"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."

LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ

Revue "Tendrel"

Retrouvez sur cette page des enseignements parus dans la revue "Tendrel" éditée par Dhagpo Kagyu Ling jusqu'en 2002.

Le cœur du Dharma

Enseignement de Guendune Rinpoché

Août 1997

 

La prise de refuge

 

Lorsque nous décidons d'entrer dans la voie du dharma (l'enseignement de Bouddha), il y a des conditions authentiques préliminaires qui vont assurer la justesse de notre progression c'est-à-dire le succès de notre pratique. Parmi ces conditions, il y a tout d'abord ce qu'on appelle "prendre refuge".

Prendre refuge, c'est développer l'intention altruiste, l'intention parfaitement pure, et donc développer le cœur d'une pratique continue. Nous dédions pour finir ce mérite, cette activité positive, au bénéfice de tous les êtres, dans l'intention qu'ils obtiennent tous la libération, la réalisation de l'état de Bouddha.

 

La prise de refuge n'est pas simplement un acte ritualisé ou spécialisé, c'est avant tout une intention. Peut-être même plus profondément qu'une intention, un désir et un souhait profond ainsi qu'une confiance.

Si nous pouvions trouver un mot qui regroupe à la fois le sens d'intention et de confiance, nous aurions peut-être quelque chose qui s'approche d'aspiration-confiance. Et c'est sur la base de cette aspiration-confiance que nous allons prendre refuge. Prendre refuge dans les trois joyaux, donc dans le but: le Bouddha; le chemin du dharma: l'enseignement; et les moyens: la communauté des pratiquants ou Sangha. Cette aspiration, c'est l'aspiration à utiliser les moyens et ce qui est mis à notre disposition pour avancer, dans l'intention profonde de libérer tous les êtres progressivement.

Il s'agit de se libérer soi-même de l'existence conditionnée, puis d'en libérer tous les êtres. Et lorsque nous prenons ce refuge, à la fois relatif et provisoire, nous nous protégeons face aux problèmes et aux difficultés rencontrés ici et maintenant, dans cette existence et dans ce monde. En même temps, c'est un refuge au sens ultime, dans le sens où il libère de l'existence conditionnée, par la pratique et par l'évolution progressives. Ce refuge permet d'avancer, de se libérer peu à peu et de se mettre au service des autres. Cette liberté acquise permettra ultérieurement de servir tous les êtres dans cet état de libération.

 

Cette intention profonde est ce qui va qualifier le sens du refuge et le maintien de l'engagement. Le vœu du refuge, c'est cette intention qui va également le définir. C'est l'intention d'avancer, de progresser, le souhait qu'on a de libérer tous les êtres qui fait à la fois l'engagement et le maintien de l'engagement. Et lorsque cela est assuré d'une façon stable et permanente, tous les êtres sont heureux.

Tous les êtres qui sont à l'intérieur de ce mode d'existence conditionnée, qu'on appelle le Samsara, se réjouissent de cet engagement, de cet effort constant, parce qu'ils savent qu'à travers cet effort et cet engagement, c'est leur libération qui est en jeu et en devenir. Donc, la condition d'accès primordiale à la voie vers l'éveil, c'est la prise de refuge qui est une intention, une aspiration de confiance et le souhait d'établir tous les êtres dans cet état de libération.

 

L'existence conditionnée

 

La difficulté est la relation à la fois confuse et passionnelle que nous établissons avec ce mode d'existence. Nous ne reconnaissons pas la nature défectueuse et douloureuse de ce conditionnement. A cause de l'ignorance, et de la confusion qu'elle entraîne, nous ne pouvons pas voir la nature profondément défectueuse et douloureuse qui régit le mode d'être qui est le nôtre. Au contraire, nous avons créé une sorte de bien-être. Nous nous sommes en quelque sorte arrangés de cet état de fait et y avons trouvé notre compte.

Nous y projetons nos espoirs, nos désirs, et nous essayons, le plus clair de notre temps et avec toute notre énergie, d'accomplir et de réaliser nos espoirs, sans voir que la trame même de ce travail est défectueuse et ne peut apporter que des ennuis. Puisque nous ne voyons pas cela, soit par véritable ignorance, soit par inconscience à ce sujet, nous restons prisonniers de ce modèle conditionné, nous l'entretenons, nous avons même peur de le quitter, nous sommes totalement fascinés par ce qui s'y passe. C'est le théâtre de tous nos espoirs, de tous nos désirs.

Mais nos désirs et nos espoirs sont généralement réalisés à l'inverse de ce que nous souhaiterions, c'est-à-dire qu'ils le sont en douleur et en difficultés. Donc là, il y a frustration. Il y a une sorte de malaise qui est d'essayer d'obtenir ou de réaliser un bonheur stable et durable dans une structure qui, par nature, par définition, par essence, est impermanente, défectueuse et douloureuse. Le problème essentiel des êtres dits "ordinaires", c'est de ne pas croire à cette réalité: ne la voyant pas, ils restent dans la fascination, ils projettent leurs désirs et leurs espoirs et donc continuent à tourner dans ce cycle d'existence conditionnée, le Samsara.

 

A l'inverse, un être sage, un être qui est dans cet esprit d'aspiration et de souhait vers l'éveil, qui est dans le sens du refuge, s'efforce de percevoir la trame, la réalité de cet état, dans tous ses aspects, sous toutes ses facettes, et d'en voir la nature essentiellement douloureuse. C'est ce qu'a fait le Bouddha Shakyamouni, il a dit dans ses enseignements: "dans le cycle des existences, le bonheur ne peut demeurer comme rien ne demeure sur la pointe d'une aiguille.

Il n'y a aucune possibilité." Il s'est détourné de cette fascination que l'être ordinaire a pour l'existence conditionnée et ainsi il s'est libéré. A l'aide de la pratique, il a pu atteindre une libération totale. Mais l'acte premier du chemin vers l'éveil, après le refuge, c'est de bien réfléchir sur la nature essentiellement douloureuse du cycle de l'existence, de nous libérer de la fascination qui est l'appât, qui nous rend prisonniers de nos propres espoirs et de nos propres désirs.

 

Notre vie commence naturellement par la naissance et nous en avons également une mauvaise perception. La naissance est un acte mortel puisque c'est à partir de là que le compte à rebours de notre mort est déclenché. Sans bien comprendre la réalité de l'impermanence, nous pensons, avec beaucoup de confusion, qu'à partir de la naissance nous grandissons. En fait, nous vieillissons. Notre vision des choses, c'est que nous allons grandir, aller vers quelque chose qui est de l'ordre de l'accomplissement de nos rêves, du développement de notre personnalité, que nous allons pouvoir agir.

Nous sommes déjà dans ce schéma de projection des désirs, des espoirs, avec l'impression qu'aujourd'hui nous ne pouvons pas faire grand-chose de convenable, mais que demain nous ferons mieux. Nous projetons beaucoup sur demain, sur le futur, et au fond, peut-être que demain sera pire qu'aujourd'hui. Ce sera la déception parce qu'en fait, nous sommes dans un schéma, dans une logique d'espoir, d'attente, de rêves. La réalité, la vision juste, c'est de se dire qu'à partir du moment où nous naissons, les jours, les instants sont comptés et qu'en plus, nous ne savons pas quand va s'arrêter ce cycle.

 

Dans l'optique de l'éveil, du dharma, il y a un réajustement nécessaire à faire de notre vision du monde. Il faut voir la nature essentiellement douloureuse du cycle conditionné de l'existence, puis voir la réalité incontournable de l'impermanence. Depuis le moment de notre naissance, nous allons inéluctablement vers la disparition, vers la mort, vers la cessation et, dans ce temps, nous sommes en train de tirer des plans sur la comète, sur un avenir incertain avec beaucoup d'espoirs et d'investissements émotionnels. Ils ne seront peut-être pas couronnés de succès et vont certainement nous apporter nombre de désillusions, voire de grandes déceptions. Il faut donc intégrer profondément cette vision de la réalité de l'impermanence.

 

L'impermanence 

Notre environnement habituel, notre corps, ce qui nous entoure, notre monde, nos relations, nos amis, sont des phénomènes qui se manifestent à travers l'accumulation karmique, à travers des causes et des conditions qui façonnent l'avènement de ces différents modes d'existence. C'est une sorte de projection, de grand théâtre karmique, dans lequel nous évoluons avec notre passif, avec nos espoirs et nos craintes.

Au moment de la mort, ces conditions karmiques qui ont fait notre existence, avec tout ce que cela comporte, arrivent à leur terme, et l'environnement disparaît. Il y a cessation. Si nous sommes totalement investis dans cette illusion d'existence, nous nous trouvons alors complètement perdus, dans un total désarroi parce que tout ce qui faisait nos repères, qui était en quelque sorte des miroirs pour confirmer notre existence, disparaît.

Il ne nous reste plus rien. Nous sommes profondément seuls. Nous avons toujours été seul, mais nous avons peut-être eu l'illusion d'être entourés, d'avoir des choses à faire, d'être importants. Au moment de la mort, nous nous apercevons que cette illusion prend fin et que nous sommes totalement seuls. Si nous n'avons pas su utiliser l'existence, l'illusion, pour apprendre à développer cette confiance dans le sens du refuge, dans cet instant profond de solitude, nous sommes totalement perdus.

Il y a là une immense souffrance, un désarroi, qui est le propre de cette expérience de la mort. Si nous réfléchissons à cet instant de la mort qui va arriver et au désarroi qui pourrait survenir, puisque tout est impermanent, nous avons une raison supplémentaire de développer le sens du refuge, d'apprendre dès maintenant à trouver un soutien qui sera efficace au moment de la mort, lorsque tout s'écroule.

Ce qui restera, ce sera notre esprit, notre façon de voir les choses, ce que nous aurons développé dans le courant de notre esprit en termes de confiance, d'expérience, de réalisation. A ce moment-là, nous pourrons effectivement prendre refuge ou non. Prendre refuge profondément, c'est-à-dire prendre refuge dans l'ami spirituel, dans le maître, et là, il y a une notion importante.

 

L'ami spirituel ultime, ce n'est pas simplement la personne physique. Si nous nous contentons de rencontrer de temps en temps physiquement le lama, nous nous arrêtons finalement à cette enveloppe, et notre chemin de refuge auprès du maître finit là. Nous disons "bonjour Lama", et c'est tout.

Mais au moment de la mort, lorsque l'environnement et le lama physique disparaissent, nous sommes également perdus à cause de nos réflexes et de nos habitudes qui nous font dire: "mon lama est aux États-Unis", ou "mon lama est en Inde", ou pire, mon lama est mort; alors, où est mon refuge maintenant ?".

Nous n'avons pas intériorisé la réalité de l'esprit du maître. C'est le travail de l'existence, c'est le chemin à faire dans cette vie pour qu'au moment de la mort nous n'ayons aucun doute quant à la nature de l'ami spirituel, du maître. Ainsi, lorsque nous prendrons refuge, le maître sera présent, bien qu'il soit décédé, bien que son corps ait disparu, bien que l'ami spirituel soit très loin physiquement.

 

Il y a un travail d'approfondissement du sens du refuge à faire. Il ne faut pas rester dans une sorte de superficialité de la relation maître à disciple. Il est essentiel de bien intégrer cette réalité de /'impermanence et de bien comprendre ce qui se passe au moment de la mort. Il s'agit de prendre conscience que notre environnement disparaît, que ce qui reste disponible est ce qu'on a profondément acquis dans le courant de notre esprit, en termes de réalisation, de confiance, de pratique du dharma.

Cette prise de conscience génère un sentiment d'urgence pour maintenant. Nous nous rendons compte qu'ici et maintenant il y a une urgence, que cet instant présent négligé pourrait nous être fatal si nous venions à mourir dans la journée ou dans la soirée. Avant que la mort survienne, il faut utiliser, le plus possible, chaque instant pour développer ce sens du refuge, pour comprendre profondément ce qu'est l'ami spirituel, et réaliser cette relation au maître.

Ne considérez pas que vous êtes immortels, arrêtez de penser que les choses vont rester dans l'état, comme ça, sans changer, et que demain sera un avenir radieux, prometteur de bonheurs à venir; parce que, en fait, demain se construit à partir de maintenant. Tout est né du jeu de l'interdépendance, des causes et des conditions. Donc, tout est une manifestation des actes antérieurs du corps, de la parole et de l'esprit.

C'est ce qui façonne notre environnement et aussi notre façon de voir les choses. C'est maintenant que nous devons veiller à développer la sagesse, le sens du refuge, la réalisation de ce qu'est le maître, et adopter un mode de vie où l'attention que nous portons à nos actions nous assure d'un avenir qui sera un support adéquat et parfait pour notre chemin vers l'éveil. Ne considérons pas que cet instant présent est un instant éternel, que nous sommes immortels et que demain sera naturellement heureux. Le bonheur de demain se construit maintenant, et notre bonheur au moment de la mort s'édifie également dans cet instant.

 

La loi de causalité

 

Ignorer la genèse de la structure du mode de l'existence conditionnée, comment elle vient à se manifester et à travers quelles conditions, entretient l'illusion d'une sorte de liberté où l'on pourrait construire, essayer d'amasser des biens, et éviter les difficultés. En fait, il y a une composante karmique dans notre existence. Le monde dans lequel nous évoluons est la projection et la production d'un passif karmique.

Nous vivons avec une certaine vision des choses qui est aussi le résultat de ce que nous avons été ou de ce que nous avons accompli à travers le corps, la parole et l'esprit. Donc, nous sommes dans un univers avec une façon de voir les événements, de penser, avec certaines aspirations et certaines tendances qui font croire à un déterminisme total où l'avenir est bloqué. Le présent est fortement imprégné, conditionné par les actions antérieures et donc, lorsque nous ignorons cette réalité, dans cet instant présent, nous essayons d'amasser, d'attirer à nous tout ce qui à nos yeux représente le bonheur et l'agréable, et nous n'y arrivons pas toujours, même en fournissant beaucoup d'efforts.

Donc, il y a frustration. Nous essayons aussi d'éviter tout ce qui est à nos yeux douloureux, désagréable, sans toujours y parvenir. Les choses s'élèvent, se manifestent, apparemment selon leur propre logique, avec leur propre volonté. En les suivant, nous sommes pris dans ce jeu de l'espoir et de la crainte, des désillusions, déceptions et frustrations qui sont notre lot quotidien. Nous nous efforçons de construire cet instant, de profiter du meilleur et de rejeter le pire sans avoir présent à l'esprit que cet instant est en fait conditionné.

 

Nous-mêmes, à l'intérieur de notre environnement, sommes conditionnés par tout ce que nous avons été. Nous sommes le résultat, le produit de nos actes antérieurs. Si cela est bien compris, du fait que cet instant est très limité et qu'à l'intérieur de ce conditionnement notre marge de manœuvre est faible, nous avons alors une certaine liberté, qui est de faire un bon choix pour demain, pour le futur, et de préparer des lendemains qui seront moins conditionnés, qui seront beaucoup plus libres. Le conditionnement sera beaucoup plus ouvert, ce qui nous permettra de mieux comprendre le sens profond du dharma et d'aller vers l'éveil.

 

Cet instant, ce que nous vivons maintenant, est totalement conditionné par les règles du karma. Nous sommes dans une manifestation, un déploiement des résultats du karma. A l'intérieur de ce conditionnement, penser que nous sommes les maîtres du jeu, que nous faisons ce que nous voulons, que nous avons toute latitude ou toute liberté pour accomplir et assouvir nos désirs, pour rejeter nos craintes et nos angoisses, est une profonde erreur.

 

Il faut bien comprendre cette règle, pour en tirer des leçons, savoir que ce que nous vivons maintenant est le résultat de ce que nous avons été et que si nous ne voulons plus revivre tout cela, il faut agir en conséquence dès maintenant. Il faut savoir tirer des leçons du passé pour que dans cet instant, avec le peu de liberté dont nous disposons, nous puissions préparer un avenir qui soit plus ouvert, plus libre et qui, d'une façon générale, mène à l'éveil.

 

A l'heure actuelle, les variétés de bonheur et de souffrance, qui sont toutes très différentes les unes des autres, sont très personnelles, c'est-à-dire qu'il n'y a pas une sorte de ligne générale, de schéma classique, puisqu'il y a autant de cas que d'individus. Ce que nous vivons, ce que nous expérimentons, nous est personnel. C'est à chaque fois une action intime, qui va donner naissance à un résultat, un fruit, qui sera aussi individuel.

Donc, il faut bien comprendre cet autre aspect du karma, la relation entre les causes initiales et les fruits que ces causes portent, à savoir que ces actes nous sont très intimes. Donc, parfois les craintes qu'une action négative accumulée par quelqu'un d'autre puisse mûrir en nous ou bien que notre travail, notre développement puisse être en quelque sorte piraté par autrui sont des idées qui n'ont pas de fondement ni de terrain. Ce sont simplement des craintes, des illusions. Il faut comprendre que les bonheurs que nous rencontrons dans cette existence maintenant, comme les difficultés et les souffrances, sont le résultat de nos actes antérieurs personnels.

C'est pour cela qu'ils sont aussi multiples, aussi différents, et que dans des situations relativement similaires, chacun va éprouver quelque chose de très unique et de très intime. Ayant bien compris cela, nous sommes conscients de notre responsabilité, c'est-à-dire que nous ne pouvons pas remettre entre les mains de quelqu'un d'autre ce travail et dire "faites-le pour moi".

Il y a là la nécessité de nous impliquer personnellement, intimement, dans le travail au niveau du corps, de la parole et de l'esprit, en sachant que les actes négatifs seront vécus par nous, et par nous seuls, à travers le corps, la parole et l'esprit, et que les conditions positives, les actes intelligents, pleins de sagesse, seront aussi expérimentés par nous-mêmes à travers le corps, la parole et l'esprit. L'acte initial, la cause, et le fruit qu'il va porter seront expérimentés d'une façon totalement personnelle. Il y a une notion de responsabilité individuelle qui est en jeu.

 

 L'intention

Voyant que les circonstances de notre existence sont le fruit des actions antérieures du corps, de la parole et de l'esprit, nous essayons de remonter un peu plus en amont cette chaîne de causes interdépendantes. Nous nous apercevons qu'il y a, à la base, une intention. L'intention qui sous-tend toute action du corps ou de la parole. C'est là qu'il va falloir être vigilants, puisque cette intention sera bonne ou mauvaise.

Si l'intention est juste, si notre esprit est dans la direction de l'éveil, dans le sens du dharma, alors toutes les actions du corps et de la parole que cet esprit va impulser seront justes. Si nous portons attention à notre motivation, à notre intention, nous pouvons être sûrs que les actes du corps et de la parole seront justes. A l'inverse, si nous ne sommes pas conscients de notre motivation, si l'intention est erronée, qu'elle va dans le sens de l'égoïsme et de l'ignorance, cette intention va naturellement porter des fruits qui seront des fruits de douleur, à travers le corps et la parole, parce que dans la structure corps, parole, esprit, il est dit, traditionnellement, que l'esprit est le roi et que le corps et la parole sont les serviteurs.

Dans un système à peu près normalement constitué, les serviteurs obéissent à la hiérarchie, au roi, et donc si le roi et l'esprit ont l'intention juste, les actes du corps et de la parole seront dans la droite ligne de cette intention. C'est donc l'intention qu'il faut interroger à chaque fois et qu'il faut observer.

 

L'esprit d'éveil

 

Lorsque notre esprit est totalement imprégné de cette intention juste, c'est un esprit altruiste, qui est tourné vers les autres, qui n'a pas de retour égoïste, qui n'est pas sous l'influence des émotions perturbatrices ni de l'ignorance, qui ne porte pas la moindre trace de malveillance.

Il est fondamentalement bon et il s'exprime au travers d'actes du corps et de la parole. Donc, les actes sont bons et vont dans cette direction de l'altruisme, de la générosité, de la sagesse, qui sont les qualités de ce que l'on appelle l'esprit de l'éveil, la bodhichitta. Parce qu'il y a une intention juste, il y a une bienveillance foncière, une bonté fondamentale, qui s'exprime à travers les actes du corps et de la parole, témoins de l'esprit de l'éveil, de la bodhichitta.

 

L'esprit malveillant se comprend comme malveillant à divers degrés. Une malveillance essentielle se caractérise par l'égocentrisme, par l'égoïsme, puisque c'est aux dépend des autres que notre bonheur sera assuré, ou parce que nous nous occupons seulement de nous-mêmes, que nous délaissons les autres. Donc, il y a une malveillance essentielle qui est l'égoïsme, et puis cette malveillance va se développer, se ramifier, se multiplier et donner naissance à toutes les émotions, à tous les états émotionnels comme la colère, la jalousie, l'orgueil.

 

L'esprit bienveillant, l'esprit altruiste, c'est un esprit qui n'est pas centré sur son intérêt propre, sur l'obtention de la réalisation de ses désirs et l'évacuation de ses craintes. C'est un esprit qui est totalement tourné vers le bienfait d'autrui, donc qui est fondamentalement bon. Si nous développons cet esprit bon et cette intention d'esprit altruiste et bienveillant, non seulement nous déployons les qualités d'action, nous préparons un lendemain d'ouverture et finalement une voie vers l'éveil, mais nous nous débarrassons en même temps de toutes les émotions perturbatrices qui viennent polluer le courant de notre esprit. Si nous sommes fondamentalement bons, c'est-à-dire sans intérêt égocentrique et égoïste, la colère ne s'élève pas, puisque nous n'avons pas de territoire à défendre.

La jalousie ne s'élève pas, parce que nous n'avons pas de compétition à remporter. La jalousie est le signe que notre esprit n'est pas fondamentalement bon, car si le bonheur des autres se réalise, en principe, nous devons être heureux, puisque c'est ce à quoi nous aspirons. Si cela nous dérange, nous met mal à l'aise, c'est qu'en nous il y a une sorte de compétition qui s'établit, un rapport à notre propre succès, notre propre bonheur, notre propre réalisation.

Nous plaçons notre bonheur avant celui des autres. Là, nous avons la preuve de notre absence d'esprit altruiste, l'absence de l'esprit bienveillant. Développer une intention altruiste, une intention juste, nous assure non seulement que nos actions sont correctes et donc que notre avenir est juste dans le sens de l'éveil, mais nous permet également de diminuer en nous les émotions, leur influence perturbatrice dans le courant de notre existence. Il y a un double bienfait dans le développement de l'intention altruiste.

 

La pratique et le sens du dharma

 

Il y a des pratiquants qui s’attachent beaucoup à la forme, à la technique du dharma plutôt qu’à son esprit et qui partent bille en tête. Ils s’entraînent à une sorte de course pour faire beaucoup de choses, remplir l’espace avec de nombreuses pratiques. Ils passent totalement passer à côté de l'esprit du dharma tel que nous venons d'en parler. Si nous partons dans cette direction un peu excités, émoustillés par "l'emballage", nous ne voyons pas, nous n'appréhendons pas ce qu'est vraiment le dharma, c'est-à-dire l'essence, cette compréhension du sens du refuge, de la nécessité de développer une intention juste, altruiste, du sens profond que doit avoir la relation maître à disciple.

Nous restons très en surface, parce que nous nous amusons un peu avec cette spiritualité, c'est quelque chose d'émoustillant, d'intéressant, et nous restons dans la structure habituelle qui consiste à prendre ce qui nous apparaît comme agréable. Nous jouons avec, et nous passons à côté du sens du dharma. Si nous ne faisons pas cet effort d'approfondissement, de compréhension des bases comme le sens du refuge, la réalité de l'impermanence, le fonctionnement du karma, si cette connaissance n'affecte pas en profondeur notre mode d'être et notre façon de voir les choses, alors notre pratique du dharma ne portera pas de fruits. Nous restons dans un schéma très ordinaire qui est de prendre ce qui nous paraît agréable. Cette attitude est totalement stérile. Il est important de nous calmer un peu, d'être un peu moins excités face à cette sorte de fascination de la découverte.

 

A partir d'un certain point, il faut essayer de comprendre le cœur des choses, d'approfondir cette connaissance. Il ne faut pas qu'elle ne soit qu'une connaissance intellectuelle, mais qu'elle vienne totalement imprégner notre façon d'être, notre façon de voir les choses, qu'elle transforme en profondeur notre vision. Si nous avons procédé à cette transformation, le reste suivra naturellement: la technique, la pratique formelle, les méditations à accomplir quotidiennement, le déroulement de la voie de pratique qu'offre la tradition. Tout cela va se faire simplement, puisque c'est le résultat de l'intention juste. C'est notre déploiement d'une recherche juste. Donc, nous serons évidemment dans le flot de la pratique la plus correcte possible. En amont, il faut faire ce travail d'intention, de réflexion, sur les données de base fondamentales du dharma et les intégrer au plus profond de notre être.

 

Les émotions

 

Il faut utiliser la perspicacité de notre esprit pour percevoir tous nos travers. Utiliser les émotions qui sont les nôtres lorsque nous abordons la pratique du dharma. Si nous n'avons pas bien compris le sens profond du dharma, nous restons dans la superficialité de cette pratique, soumis aux différentes émotions.

L'émotion clef dans la pratique, c'est souvent l'orgueil: nous voulons être reconnus par le maître par exemple, être le disciple favori et être au premier rang. Nous nous sentons magnifiés, grandis, comme investis d'un statut supplémentaire et nous sommes alors très heureux et nous reconnaissons la grandeur du maître.

En fait, c'est simplement notre orgueil qui a grandi, ce n'est pas la grandeur du maître. A l' inverse, si le maître, pour une raison ou une autre, ne nous remarque pas, qu'il porte sur nous un regard absent ou vide, nous nous sentons oubliés, abandonnés, rejetés, et nous sommes frustrés et en colère.

L'orgueil vient complètement polluer notre esprit, et nous ne sommes pas dans le cœur du dharma mais dans l'apparence, le dharma de spectacle. Lorsque le maître arrive ou repart de la salle d'enseignement, nous essayons d'avoir un petit mouvement, de nous faire repérer pour avoir un petit geste, recevoir quelque chose, avoir une reconnaissance de notre différence, du fait de notre supériorité.

Si jamais le lama passe et ne répond pas à cet espoir, notre fierté est un petit peu blessée, nous sommes froissés et puis, de cette fierté, ou de cet orgueil, les autres émotions vont s'élever. Ce peut être la compétition avec les autres pour être le plus en avant possible sur le chemin, ou le désir de paraître le mieux possible, et finalement monte la colère vis-à-vis des autres qui nous prennent la place. Toutes les émotions viennent polluer le courant de notre esprit et s'élèvent sur la base de la fierté, de l'orgueil, qui est la source de ces émotions. Lorsque nous avons compris le sens profond du dharma, nous nous attachons à observer, à déjouer les pièges de l'orgueil. Regarder en nous-mêmes et voir les mouvements émotionnels afin de les désamorcer, avant qu'ils n'aient des conséquences: là est le sens du dharma.

 

L'étude

 

Il en va de même avec l'étude du dharma. Si notre esprit n'est pas dans cette direction juste, nous restons dans le cas de figure habituel qui est l'acquisition d'un savoir; pour paraître, pour parler avec les autres, pas pour communiquer un message de sagesse, mais pour exposer notre connaissance, notre savoir, notre richesse, notre grandeur. Notre communication et, plus en amont, la volonté d'étudier, sont motivées par l'envie de paraître et d'avoir un retour, c'est-à-dire une reconnaissance pour que les autres disent de nous: "Qu'il est savant !", "qu'il parle bien". Cela va être une joute oratoire pour arriver à détruire l'autre, et le dharma n'a plus rien à voir dans cette histoire. Il faut vraiment, si nous voulons être au cœur  du dharma, regarder en nous-mêmes et chercher quelle est notre motivation profonde. Pourquoi communiquons-nous le sens du dharma, pourquoi parlons-nous du dharma avec les autres ? Est-ce pour nous mettre en avant ? Est-ce pour avoir l'identité de "celui qui sait" ? Est-ce l'orgueil qui nous motive ? Ou est-ce un intérêt profondément bon et altruiste ? Parce que, si c'est un intérêt altruiste et bon, si quelqu'un arrive avec plus de savoir, plus d'expérience que nous, nous sommes alors très heureux d'apprendre. Nous pouvons juger aussi de notre intention en regardant notre réaction .

 

L'introspection

 

Nous avons tendance à centraliser toutes les informations, c'est-à-dire que tout ce que nous recevons, en termes de perceptions sensorielles, nous le jugeons. Nous lui donnons une sorte de qualité, de défaut, à la lumière de nos intérêts. Nous sommes constamment en train de juger le monde. "J'aime, j'aime pas, c'est bien, c'est pas bien j'aurais peut-être fait comme ça, j'aurais préféré que les choses soient comme ceci ou comme cela" et forcément cela crée beaucoup de tension, beaucoup d'amertume, beaucoup de jalousie, beaucoup de colère, un flot d'émotions. Ce flot d'émotions est parfois extériorisé, c'est-à-dire que nous crions notre désaccord et nous nous battons contre ce monde qui ne va pas dans le sens souhaité. Souvent, nous ne pouvons pas l'exprimer, nous le gardons à l'intérieur, et à l'intérieur c'est encore pire et ça fermente. Ca va, ça vient, ça grandit et cela va être la base de tous nos comportements malveillants et agressifs. Tout ça parce qu'au début nous n'avons pas été capables de nous observer intérieurement dans ce jugement permanent des autres. Il nous a été impossible de regarder en nous-mêmes et de nous dire "si je juge ceci et cela, ce n'est pas sur une base objective du bien et du mal ou de ce qui est à faire, ou de ce qui est à éviter, mais c'est sur une base très subjective qui est ce je crois être juste et ce que je veux défendre". Nous jugeons le monde de façon très subjective avec les valeurs de l'ego.

 

Si, selon le dharma, nous pouvions intérioriser notre regard sur cette tendance à juger le monde à l'aulne de nos intérêts personnels, de notre vision égoïste, nous apprendrions à nous défaire progressivement de tout ce qui est la racine des émotions, des colères, des intolérances, des rejets... Quand nous pourrons, à la source, dire: "le monde est différent, les gens pensent différemment, si je suis gêné par ceci et par cela, c'est parce que cela fait écho en moi et vient choquer mon point de vue, ma vision subjective des choses, mes espoirs et mes désirs", nous commencerons à nous défaire de tout ce qui donne naissance aux émotions et à tous les conflits, surtout si nous sommes aptes à lâcher ce fonctionnement et à nous appuyer sur une vision plus objective qui est exprimée par le dharma et qui va dans le sens de l'éveil. Notre esprit sera alors en permanence paisible. Il sera paisible au sens du dharma, c'est-à-dire dans le sens de la justesse des choses, dans le sens de l'éveil, et il pourra voir ce qui ne va pas dans le sens de l'éveil. La justesse dans les intentions, dans les actes de corps et de parole, sera plus aiguisée.

 

C'est cela le dharma de l'intérieur, le dharma profond, essentiel, à l'inverse d'un dharma de superficialité qui juge le monde.

 

Quand nous pouvons transformer la vision des choses et développer cette justesse, alors tous les obstacles et les difficultés relatives, les problèmes de la vie de tous les jours, ici et maintenant, sont transmutés, libérés. Toutes les difficultés ultimes, tout ce qui ferait obstacle à notre obtention de l'éveil, est libéré. Cela vaut la peine de faire ce travail d'introspection en permanence.

 

Les relations conflictuelles avec les autres viennent du fait que nous sommes incapables d'observer le courant de notre propre esprit. Nous attribuons aux autres nos névroses, c'est-à-dire que lorsque, par exemple, notre esprit est sous l'emprise de la jalousie, nous voyons un monde de jalousie comme si nos yeux en étaient affectés, le monde entier en prend alors la couleur. Nous ne sommes pas habitués à nous intérioriser. Nous observons le monde et le jugeons: ainsi, nous pensons que si telle personne fait ceci, prend la place de celui-là, c'est parce qu'elle est jalouse. Nous projetons sans cesse nos visions sur le monde. Nous attribuons aux autres nos problèmes, parce que, regardant très superficiellement le courant de l'esprit, nous y apercevons les quelques qualités qui surnagent et nous nous disons que l'ensemble est acceptable. Nous projetons notre maladie que nous ne reconnaissons pas tout autour de nous. C'est valable pour la colère et pour toutes les émotions. Donc, ce qu'il faut faire, c'est se livrer à l'introspection. C'est très difficile parce que nous ne sommes pas habitués à agir ainsi. L'exemple tibétain, c'est: "l'œil ne peut pas voir son propre visage". En Occident, on dit: "on voit la paille dans l’œil de son voisin, mais on ne voit pas la poutre dans le sien." C'est ce principe qui fait que notre esprit ne s'observe jamais. Il faut donc utiliser la perspicacité de l'esprit, cette qualité vive, tranchante, que généralement nous appliquons aux autres, parce que nous les détaillons bien, nous les analysons, nous les étiquetons, nous voyons tous leurs défauts. Donc, cette qualité doit être utilisée pour observer notre esprit. Détournons le regard des autres pour le porter vers nous, de façon à analyser en profondeur le courant de l'esprit. Et là, nous allons nous apercevoir qu'il y a de l'ignorance, énormément de jalousie, de colère, de désir, des amoncellements d'émotions que nous n'avions jamais soupçonnés. Lorsque nous commençons à voir notre propre misère, celle des autres nous apparaît beaucoup moins importante. En fait, il y a beaucoup plus de travail à la maison que dans le monde. C'est en nous-mêmes qu'il faut commencer à évacuer, libérer, transformer toutes ces émotions que nous percevions avant chez les autres.

 

Transformation des émotions

 

Lorsque nous faisons cela, naturellement notre esprit commence à se poser, se stabiliser, se pacifier, et la relation à l'autre devient beaucoup moins conflictuelle. Les problèmes vus dans le monde et chez les autres s'avèrent être simplement une projection de l'esprit pollué, qui ne se reconnaissait pas. Par ce travail, l'esprit se reconnaît, voit ses défauts, donc prend le remède, c'est-à-dire transforme les défauts pour en faire des qualités. Nous avons à la fois libéré le monde et les autres du poids de notre jugement et commencé à faire en nous un travail de purification en inversant la vision et en pratiquant une introspection. A travers ce travail, nous voyons nos émotions, les poisons qui viennent polluer le courant de l'esprit, et nous voyons également nos schémas de fonctionnement. C'est-à-dire que nous extériorisons ou projetons nos émotions et le monde à travers elles. Nous transformons ce schéma de vision du monde, et progressivement les émotions vont se libérer. Elles seront des stimulations auxquelles nous ne donnerons pas suite puisque nous voyons leur origine, au moment de leur avènement, et que nous pouvons les désamorcer. Il y aura avènement, prise de conscience et libération.

 

Auparavant, il y avait absence de prise de conscience, et donc nous suivions ces stimulations tant au niveau de la parole que de l'esprit, projetant cette émotion non reconnue. Parce que nous développons vigilance et introspection, nous voyons les émotions, et également leur origine, c'est-à-dire l'égoïsme qui naît de l'ignorance. Quand nous voyons cet enchaînement de causes et de conditions, nous pouvons progressivement nous défaire de l'emprise des émotions sur l'esprit. Continuant ce travail de discipline puisque nous ne leur sommes plus soumis, puisque nous les voyons quand elles s'élèvent et que nous les libérons par notre pratique suivie, elles n'ont plus d'emprise sur nous. Nous pouvons alors les observer, c'est-à-dire regarder cette émotion naissante en profondeur, regarder son essence, regarder sa forme et voir que finalement notre vision du monde n'est qu'une projection. Elle n'a pas de réalité, elle n'est que l'enchaînement successif d'émotions, de saisie, de rejet, d'espoir, de crainte. Nous nous rendons compte que ce monde, et la perception que nous en avons, est pollué, impur, parce que l'esprit qui le perçoit est pollué et impur. Et comme nous nous apercevons que tout est le jeu de l'esprit, cela n'a pas de réalité profonde. Ce que nous percevons du monde est ce que nos émotions nous en laissent percevoir.

 

La vision pure

 

Nous pouvons donc commencer à travailler sur le réajustement de la vision. C'est-à-dire développer une vision pure, une vision sacrée des mouvements de l'esprit qui fait que ces émotions s'élèvent et que nous les percevons comme mouvement de l'esprit. A travers ces mouvements de l'esprit, nous les vivons comme réalité profonde, et non plus comme émotions. Elles s'élèvent comme une facette du dynamisme de l'esprit, en aspect de sagesse. Progressivement, observant les émotions qui s'élèvent, nous disciplinons le courant de l'esprit, et par là les passions. Petit à petit, observant encore et encore le mouvement des pensées et des émotions, nous entrons dans un processus d'auto-libération des émotions. Elles s'élèvent, elles sont reconnues pour un mouvement de l'esprit. Nous ne les voyons plus, nous voyons l'esprit. Nous reconnaissons donc le mouvement de sagesse et de dynamique de l'esprit.

 

A ce moment-là, l'émotion devient une méditation de la réalité de l'esprit. Ce n'est plus une émotion qui s'élève dans notre perception, dans notre façon de voir les choses, mais un mouvement de sagesse. Nous entrons dans une dimension pure. Notre perception du monde pénètre dans une dimension sacrée et, à ce moment-là, la vie, les événements, les émotions, les conflits, tout ce qui pourrait d'ordinaire polluer le courant de notre esprit, devient un enseignement, une indication de ce qu'est la nature essentielle de l'esprit. C'est le travail ultime que nous allons pouvoir faire sur les mouvements de l'esprit, les mouvements émotionnels. Nous commencerons d'abord par l'introspection, la vigilance, la reconnaissance, le lâcher prise et donc la non-action. Puis, progressivement va se faire la reconnaissance du produit de ce mouvement, et la reconnaissance de ce mouvement produit par l'esprit. Nous arriverons à un travail d'auto-libération, c'est-à-dire que l'avènement et la libération des émotions seront coïncidents.

 

Méditation - Engagement sur la voie du dharma

 

Nous comprenons bien la motivation qui va sous-tendre notre action de pratique sur le chemin vers l'éveil. L'acte fondateur de ce chemin, c'est la prise de refuge, l'engagement que nous prenons envers les trois joyaux. Cet acte fondateur s'accompagne simultanément du développement de l'esprit d'éveil, la bodhichitta, parce que l'acte de refuge résulte de la prise de conscience définie précédemment. Il y a une envie très forte de libérer tous les êtres du cycle de l'existence conditionnée et de nous libérer de l'emprise de l'ignorance, des émotions, des souffrances. Il y a un souhait profond et authentique que nous allons développer, qui est celui de l'esprit d'éveil. Considérant notre propre misère, voyant combien nous sommes soumis aux émotions, combien l'ignorance a une emprise sur nous et que nous sommes conditionnés, tournant notre regard vers les autres, nous constatons que finalement tous les êtres souffrent de la même façon. Un sentiment de fraternité dans la douleur, dans l'ignorance, un sentiment de compassion naît en nous, va pousser et motiver notre engagement, soutenir notre action tout au long du chemin. L'esprit d'éveil est le souhait profond de libérer tous les êtres de la souffrance en comprenant qu'ils tournent en rond dans ce cycle des existences, sans comprendre quelle est la voie juste, quelle est l'attitude juste, la vision juste, comment développer la sagesse, comment se libérer des souffrances et de l'ignorance qu i génère les souffrances.

 

Voyant cette incapacité qu'ont les êtres à se libérer de la souffrance, nous générons puissamment le souhait de les aider à se libérer et pour cela nous entreprenons le chemin vers l'éveil. Nous prenons refuge et continuons cette progression. Il y a la prise de conscience de notre propre conditionnement qui est magnifiée, multipliée par la vision de la souffrance des êtres et le sentiment de compassion qui va pousser à agir non seulement pour nous-mêmes, mais plus largement pour la libération et le bien-être de tous les êtres.

 

Le refuge, puis le développement de l'esprit d'éveil sont comme deux phases distinctes successives. La prise de refuge et l'esprit d'éveil doivent être coïncidents. Simultanément, nous développons la confiance et l'aspiration, la dévotion, à l'égard des trois joyaux, et en même temps, cette confiance est soutenue par le souhait profond de libérer tous les êtres de la souffrance, parce que nous prenons conscience de leurs difficultés. La prise de refuge et le développement de l'esprit d'éveil participent du même mouvement vers l'éveil. Nous ne pouvons pas dissocier les deux. Nous allons dans un premier mouvement développer une profonde joie en comprenant à travers l'étude et la réflexion les qualités de l'éveil, du chemin, des méthodes qui sont offertes pour réaliser cet éveil et aussi les qualités de la sangha, la communauté des amis spirituels. Nous allons développer une profonde joie, et cette joie sera en même temps une profonde aspiration à suivre ce chemin, cet exemple que représente la sangha, de façon à aller vers cet état de libération, cet état de sagesse et aussi de capacité à aider tous les êtres que représente l'éveil. Il y a d'un côté la joie profonde, la confiance, la certitude, et notre vie va prendre cet engagement solennel comme axe, comme la ligne de conduite générale à laquelle tous les actes de notre vie se rattacheront. Il y aura comme objectif final l'éveil, comme moyen le dharma, et toutes les situations de la vie qui vont s'intégrer dans cette perspective, dans cette logique.

Cet engagement n'est pas un engagement restreint, c'est-à-dire ce n'est pas l'affaire d'une entité, d'une personne ou d'un individu qui fait son chemin vers l'éveil d'une façon personnelle, sans se préoccuper des êtres qui sont tout autour, mais au contraire, il y a ce sentiment d'esprit d'éveil, de profonde compassion qui va inviter celui ou celle qui suit ce chemin et qui prend cet engagement solennel. Il y a deux engagements simultanés: l'engagement du refuge et l'engagement de mener à son terme cette voie pour obtenir cette liberté qui permettra d'aider progressivement tous les êtres à se libérer de la souffrance. Lorsque nous prenons refuge, nous invitons tous les êtres à être présents, à être témoins de cet engagement. Dans l'acte de refuge, il y a un sentiment de générosité parce que nous allons vers le haut offrir notre énergie de corps, parole, esprit à ce but qu'est l'éveil à travers le Bouddha qui le représente. Nous offrons cette énergie à la pratique du dharma, en fait nous dédions notre existence à ce chemin. Ce sera le point de référence, l'axe essentiel de la vie.

 

Tout va venir se rattacher à cela, faire de l'existence une voie spirituelle. En même temps, nous convions tous les êtres parce que c'est pour les libérer tous de la souffrance que nous prenons cet engagement et que nous allons le garder solennellement. Il y a donc un deuxième engagement, qui est celui de l'esprit d'éveil. Nous disons: "Depuis cet instant jusqu'au CCEur de l'éveil, je vais pratiquer et utiliser tous les moyens de façon à pouvoir aider tous les êtres qui souffrent comme je souffre à l'heure actuelle". Cet engagement profond, solennel, sera le moteur, la force dynamique qui va nous pousser, nous mener tout au long de ce chemin vers l'éveil. Nous prenons cet engagement avec un sentiment d'impartialité, c'est-à-dire pour aider tous les êtres sans exception. Nous nous engageons à ne rejeter personne. Une seule exception ferait que notre engagement serait rompu. Ce n'est pas quelque chose de très classique. Cette

expression du refuge et de l'esprit d'éveil coïncidents est non académique. C'est la vérité profonde de l'engagement vers l'éveil. Pourquoi doit-on développer simultanément le refuge et l'esprit de l'éveil ? Parce que ce qui est important, c'est la motivation, l'intention, puisqu'elle va conditionner l'action.

 

Lorsque nous prenons refuge, soit nous le faisons dans une visée égoïste, de façon à nous protéger et à obtenir quelque chose pour nous, soit nous le faisons de façon beaucoup plus universelle et plus altruiste. L'action de pratique, c'est-à-dire le fait de méditer, sera peut-être extérieurement la même, mais intérieurement, la portée, le résultat, seront complètement différents. Supposons deux personnes qui, le même jour, plantent chacune un arbre, l'une dans un terrain privé, l'autre dans un terrain communal. Chacun de ces deux personnages fait le même acte: creuser un trou et planter un arbre. Mais leur motivation est complètement différente: l'un plante un arbre dans une propriété privée avec l'idée que les fruits seront pour lui dans le futur, afin d'en jouir personnellement, et ainsi il prépare son avenir. Il y a déjà une limitation, une barrière. Il y a un territoire, c'est à lui. L'autre plante cet arbre dans un terrain communal, il en est le jardinier sans en être le propriétaire. Son intention, c'est d'offrir à l'ensemble des êtres un arbre pour répondre à leurs besoins d'ombre ou de fruits. Son acte est le même, creuser un trou, planter un arbre, mais son intention est totalement différente et à terme le résultat sera aussi complètement différent, puisqu'il y aura effectivement un bien-être universel, tous 1es êtres sans exception pourront profiter de cet arbre et jouir de ses fruits. Son esprit sera ouvert et généreux, alors que l'autre qui aura planté un arbre dans sa propriété pour lui-même voudra défendre son territoire, en fait il aura beaucoup de soucis avec cet arbre. L'idée d'être propriétaire de l'acte du refuge est presque un obstacle à l'obtention de l'éveil. L'intention prévaut sur tout et induit la justesse de l'acte. C'est pour cette raison qu'il faut absolument développer l'esprit d'éveil, l'esprit altruiste, en même temps que nous prenons refuge. Ces deux mouvements doivent être simultanés, coïncidents.

 

Lorsque nous prenons refuge, si nous avons cette motivation de la bodhichitta qui accompagne cet acte, l'effort vers l'éveil est un effort joyeux parce que nous savons que nous construisons quelque chose qui n'est pas limité par l'égoïsme. Nous sommes conscients de notre responsabilité face à tous les êtres et de l'importance de ce travail très large, qui va apporter beaucoup de bonheur. Donc, il y a une joie profonde, la joie qui vient de la confiance d'une part, et c'est le sens du refuge, puis la joie qui vient aussi de notre travail à libérer tous les êtres. La joie naît donc de la compassion et de la confiance. Les deux filières, refuge et bodhichitta, sont source de joie profonde, de satisfaction à accomplir une tâche ultimement utile. Les difficultés que nous rencontrerons sur la voie seront très facilement surmontées par cette joie, par la force de cet enthousiasme. Si nous sommes dans une perspective très limitée, une logique égoïste, nous recherchons notre bonheur, si bien que lorsque les difficultés s'élèveront, peut-être seront-elles plus grandes que le bonheur escompté et donc peut-être aurons-nous tendance à abandonner, lâcher et relâcher l'effort. Alors que si nous travaillons dans cette optique altruiste, nous considérons les difficultés comme un défi supplémentaire, quelque chose à surmonter dans l'accomplissement du bienfait de tous les êtres. Donc, nous trouvons dans la motivation altruiste, dans l'esprit d'éveil, des raisons d'aller au-delà des difficultés, une force pour transcender ces difficultés. La joie est une autre qualité à mettre en avant absolument dans le chemin vers l'éveil, dans la pratique du dharma. La joie profonde qui vient de deux sources: d'une part, la confiance dans le but, l'éveil et les moyens que représente le dharma, et d’autre part la confiance dans l'utilité de cette tâche, qui naît de la compassion.

 

Quand nous avons compris que, dans cette existence-ci, grâce d'une part à l'accumulation karmique d'existences antérieures, et d'autre part à la bonté du dharma et du Bouddha, nous avons entre nos mains toutes les conditions, tous les outils pour rendre notre vie fructueuse et vraiment aider tous les êtres sur une large échelle, il y a là une joie profonde qui s'élève. Toutes les idées de paresse, d'ajournement, "est-ce que je devrais le faire, ne pas le faire, est-ce intéressant, est-ce que je devrais y passer plus de temps, peut-être garder du temps pour autre chose", toutes ces considérations, qui sont finalement profanes, qui ne sont pas de l'ordre du sacré, ni du chemin vers l'éveil, tout cela disparaît. Lorsque la joie, l'enthousiasme et la persuasion sont présents, lorsque nous sommes convaincus, il n'y a pas d'efforts à fournir. Ce qui doit tomber tombe naturellement. Sachant que dans cette existence nous avons eu la chance de rencontrer l'enseignement, des amis spirituels, nous avons de l'espace, du loisir, nous pouvons travailler, étudier, pratiquer, partager ces découvertes, les transmettre. Nous pouvons faire énormément de choses, avec une totale liberté qui est en même temps une liberté très fragile et précieuse, parce qu'elle naît de causes et de conditions qui nous viennent du passé. Elle naît de la générosité des trois joyaux. Cette condition-là, riche et bien pourvue, est très fragile, très incertaine. Il y a un sentiment d'urgence, de joie et d'enthousiasme, à se dire: "qu'ai-je de plus important à faire dans mon existence que d'approfondir cette compréhension du dharma et de mettre à la disposition de tous les êtres les qualités que je vais y trouver ?". A mesure que nous avançons, nous nous apercevons que l'esprit est de plus en plus léger, qu'il est de plus en plus à l'aise, qu'il est de plus en plus confiant dans la valeur des trois joyaux, qu'il est de plus en plus sensible à la souffrance et au bien-être des êtres qui nous entourent, l'énergie grandit d'elle-même. Il y a une sorte de force qui naît de cette joie et qui va se multiplier de façon exponentielle, qui va s'accroître avec la pratique. Plus la joie envahit l'esprit, plus l'enthousiasme l'anime, plus il peut faire de choses et donner de l'espace. Il y a là une sorte d’effet boule de neige qui naît du développement de la joie et de l'enthousiasme.

 

Lorsque nous réalisons tout au long de la pratique la richesse et la bonté du dharma, combien il apporte d'une façon gratuite, non égoïste, les moyens essentiels pour libérer notre esprit de toutes ses entraves; lorsque nous discernons combien il nous permet de voir clair dans l'obscurité de l'esprit et de faire le jour dans cette obscurité; lorsque nous découvrons combien il nous permet finalement de nous libérer des émotions, de la souffrance qui naît de ces émotions, alors, nous nous apercevons de la richesse du dharma. Notre relation à l'essence du dharma devient beaucoup plus intime. Nous comprenons la valeur profonde de l'enseignement. C'est le résultat de la pratique, c'est le résultat de la prise de refuge dans son sens le plus profond, et là, nous n'avons plus aucun doute. Soudain, une grande simplicité s'installe en l'esprit. Si avant il était bousculé par des questions et des doutes, comme: "est-ce que c'est comme ceci qu'il faut faire, ou comme cela ?'1, ou par la tentative de comprendre, si notre propre vision venait interférer dans cette compréhension claire du sens du dharma, tout cela se pose. Nous sommes dans un état d'ouverture et en même temps de limpidité. Il n1ya plus de contraintes, la vie s'éclaire à la lumière du dharma, et tous les événements de l'existence prennent un sens dans cette lumière. C'est ce qui fait qu'en permanence nous baignons dans cet esprit profond du dharma, et la vie n'a plus d'à-coups. Il n'y a plus de moments où nous faisons des efforts pour comprendre, des moments de confusion, des moments de confiance, ou bien de doute. Nous sommes dans un sentiment d'ouverture, de limpidité, de transparence, de clarté. Tout s'éclaire. Tout devient juste, et l'esprit s'ouvre à une vision sacrée et à une vision pure. Il perçoit tout dans la vision du dharma. Toute chose, tous les éléments rencontrés deviennent un enseignement, prennent un sens à la lumière du dharma, et notre vie est simple. Il n'y a plus à faire de grands discours, il n'y a plus à essayer de convaincre ou de réfléchir, les choses sont évidentes. La justesse du dharma, sa profondeur, s'imposent d'une façon très naturelle. Le dharma vient à nous parce que l'esprit, par l'acte du refuge, s'y est ouvert. Il y a une joie encore plus profonde, encore plus d'enthousiasme, et alors nous comprenons vraiment que c'est le dharma. C'est là le refuge profond dans le dharma.

 

Le sens profond du dharma

 

Il arrive que nous nous engagions dans la pratique de façon erronée. Elle devient lourde, c'est-à-dire que physiquement nous sommes lourds, le corps est fatigué, a des réticences. L'esprit est lourd, il s'endort, il n'est pas clair, il est confus. Nous éprouvons beaucoup de difficultés à développer la confiance, la dévotion envers les trois joyaux, ayant énormément de lourdeur dans le corps et dans l'esprit. C'est parce que l'esprit est encore totalement soumis au désir, aux attachements et aux intérêts liés au monde. Nous n'avons pas pu vraiment laisser cela de côté pour nous ouvrir à l'acte du refuge, aux qualités de l'éveil et du dharma, et cette confiance profonde, cette joie, cet enthousiasme nous font encore défaut. Prisonniers d'une perspective et d'une logique ordinaires, nous disons: "je dois bien apprendre mes leçons, je dois bien faire mon travail, je dois être un bon méditant, je dois être le premier, je dois être le seul et l'unique, je dois être le meilleur." Nous sommes dans cette démarche d’accomplissement très égocentrée, et forcément c'est très lourd. C'est la structure ordinaire du monde conditionné: "moi, mon succès, ma réussite". Nous entrons dans la pratique, dans l'utilisation des méthodes offertes par le dharma, avec une attitude d'esprit qui est erronée, donc forcément nous alourdissons ce qui par nature est léger. C'est comme si nous avions une aspiration à aller vers le haut et qu'en même temps, avec les deux mains, nous agrippions cette corde qui s'élève, pour la maintenir au sol. Il y a deux forces contradictoires: une force qui donne l'ordre d'élévation, et une force qui est statique, pesante, qui entraîne l'esprit vers le bas. C'est pour cela qu'il y a conflits et doutes en nous, qu'il y a des difficultés à pratiquer, que l'exercice de la méditation est parfois pénible et douloureux. Non pas parce qu'en soi la méditation est douloureuse, mais parce que l'esprit est réticent, chargé, alourdi, qu'il a un poids qui le maintient; ce poids, c'est l'intérêt, le désir, les espoirs qui sont encore liés au monde. Dans notre incapacité à lâcher, nous ne pouvons pas nous ouvrir complètement à ce sens du refuge, à cette direction qu'est l'éveil et à la voie qu'est le dharma. Quand nous aurons vraiment compris, intégré, assimilé le sens du refuge, il n'y aura plus de difficultés dans la pratique puisqu'il n'y aura plus d'attachement, de saisie à tous ces intérêts et à toutes ces idées qui s'élèvent en nous à propos du monde et de tout ce que nous pourrions y accomplir. Alors, l'esprit est tourné entièrement vers le sens profond du dharma. Les choses deviennent limpides, légères et ouvertes. La pratique elle-même est simple puisque cette force d'élévation ne connaît plus le poids qui l'entravait, elle s'élève naturellement, et donc l'esprit suit ce mouvement d'élévation. Il n'y a plus de charge, parce qu'il y a eu une libération, il y a eu un lâcher prise qui est de l'ordre de la confiance, de la joie et de l'enthousiasme.

 

 

Si nous avons une idée en tête, nous mettons toute notre énergie à la réaliser, rien ne va l'arrêter. Absolument déterminés à réaliser le souhait, l'objectif fixé, nous ne connaissons pas de fatigue, pas de besoin de repos. Nous allons entièrement nous consacrer à la réalisation de cet objectif parce que nous avons trouvé une motivation, une raison. Celle-ci n'est peut-être pas tout à fait correcte. Il s'agit peut-être d'obtenir quelque chose, une satisfaction, une réussite, un gain. Mais nous voyons très bien que, lorsque la motivation est établie, nous arrivons à passer à travers toutes les difficultés, tous les obstacles et si nous n'y parvenons pas, c'est parce que la motivation n'est pas suffisante. Le jeu n'en vaut pas la chandelle, donc nous ne nous donnons pas les moyens de réaliser cet objectif.

C'est la même chose avec la pratique. Elle est pénible, lourde, douloureuse, nous sommes réticents, parce que nous n'avons pas la motivation, par manque de confiance dans les trois joyaux, dans l'objectif, dans les moyens. Nous n'avons pas trouvé non plus la force de la compassion et l'intérêt altruiste qui va pousser, qui va soutenir cette action. En résumé, faute de confiance et de compassion, l'acte de pratique est très lourd et très difficile à accomplir. Dès que nous découvrons cette motivation profonde née de la confiance dans les trois joyaux, née de la compassion envers tous les êtres, la voie est simple. Il n'y a pas de tergiversations, il n'y a plus de doutes, il n'y a plus de questions sur "jusqu'à quand dois-je pratiquer, combien dois-je pratiquer, que dois-je faire de ma pratique", les choses vont être évidentes. "Jusqu'à quand dois-je pratiquer ~" "Jusqu'au bout du chemin" est la réponse. On sait qu'il y a un élan de pratique et que cet élan, nous allons le continuer jusqu'à ce que tous les êtres soient libres de la souffrance. Nous ne posons plus la question "Quand est-ce que je dois m'arrêter ?". Il y a une sorte de don total, sans retenue et sans retour de son énergie corps, parole, esprit, et une joie profonde à le faire. Dans cette progression, il n'y a ni objet ni sujet; il n'y a pas d'opération entre ces deux polarités; il y a simplement l'esprit qui se reconnaît en lui-même, qui se repose dans cette vision et qui, dans cette détente, enfin se libère.

 

La relation au lama-racine

 

Pour ce cheminement, nous nous appuyons totalement sur l'ami spirituel. Le lama devient lama essentiel, c'est le lama-racine, c'est-à-dire la racine de toutes les réalisations, la racine de toutes les bénédictions, de tous les accomplissements, qui devient un axe fondamental de référence. C'est à la fois une inspiration et un soutien. C'est un exemple et en même temps une source d'enseignements et de conseils. Ainsi, il y a une relation très intime qui s'établit parce que nous pratiquons. C'est donc une nécessité de s'appuyer sur l'ami spirituel parce que, dans cette démarche, il y a des choses à développer, à corriger, à comprendre. Il y a par conséquent un besoin d'information et d'inspiration. La relation avec l'ami spirituel se fait de plus en plus intime sans que pour autant l'esprit du disciple devienne très petit, chauvin, et qu'il dise, "hors mon maître, point de salut". Nous comparons: "mon maître est le meilleur et les autres n'ont pas sa valeur". En fait cela revient à dire: "j'ai le meilleur" . Nous nous mettons de nouveau en avant, c'est simplement un élan de jalousie, une sorte de compétition, pour savoir qui aura le meilleur ami spirituel et non pas quel usage faire de cette relation. A la fois, il y a un travail de plus en plus intime, précis, c'est-à-dire que nous ne nous éparpillons pas à prendre des enseignements dans toutes les directions, mais nous avons un travail de plus en plus rassemblé, en profondeur, avec un ami spirituel, avec une grande intimité dans la relation, sans pour autant rejeter ou dénigrer les autres maîtres qui enseignent le dharma de façon authentique, comme notre propre maître. Tous les amis spirituels qui transmettent le sens profond, véritable, authentique du dharma sont respectables et doivent être respectés, même si pour une raison d'approfondissement nous nous en remettons plus particulièrement à l'ami spirituel. Nous éprouvons un respect très large pour tous les maîtres authentiques, tous ceux qui transmettent véritablement le sens du dharma, en même temps que nous nous attachons à la personne d'un ami spirituel pour travailler de façon plus pointue, plus profonde sur notre chemin.

 

Tout comme dans la relation au maître, il ne faut pas laisser notre esprit être pollué par la jalousie ou l'exclusive chauviniste, il ne faut pas que notre pratique soit polluée par la colère. Lorsque nous pratiquons, nous rencontrons des gens qui n'ont pas la même vision que nous du monde, de l'éthique, des gens qui vivent et pensent différemment, et qui à nos yeux sont dans l'erreur. Cette constatation ne doit pas faire naître en nous de la colère, du rejet, une sorte d’intolérance parce que nous sommes des détenteurs de la justesse, de la vue juste et de l'action juste et que les autres sont dans l'erreur. La constatation se fait, nous pouvons voir que les gens se trompent, qu'ils créent des actions négatives, qu'ils vont souffrir à cause d'elles et qu'ils font souffrir les autres. Ce qui doit naître de cette constatation, ce n'est pas l'intolérance, le rejet ou la colère, c'est davantage de compassion, davantage d'intelligence, de créativité pour les aider à prendre conscience.

 

Lorsque nous percevons l'erreur chez l'autre, le mouvement naturel qui doit être celui d'un pratiquant est de se dire: "Cet être est comme de nombreux êtres sous l'emprise de l'ignorance. Il est prisonnier de cette ignorance. Il est conditionné, il a très peu de choix et très peu de liberté." Nous prenons conscience de la nature douloureuse de l'existence conditionnée. C'est pour nous un enseignement supplémentaire et une source de réflexion sur notre action. "Qu'est-ce que je peux faire ? Est-ce que ma pratique est suffisante pour l' aider ou est-ce que je dois au contraire approfondir cette pratique pour avoir plus de moyens pour aider cette personne ? Comment puis-je l'aider ?" Un sentiment de compassion, un sentiment d'amour doit nous habiter. C'est le cœur  de la pratique. Si, alors que nous pratiquons le dharma, nous devenons de plus en plus intolérants, de plus en plus hautains, de plus en plus rigides, de plus en plus dogmatiques, c'est que notre esprit est obscurci par la colère et par l'orgueil. L'orgueil d'appartenir à une élite, d'être de ceux qui ont le message ultime, la science infuse et qui connaissent tout. Ce dharma étant pollué par les émotions de notre esprit, il y a une erreur. Ce que nous pratiquons n'est plus le dharma. Il faut procéder à un réajustement de notre vision et, lorsque nous sentons que la colère, l'énervement, l'intolérance, voire la haine s'élèvent, c'est qu'il y a une déviation dans notre esprit, dans notre pratique. Il faut immédiatement nous attacher à corriger cette déviation.

La relation au maître ne doit pas conduire à une sorte de fanatisme qui limite notre contact à un seul enseignant et qui nous fait rejeter les autres enseignements. Cela est une sorte d'expression de la jalousie, de la compétition et, lorsque nous rencontrons des êtres dans l'ignorance, dans la souffrance, notre esprit ne doit pas se laisser emporter par la colère, par le rejet, par l'intolérance mais au contraire veiller toujours, grâce à ce travail d'introspection, à corriger ses défauts, s'ils se manifestent, en les remplaçant par la compassion, la tolérance, la compréhension. Nous voyons bien que ce travail est une continuité, c'est-à-dire que ce ne sont pas des accès de détermination sans suite, sans effets. Il y a une sorte de progression sur le long terme. Pour maintenir l'intensité de notre engagement, de notre motivation, de notre vision juste, il faut revenir quotidiennement à ce qui est l'essentiel, cette intention juste. Il faut avoir recours à cette pratique quotidienne qui est le moment de rassemblement de nos motivations et le moment où nous donnons une impulsion à notre journée. Il est vraiment essentiel de la commencer ou d'avoir un moment dans la journée où nous nous donnons une sorte de direction parce que nous prenons un engagement sur le long terme. Nous sommes tout à fait conscients de la valeur du refuge, de l'esprit de l'éveil; sinon avec le temps nous oublierons. Étant venus à l'enseignement, cela va nous marquer quelques jours, quelques semaines et puis, s'il n'y a pas de répétition, de renouvellement de l'engagement au quotidien, petit à petit les choses vont s'effilocher, disparaître, et nous allons totalement oublier cet engagement. Il faut donc avoir ce retour quotidien, chaque jour se dire: "aujourd'hui est un jour spécial, je vais mettre l'accent particulièrement sur le développement de l'esprit de l'éveil, je vais m'efforcer de développer la confiance dans les trois joyaux, je vais faire naître également l' intention altruiste, je vais veiller à la justesse de mes actes, de corps, parole et esprit, je vais observer précisément mes intentions". De cette façon nous pouvons conduire notre journée à la lumière du dharma avec cette intention, cette impulsion initialement donnée. Puisqu'il y a une sorte de rappel quotidien, et qu'il faut peut-être le renouveler dans la journée, nous sommes capables de déjouer les pièges des émotions comme la jalousie, la colère, l'orgueil, lors:,qu'ils apparaissent, parce que chaque jour à nouveau nous reprenons intérieurement cet engagement de vigilance, cet engagement de transformation, cet engagement de développement de l'esprit de l'éveil et de la confiance. Si ce travail n'a pas lieu quotidiennement, progressivement, les vieilles habitudes, qui sont ~ès puissantes, vont reprendre le dessus, et cette nouvelle vision, cette nouvelle intention que nous cultivons, va disparaître. Puis, la colère, la jalousie vont venir ,

,emporter notre esprit, et si la pratique devient une pratique mécanique, c'est-à-dire simplement une récitation, une gymnastique mentale ou verbale, et qu'elle î n'est pas soutenue par une intention profonde, même cette pratique-là va être déjà tournée. "J'ai un bon lama", mais si on n'en fait rien, rien ne naît de cela, simplement de la jalousie, ou l'orgueil d'avoir le meilleur ou l'intolérance: "je suis dans la voie juste, je sais ce qui est juste et vous autres, vous ne savez pas." En fait, nous regardons la coquille de la pratique et non plus le cœur. Ce cœur , nous le rafraîchissons chaque jour par un engagement solennel que nous répétons et reprenons sans cesse.

 

La vision vers l'intérieur

 

La vision que nous avons du monde et de ce qui est à faire, l'ajustement autour de l'esprit d'éveil, le sens du refuge que nous allons appliquer, doivent se faire d'une façon douce. Il ne faut pas que ce soit une transformation abrupte, où nous nous contraignons à faire des choses, où nous nous menons la vie dure si nous n'avons pas rempli nos objectifs. Il faut avoir aussi une certaine souplesse, une certaine tolérance vis-à-vis de nous-mêmes, ne pas être cassants ni trop exigeants, ne pas vouloir une sorte de rigueur qui serait tout à fait déplacée dans ce travail. Il faut simplement procéder à une inversion des tendances. La tendance générale, c'est de regarder vers l'extérieur et de juger, de voir les défauts, les actions du corps, de la parole et de l'esprit chez tous les autres. Il faut progressivement retourner notre vision vers l'intérieur et, plutôt que de nous disperser dans une sorte de tribunal permanent où nous jugeons le monde, revenir à nous et utiliser cette capacité d'analyse, cette perspicacité, cette qualité d'observation très aiguë de l'esprit. Il s'agit de l'utiliser pour nous-mêmes et de regarder le courant de notre être. Regarder en nous-mêmes, là où le corps, la parole et l'esprit sont en défaut par rapport à la justesse qui est celle du chemin vers l'éveil ; et puis opérer une transformation progressive, douce, sans contrainte brutale, sans nous donner d'objectifs inaccessibles, pour pouvoir mieux nous punir parce que nous n'avons pas réussi. Il ne faut pas tomber dans une espèce d'auto-martyr où nous devons seulement faire des choses impossibles. C'est très simple, le dharma ne demande pas l'impossible, c'est simplement transformer, changer la vision, cette vision qui est tournée vers l'extérieur. Nous sommes très perspicaces, nous voyons bien le défaut des autres, nous savons bien le mettre en exergue. Cette perspicacité-là, appliquons-la à nous-mêmes. Ce savoir-faire, tournons-le vers le courant de notre être et démasquons les pièges, les tendances, les intentions négatives, voire malveillantes, qui sont en nous. Regardons-nous et transformons progressivement ces tendances négatives et les actions corps, parole, esprit qu'elles vont générer. Il suffit simplement de regarder ailleurs que chez les autres, regardons-nous. La difficulté, ce n'est pas d'observer, c'est de vouloir le faire. C'est là qu'elle réside, nous sommes réticents parce que tellement habitués à regarder les autres et à les juger et nous nous sentons tellement mal à l'aise lorsque nous devons nous examiner et nous analyser de façon objective. Nous avons tendance à refuser, à éviter ce regard intérieur. C'est là qu'il faut mettre l'effort de volonté, prendre à nouveau une sorte d'engagement de juger en nous-mêmes plutôt qu'à l'extérieur.

 

La compassion

 

Il ne faut pas confondre condescendance et compassion. La compassion n'est pas un mouvement des yeux qui se portent vers le bon peuple qui souffre et auquel nous faisons l'aumône de notre attention et de nos bienfaits. Ca, c'est de la condescendance qui s'appuie sur l'orgueil, sur un sentiment de supériorité. Ce n'est pas du tout de la compassion. La compassion est un sentiment universel qui naît de la prise de conscience de la nature défectueuse, douloureuse, du cycle des existences conditionnées. Lorsque nous réalisons cela de l'intérieur, du plus profond de notre être, s'élève un sentiment d'immense compassion face à la souffrance essentielle de tous les êtres - celle de l'ignorance, celle des émotions qui naissent de cette ignorance - et à la douleur permanente qu'ils endurent. Ce sentiment de compassion n'est pas référentiel, il ne s'adresse pas à tel ou tel public, à telle ou telle personne, il n'a pas de limite. La condescendance, elle, est limitée, puisque nous nous tournons vers une sorte d'auditoire avec l'idée qu'il nous renverra l'image agréable de quelqu'un de compassion né. Il y a donc une limitation parce que nous nous adressons à ce que nous concevons, à ce que nous voyons, à ce que nous pouvons toucher en quelque sorte, alors que la compassion est un sentiment universel venu de l'intérieur du cœur, qui rayonne et se diffuse dans l'espace tout entier. Lorsqu'elle n'est pas référentielle, elle a pour objet tous les êtres, même ceux que nous n'avons jamais vus, même ceux que nous ne verrons jamais, même ceux que nous n'imaginons peut-être pas. Il n'y a pas de limite et, lorsque cette compassion profonde est née, la pratique est naturelle: nous savons que c'est à travers la méditation et la pratique que nous ob. tiendrons la liberté et la capacité d'aider les êtres. Ainsi, le sentiment profond de compassion n'a rien à voir avec la condescendance, nous ne nous sentons pas supérieurs, nous sommes touchés par la souffrance des êtres et motivés à faire quelque chose pour éradiquer cette souffrance; il n'y a pas de sentiment de supériorité, il n'y a pas de privilèges accordés à un certain cercle d'êtres, mais au contraire l'envie de dédier l'énergie du corps, de la parole et de l'esprit à tous les êtres sans exception, où qu'ils soient, sans limite de temps ni d'espace, de façon à leur offrir à tous les outils de la libération.

 

Nous pouvons également mettre en avant la différence qu'il y a entre la compassion et l'amour ordinaires et la compassion et l'amour d'un bodhisattva, d'un être qui s'est dédié à l'éveil de tous les êtres. La différence est dans la portée de cet amour et de cette compassion. Aimer, protéger, soutenir ceux qui nous sont proches, notre famille, nos amis, ceux que nous aimons, c'est facile, tout le monde fait cela. Ce n'est pas une compassion de bodhisattva, c'est une compassion ordinaire qui, en fait, part d'un sentiment de propriété. Ce "troupeau", amis, famille, etc., nous appartient et nous devons donc en prendre soin. C'est pour cela que nous les aimons, que nous les soutenons, les protégeons et les défendons. Aussi longtemps qu'ils sont dans le droit fil de nos idées et ne s'écartent pas de notre point de vue, nous les aimons, mais s'ils s'écartent de notre vision des choses, ils reçoivent notre mépris et notre colère. C'est une forme de compassion très ordinaire, entachée d'un sentiment de possession ou de désir, d'exclusivité et de partialité.

 

L'amour et la compassion tels que le dharma les entend, ceux d'un bodhisattva, sont totalement différents. Ils n'incluent pas de notion de propriété. Ces êtres sont l'objet de notre intention altruiste et de notre compassion, et tous les efforts faits pour les soulager ne nous appartiennent pas. Nous n'attendons rien en retour. Nous apportons ce soutien, nous exprimons cette compassion parce que, au plus profond de nous, nous avons été touchés par leur souffrance et nous avons envie profondément, universellement, sans faire de cas par cas, d'aider ces êtres à se libérer, à faire leur chemin vers l'éveil. Il n'y a pas de menace du genre: "Si vous ne suivez pas ma façon de voir les choses, vous serez exclus de ma compassion." Cela ne peut pas fonctionner ainsi puisque cet amour et cette compassion s'adressent aussi bien à ceux qui sont dans la justesse et font leur chemin vers l'éveil qu'à ceux qui sont dans l'ignorance et souffrent à cause de cette ignorance. Il n'y a donc pas de barrière ni de limitation. L'amour et la compassion ordinaires font une différence entre ceux qui sont proches, qui se situent à l'intérieur du cercle et que nous aimons, et ceux qui sont en dehors du cercle, qui sont loin et que nous rejetons ou dédaignons, voire haïssons. Il y a une différence essentielle, et il ne faut pas confondre les deux aspects. Nous avons un peu tendance à dire: "Si j'aime les gens autour de moi, je suis un bodhisattva." Non, il y a un espace limité, partial, dont il faut défaire les limites. Il faut se débarrasser de cette partialité entre proches et éloignés, entre les êtres aimés et les ennemis ou les indifférents, pour laisser parler ce sentiment profond, universel, de compassion qui est l'apanage d'un bodhisattva. Tout au long de ce chemin, nous rencontrons des difficultés, des personnes difficiles, des situations compliquées et, si nous pensons que tout sera facile et qu'il ne sera pas nécessaire d'avoir de temps en temps de la patience ou de faire des compromis, notre chemin sera très douloureux. A tous les coins de rue, nous rencontrerons quelqu'un qui nous créera un problème, une situation qui viendra faire obstacle, et si nous nous impatientons, si nous nous montrons très colériques, la progression sur le chemin sera interrompue à chaque fois. Nous créerons à nouveau du karma et il sera vraiment difficile de progresser; il faut donc nous armer de patience, développer cette qualité comme une sorte d'armure qui nous protégera sur le chemin et essayer de reconnaître l'obstacle non pas comme une difficulté mais comme une sollicitation, comme une sorte de défi à notre intelligence et à notre créativité. Nous pourrons alors recevoir l'obstacle ou la personne qui crée l'obstacle comme une indication de ce qui nous reste à faire et nous dire: "C'est vrai, je suis effectivement emporté par la colère et le désespoir, je m'énerve, je trépigne et je ne l'avais pas vu. Je pensais être quelqu'un de calme, de disponible, de courtois, et ma véritable nature, que j'avais bien cachée sous cette apparente civilité, se révèle grâce à vous. Merci ! Finalement, vous êtes l'égal de mon maître puisque vous mettez en avant mes défauts cachés et ce que j'ai à travailler. Je vous remercie donc." Si nous pouvons adopter cette attitude, ne pas nous laisser emporter par la colère lorsqu'un obstacle apparaît et plus encore éprouver un sentiment de gratitude à l'égard de cet obstacle qui nous montre quelque chose qui n'avait pas été perçu et nous contraint à un effort d'intelligence, à faire fructifier des qualités non encore développées, nous sommes sur la bonne voie. Les obstacles ne seront plus des obstacles, mais au contraire des occasions d'enrichissement, et un sentiment de gratitude s'installera dans notre esprit pour ces obstacles, pour ces personnes difficiles, pour ces conflits qui s'élèvent, nous permettant de grandir et d'avancer.

 

le passif karmique et les conflits

 

Il ne se passe pas un jour sans que nous ayons à développer la patience, il ne' se passe pas un instant sans que nous rencontrions un conflit ou une difficulté, qu'ils soient matériels ou représentés par un individu. Si nous n'avons pas le réflexe de la patience, notre chemin de méditation sera extrêmement douloureux, voire impossible. Nous ne pourrons pas progresser si nous n'avons pas pratiqué cette qualité-là, si nous ne sommes pas non plus capables de comprendre que lorsqu'une situation conflictuelle s'élève, nous ne sommes pas innocents dans cette situation. Nous avons tissé la trame de cette situation par nos actes antérieurs. Nous avons façonné cet environnement par des actes du corps, de la parole, de l'esprit accomplis au cours d'existences antérieures; c1est une sorte de continuité, de retour de nos actes antérieurs qui forment, façonnent la situation, qui font de la personne en face de nous le catalyseur en quelque sorte et non pas l'initiateur de cette situation et nous avons une part de responsabilité dans cette situation. Il n'est donc pas juste de rejeter le blâme sur la personne qui crée apparemment la situation. Il faut avoir une vision plus large et nous dire que la situation naît de causes et de conditions interdépendantes auxquelles nous avons participé. Nous avons donc une responsabilité dans cet acte. Il faut travailler avec ça, l'accepter comme un passif karmique à apurer et finalement payer, payer en apprenant quelque chose. Il y a non seulement l'idée que nous nous mettons au clair, karmiquement parlant, mais aussi celle que nous tirons une leçon, que nous apprenons quelque chose dans cette situation. Il existe donc deux raisons d'être reconnaissant: !a personne qui nous crée un problème, d'une part, nous apporte la chance de pouvoir nous défaire d'une dette karmique et, d'autre part, nous offre la possibilité d'apprendre quelque chose. Cette personne a finalement la bonté de notre maître. Si nous nous montrons incapables de saisir cette chance, c'est notre responsabilité qui est engagée parce que nous ne voulons pas faire l'effort de travailler sur cette situation avec cette personne, ni accepter cette transformation qui vient et saisir cette chance d'acquérir quelque chose. Notre responsabilité est directement mise en cause.

 

Cette façon de voir les choses et de gérer les conflits est essentielle si nous voulons vraiment progresser sur la voie de l'éveil. Il faut vraiment reconnaître la bonté de la situation et la générosité de la personne qui est le catalyseur de cette situation conflictuelle, parce que c'est une grande chance. C'est là l'opportunité de nous débarrasser d'une charge karmique et en même temps d'apprendre quelque chose. Il nous faut être reconnaissants.

 

L'accumulation de mérite

 

Le chemin se fait à travers ce qu'on appelle l'accumulation de mérite. Mérite s'entend ici comme une force dynamique permettant de progresser sans obstacles ni difficultés, avec l'énergie nécessaire pour parcourir la voie vers l'éveil. L'accumulation de mérite se fait en deux temps: tout d'abord, une libération des voiles, des empreintes karmiques, etc. ; dans un deuxième temps, le rassemblement de cette énergie positive qu'on appelle le mérite, de façon à donner à l'esprit toutes les conditions positives pour son développement et à lui permettre en

même temps de se libérer de toutes ces empreintes. Le premier temps est un temps de purification permettant à l'esprit de se libérer des voiles qui l'entravent, voiles d'ignorance, voiles des émotions perturbatrices, des charges karmiques, des tendances habituelles, etc. Parallèlement, nous développons l'énergie positive, nous adoptons un autre code d'éthique, une autre façon de vivre. Comprenant que les actions négatives antérieures ont entravé l'esprit depuis des temps sans commencement et concourent à la souffrance qu'il expérimente, nous décidons d'adopter un nouveau mode de vie, le mode éthique qui permettra à l'esprit d'être libre, de construire sa liberté en quelque sorte et donc d'agir d'une façon juste, d'accumuler l'énergie positive, d'adopter un code d'éthique en accord avec la voie vers l'éveil. Nous nous débarrassons du passif, pourrait-on dire, de ce qui entrave, de ce qui alourdit, et nous générons ce qui est de l'ordre de la libération, du progrès, du développement.

 

Purification et rassemblement de l'énergie positive, du mérite, c'est ce qui permet à l'esprit d'avancer sur le chemin vers l'éveil.

 

L'ignorance

 

Depuis des temps sans commencement, la nature de nos corps, parole, esprit est celle des trois modes d'être éveillé, qu'on appelle les trois kayas : le corps, la parole et l'esprit éveillés. Mais, bien que cette réalité soit la réalité essentielle du corps, de la parole et de l'esprit, nous l'ignorons. De ce fait, nous accumulons des voiles qui viennent obscurcir encore davantage la réalité profonde des trois modes d'être éveillé, des trois corps de manifestation de l'éveil. Pour cette raison, nous percevons les choses de façon très ordinaire à travers un corps très ordinaire, une parole ordinaire, un esprit ordinaire, et tout le travail de purification, de libération de ces voiles est l'accumulation de mérite pour favoriser la compréhension de cette réalité profonde. Ce travail permet de se défaire de ces entraves qui sont malgré tout passagères, qui ne sont pas des entraves essentielles, qui n'appartiennent pas à la nature profonde de l'esprit. Elles sont transitoires, passagères. Ainsi, le travail consiste non pas à construire le mode d'être éveillé puisque c'est la nature essentielle du corps, de la parole et de l'esprit, mais à révéler, dégager, inventer au sens premier de ce mot cette nature éveillée du corps, de la parole et de l'esprit grâce à une activité de désenfouissement, de purification et d'accumulation de mérite.

 

Accumulation de mérite - Purification du corps

 

Dans ce travail, le corps est mis à contribution. Comment pouvons-nous procéder à ce travail à travers le corps ? Le dharma offre différentes méthodes de pratique ou de travail, entre autres la méditation sur les divinités à travers la visualisation. Nous identifions notre propre forme à une forme pure, sacrée, divine, afin de libérer l'esprit de cette façon ordinaire qui l'anime sous la force de l'ignorance. Il faut bien comprendre ce que signifie utiliser le support d'une divinité de méditation. Cela n'a rien à voir avec un culte rendu à cette divinité ou avec une adoration qui lui serait adressée pour qu'elle nous aide et nous concilie ses bonnes grâces. Il s'agit d'essayer de comprendre la nature profonde, essentielle, de notre corps que nous ne percevons pas dans sa dimension de sagesse. C'est l'outil de la divinité, la méditation de l'aspect éveillé au travers du corps. Il existe également, de manière plus pragmatique, les prosternations et les circumambulations, et des supports de la présence du corps, de la parole et de l'esprit éveillés tels que les temples ou les stoupas.

 

Cet acte physique permet à l'esprit de développer la dévotion et l'ouverture en accompagnant d'un mouvement physique sa confiance naissante. Cet acte contribue à accumuler le mérite, cette énergie qui permet d'avancer vers l'éveil et en même temps de se défaire des voiles et des tendances accumulés par le corps depuis des temps sans commencement à travers des actes innombrables accomplis dans tous les instants de nos existences sous l'influence de l'ignorance et par la force des émotions. Il y a donc un travail de transformation de tous les instants du corps. Lorsque nous utilisons le corps pour accumuler du mérite, pour purifier les voiles, nous ne devons pas détourner cette action pour en retirer une certaine fierté, un contentement, le sentiment d'être quelqu'un d'important qui accomplit des actes essentiels ou qui se sent supérieur au reste de l'humanité.

Au contraire, le travail spirituel à travers le corps doit nous conduire à un état de grande humilité, à un sentiment de fraternité, et à poser un regard égal sur tous les êtres, incluant les plus insignifiants à nos yeux, tels les insectes. Au cœur de l'esprit de l'insecte repose la nature de bouddha et la promesse de l'éveil. Cet insecte est un bouddha à venir, un bouddha en développement peut-être, qui doit faire son chemin vers l'éveil et qui, pour cette raison, doit être respecté et préservé. Ce sentiment d'humilité, d'égalité, de compassion et d'amour à l'endroit de tous les êtres doit être la pierre angulaire de notre chemin et du travail au travers du corps, sinon ce travail est erroné.

Si nous procédons à ce travail de purification au travers du corps et que nous développons ce sentiment de respect authentique envers tous les êtres et toutes les formes de vie, nous aurons naturellement un certain charisme dans le futur, nous serons respectés, parce que nous aurons créé, dans cet instant de transformation et d'accumulation, des causes pour ce respect et cette admiration éventuellement.

 

Menant à son terme le développement de la purification du corps par ce travail de transformation, nous réalisons sa nature essentielle qui s'appelle le corps de manifestation illusoire ou corps éveillé, nirmanakaya en sanscrit.

 

La purification de la parole

 

La parole va aussi être mise à contribution, et nous essayons de transformer cet outil utilisé de façon négative et détournée, sous l'influence de l'ignorance au service de l'ego et sous celle des émotions perturbatrices. Nous pouvons réfléchir un peu à l'utilisation faite de cet outil de communication dont, depuis des temps sans commencement, nous nous sommes servis pour prendre le dessus dans certaines situations et dire des paroles blessantes. Ces paroles ont vraiment fait du mal; nous avons aussi beaucoup menti pour essayer de nous attirer le succès et le détourner des autres. Nous avons fait une utilisation très perverse de cet outil de communication qu'est la parole. Il faut procéder à un travail de transformation et, puisque c'est la parole qui a été altérée, c'est par la parole que nous réparerons cette erreur. Il ne faut pas laisser l'orgueil venir entacher ce travail de transformation, il ne faut pas penser que développer les qualités de la parole, c'est avoir une éloquence merveilleuse qui va conquérir les foules, etc. Essayer de purifier la parole pour avoir un impact, un contrôle supplémentaire sur les autres, c'est continuer la série des actes égocentriques perpétués depuis des temps sans commencement. Il faut au contraire générer une intention altruiste qui soutiendra toutes les actions de la parole. Progressivement, poussés par la compassion et le respect, mus par le désir d'aider les autres, nous adopterons une parole claire, limpide, conciliante, amicale, douce, qui soutient, aide, rassure.

 

Il ne faut pas non plus être naïf. Cela ne signifie pas qu'il faille toujours tout dire, il est nécessaire aussi d'y mettre un peu de sagesse; il y a simplement des choses que nous ne pouvons pas dire parce qu'exprimer une vérité à une personne qui n'est pas prête à la recevoir risque d'être très douloureux pour elle. Si on veut l'aider, il faut utiliser son intelligence pour savoir comment et quand dire les choses. Cela aussi est une utilisation juste de la parole. Il ne s'agit pas d'avoir une franchise naïve qui balance des vérités à tout le monde, mais d'utiliser avec discernement l'outil de communication qu'est la parole, dans un souci d'al truisme. Ainsi, progressivement, nous purifions la mauvaise utilisation de la parole pour, ultimement, comprendre qu'elle nous a conduits à accumuler énormément d'ignorance et de voiles à propos de la communication et de la parole. Nous nous efforçons de redécouvrir cette réalité profonde qu'est la parole éveillée, ce qu'on appelle le sambhogakaya en sanscrit ou corps de manifestation de toute la richesse des qualités de l'esprit, qui a été totalement enterrée.

 

Nous revenons progressivement à une vision sacrée, à une vision de sagesse à propos de la parole et nous découvrons qu'en fait la parole est un mantra, qu'elle est ce qui va soutenir l'esprit, le protéger, permettre sa réalisation et en même temps communiquer un message d'altruisme et de compassion. Nous pénétrons ainsi la véritable nature de la parole qui est l'expression de la vérité, plutôt que de la concevoir d'une façon très ordinaire comme un outil de communication au service de l'ego.

 

Si nous menons ce travail de transformation à son terme, nous réalisons le mode d'être éveillé de la parole qu'on appelle le sambhogakaya, et le résultat sera que, dans le futur, notre parole sera naturellement entendue. Nous aurons la facilité d'élocution, ainsi qu'un impact sur les autres, car, lorsque nous nous exprimerons, nous serons crus. Cela ne se fera pas instantanément, mais viendra de ce que nous aurons généré à travers notre chemin de transformation de la parole. Si nous ne faisons pas cet effort, même si nous sommes amenés à dire la vérité, personne ne nous croira. Il y a donc un travail à effectuer pour passer de la parole ordinaire à la parole éveillée, avec tout ce que cela comporte et implique de purification et d'accumulation.

 

La purification de l'esprit

 

Il y a beaucoup de travail à faire par l'esprit et sur l'esprit. Cet esprit, sous l'emprise de l'ignorance, conçoit l'idée d'une entité personnelle qui aurait une existence séparée en opposition aux autres, différente des autres. Vient, à la suite de cela, le sentiment d'avoir à privilégier cette entité qu'on appelle même d'un petit nom charmant, "moi" , à qui nous devrons apporter toutes les richesses, les jouissances, la renommée, la satisfaction, etc. Sur la base de cette ignorance et de cet orgueil qui se développe, le besoin de satisfaire cette entité s'accroît et nous met forcément en conflit avec les autres, puisqu'il y a une sorte de combat à propos de qui aura le droit de profiter des choses agréables. Si ce n'est pas moi, ce sont les autres et donc, si c'est pour les autres, ce ne sera pas pour moi. Il y a ainsi un conflit entre nous et les autres et forcément l'orgueil grandit puisqu'on a le sentiment d'avoir droit à toute chose plus que les autres. Si nous ne pouvons pas avoir les choses, la colère, la frustration et la jalousie s'élèvent lorsque nous voyons d'autres personnes avoir peut-être plus de succès que nous. Ensuite, toute la variété des émotions se déploie à la suite de l'orgueil, né lui-même de l'ignorance. Cela emplit totalement notre esprit, cela devient la structure même de notre esprit. C'est ainsi que nous fonctionnons depuis des temps sans commencement. En d'innombrables circonstances, notre esprit a essayé d'attirer à lui le meilleur, a rejeté vers les autres la souffrance et les problèmes et a donc créé une sorte de partition entre, d'un côté, ce qui m'appartient et, de l'autre, ce qui ne m'appartient pas, ce qui n'est pas à moi, mais aux autres. A l'intérieur, nous avons mis bien évidemment les amis, ceux que nous aimons, et nous revenons sur le thème développé précédemment: ce qui m'appartient, ce qui est à moi, ce qui fait partie de ma propriété, et ce qui n'est pas à moi. La notion d'ami et d'ennemi est très fluctuante, parce qu'un ami est ce qui me fait plaisir et un ennemi ce qui me dérange. Donc, quelqu'un peut être un ami un jour parce qu'il abonde dans notre sens mais si, demain, il a un point de vue qui s'oppose au nôtre, il est rangé dans la catégorie d'ennemi. Toute la variété des conflits et des problèmes peut alors se déployer. Aussi longtemps qu'il existera cette partialité dans l'esprit, qui naît de l'orgueil dû à l'ignorance, il y aura conflit, il y aura émotion, il y aura donc tension et souffrance. Il faut procéder à la transformation de cette tendance erronée de l'esprit et développer la générosité.

 

Nous effectuons d'une façon relative ce travail de purification sur l'esprit qui conduit à comprendre sa saveur unique, la valeur unique de tous les êtres. Notre esprit s'établit dans sa réalité la plus profonde, ce qu'il est en vérité, ce qu'on appelle le dharmakaya en sanscrit, l'état des phénomènes et de l'esprit tel qu'en lui-même. L'esprit, se reposant dans cette réalité, n'a plus de préférence en quelque sorte pour ceci ou pour cela, et cet état d'équanimité, de saveur unique, n'est pas non plus un état d'indifférence puisqu'il est totalement imprégné du sentiment profond d'amour et de compassion. Cet état de compassion et de vacuité dans lequel l'esprit se repose, c'est la purification ultime de l'esprit, la libération pour l'esprit de ses voiles d'ignorance et le parachèvement de l'accumulation de mérite à travers l’esprit qui se manifeste par l'obtention du troisième mode d'être éveille, le corps de vérité ultime ou corps de vérité absolue, le dharmakaya.

L'esprit en lui-même fait ce travail de mise au clair, de purification et d'accumulation de mérite au travers du corps, de la parole et de l'esprit. C'est un travail personnel, intime et, si nous voulons atteindre l'éveil, si nous voulons développer la perception juste de la réalité essentielle du corps éveillé, de la parole éveillée et de l'esprit éveillé, il faut faire ce travail d'accumulation et de purification .

 

Si nous désirons aussi profiter ultérieurement des fruits de cette réalisation, c'est-à-dire des qualités qui naissent de la réalisation du corps, de la parole et de l'esprit éveillés et puis, plus tard, de l'activité éveillée qui sera notre déploiement de cette réalisation, sa mise au service de tous les êtres, il faut commencer par ce travail de purification, ce travail de désenfouissement des qualités profondes de l'esprit et par l'accumulation de mérite. Sans ce travail, ces qualités resteront latentes, ignorées, et tous les bienfaits qui pourraient découler de ces qualités, de cette activité, ne pourront pas se manifester.

 

L'accumulation de mérite

 

Offrandes

 

L'accumulation de mérite se fait par la générosité, par l'hommage que nous rendons à l'éveil, aux trois joyaux, à travers les offrandes. Nous pouvons accomplir différentes formes d'offrandes aux trois joyaux, mais il faut comprendre que ce n'est pas un culte rendu à une divinité dont essayerions de nous concilier les bonnes grâces. Lorsque nous offrons de l'eau pure, de la nourriture, des fleurs, etc., ce n'est pas parce que le bouddha ou les bouddhas en sont particulièrement friands, c'est un acte de générosité qui tend à rappeler à notre esprit que le cœur de notre engagement est l'éveil, que celui-ci est doué de toutes les qualités et, par cet hommage, par cette offrande, nous dirigeons simplement notre esprit vers cet axe essentiel. Notre esprit est sans cesse détourné par son intérêt: ces offrandes, fleurs, encens et toutes les gratifications sensorielles en général sont d'ordinaire récupérées par moi. Elles sont en permanence devant mon autel. Elles sont en permanence offertes à ma satisfaction, à la gratification de cette entité que l'on appelle moi et qui est le départ de tous les problèmes ultérieurs. C'est pour que l'esprit se débarrasse de cette tendance à se faire en permanence des offrandes et à maintenir cette illusion douloureuse qu'est la saisie de l'ego qu'il se tourne dans une autre direction, une direction de libération, l'éveil, représenté par le bouddha, le dharma et la sangha.

 

Nous pouvons offrir des choses matérielles; les bols d'offrandes sont symboliquement les gratifications d'offrandes sensorielles, du fait d'inviter l'éveil, et symbolisent aussi l'offrande de sagesse à travers la lumière des lampes. Nous offrons également notre univers: tout ce que nous percevons d'instant en instant, les choses qui nous appartiennent en propre, celles qui ne nous appartiennent pas mais que nous pouvons mentalement offrir à l'éveil, que nous pouvons dédier ou dont nous pouvons souhaiter qu'elles deviennent un support d'éveil, et puis toutes les choses qui sont le bien commun de l'humanité, comme les planètes, les étoiles, le vent, le soleil, toutes ces choses agréables dont tout le monde profite gratuitement d’une façon égale. Le plus important est l'esprit et, derrière les offrandes que nous faisons, c'est lui qui va en quelque sorte magnifier, amplifier, rendre infinie ces offrandes. Si vous offrez un verre d'eau à l'éveil avec un esprit très petit, disant: "J’ai fait un effort, je vous offre de l'eau avec un beau verre", l'offrande est très limitée. Si nous donnons un verre d'eau en pensant qu'il s'agit du symbole de l’eau, du symbole de la vie, de l'eau qui se trouve dans tout notre univers et soutient la vie de tous les êtres, ce verre d’eau devient porteur d'un symbole immense et infini. C'est notre esprit qui lia multiplié. C'est notre intention qui l'a rendu infini. C’est ce qu'on appelle l’offrande mentale, la multiplication de l’offrande matérielle par le souhait qui l'accompagne. Nous pouvons offrir également, et c'est ce qui est fait traditionnellement lorsqu'on fait l'offrande du mandala, c'est-à-dire l’offrande de l'univers ou des univers, les planètes, le système solaire, le cosmos, les galaxies, l'axe central si nous pensons qu'il yen a un, les continents qui s'arrangent et s'ordonnent autour de celui-ci, etc. Cela veut dire que tous les biens et les richesses, toutes les satisfactions et les jouissances des sens qui se trouvent dans cet univers, dans ces univers à l'infini, ne sont plus en quelque sorte phagocytés ou détournés par les mots pour notre satisfaction, mais dédiés à l'éveil. C'est donc une transformation de notre attitude par un geste d’offrande. L'offrande accompagnée de l'intention infinie, offrandes matérielles, offrandes mentales qui vont nous permettre de rassembler cette accumulation de mérite qui sera le soutien de notre chemin vers l'éveil.

 

Méditation sur une divinité

 

Lorsque nous utilisons une divinité de méditation comme support pour travailler, au travers du corps, à la purification et à la compréhension de la nature essentielle du corps, une transformation s’opère. Pas une transformation essentielle, mais une transformation de notre perception des choses. Dans la vision ordinaire, nous considérons que le corps, la matière en général, les formes que nous percevons sont constitués par une sorte de conglomérat d'éléments différents appelés les agrégats, qu i constituent la forme, les perceptions, les sensations, les volitions, en fait l'ensemble de notre manifestions physique, ce que nous pouvons saIsir.

 

Ces cinq éléments agglomérés, les cinq agrégats, sont perçus d'une façon très ordinaire à travers le filtre de nos voiles, de nos tendances karmiques, de nos habitudes. La méditation régulière sur la divinité, sur sa forme, sur ce support de méditation qui est l'union de la clarté et de la vacuité, nous permettra progressivement de transformer notre vision de ces agrégats, d'une façon non pas intellectuelle, mais profonde, nous permettant ainsi de comprendre qu'ils sont cinq aspects de sagesse, les cinq facettes de cette sagesse unique qui se connaît en elle-même. Notre esprit se repose, se détend en lui-même d'une façon naturelle. Ce n'est plus une méditation artificielle, construite, forcée en quelque sorte, contrainte d'une manière ou d'une autre, mais tout à fait naturelle. L'esprit se repose en lui-même, il se repose en cette sagesse qui se reconnaît en elle-même, il arrive à sa propre réalisation. Celle-ci est simple et en même temps se déploie dans le jeu des cinq sagesses, dans lequel nous reconnaissons la manifestation de ce que nous percevions auparavant comme les cinq agrégats au travers de l'ignorance. Il y a une révélation progressive non seulement de l'essence profonde de l'esprit et de ses manifestations, mais de la nature, des qualités et des valeurs propres à ces cinq facettes particulières de la sagesse unique qui se connaît en elle-même. C'est ce qu'on appelle la sixième sagesse, et c'est le travail de purification et d'accumulation qui le rend possible. Notre esprit se pose naturellement dans cette connaissance de lui-même, en lui-même, d'une façon détendue, naturelle, dans un acte de non-méditation qui est la réalisation du mode d'être ultime de l'esprit, le dharmakaya ou corps de vérité absolue.

 

En méditant sur la forme de la divinité, nous comprenons peu à peu que notre perception de la matière et de la forme est erronée, qu'en fait toute la manifestation qui s'élève à travers le jeu des causes et des conditions interdépendantes est une expression de l'esprit, de son dynamisme, et que l'essence profonde de toute manifestation est vide. La nature de cette manifestation est lumineuse, claire puisque perceptible, mais, en même temps, sans qu'il y ait contradiction, son essence profonde est vide.

 

L'ignorance nous empêche de percevoir cette réalité de clarté et de vacuité qui est l'essence de la nature de la manifestation. Elle nous laisse progressivement croire à la réalité des choses, à la matérialité de ce qui est perçu, de ce qui est reçu comme message au travers des sens. Et les cinq agrégats sont de plus en plus lourds, de plus en plus incarnés parce que notre esprit leur donne de plus en plus de réalité, puisqu'il ne perçoit pas l'essence vide de toute manifestation non plus que sa clarté. La méditation sur la divinité nous fait progressivement comprendre que notre corps, mais aussi notre environnement, les êtres en général, toute la manifestation physique, tout ce qui est perçu d'ordinaire comme le jeu de manifestation des sens, est en fait le déploiement des qualités de l'esprit, son dynamisme, en d'autres termes sa clarté qui est essentiellement vide. Et donc, cette double réalité, essence vide, nature claire et perceptible, s'impose de plus en plus à l'esprit qui s'y reconnaît.

 

L'esprit se reconnaît dans chaque manifestation, dans chaque perception, dans chaque sensation. L'esprit se connaît en lui-même et, se reconnaissant lui-même, il n'est plus distrait par le spectacle de sa propre production. L'esprit n'est plus fasciné par le déploiement de ses qualités propres, de sa luminosité propre. L'esprit se reconnaît en lui-même et, puisqu'il se reconnaît en lui-même, il se détend et se repose en lui-même comme une vague qui se reconnaît comme nature océane, se détend et retrouve cet océan qu'elle n'a jamais quitté, mais qu'elle ignorait puisqu'elle se définissait comme vague.

 

Dans ce travail, nous faisons progressivement l'expérience de la clarté, de la félicité aussi, en même temps que de l'absence de processus analytique ou conceptuel dans l'esprit, ce qui lui permet de réaliser ses différentes qualités. C'est ce qu'on appelle le travail de samatha en sanscrit ou chiné en tibétain, le calme, la pacification et la stabilité de l'esprit. Ce n'est pas simplement une sorte de concentration dans laquelle nous obligerions l'esprit à rester calme sur un sujet; ça, c'est une première approche du travail de samatha, une approche préliminaire. On parle ici d'une approche de la stabilité beaucoup plus profonde, venant de la réalisation de la nature et de l'essence de l'esprit. Lorsque celui-ci se reconnaît au travers de toutes les perceptions comme étant essentiellement vide et, en même temps, par nature clair, dynamique et lumineux, il se repose dans cette sagesse qui se connaît en elle-même. Se produit alors tout naturellement ce qu'on appelle une absorption méditative en profondeur. Ce n'est pas une concentration. C'est ce qu'on nomme samadhi. Peut-être le mot samadhi vous fait-il penser à une concentration, une méditation, à un état mystique. Ce n'est pas cela du tout. Samadhi signifie laisser l'esprit reposer en lui-même, au plus profond de lui-même, dans l'ouverture la plus large, sans être distrait par ses productions, sans être distrait par la fascination qu'elles peuvent provoquer. L'esprit se reconnaît en lui-même, voit qu'il est essentiellement vide, qu'en même temps il est dynamique et créatif, et il se reconnaît au travers de toutes choses sans plus créer de dualité, sans plus projeter une perception d'un objet par un sujet. L'esprit se repose d'une façon non duelle, naturelle, en lui-même. C'est ce qu'on appelle la véritable stabilisation ou pacification de l'esprit, le samatha au sens le plus profond.

 

Quand nous sommes habitués à l'esprit et à sa réalité, celui-ci se repose en lui-même et n'est plus fasciné par toutes les considérations diverses et les successions de pensées qui entretiennent l'intérêt à propos de ceci ou de cela, il contemple simplement sa véritable nature. Lorsqu'une pensée s'élève, il la reconnaît comme étant essentiellement vide, tout en étant lumineuse et claire. Il ne l'entretient pas pour le plaisir d'avoir une discussion intérieure et donc il s'établit naturellement dans ce qu'on appelle un état dépourvu de processus discursif, L'esprit ne pense plus volontairement, à volonté, mais il ne rejette pas non plus les pensées puisque, lorsqu'elles apparaissent, il les considère directement et se reconnaît à travers elles. Finalement, ce n'est pas la pensée qu'il contemple mais lui-même au travers de la pensée. Et cette contemplation n'est pas duelle puisque c'est l'esprit qui se voit en lui-même, qui voit son essence vide et, en même temps, son dynamisme, sa créativité, sa clarté qui sont sa qualité, qui sont la nature de cet esprit vide. L'esprit se pose naturellement dans cette permanente observation vigilante, sans qu'il y ait maintien d'un processus conceptuel. Cette reconnaissance de l'esprit en lui-même, par lui-même, génère une immense félicité, puisqu'il n'y a plus de contraintes. Celles-ci ont été évacuées, puisqu'il n'y a plus besoin d'entretenir, de rejeter, de saisir tout ce flot conceptuel, et l'esprit se détend. Se détendant, il n'est plus contraint, et donc, il ne souffre plus, sa nature de félicité qui est sa réalité profonde, s'impose. Absence de processus discursif, félicité et totale clarté dans la perception de lui-même : ce sont les trois caractéristiques de la réalisation du calme mental.

 

Mahamoudra

 

L'approche progressive de l'esprit et de sa réalité nous conduit à un moyen de libération de l'esprit vis-à-vis de la fascination pour toutes les expériences ou manifestations qui s'élèvent, ou utilisant la méditation du mahamoudra. Cette méditation est en fait une non-méditation parce que, lorsque l'esprit se pose dans ce calme de samatha, il observe ou perçoit toutes les choses intérieures ou extérieures, les mouvements de l'esprit, les pensées ou les perceptions sensorielles, comme étant son propre jeu. Posant un regard direct sur cette manifestions, il voit à la fois l'essence vide et la nature claire, perceptible, la créativité des qualités de l'esprit. Il y a là une purification de l'ignorance, spontanée, naturelle. C'est le regard direct de l'esprit sur lui-même qui tranche à travers la fascination qu'avait l'esprit ignorant pour cet objet qui se manifestait, ne le percevant pas comme son propre jeu, ne voyant pas son essence vide, ne voyant pas sa nature claire et lumineuse. Il y a donc une sorte de libération au travers de la vision de l'esprit de lui-même, en lui-même. A travers l'aspect de clarté, nous nous défaisons de la fascination que l'esprit ignorant avait pour toute manifestation qu'il percevait. Nous nous libérons ainsi de tout ce qui, ensuite, génère les tendances à saisir, rejeter, posséder, à vouloir nous battre pour ceci et détruire cela. Tout ce qui est de l'ordre de la tension, de la souffrance et de l'accumulation karmique se défait naturellement, se libère sans efforts, sans considérer que le voile de l'ignorance a une réalité quelconque. L'approche ordinaire, dans un premier temps, considère que les voiles ont une réalité et qu'il faut travailler à s'en débarrasser. Plus nous avançons, plus l'esprit se reconnaît finalement, plus nous nous apercevons que ces voiles ne sont que son propre jeu, sa propre production et, quand il les regarde, il voit aussi l'essence vide, la nature claire et lumineuse. Les voiles ne sont alors plus perçus comme des voiles en nous-mêmes mais, à l'égal de tous les autres phénomènes, comme la propre production de l'esprit qui, dans cette vision, se libère. C'est donc la libération spontanée de l'esprit au travers du mahamoudra par la reconnaissance de la nature lumineuse de l'esprit.

 

La même chose a lieu à travers l'expérience de félicité. Lorsque l'esprit se pose en lui-même, il reconnaît la saveur unique de I tous les phénomènes. Il n'y a donc pas de préférence pour ceci ou de rejet pour i cela, mais une équanimité dans la perception des phénomènes, la félicité s'élevant de cette perception. Elle naît de la sagesse qui se reconnaît en elle-même. C'est la Félicité avec une majuscule, plus profonde que celle que tous les objets de satisfaction pourront jamais nous apporter. Toutes les fascinations, tous les désirs, toutes les envies que l'esprit ordinaire expérimente parce qu'il ne se reconnaît pas à travers ces objets de désir disparaissent naturellement sans qu'il faille se battre contre eux comme étant des objets créant des difficultés ou des phénomènes qui sont des voiles. C'est comme si la nature fantomatique de ces objets de désir ou de ces attachements devenait évidente et que, voyant à travers eux par l'œil de sagesse, il ne soit même plus nécessaire de se battre contre eux. C'est vraiment l'aboutissement d'un chemin de maturation, de transformation où nous avons effectivement considéré les voiles et les tendances comme des problèmes, où nous avons essayé d'y porter remède et où, chemin faisant, nous avons découvert la réalité de l'esprit. Nous l'avons découverte en regardant l'esprit lui-même et aussi en regardant les phénomènes produits par cet esprit. Là, il y a un chemin naturel, spontané, sans efforts, où l'esprit se pose en lui-même, observe toute chose et, par cette observation directe, se détache, se défait sans avoir à produire d'efforts, sans concevoir même que ce dont il se détache est un phénomène ayant une réalité concrète. Il se défait de tous ses voiles, de toutes ses tendances, de toute ignorance pour se reconnaître lui-même, pour se reposer dans cette sagesse du dharmakaya, du mode d'être ultime. C'est la voie du mahamoudra.

Lorsque nous allons pratiquer, utilisant une divinité de méditation, nous travaillerons progressivement à stabiliser l'esprit et à le pacifier grâce à samatha. Ensuite, peu à peu, nous commencerons à voir la nature de cet esprit, son essence. C'est le travail de vipasyana, la vision pénétrante, celle qui voit en profondeur la réalité, l'essence et la nature de l'esprit. Progressivement, nous déboucherons sur la sagesse du mahamoudra qui sera une purification des voiles et la purification même de l'idée qu'il y a un voile. Ce travail-là ne sera plus un travail, ce sera une non-méditation puisqu'il n'y a pas d'objet, pas de sujet, pas d'opération qui se fasse entre ces deux polarités. Il y a simplement l'esprit qui se reconnaît en lui-même, qui se repose dans cette vision et qui, dans cette détente, enfin se libère.

 

Cette réalisation de l'esprit en lui-même n'est pas un objet de savoir. Ce n'est pas un objet de connaissance. Nous ne pouvons pas la comprendre. Elle est exprimée ici en mots de façon à diriger notre recherche, de façon à donner une sorte d'impulsion à notre méditation, mais en fait noUs ne pouvons pas recouvrir cette réalité parce que, quand l'esprit se connaît, il n'y a plus d'objet de connaissance puisqu'il s'agit d'une perception non duelle. Il faut bien étudier cette manière de voir les choses et c'est le but de l'étude; il faut réfléchir de façon à acquérir une certaine connaissance, une certitude qui nous conduira à la fine pointe de la connaissance qu'est l'intime conviction. Nous sommes intimement convaincus de la justesse de cette vision et de cette réalisation qui sera le fruit de la méditation. Ensuite, il faudra s'asseoir et laisser l'esprit se poser en lui-même, l'observer et transformer cette intime conviction en réalisation. Cette réalisation est évidemment une profonde bénédiction mais, en même temps, elle est indicible, ineffable, inconcevable, nous ne pouvons pas en parler, ni rien en dire. Elle est du domaine de l'intime. C'est une expérience propre à l'esprit qui se reconnaît en lui-même. Il nous est impossible de la mettre en mots, de l'exprimer d'une façon ou d'une autre, ou même de la concevoir puisque, lorsque nous concevons, pensons, analysons et nous exprimons, nous nous plaçons dans le système d'une logique duelle où un sujet observe un objet.

 

Même si nous venons de décrire cet état de réalisation, la véritable nature de cette réalisation nous sera personnelle, propre et, dans cet état, il y aura une certitude et une confiance. S'il y a des doutes, c'est que nous ne sommes peut-être pas établis dans cette réalité, il faut donc continuer à méditer, à observer l'esprit jusqu'à ce qu'apparaisse cette certitude, qui est une certitude panoramique, s'ouvrant sans limites, où l'esprit se repose, où il est certain de sa réalité, sans aucun doute, mais sans pouvoir en même temps l'exprimer d'une façon ou d'une autre.

 

Nous avons expliqué la voie progressive vers la réalisation de la nature de l'esprit, en décrivant le refuge, le développement de l'esprit de l'éveil, l'attitude juste à adopter dans l'action, l'accumulation de mérite nécessaire, ainsi que le temps de travail de purification, la transformation de notre vision du monde, de notre esprit et de nous-mêmes. Arrivés au terme de ce travail et s'il a été accompli correctement, l'esprit enfin peut, libéré de toute fascination, se reposer en lui-même, et il se repose naturellement en lui-même dans son essence la plus profonde qui est d'être ouvert, dépourvu de toute réalité, de toute matérialité, essentiellement vide et en même temps lumineux, doué de toutes les qualités, connaissance, compassion, etc.

 

Cet établissement de l'esprit en lui-même est on ne peut plus simple, donc indéfinissable, puisque c'est l'esprit qui se pose en lui-même. Il n'y a pas grand chose à ajouter à cela, si ce n'est: suivons ce chemin pour arriver à ce moment où l'esprit enfin, dans sa simplicité, pourra se reconnaître et s'établir dans cette vision de lui-même, en lui-même, qu'on peut éventuellement essayer de décrire mais que, de toute façon, l'intellection, le discours et la réflexion ne pourront jamais cerner. Seule l'expérience personnelle et directe nous apportera cette certitude. Cet établissement est totalement spontané, naturel, il n'y a pas de contrainte, pas d'obligation. L'esprit ne se force pas à faire ceci ou cela, il ne rejette rien, il est simplement en lui-même, quel que soit son état, en mouvement ou stable, il est en permanence posé en lui-même de façon très naturelle. Voilà tout ce qu'il y a à dire à propos de l'esprit.

 

Nous, nous avons besoin de beaucoup de confirmations, d'énormément de traités qui expliquent le pourquoi et le comment. Il nous faut entendre beaucoup d'enseignements pour arriver à avoir une sorte de confiance simple à propos de la nature de l'esprit et être sûrs que le chemin exposé là, s'il est suivi naturellement et très simplement, conduit indubitablement à cet état de réalisation de la nature de l'esprit. Mais il nous faut encore davantage d'explications, davantage d'assurances avant de faire un seul pas sur la voie de la nature de l'esprit, avant d'être bien persuadés que le travail que nous allons fournir est sûr, qu'il est garanti et qu'il sera couronné de succès, montrant donc que notre investissement est valable. Cet état de doute permanent, ce manque de confiance dans l'enseignement et dans l'enseignant qui indique cette réalité, est notre principal travers et notre obstacle primordial, parce que ce doute induit la complexité et nous oblige à chercher toujours plus d'explications et de confirmations, alors que la réalisation de la nature de l'esprit réside dans la simplicité et la relation directe que l'esprit entretient avec lui-même, sans artifice, sans recherche, sans calcul, sans réflexion, sans rien de très élaboré.

 

Travaillons sur ce qui est essentiel, c'est-à-dire sur la confiance; on revient là au début, à la prise de refuge, à la confiance dans l'enseignement et dans l'enseignant. Suivons les indications de mise en application qui sont données et, à mesure qu'on les suivra de façon confiante et très pragmatique, l’esprit se posera et plus il se posera, plus nous découvrirons la justesse du dharma, la justesse des conseils des amis spirituels, plus notre confiance et notre certitude se développeront et plus nous pourrons nous établir dans la simplicité. Il y aura une sorte de croissance de la simplicité, une diminution de la complexité de notre pensée, de nos intentions et de nos réflexions. C'est cette qualité, cette confiance, cette simplicité confiante qu'il faut trouver, et elles ne se trouvent pas dans beaucoup d'étude et de réflexion.

 

Dans cet établissement naturel de l'esprit, toute forme d'artificialité doit être progressivement abandonnée. Elle tombera naturellement: les doutes, la tendance à vouloir améliorer, à considérer que l'enseignement n’est pas suffisant, que peut-être nous pourrions trouver quelque chose de plus profond, que peut-être nous pourrions nous concentrer davantage sur ceci ou sur cela, sur la clarté plutôt que sur la félicité, c'est-à-dire toutes les erreurs qui sont finalement des désirs de l'ego doivent peu à peu disparaître. La méthode qui nous permettra de les faire tomber, c1est simplement la confiance, confiance dans l'enseignement tel qu'il nous est donné, de façon directe et naturelle, confiance dans l'introduction à la nature de l'esprit donnée par le maître. Prenant cet enseignement tel qu'il est, sans chercher à l'améliorer, sans chercher à sélectionner à l'intérieur ce qui nous paraît le plus intéressant ou ce que nous serions enclins naturellement à vouloir développer, nous suivons cette instruction, nous l'appliquons, et l'esprit va alors s'établir sur la base de cette confiance, d'une façon très naturelle, sans qu1aucune trace d'artificialité ne vienne polluer cette simplicité.

 

Tout ce qui a été indiqué est l'approfondissement du sens du refuge. Soit nous avons confiance et nous prenons refuge, nous en remettant avec confiance au but et aux moyens, à l'enseignant, l'ami spirituel qui confère ces instructions essentielles sur la nature de l'esprit et nous nous contentons simplement de suivre ces moyens qui sont très simples. Soit nous considérons, par manque de confiance, parce que nous n'avons pas développé le sens du refuge, que nous pouvons peut-être améliorer les choses ou que des choses à l'intérieur de ce message sont plus importantes à développer. A ce moment-là, le message, l'introduction à la nature de l'esprit, est souillé et totalement recouvert par nos envies, nos désirs, nos sélections, qui détruisent cet enseignement pur et en même temps très subtil, donc très fragile. En fait, nous ne rencontrons pas le maître, ou son enseignement, et ce qui nous reste, c1est notre idée à propos de l'enseignement et donc notre défi personnel, nos envies égocentrées personnelles. Nous pensons: « il me faut accumuler beaucoup de savoir. La sagesse, la réalisation de la nature de l'esprit, vient à travers l'étude forcée, je dois tout savoir, tout lire, tout connaître", parce que nous avons envie d'être quelqu'un qui sait tout, qui peut parler, qui peut prendre la parole et la garder. Il s'agit d'un intérêt personnel.

 

A l'inverse, nous nous disons: « Il faut que j'élimine de mon esprit toute pensée, il faut que j'évacue tous les mouvements car ils me dérangent et dérangent ma réalisation de la nature de l'esprit." Nous essayons alors de bloquer toutes les pensées. Cela s'accompagne d'une attitude physique: le corps en quelque sorte se recroqueville autour de la partie centrale du buste qui est le siège de l'esprit et des pensées, il se referme tout autour, de façon à bloquer, presque physiquement, le mouvement des pensées. A nouveau, c'est un désir ; nous avons une idée à propos de la méditation qui s'est nourrie des instructions essentielles et les a piratées, qui a volé dans les instructions essentielles une sorte de confirmation de nos désirs propres et qui essaye de les accomplir. Ou alors, il s'agit de quelqu'un qui pense que c'est à travers une sorte de discipline martiale qu'il réalisera la nature de l'esprit, donc il est raide comme un piquet, avec toutes les énergies totalement tendues à l'intérieur du corps qui se regroupent dans la tête, et on voit très bien dans son langage corporel que cette personne est arrêtée sur une idée. Ces aspirants méditants essayent de maintenir un état qu'ils considèrent être la méditation parce qu'ils n'ont pas été capables d'ouvrir leur cœur et leurs oreilles à l'enseignement; ils manquent de confiance. Faute de certitude et d'abandon confiant, tous leurs efforts consistent à maintenir un état artificiel qui est leur idée de la méditation, qu'ils ont piochée dans l'enseignement en le dénigrant d'une façon finalement très subtile, et leurs efforts sont vains.

 

('est de la fatigue pour rien parce que nous maintenons une idée, un concept. C'est ce que nous faisons déjà toute la journée. Nous essayons de nous battre pour notre point de vue et d'affirmer notre vision des choses. Il n'y a pas de détente, il n'y a pas d'abandon, il n'y a pas de relâchement de la saisie de l'ego; il y a donc énormément de tension et de fatigue, l'esprit ne peut pas se reposer en lui-même, il ne peut pas se voir, il est occupé à regarder ses idées et à jouer avec, fasciné par elles. Puisqu'il ne peut pas se reposer et se voir, il ne peut pas réaliser sa propre nature. Tous ses efforts sont vains, forcément. La clé de la réalisation de la nature de l'esprit est la capacité à s'en remettre totalement au maître, c'est la voie de la confiance et de la dévotion qui fait que nous acceptons l'enseignement très humblement, que nous l'appliquons dès qu'il est donné, sans essayer de l'améliorer ni de sélectionner les parties intéressantes au détriment des parties jugées inintéressantes.

 

Toutes ces déviations dans l'approche de la nature de l'esprit sont perceptibles dans l'acte méditatif lui-même, dans la position du corps, dans son langage et celui de ses énergies. Il existe de nombreuses catégories. Il y a ceux qui essayent de trouver la vacuité de l'esprit et, dans cette famille-là, on trouve deux catégories. Il y a d'abord la vacuité matérialiste. Ce sont les personnes qui regardent vers l'extérieur, qui en quelque sorte font des bulles vides et les observent, en disant: "Ah, c'est ça le vide" ; elles sont totalement tournées vers l'extérieur, dans une sorte de contemplation d'une bulle vide, avec la réflexion intérieure que c'est ça le vide, que c'est merveilleux, que tout est clair et vide. En fait, c'est simplement une réflexion. Elles pourraient être en train de penser à tout à fait autre chose, cela aurait exactement la même valeur. Ensuite, il y a la vacuité nihiliste qui, elle, est une sorte de suppression forcenée de tout ce qui pourrait apparaître, une sorte de gommage: "Tout est vide, il n'y a rien. Donc, dehors, il n'y a rien, dedans, il n'y a rien, moi-même qui déclare qu'il n'y a rien, je ne suis pas là pour le déclarer." C'est une sorte de suppression quasi illisible où nous nous interdisons toute chose en essayant d'effacer et d'annihiler toute forme de manifestation. Lorsque ces personnes arrivent à cette espèce de gommage final où, peut-être, dans un effort désespéré, le dernier trait disparaît, il y a alors une grande explosion de joie: "J'ai gagné, j'ai trouvé, je suis vide." Ne projetons pas à l'extérieur une idée de la méditation, ne contemplons pas cette idée en pensant que c'est la réalisation de la nature de l'esprit. Non, c'est une observation, une sorte de plaisir pris en jouant avec les concepts et les idées; nous sommes satisfaits de cette vision, de cette réalisation, croyant avoir enfin atteint le niveau et compris ce que veulent dire clarté et vacuité. Nous sommes heureux d'avoir finalement une belle idée. Mais ce n'est pas de la méditation. 

La méditation artificielle est la méditation qui consiste à voir toujours deux personnes: le méditant et celui qui l'observe méditer et fait les commentaires. Disons qu'il y a le méditant et le commentateur. Nous méditons et pensons: "Ca y est, je suis paisible, je suis stabilisé, mon esprit se repose en lui-même." Dans cet instant, puisque l'esprit est occupé à juger sa stabilité, qui n'est donc pas stable puisqu'il s'emploie à qualifier sa méditation de bonne ou mauvaise, il n'est pas dans l'établissement naturel de lui-même en lui-même. Il est occupé à analyser, à discriminer, ce qu'il fait d'ordinaire. Donc, rien n'a changé. Ou bien il se dit: "Je sais, maintenant j'ai compris, c'est ça la méditation; j'ai vu enfin ce qu'est la nature de l'esprit." Cela peut être même dit d'une façon plus simple.

" Ah, c'est ça, ah oui, d'accord, j'ai compris." Déclarer cela, c'est bien la preuve que nous n'avons pas compris parce que, lorsque l'esprit se regarde, le penseur se reconnaît dans ce qu'il regarde. La pensée qui fait que le penseur se reconnaît dans ce qu'il observe, c'est l'auto-connaissance de l'esprit. Dans cet instant, il n'y a plus de différence entre le sujet et son objet. Donc, en fait, il n'y a plus personne pour qualifier une action, pour faire une observation quelconque. Il n'y a qu'une conscience, une sagesse, qui se reconnaît comme vide, comme l'espace, sans limite, sans centre ni périphérie, sans sujet ni objet, libérée de cette dualité; l'esprit se pose en lui-même et il est ouverture, vacuité et auto-connaissance. Là, il n'y a pas de déclaration mais une simple établissement dans cette auto-connaissance qui est non duelle, non sue. La méditation dans laquelle il n'y a pas de définition ou de déclaration, de "je sais", est effectivement la méditation, mais puisqu'il n'y a pas de sujet méditant sur une méditation, il n'y a pas de méditation. Nous ne pouvons donc même pas qualifier cette méditation de méditation. C'est une non-méditation. Une méditation qui s'observe et qui se qualifie n'est pas une méditation. Une méditation où le sujet regarde l'objet et déclare: "c'est la méditation" n'a rien à voir avec l'établissement naturel de l'esprit en lui-même lorsqu'il se connaît par lui-même en lui-même comme étant essentiellement vide et dont la nature est cette connaissance, savoir qui n'est pas référentiel, qui n'est pas projeté ou appliqué à un objet.

 

Les pensées

 

Face à cette complexité et au problème, évident qui vient de ces considérations et pensées, le réflexe est de se dire: "Evacuons le problème, je vais être le I grand méditant, celui qui nia plus de pensées. Je vais donc interdire toutes les  pensées dans mon esprit. Je vais les bannir, les supprimer à la racine dès qu'elles ! s'élèvent, les interdire." Nous faisons beaucoup d'efforts, c'est une immense : tâche, nous créons un "pousse pensées": une grosse pensée essaye de supprimer toutes les autres, essaye de les interdire et de les bloquer. Nous pouvons avec effort arriver à une espèce d'état dans lequel, dès qu'une pensée surgit, nous la supprimons, à une sorte de dictature de l'esprit qui interdit toute chose. Mais c'est extrêmement épuisant et cela peut conduire à des états très dangereux pour la stabilité mentale. Ce n'est certainement pas l'objectif non plus. Si nous pensons que la méditation suprême serait de nous débarrasser de toutes pensées, inclinons-nous devant cette table, elle n'en a jamais eu. Cette table est, selon ce critère, le parfait méditant. Jamais une seule pensée n'a traversé ce bois. Il est évident que ce n'est pas cela. Il faut comprendre que les pensées, les perceptions qui s'élèvent dans l'esprit, ne sont pas à rejeter. Elles représentent le mouvement naturel de l'esprit. Elles sont le dynamisme propre de l'esprit. Il ne s'agit donc pas de les supprimer, il s'agit de ne pas entretenir un schéma discursif dans l'esprit : lorsqu'une perception arrive, elle est catégorisée en "j'aime", "j'aime pas", "c'est bien". Nous induisons un train de pensées et de considérations et, à leur suite, des actes vont s'enchaîner.

 

Qu'il y ait une perception, c'est une chose, qu'il y ait une série de débats et de prises de décisions à la suite de cette perception, cela devient un problème. La pensée s'élève, l'esprit qui se regarde en lui-même, parce qu'il est posé en lui-même, voit cette pensée non pas comme une occasion de faire quelque chose et de s'occuper, mais simplement comme un mouvement de lui-même, il se retrouve à travers de ce mouvement, se reconnaît et donc se repose à nouveau. La pensée n'a pas été un problème. C'est l'enchaînement qui en est un. Ne rejetons pas les pensées, mais soyons fermes quant au schéma discursif, quant à l'enchaînement qui se fait naturellement lorsqu'une première perception, une première pensée, un premier mouvement s'élève dans l'esprit.

 

A ce sujet, Gampopa, principal disciple de Milarépa, disait: "De nos jours, les méditants pensent que la vraie méditation, c'est se débarrasser des pensées, interdire les pensées, ne plus avoir de pensées. C'est une erreur parce que les pensées, pour un esprit qui n'est pas sous l'emprise de leur fascination et qui sait les regarder justement, sont une chance puisque chaque pensée permet de voir la clarté de l'esprit, sa nature créative, dynamique, et en même temps son essence vide." Les pensées sont très bonnes, dans le sens où elles sont généreuses. Les pensées sont comme des maîtres. Il faut les accueillir avec gratitude et ne pas les rejeter. Il ne faut pas être fasciné et les suivre dans le processus discursif, mais il faut considérer que chaque pensée est une occasion pour l'esprit de se voir, une sorte d'indication de l'esprit à l'esprit quant à sa nature propre créative, lumineuse et à son essence vide. C'est grâce aux pensées que l'esprit v, peut-être arriver à se réaliser, à se comprendre en lui-même par lui-même. Donc lorsque l'esprit est stable, lorsqu'il s'est défait du travail de la fascination, plus i y a de pensées, mieux c'est. Comme dans un feu, plus il y a de bûches, plus I feu est grand. Plus il y aura de pensées, plus le feu de la sagesse s'élèvera. , chaque pensée, il y aura une vision de la nature et de l'essence de l'esprit. Les pensées sont une immense chance, et croire que, si nous restons dans une méditation dépourvue de pensées, si nous interdisons toute pensé, nous réaliserons  la nature de l'esprit, c'est comme espérer voir le soleil en restant pendant des dizaines d'années au fond d'une grotte. Nous restons dans l'obscurité en espérant voir le soleil, et nous demeurons dans un état qui interdit les pensées en espérant voir la nature de l'esprit.

 

Les pensées sont très précieuses parce que, pour l'esprit qui s'est libéré de la fascination à leur propos, elles sont autant d'occasions de réaliser la nature et l'essence de cet esprit. Dans la session du gourou yoga des Pratiques Préliminaires, on dit que les pensées indiquent le mode d'être ultime, le dharmakaya, la réalité ultime de l'esprit. Elles s'élèvent bien que n'étant rien, c'est-à-dire vides essentiellement, mais, bien que n'étant rien, elles indiquent la réalité claire et lumineuse de l'esprit. Dans cette citation des Préliminaires est donnée une indication de la réalité de l'esprit qui est essentiellement vide, mais, bien que vide, créatif, bien que vide, lumineux et doué de toutes les qualités, et ces qualités s'élèvent sans être pour autant différentes, dissociées de cette nature essentiellement vide. C'est donc une sorte de terrain, un substrat d'où s'élèvent la créativité de l'esprit, la luminosité de l'esprit, mais à aucun moment ces pensées n'ont été essentiellement différentes du mode d'être ultime, de la nature ultime de l'esprit. Il est impossible de dire qu'il y a d'un côté l'essence du vide de l'esprit et de l'autre quelque chose qui serait des pensées que nous pourrions ranger dans des catégories pures et parfaites, ou impures et dérangeantes. Nous aurions donc à opérer un traitement sur ces pensées: garder celles qui sont pures et parfaites en leur donnant une vraie vérité, et rejeter celles qui sont dérangeantes. Ca, c'est une saisie, un attachement à une idée de matérialité. C'est faire abstraction de l'essence vide de toute pensée. Quand nous regardons du point de vue de l'essence, nous voyons que tous les mouvements des pensées, qu'ils soient catégorisés purs ou impurs, participent de cette essence vide et ont donc cette saveur unique, et que, même au niveau de la clarté, c'est la créativité de l'esprit vide qui se manifeste. L'esprit, non fasciné, regarde cette créativité, cette clarté de l'esprit et la voit. Il ne voit pas la forme de cette créativité qui discrimine entre "c'est bien" et "ce n'est pas bien", mais chaque pensée devient une occasion de voir la nature lumineuse et l'essence vide de l'esprit. Ce sera une chance pour l'esprit de se reconnaître. Ainsi, les pensées doivent être accueillies non seulement avec bienveillance mais en même temps avec gratitude. Il  n’est pas question bien évidemment de les rejeter parce que, de toute façon, il y aura davantage de pensées, puisque vouloir les rejeter crée forcément un retour, une sorte de rebond et donc une agitation. Il n'est pas conseillé non plus de les entretenir, de dire: "c'est bien, ceci doit être gardé" ou "ceci doit être rejeté". Aucune opération n'est nécessaire à propos de ces pensées, simplement ce regard direct et, lorsqu'il y a ce regard direct de l'esprit vers lui-même sur la pensée et que l'esprit, voyant le mouvement, voit sa nature de clarté, que, passant à travers de cette forme, il voit son essence de substrat qui est au fond son essence de vacuité, dans cet instant, la pensée est libérée. Ce n'est plus une pensée puisque l'esprit ne la considère plus comme une pensée ou comme un objet différent de lui-même, mais c'est une sorte de reflet de l'esprit qui se voit lui-même dans cette pensée. L'esprit s'est vu en lui-même grâce à cette pensée. Donc celle-ci, qu'on appelle pensée, c'est-à-dire qui peut générer un trouble, qu'on a envie de supprimer ou qu'on souhaite maintenir, cette idée de la pensée est libérée. C'est ce qu'on appelle l'avènement et la libération simultanée des pensées.

 

Cela s'applique aussi aux émotions. Lorsqu'il y a un substrat dans le terrain de l'esprit vide mais dynamique, lorsqu'il y a un mouvement de stimulation, il y a avènement d'une pensée. Soit nous la suivons dans un schéma discursif, soit nous voulons la supprimer. Ces deux tendances sont erronées. L'optique de la méditation propose, dans cet instant, que l'esprit regarde cette pensée, qu'il se reconnaisse en elle, qu'il voie sa nature lumineuse, créative, et qu'à travers ce mouvement lumineux et créatif, il voie son essence vide, qu'il ait cette vision non duelle, cette auto-connaissance et là, la pensée est libérée. A chaque fois que, dans une stimulation de l'esprit, une pensée s'élève, il y a une réponse de ce type, une observation de l'esprit par lui-même, en lui-même, une libération de ce qui aurait pu être un train de pensées, une libération de ce qui aurait pu être la graine d'un état émotionnel, sans parler, plus en aval, du karma, des actes et des émotions. C'est ce qu'on appelle, dans la méditation, l'enseignement du mahamoudra, l'avènement et la libération simultanée des pensées par le regard direct de l'esprit en lui-même par lui-même sur cette pensée qu'il reconnaît comme sa propre production.

 

Les émotions, mouvement de l'esprit

 

Cette vision qui s'applique aux pensées peut évidemment s'appliquer aux émotions perturbatrices qui viennent envahir notre esprit et ne sont finalement que le mouvement de l'esprit. Elles prennent de l'ampleur et viennent influencer nos réflexions, nos paroles et nos actes. Ce regard direct posé au cours de la méditation et ensuite, plus largement, dans l'action avec l'habitude et la maîtrise de la nature lumineuse et de l'essence vide des pensées, nous pouvons également le porter sur les émotions lorsqu'elles s'élèvent au cœur de l'esprit.

Les trois grandes catégories d'émotions que sont la passion qui s'attache, la colère et la confusion ou stupidité doivent faire l'objet d'une observation qui permettra, d'une part, de reconnaître la nature de l'esprit et son essence vide et, d'autre part, de 1ibérer l'esprit de ces émotions perturbatrices. Lorsque nous regardons la pensée, elle s'élève et, à ce moment là, s'opère naturellement la libération de cette pensée; ce processus d'avènement et de libération peut de même s'appliquer aux émotions. Lorsque l'émotion s'élève, si l'esprit est vigilant, s'il a travaillé cette observation constante de lui-même par la méditation plutôt que d'être fasciné par l'émotion et de regarder sa forme, il en regarde le fond et y voit la nature claire, dynamique, créative de l'esprit et, plus profondément, il perçoit l'essence vide de l'esprit. Cette émotion n'est alors plus une difficulté, elle est devenue le support de la réalisation qu'est la nature de l'esprit. Elle est donc un vecteur de sagesse et, par conséquent, d'une façon naturelle, un vecteur de libération. Nous en venons au point où, plus il y a d'émotions, mieux c'est. Comme nous le déclarions précédemment, plus il y a de pensées, mieux c'est. C'est une attitude entièrement différente de celle exercée antérieurement où il fallait faire une sélection, rejeter des choses, saisir, etc. Maintenant, avec la maîtrise développée par ce travail de sélection entre ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, par l'accumulation de mérite et la purification, nous arrivons progressivement à faire pour toute chose, en toute circonstance, un retour à l'esprit. A chaque fois, celui-ci, quelle que soit la stimulation, que ce soit une pensée ou une émotion, naturellement, sans effort, sans contrainte, revient à lui-même et, plutôt que d'être emporté et fasciné par l'apparence ou la forme, est naturellement conduit, par une sorte d'habitude qui est le résultat de la méditation, à s'observer, à se regarder, à se découvrir et donc à se retrouver. Et puisqu'il se retrouve, il se repose dans cette conscience, il s'établit en lui-même, c'est à nouveau samatha, la stabilité, la pacification.

 

Les émotions sont finalement le résultat de l'ignorance puisque, s'il ne peut se reconnaître, l'esprit est prisonnier de la fascination, part dans l'enchaînement dont nous connaissons tous l'issue, est incapable de se libérer de cette émotion et doit donc faire des efforts, se battre, rejeter, saisir ce qu'il pense être juste ou agréable. Il est constamment épuisé par ce travail alors qu'il pourrait être beaucoup plus détendu, plus simplement posé en lui-même juste par ce travail d'observation et de lâcher prise. Au moment de l'avènement de la pensée ou de l'émotion, la vision de l'esprit, avec l'aide de cette situation, pensée ou émotion, le ramène à lui-même, il se libère et se réalise d'instant en instant grâce à l'habitude acquise à travers la méditation. Après, avec l'application dans tous les instants de la vie, dans tous les moments de conscience de notre existence, du processus avènement-libération, plus il y a de pensées, plus il y a d'émotions, mieux c'est, parce que nous nous libérons très rapidement de notre passif émotionnel, de notre passif karmique et de toutes les tendances habituelles qui nous habitent. Cela se fait en étant non seulement pleinement conscient, mais en voyant la nature et l'essence de l'esprit à travers ces mouvements, qu'ils soient émotionnels ou que ce soient de simples mouvements de l'esprit comme les pensées. Nous pouvons appliquer à toutes les perceptions la même vision, la même conscience; les émotions, les pensées, les perceptions sensorielles qui viennent apparemment de l'extérieur sont traitées de la même façon, et l'ensemble de la manifestation concourt à noUs faire réaliser la nature de l'esprit. L'esprit se retroUve en lui-même dans tOUS les aspects de la manifestation qu'il perçoit comme étant sa propre production.

 

La relation de maître à disciple

 

Cette relation est le déploiement de l'activité des bouddhas. Lorsqu'un être atteint l'éveil, son activité est naturellement tournée vers les autres, les qualités révélées au travers de l'éveil sont naturellement mises au service des autres. Un enseignant parfait n'a finalement aucun intérêt égoïste, aucun intérêt ordinaire oU profane, mais est motivé uniquement par le souci d'aider les êtres, de les conduire à une sorte de maturité, un développement qui sera pour eux la façon de se libérer du conditionnement et de la souffrance qui en résulte.

 

Le disciple, lui, doit être porté par une confiance totalement sincère et authentique dans les qualités de l'éveil et dans les moYens qui sont offerts pour réaliser cet état au travers du dharma. Le disciple va vers le maître dans un état d'ouverture et de confiance. Il fait la démarche de requérir l'enseignement parce qu'il pressent ou comprend que cet enseignement est la voie du bouddha-racine et que, dans cette voie de libération, il y a aussi la libération de tous les êtres. Il y a donc un acte de confiance, en même temps qu'un acte de générosité, à la base de la requête. C‘est parce que nous aurons confiance dans l'enseignement, dans le maître et l'exemple de vie qu'il propose, c'est parce que nous souhaitons profondément offrir l'énergie du corps, de la parole et de l'esprit au bien-être de tous les êtres que nous requérons l'enseignement. Une fois que nous avons reçu l'enseignement de ce maître authentique qui n'a pour but que d'aider l'aspirant à l'éveil, nous prenons en main cet enseignement et nous menons à son terme cette voie sans nous préoccuper de: "je suis épuisé, je suis fatigué, j'aimerais bien faire autre chose, pourquoi suis-je venu ici, qu'est-ce que j'y gagne~" ou "je vais enfin trouver quelque chose qui va me permettre de développer mes qualités, de m'affirmer, de me grandir", toutes intentions finalement égocentriques. Ainsi, de la part du maître, il y a ce souhait d'aider qui est l'expression naturelle de sa réalisation, de sa maîtrise de la nature de son esprit et, de la part du disciple, il y a à la fois confiance et générosité altruiste en même temps qu'une grande humilité: nous n'allons pas vers le maître pour essayer de tirer de lui quelque chose, pour essayer de profiter de cette source apparente de qualités et de développer des qualités propres dans une visée très égoïste. Quand nous avons vraiment cette aspiration de confiance et de générosité, le travail se fait sans difficulté, il n'y a pas de réticence. Au contraire, si c'est difficile et si nous avons du mal à progresser, c'est peut-être que notre motivation n'est pas juste et qu'il faut la reformuler, puis la corriger.

 

 

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