne faut pas se laisser piéger par cette étroitesse. Si l'on plante un arbre dans un pot qui est trop petit, il ne pourra jamais devenir arbre à cause de la petitesse du pot. Jamais on ne pourra mettre en pratique ni réaliser les enseignements si l'on garde un esprit étroit et si l'on reste prisonnier de la méthode et des moyens.
Ces méthodes et ces moyens sont là pour aider l'esprit. Il est nécessaire de trouver de l'espace. L'esprit en a besoin, mais lorsque l'on essaye de trouver cet espace, de découvrir l'esprit, on se rend compte qu'on a des habitudes qui nous empêchent de le faire. L'esprit ne peut pas se libérer parce qu'il est prisonnier de ces habitudes. Celles-ci peuvent être collectives, mais aussi personnelles et individuelles:. On est pris par toutes sortes de peurs et d'attachements. On peut se dire: "Je n'ai pas d'attachement; j'ai des habitudes, mais je n'y suis pas attaché." Mais quand on essaye de les abandonner, cela devient très difficile. Quand on y réfléchit, c'est aisé, mais dès que l'on met cela en pratique, on se rend compte que les habitudes nous bloquent et nous limitent. Il est important d'avoir une grande confiance pour mettre les enseignements en pratique. Si l'on veut obtenir un résultat et un développement dans la pratique, il faut avoir confiance dans l'enseignement que l'on reçoit. Ce n'est pas quelque chose de très difficile ; lorsqu'on lit et qu'on écoute les enseignements, ils ont beaucoup de sens, semblent évidents et très profonds. La confiance commence à s'effriter lorsqu'on les met en pratique et qu'on rencontre ses attachements et son ignorance. Ignorance ne veut pas dire stupidité. Quand le bouddha a parlé d'ignorance, il ne voulait pas dire que nous sommes bêtes; certaines personnes sont très intelligentes, très habiles avec l'esprit, mais n'ont aucune clarté et beaucoup d'ignorance. L'ignorance est le manque de clarté de l'esprit, comme ces hamsters qu i marchent dans une roue qui tourne sur elle-même. On peut se sentir très bien à tourner ainsi et avoir l'impression d'aller quelque part, de bouger, mais au bout du compte, on ne va nulle part, on est toujours à la même place. C'est ce qui se passe avec l'ignorance, avec la peur, avec les attachements: on a l'impression d'avancer, mais on fait du surplace, alors qu'il s'agit au contraire de revenir à notre condition naturelle, de revenir à ce que nous sommes vraiment. Si l'on explique cela de façon trop élaborée, l'esprit va encore récupérer l'enseignement et l'utiliser pour justement continuer à tourner dans sa petite roue. C'est pourquoi les enseignements qui sont donnés sont d'une certaine façon très simples, ainsi l'esprit peut les mettre en pratique. L'essentiel à retenir, c'est: "comment fonctionne l'esprit". Si vous vous mettez à saisir les mots, il y aura alors de nouveaux jugements. Certains aimeront les mots et vont les récupérer, d'autres ne les aimeront pas.
Nous sommes pris dans l'illusion, dans la confusion et c'est de cela qu'il s'agit de se libérer. Il faut se défaire de ses conditionnements, et pour y parvenir, il s'agit de se pencher sur ces petites choses tellement difficiles à dépasser.
Il est important d'être vigilant face à nos tendances, car ce qu'on voit, ce qu'on lit, ce qu'on apprend, ce qu'on entend est toujours récupéré par nos habitudes mentales et nos tendances. Il ne faut pas oublier que le chemin du bouddha, c'est le chemin de l'esprit. Bouddha, dans ce cas-ci, veut dire "l'esprit". Même si c'est un chemin qui fut enseigné par le Bouddha Sakyamouni, "le chemin du bouddha" veut dire "le chemin qui nous permet de reconnaître notre esprit". On essaye de comprendre, on essaye d'approfondir l'enseignement, mais on est perturbé par ses habitudes et prisonnier de ses tendances. En fait, ce qui est dit sera bien différent de ce qu'on en fera. On transforme l'enseignement qui nous est donné par notre façon de le comprendre et de l'utiliser. Quand on écoute une conférence ou un enseignement, on compare inconsciemment ce que l'on entend à ce que l'on est, à ce que l'on fait, aux habitudes que l'on a. Nous sommes notre propre référence et cela est très important. Il est essentiel d'en prendre conscience, parce que c'est ce qui nous empêche de pratiquer de façon juste. Il est important, avant, pendant et après la pratique, d'être conscient de soi-même.
On se rend compte que l'on est très souvent dépendant de sa propre histoire, de toutes les habitudes accumulées dans l'esprit. On peut prendre plusieurs exemples. D'abord, celui d'une collection. Quand on collectionne des objets, on déniche les pièces qui nous intéressent le plus, on les ramène chez soi et, pour finir, on n'a plus conscience de la présence de chacune de ces pièces.
C'est le fait de rassembler, de collectionner qui est important, et non les objets eux-mêmes. Lorsqu'on veut aller d'un point à un autre, on se rend compte qu'il y a des routes différentes. On a envie de parcourir toutes les routes, et on va ici ou là, on voit plein de jolis paysages mais, pour finir, on n'arrive jamais au point où l'on voulait aller. C'est le même problème avec l'enseignement. Quand on écoute un enseignement, on donne un sens à ce que l'on entend, ce sens est compris par notre esprit, mais à cause de nos habitudes, de nos tendances, de notre façon de voir, on n'entend pas vraiment ce qui est dit. Nous sommes pris par nos habitudes. Par exemple, la pratique d'un rituel comme Tchenrézi se chante d'une certaine façon; mais voilà qu'un soir, quelqu'un chante un petit peu différemment et on est tout de suite perturbé, dérangé parce que nous sommes tellement pris par cette habitude, par le confort d'avoir toujours la même façon de faire. Il en va de même pour l'écoute et la lecture. On a écouté et lu beaucoup d'enseignements, cela va donner un fruit, mais il est important que ce soit le bon, de ne pas se tromper. Le chemin du bouddha est très vaste et en même temps très précis. C'est une voie spéciale; ce que l'on pense de l'enseignement bien souvent n'est pas l'enseignement. Il est très difficile de toucher du doigt le sens des instructions qui sont données parce que notre esprit est voilé par nos habitudes. L'instruction donnée ici consiste à essayer de voir comment l'esprit fonctionne, comment on écoute l'enseignement, comment on le juge et on le comprend, et comment on le met en pratique. Cette instruction est valable aussi bien pour les enseignements d'aujourd'hui que d'hier et de demain. En d'autres termes, avant de pratiquer, il faut d'abord bien comprendre quelles relations nous avons établies avec l'enseignement et avec le dharma.
Lorsque nous nous mettons à pratiquer le dharma, plusieurs attitudes erronées, plusieurs défauts peuvent apparaître. Il y a d'abord ceux qui veulent être parfaits tout de suite, ceux qui veulent immédiatement récolter les fruits. Il y a alors tellement d'attente de ce que quelque chose se passe que cela devient un obstacle à la pratique. Il y a ensuite ceux qui se disent: "Pour commencer à pratiquer, je vais attendre d'être prêt, d'être la personne juste et bonne." Ce qui risque de se produire, c'est que cette personne ne pratiquera jamais, parce qu'elle aura l'impression de ne jamais être suffisamment juste et bonne pour mettre l'enseignement du bouddha en pratique. Il ne s'agit pas tant de l'obstacle du doute que du manque de confiance. On doit développer l'attention confiante, c'est-à-dire la confiance qui nous permettra d'être plus juste, d'être prêt à pratiquer et de développer nos capacités et nos qualités potentielles. C'est pour cela que l'on parle de la nature de bouddha. Si l'on se demande tout le temps: Suis-je capable ou non de pratiquer ( Est-ce que j'y arriverai ( on risque de toujours reporter la pratique. Dans sa façon de penser, on veut être le meilleur, mais cela ne fonctionne pas ainsi dans la pratique. Si l'on pratique, c'est pour devenir parfait, et c'est parce qu'on ne l'est pas qu'on commence à pratiquer. C'est pour cette raison qu'il est nécessaire d'avoir un esprit libre en même temps qu'une grande confiance dans ce que l'on fait. Il est essentiel de trouver l'attitude juste de l'esprit qui se dit: "Je suis prêt, je peux commencer à pratiquer." Le résultat dans la pratique ne dépend que de nous-mêmes et de nos capacités. Le résultat est déjà là, il ne faut pas se restreindre: c'est parce que l'on mettra les enseignements en pratique que l'on aura les résultats.
On pense que tout cela se fera par paliers, par des étapes qui nous amèneront jusqu'à l'éveil. En fait, le développement ne se passe pas du tout de cette manière-là. Même s'il y a tout d'abord une approche intellectuelle et ensuite la mise en pratique, on n'atteindra pas l'éveil en passant par différentes étapes. Le fruit ne va pas mûrir par degrés, ce sera un déploiement spontané. Lorsqu'on reçoit des informations, lorsqu'on suit des enseignements, cela est compris par nos habitudes. Lorsqu'on étudie, à l'université ou dans le cadre d'une formation professionnelle, il y a différents degrés, différentes années, différentes étapes.
Si l'on étudie l'enseignement du bouddha, si on le met en pratique, c'est pour se comprendre soi-même et pour savoir qui l'on est. Si l'on se demande qui l'on est, on s'aperçoit que la connaissance que l'on a de soi-même est superficielle. Si l'on approfondit cette recherche, on s'aperçoit que la phrase "je suis un individu" comporte des mots dont le sens est beaucoup plus difficile à comprendre qu'il n'y paraît au premier abord. Pour voir directement ce que l'on est, il est nécessaire de se préparer. Certains sont nouveaux dans le dharma, d'autres pratiquent depuis un certain temps. Et même ces derniers rencontrent de la difficulté à voir qui ils sont vraiment. Le résultat de cette préparation, de cette pratique, de ce chemin du bouddha est de reconnaître son propre esprit. Pour avoir cette reconnaissance directe de ce que l'on est, on doit se libérer de toute dépendance à l'environnement, de toute dépendance à ce qui nous entoure, à notre corps comme aux phénomènes. Cela ne veut pas dire qu'il faut perdre quelque chose, il ne s'agit pas de rejeter le corps ou de rejeter ce qui nous entoure, mais de comprendre comment cela fonctionne. Il s'agit de reconnaître ce que l'on est et de réaliser la nature de bouddha. Cela signifie comprendre notre propre esprit, le reconnaître tel qu'il est.
Quand on parle du chemin, de la voie du bouddha, il faut d'abord apprendre à arrêter de juger, de tomber dans des discriminations nous conduisant à dire: cela est bon, cela n'est pas bon, ceci est positif, ceci est négatif, sinon on risque de vouloir obtenir certaines choses et en éviter d'autres. On retombera alors dans le piège des habitudes mentales et des tendances. Il faut s'observer soi-même en utilisant les instructions que l'on reçoit. Plutôt que de se dire: cela est bon, cela n'est pas bon, cela est positif ou négatif, il faut voir ce que signifient ces affirmations et le fait de les proférer, quel sens ont tous ces jugements que l'on porte sur ce que l'on entend et sur ce que l'on vit. C'est comme une réflexion naturelle qui doit prendre place et nous permettre d'aller au-delà des habitudes. Un sens se dégagera alors, qui pourra être mis en pratique de façon continue. Comme nous sommes des êtres humains, nous faisons l'expérience de toutes sortes de circonstances et de conditions variées dans notre vie, ce qui peut nous permettre d'y trouver un sens et de comprendre notre esprit et la façon dont il fonctionne. Cela s'appelle la voie du milieu, celle qui est sans jugement: c'est l'esprit qui est sans jugement sur lui-même. Nous nous trouvons au milieu de notre propre réflexion et c'est là qu'une vérité peut surgir. Lorsqu'on parle de vérité, cela pose le problème car on est pris par un seul aspect de l'esprit, par un seul côté que l'on , nomme "vérité". C'est pour cela qu'il est important de ne rien rejeter, de ne pas tomber dans les pièges du bon et du mauvais, mais de simplement regarder ce qui est et ce qui s'élève. Le sens du dharma devient facile à réaliser. C'est simplement une question de temps. Si l'on prend le temps de pratiquer sans juger, 1S catégoriser, alors le sens apparaîtra de lui-même.
Nous avons tenté de clarifier la façon de prendre connaissance de ce qui est transmis. Plutôt qu'une clarification, il se peut que cela crée un peu de confusion dans les esprits, mais cette confusion est très saine parce qu'elle suscitera beaucoup de questions qui nous permettront de clarifier notre esprit. Cette façon de faire et de penser l'enseignement du bouddha n'est pas habituelle. Pour certains, c’est chose facile, pour d'autres cela l'est moins. Un enseignement soulève des questions auxquelles il est possible de répondre, et c'est ainsi que petit à petit on peut approfondir sa compréhension de l'enseignement.
Les deux visages de l'esprit
Développer l'amour et la compassion, cela signifie comprendre la situation dans laquelle on se trouve. Pour développer un amour et une compassion qui soient authentiques, il est nécessaire de regarder nos processus émotionnels, les perturbations qui s'élèvent dans notre esprit, et cela ne peut se faire en une seule fois. Il faut prendre son temps, prendre conscience de ce qui habite l'esprit. En tibétain, le mot correspondant à émotions perturbatrices indique non seulement un esprit qui est perturbé, mais encore un esprit qui continue à être perturbé. Il ne s'agit pas seulement d'une émotion dans l'instant, mais de l'émotion et de ses conséquences, des suites qui s'élèvent dans l'esprit. Les émotions perturbatrices sont: la jalousie, l'attachement, la colère et toutes les attentes que nous pouvons avoir. Nous avons ces émotions, mais nous aimerions nous en débarrasser. Les émotions s'élèvent et nous nous battons contre elles, nous aimerions qu'elles ne soient plus perturbatrices et nous voudrions leur régler leur compte une fois pour toutes. Il faut savoir que les émotions ne sont pas complètement négatives. Si elles sont perturbatrices, c'est parce qu'on ne sait pas comment elles fonctionnent ni quoi en faire. Or, les émotions font partie du processus dynamique de la vie, et si elles sont perturbatrices, c'est que l'on n'est pas capable de les voir. Il y a deux aspects dans l'esprit, il a deux visages: yéshé et namshé, en tibétain. Yéshé est la dimension de sagesse, de clarté de l'esprit qui se reconnaît lui-même et qui reconnaît les émotions comme étant lui-même. Namshé est la conscience limitée, séparée, la conscience remplie de confusion et de perturbation dans laquelle nous sommes maintenant. Mais yéshé et namshé, la sagesse et la confusion, sont les deux aspects d'une même chose, les deux façons de voir dlun même esprit qui est le nôtre.
Ainsi, on ne pourrait pas se débarrasser des émotions, même si on le voulait, même si on y mettait toute son énergie. On ne peut ni les arrêter, ni s'en débarrasser, ni les abandonner. Ce qulil slagit de faire clest comprendre comment elles fonctionnent, comment elles slélèvent et dloù elles viennent. Par exemple, quand la jalousie slélève, il est nécessaire de la voir, dlen être conscient, dlen' voir la cause et les effets, non seulement de voir son aspect intérieur, clest-à-dire la conscience que nous en avons, comment nous la ressentons, mais aussi d'être conscient de ce qulelle nous fait faire, des actions ont lieu motivées et déclenchées par la jalousie. Si lion regarde bien, dès Ilinstant où la jalousie slélève, on choisit un camp, et clest évidemment le nôtre qui est le meilleur. Ce sont les autres qui ont tort. Clest un peu comme pour les matchs de football en France: avant que le match ne commence, on a déjà choisi son équipe et on sait qui on soutiendra en regardant la télévision. Mais si l'on voyage et que l'on se retrouve en Asie ou en Amérique Latine à regarder un match de football à la télévision, on nly comprendra pas grand chose au début. Il y a deux équipes, elles ont des maillots de couleurs différentes, et très vite, sans que lion sien rende compte, on choisira une couleur et une équipe, on encouragera Ilune et on critiquera Ilautre. Cela nlest pas valable que pour le football, il en va de même en de très nombreuses situations. Nous sommes sans cesse engagés dans ce processus, prenant partie, encourageant les uns et critiquant les autres. Nous sommes la plupart du temps en train de poser ce regard de jugement: IIClest lui qui a tort, son attitude est erronée, évidemment il ne peut pas avoir raison, évidemment clest moi qui ai raison." Nous sommes tout le temps en train de nous parler ainsi et nous sommes pris dans ces deux aspects, dans ces deux visages de Ilesprit. On choisit toujours le meilleur aspect et le meilleur côté; la meilleure équipe est évidemment la nôtre, clest évidemment nous qui avons raison. Nous sommes comme un juge censé voir qui a tort et qui a raison, nous sommes le juge de notre vie, le grand magistrat de notre existence.
Il en va de même pour la jalousie: il nly a pas dleffort à faire pour être jaloux, clest un processus naturel. Dès l'instant où la situation est là, ce processus se met en CEuvre et la réponse slélève toute seule: "j'ai raison". Il nly a pas besoin de se battre avec cela, il nlest pas nécessaire de le rejeter ni de le nier, il suffit de voir comment cela se passe pour la jalousie, pour Ilattachement, pour Ilorgueil, de voir comment chaque émotion fait appel aux autres et comment ces différentes émotions se combinent. Plutôt que de dire: "je ne peux pas accepter cela", plutôt que de nier la situation dans laquelle on se trouve parce qu'on n'est pas capable de se regarder, parce que c'est trop douloureux, parce qu'on est sans cesse en train de se juger, il est question de regarder et de voir, d'être conscient de ce qui se passe au moment où cela se passe. Il est important ne pas le faire en espérant un résultat immédiat. Ce n'est pas parce que nous allons voir nos émotions et que nous allons en être conscient que nous pourrons les vivre de façon juste du jour au lendemain. Il ne faut pas attendre de résultat immédiat, il ne faut pas non plus tomber dans le défaut de se dire: "je suis jaloux, je le sais bien, jamais je ne serai bon !" Il ne s'agit pas de développer de la culpabilité en pensant que l'on est mauvais. Tout cela n'a pas sa place dans la conscience et dans la vigilance. Il s'agit de voir ce que l'on est et ce qui est juste. Si l'on est conscient de cela, si l'on acquiert de plus en plus cette clarté de l'esprit qui permet de voir les émotions au moment où elles s'élèvent, l'esprit est alors de plus en plus libre. On libère l'esprit de toute entrave et le fruit ne s'élèvera pas directement car on ne pourra pas se libérer immédiatement de toutes ses entraves. Ce n'est pas parce qu'on a décidé de voir les émotions qu'on va les voir. Ce n'est pas parce qu'on a décidé de se libérer des émotions qu'on va pouvoir s'en libérer. Néanmoins, petit à petit, on reconnaîtra le véritable équilibre qui est en nous. On reconnaîtra ce que l'on est vraiment et, reconnaissant cela, on se rendra compte que les autres sont dans la même situation que nous, qu'ils ont les mêmes émotions et connaissent la même confusion.
C'est comme l'exemple d'un bébé: lorsqu'on lui parle ou qu'on bouge en face de lui et qu'il se met soudain à pleurer, cela ne nous met pas en colère, en tout cas ce n'est pas une colère profonde. On peut être un peu irrité, mais on n'aura pas de haine à l'égard de ce bébé. S'il crie, c'est parce qu'il ne comprend pas la situation. Par contre, si l'on a un adulte en face de soi, on va immédiatement porter un jugement sur sa réaction et on va directement le réduire à notre vision des choses et à notre perception. Si l'on dépasse cela et que l'on parvient à être de plus en plus conscient de ce qui s'élève en nous, plutôt que voir les défauts des autres, on pacifiera son esprit. On sera beaucoup plus paisible, on regardera la situation non pas du point de vue des défauts de l'autre, mais du point de vue d'une solution possible qui soit positive. Ce n'est plus un jugement, mais un questionnement qui s'élèvera: "Comment puis-je aider l'autre pour trouver une solution à la situation qui soit positive pour moi et pour lui ~" Petit à petit, on s'adoucira, et de la dureté de l'ego on passera à la douceur de la compassion.
Dhagpo Kagyu Ling
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Dhagpo, siège européen de la lignée Karma Kagyu, est membre :
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