"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."

LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ

Revue "Tendrel"

Retrouvez sur cette page des enseignements parus dans la revue "Tendrel" éditée par Dhagpo Kagyu Ling jusqu'en 2002.

Se comprendre soi-même et s’ouvrir aux autres

Jigmé Rinpoché

Il y a de nombreuses façons d'aller à la rencontre de nous-mêmes et de découvrir qui nous sommes; dans le dharma, il y a aussi différents buts et différentes motivations.

 

Pour trouver le chemin qui sera le nôtre, la première étape nécessaire sera de fonder la compréhension de notre esprit sur l'enseignement du Bouddha afin d'avoir une vision claire de nous-mêmes et des autres. Pour relier cet enseignement avec ce que nous sommes et notre activité quotidienne, nous commençons par l'étude et la réflexion.

Notre projet est de vivre selon les règles du monde puis d'intégrer une vie spirituelle à travers une pratique concrète.

Pour cela il est nécessaire de savoir où nous en sommes, quelle direction nous devons prendre et quel est le fruit attendu sur cette voie. Une fois que nous sommes clairs sur notre situation, notre destination et le sens de ce projet, nous pouvons nous engager concrètement sur la voie spirituelle.

 

Le désir d'une vie spirituelle

 

S'il est un terme qu'il nous faut clarifier, c'est justement celui de "spiritualité". Il est clair que notre souhait est de suivre une voie spirituelle, mais chacun de nous a sa version de ce qu'est le chemin spirituel. Si nous y réf1échissons, nous sommes confrontés à quelque chose de très vaste et il peut en résulter de la confusion car il n'est pas facile de cerner une telle notion. La question qu'il est nécessaire de se poser est: "Pourquoi voudrais-je que ma vie soit spirituelle ?" La réponse va d'abord être individuelle, déduite de notre expérience passée et de notre situation actuelle. Cette situation est telle que si nous laissons l'ignorance en l'état, il n'y a pas de raison qu'elle s'arrête et que nous nous en libérions naturellement. Tant que l'esprit est dans l'ignorance, nous vivons une expérience de souffrance et d'insatisfaction et c'est ce qui va faire naître en nous le désir de sortir de cette ignorance. Nous pratiquons une voie spirituelle pour nous libérer de l'ignorance car nous voulons arrêter l'expérience de la souffrance. Voilà le but du chemin: "se libérer de l'ignorance pour dissiper la souffrance". Ensuite, d'autres interrogations s'élèvent: "que veut dire se libérer, et du reste, qu'est-ce que l'ignorance ?" Il est nécessaire de se poser ces questions car dès l'instant où nous aurons une vision d'ensemble de la voie, nous aurons des raisons justes de la parcourir. Sinon, nous restons sur une version personnelle de la spiritualité. Si on ne se libère pas de l'ignorance, on reste dans le samsara. Cela signifie que si nous espérons réaliser un but ordinaire, nous obtiendrons un bienfait immédiat, mais tôt ou tard, nous retournerons à notre situation d'origine. Quels que soient les buts ordinaires que nous souhaitons atteindre, nous n'avançons pas réellement et nous restons finalement dans la confusion. La pratique du dharma nous permet au contraire d'aller au-delà de ce cercle vicieux pour ne pas, à chaque fois, revenir à la case départ.

 

L'approche du dharma

 

Nous devons partir de nous-mêmes et de notre situation. Le problème, quand nous abordons le dharma, c'est que nous sommes en permanence en train de catégoriser et de ne voir qu'une partie, qu'un seul aspect des choses. Par exemple, quand nous voyons tel pratiquant heureux, nous apprécions le bouddhisme, par contre, si nous rencontrons un pratiquant déprimé qui 

délaisse sa pratique, notre impression n'est pas bonne. Nous approchons les choses uniquement à partir de certains aspects, à partir des apparences. Nous ne sommes pas très clairs car nos buts Sont toujours à court terme, temporaires et relatifs. Nous entendons parler de la compassion, de la sagesse et de la méditation et quand nous pratiquons, nous nous sentons un peu mieux, les problèmes se résolvent et nous sommes contents. Nous sommes heureux de pratiquer le dharma mais en même temps, nous n'en voyons pas les enjeux réels, de même que nous souhaitons être en bonne santé, mais nous mangeons n'importe quoi. Notre attention aux choses est occasionnelle : si nous voulions être vraiment stricts, vraiment cohérents avec ce que nous voulons, ce serait beaucoup plus difficile. Si nous ne comprenons pas le sens essentiel du dharma, nous allons apprécier le dharma mais nous n'allons pas vraiment nous y investir de façon juste et il n'en résultera rien. Dans un premier temps, il est donc nécessaire de nous observer au quotidien, de commencer à prendre conscience de nos actes, de nos paroles, de nos pensées et de la manière dont nous rentrons en relation avec les différentes situations. Demandons-nous ce que nous voulons faire de tout cela avant même de vouloir accomplir ou transformer quoi que ce soit. Essayons de voir comment nous fonctionnons à l'intérieur de nous-mêmes et quelles sont nos motivations réelles, ce qui nous permettra de trouver une réponse de l'intérieur. Si nous plaquons sur nos questions une réponse venant de l'extérieur, cela générera de la confusion.

 

Comprendre le sens du dharma

 

Nous sommes animés par de nombreuses tendances, ce qui fait s'élever en nous des questions. Lorsque nous lisons ou nous écoutons un enseignement, nous sommes d'accord avec les instructions, la vision et les méthodes proposées. Mais aurons-nous le temps de les mettre en pratique ? Peut-être que nous avons trop à faire ou peut-être nous en sentons-nous incapables ? Dans l'approche de l'enseignement, il y a toujours trois étapes: l'écoute de l'enseignement, la réflexion sur l'enseignement et la mise en pratique de la méditation. La deuxième phase, la réflexion, n'est pas facile. Au-delà du sens apparent et littéral qui est aisé à comprendre, il y a un sens profond dans le dharma qui est difficile à atteindre et à intégrer. Il est important de se demander, à la lumière du dharma, quelles causes Vont amener quelles circonstances. Si nous réfléchissons de cette façon, les doutes et les incertitudes Vont se dissiper progressivement. Pour induire ce processus de clarification sur nous- mêmes et sur ce que nous vivons, il est préférable de fréquenter la sangha, la communauté des pratiquants et des guides sur la voie. Cette communauté est essentielle parce qu'elle nous permet de communiquer, d'échanger, d'argumenter et d'éclairer notre expérience à partir de l'expérience des autres. Ainsi nous clarifions nos idées, notre vision des choses, et nous enrichissons notre compréhension.

La pratique du dharma, la mise en œuvre des enseignements, et la rencontre avec la sangha, cet échange avec les autres pratiquants, tout cela va nous amener à voir beaucoup plus clairement ce que nous sommes.

L'enseignement du Bouddha est là pour nous aider à nous comprendre nous-mêmes afin de mieux comprendre les autres. Mais si nous mettons l'enseignement en pratique sans vraiment faire le détour de la réflexion, nous allons rencontrer des difficultés pour trouver un sens véritable à cette démarche. Pour certains, le sens est compris directement et pour d'autres, il est nécessaire de réfléchir plus longuement. Cependant, il convient d'être attentifs car les approches plus élaborées intellectuellement peuvent avoir un attrait distrayant et être en fait une perte de temps. Du point de vue de la mise en œuvre concrète de l'enseignement, il est important d'aller à l'essentiel, et l'essentiel est simple.

Il ne faut pas confondre complication et profondeur, sophistication et profondeur. Parfois, les instructions nous paraissent trop simples, nous ne sommes pas vraiment attentifs, nous les oublions ou nous ne les mettrons pas en pratique. Pour que le dharma ait un sens pour nous, il faut toujours le comprendre par rapport à nous-mêmes et à notre propre expérience. Il est donc nécessaire de nous comprendre nous-mêmes. Souvent, nous perdons le sens à cause d'une forme de lassitude.

La première fois que nous écoutons le dharma, nous sommes étonnés, secoués même et nous sommes décidés à le mettre en œuvre. Puis nous réécoutons les enseignements et finalement, nous comprenons que c'est toujours la même chose qui est répétée. Ce sont toujours les mêmes instructions qui sont données et, progressivement, nous nous y habituons et nous oublions le sens réel de notre démarche. C'est pour cela que parfois nous commençons à chercher des approches plus sophistiquées car elles suscitent en nous un regain d'intérêt. Mais dans ce processus, nous perdons l'intérêt pour l'essentiel. Pour nous comprendre nous-mêmes, il ne s'agit pas d'obéir à des obligations et à des interdits mais plutôt de nous inspirer des grands lamas. Si nous lisons les biographies de ces lamas, nous comprenons qu'au début ils sont comme nous, ils ont écouté le dharma puis ils l'ont mis en pratique. Il est important de suivre leur exemple et de conserver ce souhait naturel de parcourir la même voie, car ces maîtres sont une source d'inspiration qui nous montre la voie juste.

 

 

Garder le sens du dharma

 

Parmi les enseignements, il yen a un à propos de la précieuse existence humaine. Nous avons une précieuse existence humaine: ce n'est pas une idée, c'est quelque chose de sérieux, d'essentiel même. Elle est précieuse dans le sens où nous avons, maintenant, la capacité et les circonstances pour aller à l'essentiel, pour accomplir ce qui est important dans cette vie. Lorsque le corps s'éteint, l'esprit continue son voyage et rien ne va arrêter l'esprit; par contre, les conditions favorables pour atteindre l'éveil durant ce voyage ne sont qu'occasionnelles. Une vie, cela ne dure pas si longtemps et le temps passe plus vite que nous le pensons. Cette vie-ci est importante, mais les vies suivantes le sont aussi. C'est une vue à plus long terme qui demande un peu de réflexion. Acceptons cette perspective plus vaste pour comprendre notre condition actuelle. Se préoccuper des vies suivantes peut paraître égoïste mais c'est en fait une démarche très pragmatique. C'est nous qui générons ce que nous vivrons après, c'est nous qui allons créer nos vies futures à partir de ce que nous sommes en train de faire et de la vision que nous développons maintenant. Soyons concrets et pragmatiques et voyons quelles sont nos peurs par rapport à l'avenir. Commençons par avoir de la compassion et de la bienveillance envers nous-mêmes. Prenant conscience de cela, notre vision va changer et nous allons agir autrement. Nous allons essayer d'utiliser ce que nous vivons maintenant de façon à être bienfaisants pour les autres et pour nous-mêmes. Nous allons faire de notre mieux pour éviter les actes qui engendrent de la souffrance et tout mettre en oeuvre pour dissiper la confusion. En d'autres termes, nous n'allons pas nous laisser piéger par l'ignorance et nous deviendrons de moins en moins dépendants du karma. Si nous allons au-delà des tendances dues au karma, notre action sera de plus en plus juste. Une action juste, dans le dharma, c'est une action qui prépare l'étape suivante. C'est une action qui n'est pas faite simplement pour elle-même, mais qui est faite dans la perspective de créer quelque chose de bénéfique pour nous et pour les autres. Avec cette compréhension-là, les complications que nous rencontrons au quotidien nous perturbent beaucoup moins. Etant moins perturbé, l'esprit est plus libre et plus disponible. Cette existence est précieuse dans le sens où nous avons le choix de la direction que nous voulons prendre. Ce choix va se faire sur la base de notre compréhension de ce qui est important. C'est pour cela que le point de départ de la pratique du dharma consiste à méditer sur la précieuse existence humaine, sinon nous restons dans une approche superficielle.

 

Approfondir le sens du dharma

 

Dans l'état intermédiaire, après le moment de la mort, l'expérience est complètement solitaire; nous sommes seuls, dans la confusion et il n 'y a personne pour nous aider. C'est pour cela que les grands maîtres du passé nous ont expliqué combien il est important de nous connaître nous-mêmes et d'appréhender le chemin par nous-mêmes. Nous serons toujours aussi seuls, mais c'est une solitude assumée qui nous permettra de continuer le chemin de façon moins confuse. Ensuite, si nous agissons négativement, nous générons des causes de souffrance: c'est un processus parfois difficile à percevoir. Même si nous sommes d'accord avec l'enseignement, nous ne sommes pas lucides au point d'être constamment conscients de ce qui se passe. Par exemple, les vaches sont malades et il faut faire attention à la viande que nous mangeons si nous ne voulons pas devenir malades nous aussi. Nous faisons bien le lien entre la maladie de la vache et la viande et nous pouvons décider d'arrêter d'en manger. Dans de telles circonstances, nous sommes lucides sur le lien entre la cause et l'effet. Cependant, alors que nous pensons qu'il faut faire attention à ne pas produire de karma négatif pour éviter de générer de la souffrance, nous n'arrêtons pas pour autant d'agir négativement car nous n'avons pas encore intégré le lien entre la cause et l'effet.

La seule façon d'intégrer la connexion entre ce que nous expérimentons et la cause créée antérieurement, est d'approfondir encore le sens de l'enseignement en y réfléchissant. De même, ce n'est pas facile de définir ce qu'est une action positive. Observant le type d'actions que nous exprimons à travers le corps, la parole et l'esprit, nous allons être de plus en plus sincères.

Le samsara n'est pas quelque chose d'extérieur à nous-mêmes, il est en nous. C'est nous qui le générons à travers nos actions et si nous ne sommes pas conscients de ce qu'est le cycle des existences, nous ne pourrons pas nous en libérer.

Nous pourrions utiliser le dharma pour aménager notre vie dans le samsara chaque fois que se présente une difficulté ou un problème, alors que si nous prenons conscience du type d'actions que nous accomplissons, nous devenons de plus en plus clairs, lucides et sincères sur nous-mêmes et nos choix. C'est ce qu'ont fait les grands bodhisattvas. Ils ont été conscients des effets de leurs actions et ont transformé leur attitude. Cette sincérité va nous amener à nous ouvrir aux autres. Conscients du fonctionnement du samsara, nous reconnaissons la situation de l'autre, comment est produite la souffrance de l'autre: la bienveillance s'élève naturellement et une attitude d'amour et de compassion prend place dans l'esprit. L'état d'esprit juste est fondé sur la compréhension de notre propre situation et elle se développe avec la vigilance. Si nous voulons nous libérer de la confusion, il est nécessaire de développer cette compréhension de nous-mêmes qui induit une réelle bienveillance, sinon nous allons tourner en rond dans le samsara.

 

 

Avec le développement de la compassion, il est beaucoup plus aisé de rencontrer nos émotions et de les utiliser sur le chemin. De plus, au-delà des émotions, la compassion nous permet de dissiper l'ignorance et de mieux comprendre sa nature. Par exemple, du point de vue de la valeur, il y a une différence entre l'humain et l'animal. Mais du point de vue de l'expérience personnelle, il n'y a pas de différence entre les deux: l'expérience de la souffrance est la même.

 

 

 

 

 

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