"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."
LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ
"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."
LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ
Retrouvez sur cette page des enseignements parus dans la revue "Tendrel" éditée par Dhagpo Kagyu Ling jusqu'en 2002.
Guendune Rinpoché
La vision intérieure
Nous avons un problème fondamental: notre vision est tournée vers l'extérieur, notre corps a des yeux qui regardent au dehors. C'est certainement l'expression de notre esprit qui a tendance à regarder à l'extérieur et jamais à l'intérieur. Tous les problèmes viennent de cette mauvaise direction de la vision, de l'attention et de l'analyse. On regarde à l'extérieur et on voit beaucoup de désagréments et de défauts, que l'on juge intérieurement. Le dharma propose d'inverser cette vision, de regarder vers l'intérieur, de voir ce qui se passe véritablement en notre esprit.
« Si on n'analyse pas ses illusions,
on peut agir à l'encontre du dharma, tout en ayant l'apparence d'un pratiquant.
C'est pourquoi, observer constamment ses défauts et s'en défaire,
C'est agir en bodhisattva. »
Thomé Zangpo
"Si, sans comprendre les actes que nous accomplissons, nous ne nous examinons pas, en apparence nous ressemblons à un pratiquant du dharma, mais en réalité nous agissons à l'encontre de celui-ci. Ceci est vrai pour beaucoup d'entre nous. C'est pourquoi il faut s'appliquer à ne pas se tromper soi-même en s'examinant, afin d'abandonner la conduite contraire au dharma. Telle est l'attitude du bodhisattva."
Thayé Dordjé
Quand on commence à regarder à l'intérieur, on est surpris de voir qu'il n'y a pas une action qui ne s'appuie sur les émotions, pas une action qui ne soit guidée par la saisie égocentrique, pas une action qui ne vise à me satisfaire, moi.
On s'aperçoit donc que notre esprit est empli d'émotions telles la jalousie, l'attachement, la colère, qui sont finalement inconscientes: nous n'en avons pas une claire vision, ce que nous voyons, c'est le résultat à l'extérieur, puisque notre regard est porté vers l'extérieur. Puisque notre esprit est empli de jalousie, on voit à travers le filtre de la jalousie.
Et que voit-on à l'extérieur ~ Un monde de jalousie. Et bien sûr, on se dit: "Les gens sont jaloux de moi, il m'envie pour telle ou telle chose." On ne se remet jamais en question, mais par contre on remet très souvent l'autre en question. Sur la base de cette jalousie, s'élève l'orgueil, étant donné que les autres sont jaloux de nous, puisque que nous sommes tellement fantastiques, ou que nous avons ceci ou cela. Nous sommes supérieurs et cette question de la suprématie du moi n'est jamais remise en question.
On regarde simplement l'autre et on projette sur lui ce qui est inconsciemment au plus profond de notre esprit et que l'on ignore totalement, parce qu'on ne regarde jamais à l'intérieur. L'autre est forcément jaloux, on est donc agacé par cette jalousie, qui n'est que le fruit de notre propre projection; et sur la base de cette projection que l'on opère vers l'extérieur, on développe de la colère, qui vient polluer notre esprit. Nous sommes sous l'emprise de la colère, mais nous ne voyons pas qu'elle est en notre esprit en premier lieu; par contre, nous la voyons chez l'autre, ce qui nous met encore plus en colère.
C'est un cercle vicieux qui fait que nos émotions entretiennent une relation conflictuelle avec l'autre; en retour, il y a davantage d'émotions et cet amoncellement de poisons se nourrit de lui-même. On ne peut interrompre ce cycle aussi longtemps qu'on ne regarde pas à l'intérieur de soi, et qu'on ne reconnaît pas que la faute est avant tout en soi-même. Tant qu'on est incapable d'avoir cette vision et d'accepter cette réalité, on ne peut pas se libérer de l'emprise des émotions et on ne peut donc pas se libérer de la souffrance qu'elles génèrent.
C'est justement parce qu'on est incapable d'avoir cette vision tournée vers l'intérieur que l'on campe sur ses positions. Nous pensons avoir raison en toutes circonstances, et nous ne remettons jamais cela en question. Nous avons la vérité, nous avons la supériorité, nous avons le bon goût, nous avons tout et les autres n'ont rien.
A partir de cette hypothèse, qui est plus qu'une hypothèse car pour nous elle est la vérité, on se relie à l'autre. Cette base est faussée dès le début et ne peut générer que des conflits et des émotions, puisque la relation à l'autre naît de notre projection d'émotions que nous ne pouvons voir en nousmêmes. Sur cette base de l'orgueil, de la certitude de notre bon droit, nous nous battons pour imposer ce bon droit puisqu'il est juste à nos yeux. On entre ainsi dans les conflits, dans les guerres, dans les jalousies.
Notre oeil est très vif et perçant pour voir les petits défauts ici et là, mais nous ne parvenons pas à réaliser que notre vision même est voilée. Nous voyons les choses au travers de filtres qui nous font voir la réalité comme nous la concevons, et non pas comme elle est.
Si l'on regarde à l'intérieur et que l'on commence à se remettre en question telle est la proposition fondamentale du dharma: se remettre en question, remettre en question la validité de l'ego, la fierté, l'orgueil, et voir si effectivement on a toujours raison - on s'aperçoit de plus en plus de la réalité de la situation, et il y a alors un moment de grand embarras, une sorte de gêne: on est embarrassé, parce qu'on s'aperçoit de ce que l'on est véritablement.
Il y a un malaise vis-à-vis de nous-mêmes, parce que nous nous rendons compte que c'est sur la base de nos émotions que nous pouvons percevoir chez les autres les défauts, les problèmes et les difficultés. C'est difficile à accepter, mais il faut avoir le courage de continuer l'investigation, de creuser encore plus profondément dans le courant de notre être, pour exposer la totalité des recoins de notre esprit et toutes les émotions qui peuvent s'y cacher.
C'est le seul moyen de se libérer de cet enchaînement qui se nourrit de lui-même et génère la souffrance. Il faut se regarder, et quand on se voit, on voit effectivement la présence d'émotions que l'on attribue aux autres. Et plus on analyse cette situation, plus on tourne la vivacité de son regard vers l'intérieur, plus on s'aperçoit de cette réalité des émotions en nous.
Et là, naturellement, l'orgueil qui était le support, le piédestal de toute l'activité conflictuelle, s'écroule, parce que la vision juste que l'on commence à développer à propos de soi-même détruit la forteresse de l'orgueil; la fierté tombe en morceaux et, à la suite, tous les fruits, la jalousie, l'attachement, la colère, l'envie, s'écroulent comme un château de cartes.
« En bref où que ce soit et en toute activité,
Etre conscient de son état d'esprit du moment,
Et accomplir le bien des autres avec une attention vigilante constante, C'est agir en bodhisattva. »
Thomé Zangpo
"Si l'on résume le sens de ce qui précède: quoi que l'on fasse avec le corps, la parole ou l'esprit, n'étant ni séparé de la vigilance qui permet de voir si notre état d'esprit est positif ou négation ni séparé de la conscience qui s'efforce à la vertu, on accomplit le bienfait des autres. Telle est l'attitude du bodhisattva."
Thayé Dordjé
On se rend compte que les autres avaient beaucoup plus de qualités qu'on ne pensait et qu'on avait soi-même beaucoup plus de problèmes à résoudre qu'on ne pensait. Ainsi, naturellement, la projection agressive, conflictuelle, vers l'extérieur, qui était notre lot quotidien, s'arrête; et puisqu'on n'entretient plus de situation conflictuelle, une certaine sérénité, une pacification s'installe dans notre esprit.
Le travail est à l'intérieur, nous travaillons donc avec nos émotions, mais nous ne sommes plus en conflit avec l'extérieur. Notre esprit se pacifie, chiwa, se stabilise, népa ; chiné, le calme mental, s'établit dans le courant de notre être. C'est très facile à faire, il n'y a pas de technique à développer, il ya simplement un regard à porter à l'intérieur.
La raison pour laquelle nous sommes aussi sûrs de notre supériorité et de notre bon droit, c'est que nous regardons vers l'extérieur et que nous n'avons jamais jeté ne serait-ce qu'un seul coup d'oeil dans notre esprit. Si l'on se remettait un seul instant en question et qu'on retournait sa vision pour une introspection profonde du courant de l'esprit, on verrait qu'on n'est pas aussi certain, aussi juste qu'on pensait l'être au premier abord.
Plus on fait cela, plus on se rend compte de l'abondance des émotions présentes dans notre esprit, plus on se rend compte que la source des problèmes est en nous-mêmes et que c'est là qu'il faut chercher à transformer les émotions, et non à l'extérieur. Plus on regarde en soimême, plus on voit le jeu des émotions, la manière souterraine, inconsciente et très subtile dont elles fonctionnent, la manière dont elles tissent un réseau de réactions qui nous emprisonnent complètement et que nous ne voyons pas, car notre regard est occupé à juger l'extérieur.
Si l'on considère que l'on a surtout des défauts, et qu'énormément de choses sont à changer en nous, c'est un excellent signe. Cette prise de conscience est une qualité première. Si par contre on considère que tout va bien et que nous pouvons faire le compte de nos qualités, finalement assez nombreuses, c'est le signe d'un défaut majeur qui est de ne pas regarder véritablement, profondément, ce qui est en nous.
Le monde est le miroir de nos sourires et de nos grimaces. S'il est rempli d'agression, c'est que notre esprit est rempli d'agression. S'il est rempli de sourires, c'est que notre esprit est rempli de sourires. Si le monde nous dit bonjour, c'est que nous sommes polis et que nous disons bonjour.
Il faut vraiment effectuer cette recherche, il faut vraiment se regarder dans les yeux, sinon nous allons continuellement scruter l'extérieur.
Le courant de notre esprit est pollué par les émotions. Il faut le nettoyer. Alors, on pourra vraiment aider les autres, on sera vraiment utile, on sera vraiment leur ami, car on se sera nettoyé soi-même.
Quand notre esprit est totalement nettoyé et qu'on ne projette plus aucune agression, aucune émotion, aucun attachement sur le monde, lorsqu'on a une relation d'altruisme, d'amour et de compassion avec ce monde, où pourrait rester la souffrance dans notre esprit r Où pourrait être l'agression r Notre esprit deviendra totalement pur, la relation avec les autres sera totalement pure; il n'y aura que transformation, qu'aide, qu'amour et compassion.
Notre existence, notre corps et l'expérience que nous faisons au travers du corps, de la parole et de l'esprit sont le résultat de tout ce que nous avons été ; ils sont le résultat de tous les actes, de toutes les paroles, de toutes les pensées que nous avons développés au cours d'innombrables existences. Notre existence présente est un agrégat de différentes choses: des vieiIles tendances, des vieilles habitudes compulsives qui nous emportent sur les mêmes chemins sans arrêt.
Ces vieilles tendances inscrites au plus profond de notre corps, de notre parole et de notre esprit régissent nos modes de réaction, et dans telle ou telle circonstance qui vient des causes et des conditions nées du karma, on réagit d'une façon habituelle, compulsive, sans même prêter attention, de façon instinctive. Nous créons ainsi à nouveau un acte, à nouveau du karma, un passif qui rendra plus complexe encore, dans les existences à venir, cet agrégat que forme notre corps, parole, esprit. Il faut bien comprendre cet état: ce que nous sommes est le résultat de ce que nous avons été, ce que nous faisons maintenant augure de l'avenir et de ce qui sera.
Il faut d'instant en instant, avec cette vision, avec cette connaissance, laisser s'élever toutes les expériences qui se produisent dans notre esprit ou dans notre vie sans les saisir, sans les attacher, sans se les approprier. Si le karma apporte des conflits, des émotions, etc. il faut simplement les voir comme un mouvement de l'esprit et les lâcher, les laisser se reposer; voir que les pensées naissent dans notre esprit sous l'impulsion de tel attachement, etc. laisser reposer à nouveau dans l'esprit ces mouvements de pensée qui s'élèvent, ne pas prêter le flanc à l'incitation qui naît dans l'esprit du fait des tendances habituelles, du fait du karma. Une sorte de poussée karmique s'élève dans notre esprit, et notre liberté est, dans cet instant, de la voir et de ne pas en être l'esclave, de ne pas réagir de la façon compulsive habituelle, en saisissant, comme on l'a toujours fait, cette poussée karmique. Il faut voir que c'est une graine karmique qui s'élève et que, si on la contemple et qu'on la lâche, cette graine karmique est libérée.
La méditation
Il y a une connaissance de l’esprit en lui-même par lui-même et le fruit de cette
connaissance est la certitude, certitude quant à la nature de l'esprit par lui-même, en lui-même. Dans cette certitude, une grande détente s'instaure, il n'est plus nécessaire de rechercher quoi que ce soit, toutes les questions ont trouvé une réponse, on peut donc se reposer. Aussi longtemps qu'on se demande: "est-ce bien cela, est-ce ce que j'y suis ?" on n'a pas cette certitude, donc cette vision de l'esprit en lui-même par lui-même ne s'est pas opérée, et il faut continuer à s'asseoir.
Dans ce flot de méditation, il y a la conscience et celui qui est conscient, il y a celui qui pense et la pensée. Progressivement, cette différence entre les deux s'atténue, parce que l'esprit perçoit le penseur comme étant son propre jeu. La pensée est aussi perçue par l'esprit comme son propre jeu, et la différence entre un acte, un objet et un sujet disparaît, s'évanouit dans la compréhension qu'il n'y a finalement aucune différence entre celui qui perçoit et la chose qui est perçue, parce que cela se passe dans la dimension de l'esprit.
C'est l'esprit qui produit toutes ces différentes facettes. Il y a donc une certitude dans cette vision, dans cette compréhension, et on s'établit progressivement dans un état naturel de l'esprit où il n'y a plus d'observation, plus d'observateur, plus rien qui regarde quelque chose; on pourrait presque dire qu'il y a une non observation, puisqu'il ya conscience - l'esprit se perçoit en lui-même par lui-même - mais sans qu'un sujet perçoive un objet extérieur à lui-même. C'est une sorte de non observation, une sorte de non conscience qui est la véritable prise de conscience, dépourvue de toute incertitude. Progressivement, cette différence entre le sujet et l'objet devient obsolète et disparaît du champ de l'esprit.
Il est bien évident que, dans un premier temps, il y a un processus d'étude et de réflexion, qui nous amène à comprendre cet état naturel de l'esprit. On utilise alors une réflexion relative, dans laquelle on analyse le sujet qui regarde l'objet et on essaye de comprendre qu'il n'y a pas de différence entre les deux.
C'est une sorte de travail artificiel qui doit, au travers de la méditation, nous mener à un état qui n'est pas ordinaire, qui n'est pas de l'ordre de la vision mondaine, profane, que l'on a d'un sujet vers un objet, et nous conduire progressivement à cette reconnaissance de l'esprit en lui-même, où tous les mouvements de l'esprit sont perçus par l'esprit en lui-même, et nous établir dans une certitude qui se situe au delà de toutes les réflexions profanes que l'on peut avoir ordinairement. Les choses se transforment et deviennent naturelles et spontanées.
On ne doit pas entretenir toutes les visions et les attitudes ordinaires que l'on peut développer dans un premier temps pour arriver à une méditation spontanée. Lorsqu'on arrive à cette méditation spontanée, il faut abandonner la vision ordinaire sujet/objet, la réflexion construite qui nous a conduit à cette méditation naturelle. Si l'on entretient cette réflexion ordinaire, la méditation naturelle ne peut pas prendre place, et il n'y a alors pas de mérite, pas de vertu profonde dans la méditation qui s'élève, parce que c'est à partir de cette méditation naturelle que la réalisation de la nature de l'esprit et la libération s'opèrent.
L'amour et la compassion
Quel est le coeur du dharma, quel est le coeur de cette pratique que l'on souhaite entreprendre ? C'est le développement de l'amour et de la compassion. Ils sont au coeur de toute exercice spirituel. L'amour est le souhait profond, ainsi que l'action, qui conduit au bonheur de tous les êtres.
C'est le souhait profond que tous les êtres aient le bonheur et les causes du bonheur, souhait qui sous-tend tous nos actes, toutes nos paroles, toutes nos pensées; tel est l'amour infini. La compassion infinie est la prise de conscience de la souffrance des êtres, et le souhait profond qu'ils soient libres de cette souffrance et qu'ils puissent comprendre ce qui la génère de façon à s'en libérer eux-mêmes.
« Par le pouvoir de la compassion, prendre sur nous tous les actes nuisibles, Même de celui qui, en dépit de notre innocence,
Nous tranche la tête,
C'est agir en bodhisattva. »
Thomé Zangpo
"Même sil n'ayant pas commis la moindre faute, fût-elle aussi petite qu'une graine de sésame, nous sommes condamné à être décapité par quelqu'un, il nous faut alors, par la force de la compassion, souhaiter qu'il n‘expérimente pas le fruit de cette négativité. »
Thayé Dordjé
Cette vision de la souffrance d'autrui génère l'infinie compassion dans le courant de notre esprit; cette prise de conscience nous motive à agir et soutient toutes nos actions.
Avec ces deux idées, l'amour et de la compassion, nous allons essayer de mettre en application tout ce qui est faisable, de façon à soulager le plus profondément et le plus largement possible tous les êtres, sans partialité.
Quelles que soient les difficultés que nous puissions rencontrer dans cette oeuvre, nous allons mettre totalement notre énergie de corps, parole, esprit au service des autres, passant au delà des difficultés, des obstacles, de la fatigue et de la douleur, de façon à les libérer totalement de cette souffrance. C'est donc la vision de leur douleur qui inspire notre action, et cet~e action est donc une action compassionnée.
Lorsqu'on approche cet état d'esprit de compassion, il faut veiller à ne pas le détourner. Certaines choses dans le dharma peuvent être récupérées par l'intérêt égoïste. L'amour et la compassion peuvent être détournés, tout comme la confiance, la foi ou la dévotion que l'on a envers le maître. Il faut être très vigilant parce qu'on a souvent le sentiment d'être quelqu'un d'aimant et de compassionné, alors que la portée de cet amour et de cette compassion est limitée à ceux que l'on apprécie.
Ce ne sont pas une véritable compassion et un véritable amour, mais une simple forme d'attachement. Cet attachement est très ordinaire ; il peut avoir l'aspect de l'amour authentique du bodhisattva, mais sa partialité le rend tout à fait ordinaire. Il est en fait au service de ce que l'on considère être juste et bon, c'est une forme d'attachement liée à notre discrimination.
La seconde chose qui peut être détournée, c'est la confiance dans le maître. Celle-ci aussi peut être récupérée par l'ego qui la transforme en attachement et en désir. Il ne faut pas confondre désir et dévotion, comme il ne faut pas confondre amour partiel et amour de bodhisattva.
Après avoir développé cette intention profonde d'amour et de compassion, il est nécessaire de la mettre en action. Le tibétain est clair à ce sujet, il dit: la prendre dans ses mains, c'est vraiment mettre en action! On s'efforce d'appliquer cette intention profonde - "puissent tous les êtres avoir le bonheur et les causes du bonheur" - dans notre action de tous les jours et dans notre pratique.
On le fait en adoptant un mode de vie qui en lui-même déjà ne nuit plus à quiconque, au travers du corps, de la parole et de l'esprit. On adopte une éthique formée à l'image de ce que le dharma enseigne. On apprend ce qui est juste et ce qui n'est pas juste, ce qui doit être accompli et ce qui doit être évité, ce qui en nous doit être développé et ce qui en nous doit être discipliné.
On commence à faire ce travail en soi-même, soutenu par l'idée qu'ainsi on crée effectivement des conditions de bonheur pour tous les êtres. Ensuite on essaye au travers de notre démarche personnelle, de notre pratique, de donner un exemple de vie et de partager cette réalisation, d'inspirer peut-être les autres à suivre cet exemple et à adopter cette éthique, afin de créer les causes du bonheur.
« Si toutes les mères qui nous ont aimé depuis des temps sans commencement Sont accablées de souffrance, à quoi sert d'être heureux?
Engendrer l'esprit d'éveil afin de libérer l'infinité des êtres,
C'est agir en bodhisattva. »
Thomé Zangpo
"A quoi bon obtenir un bonheur personnel, alors que tous les êtres, nos mères du passé qui nous ont chéri et protégé, sont dans la souffrance? Engendrer l'esprit d'éveil pour libérer du cycle des existences tous les êtres innombrables est une attitude du bodhisattva. "
Thayé Dordjé
On retrouve ainsi la deuxième partie de l'expression de l'amour infini: "puissent tous les êtres connaître les causes du bonheur." Il s'agit de leur montrer qu'une voie juste avec une action juste génère les causes du bonheur, qu'ainsi on crée le bonheur et on le développe en soi-même, et qu'on peut progressivement le faire partager à tous les êtres.
Cette action est soutenue par l'idée de l'amour, et la compassion fera de même; on essaye par notre action de ne plus nuire, donc de soulager en second lieu la souffrance de tous les êtres. Et on essaye aussi de faire qu'ils comprennent la cause de la souffrance et des actions négatives, le jeu de l'ignorance, afin que progressivement ils adoptent une éthique qui les libère de ces causes de souffrance.
Il faut veiller à ce que notre amour et comme dans l' application, soient totalement la tendance naturelle a dire: "J'aime certains êtres, j’aime ceux qui me sont proches ». Il ne faut pas supprimer cela, mais l’accroître et dépasser les limites de cette partialité que notre ego, notre propre discrimination, impose à notre activjté d'amour et de compassion.
Il faut dépasser ces limites en envisageant, dans un premier temps, ceux pour qui on a de l'indifférence, qui ne sont ni des amis ni des ennemis. On développe une sorte de sensibilité à la souffrance de l’autre et cette indifférence disparaît progressivement.
On considère ensuite ceux que généralement on essaye d'éviter et qu'on regarde comme des obstacles ou des ennemis, pour arriver à comprendre que ce sont eux qui ont le plus besoin de notre amour et de notre compassion. Non seulement il ne faut pas les exclure de notre activité compassionnée et de notre intention d'amour, mais au contraire il faut les privilégier.
Notre amour et notre compassion demeurent souvent des vues de l'esprit, parce que nous sommes incapables de nous ouvrir véritablement à la souffrance de l'autre, du fait que nous percevons tout de notre point de vue. C'est de notre position que nous considérons l'autre et c'est en fonction de ce que l'on ressent et pense que l'on évalue sa souffrance. Pour cette raison, une juste perception de la souffrance de l'autre nous est impossible, et par conséquent notre action d'amour et de compassion reste limitée à ce que nous estimons être juste.
Par exemple, les insectes sont très insignifiants pour nous. Puisqu'à nos yeux un insecte n'est rien, qu'est-ce que ce rien du tout peut ressentir ? Quels sont les états d'âme d'une fourmi ? Quelles sont la souffrance et les aspirations d’un insecte ? Puisqu'on juge depuis son propre point de vue, on considère que la souffrance de cet être insignifiant est quasi inexistante.
Si l'on arrivait à faire l'échange un instant, à se mettre en quelque sorte dans la peau de la fourmi, et à regarder l'univers non plus de notre point de vue mais de celui de la fourmi, notre perception de la souffrance et des aspirations de cette fourmi serait différente. On verrait que le monde est très inquiétant, avec des montagnes qui bougent autour de nous, et qu'il faut faire très attention car ces montagnes ont la fâcheuse habitude de nous écraser.
On verrait que ce monde est finalement un lieu de souffrance, où l'on est sans cesse agressé par différents insectes qui ne pensent qu'à nous dévorer. Lorsqu'on a cette vision, qui n'est plus notre vision, mais qui, au travers des yeux de l'autre, voit sa souffrance, notre compassion devient alors vraiment sincère et profonde. On ressent un véritable intérêt pour le bonheur et l'absence de souffrance des êtres en se mettant à leur place, et en percevant la souffrance au travers de leur expérience. Notre action altruiste sera alors authentique, elle ne sera plus un jeu d'enfant, mais une prise de conscience profonde de la souffrance.
D'autre part, on a souvent le sentiment que l'on éprouve de la compassion, lorsqu'on voit des gens qui nous sont proches et chers souffrir. Nos amis, notre famille sont affligés d'une maladie ou accablés de problèmes, et nous souffrons, nous sommes malheureux. On a le sentiment que, dans cette situation, on a développé amour et compassion à l'égard d'un être qui souffre et qu'on est sur la voie du bodhisattva avec cet amour et cette compassion tels que les textes l'expliquent.
« S'incliner avec respect devant celui qui révèle nos fautes Et nous insulte au milieu d'une foule,
Le considérer comme un ami spirituel,
C'est agir en bodhisattva. »
Thomé Zangpo
"Si des êtres ordinaires ont répandu de par le monde toutes sortes d'insultes à notre égard, répondre à ceux qui nous injurient, par un esprit d'amour et de compassion en louant leurs qualités, est une attitude du bodhisattva."
Thayé Dordjé
C'est une erreur, on ne développe ni amour ni compassion en cet instant, mais de l'attachement. En effet, il y a la discrimination, il y a la partialité, et c'est parce que cet être nous est proche et lié que l'on souffre. Si l'on regarde honnêtement, on voit que notre souffrance n'est pas tant le résultat d'une vision de la souffrance de l'autre de son point de vue, mais plutôt une sorte de projection de notre possible souffrance au travers de l'autre qui nous appartient. L'autre est une extension de nous-même, l'autre est notre proche, et dans ce lien il y a un attachement, une identification.
Cet autre est notre propriété, il fait partie de nousmême, et c'est égoïstement que l'on se sent blessé dans la souffrance de l'autre que l'on a fait nôtre. Cette forme de compassion est très ordinaire, et s'apparente beaucoup plus à l'attachement qu'à la compassion du bodhisattva. La même chose se produit dans le mouvement actif qui va soulager l'autre. Lorsqu'il y a partialité dans notre acte, on aide quelqu'un qui nous est cher et, à nouveau, c'est quelque chose qui est lié à nous-même.
Cet autre est la prolongation de nous-même. En fait, c'est soi dans l'autre que l'on va aider. Là encore, ce n'est pas de l'amour ni de la compassion, mais une forme d'attachement. La preuve en est que, si nous aidons quelqu'un qui nous est proche et qu'en retour on ne reçoit ni gratitude ni remerciement, on est en colère, on est déçu. La déception est bien le signe que l'on était dans un investissement égoïste avec l'espoir d'un retour, et elle trahit notre intention égoïste dans ce pseudo acte d'amour et de compassion.
« Redoubler d'amour pour celui que nous avons choyé comme notre propre enfant Alors même qu'il nous traite en ennemi,
Etre comme une mère pour son fils malade,
C'est agir en bodhisattva »
Thomé Zangpo
"Si nous protégeons une personne avec l'amour que l'on porte à un fils, et qu'elle répond par la haine que l'on porte aux ennemis, même alors, nous ne l'abandonnons pas, et nous gardons pour elle un esprit bienveillant, telle une mère dont l'amour s'accroÎt pour son fils malade. Telle est l'attitude du bodhisattva."
Thayé Dordjé
Si l'on arrive à développer l'amour et la compassion de façon totalement impartiale, l'univers ressemble alors à une grande fraternité, et il n'y a plus d'opposition, plus de distinction entre ceux qui nous sont proches et ceux qui nous sont indifférents. Il y a simplement une grande bonté foncière, qui est la caractéristique de l'esprit d'éveil, et cette bienveillance fondamentale s'applique à tous les êtres, qu'ils nous agressent ou nous aident.
Ce n'est pas le point de vue de l'ego qui est important, ce sont le point de vue de l'autre et les besoins de l'autre qui sont importants. Lorsqu'on est dans cet état d'esprit et qu'on se libère de l'emprise de la saisie égocentriste, tout naturellement notre regard se pose d'une façon égale sur tous les êtres.
le lama
Parfois, nous pouvons avoir des doutes quant à notre capacité à nous adresser à l'éveil. On se demande comment s'adresser au maître, comment s'adresser à l'éveil, comment s'adresser à Dordjé Tchang qui est présent en face de soi. On ne se juge pas digne, on ne sait pas quelle formule de politesse utiliser. Il faut balayer tous ces doutes, la relation doit être simple, c'est une relation d'esprit à esprit.
Notre esprit plein de dévotion et de confiance s'ouvre et requiert la bénédiction. Dans cette ouverture, tout est dit. Le langage peut être très simple, les mots peuvent être nos mots, et il ne faut pas considérer que nous sommes incapables de nous adresser à l'éveil. C'est par cette dévotion que notre CCEur s'ouvre. Notre aspiration à recevoir la bénédiction de l'éveil est sincère et totale et, dans cette ouverture, la rencontre se fait naturellement. L'esprit du maître, l'esprit d'éveil et notre esprit sont alors totalement indissociables, et tous les mots sont superflus.
La relation de maître à disciple est également très simple; il n'y a pas de grandes déclarations d'intention, de grandes déclarations d'amour passionné, par lesquelles le disciple viendrait en quelque sorte déclarer: "je suis votre disciple". C'est un travail qui s'effectue naturellement, la confiance se construit instant après instant et la relation s'établit d'esprit à esprit.
Il suffit de s'asseoir, de s'ouvrir et de laisser son esprit s'imprégner totalement de la bénédiction du maître qui nous inspire le plus. C'est ainsi que cela fonctionne. Une grande déclaration d'intention cache souvent une absence d'ouverture. A l'inverse, un maître qui dirait: "vous êtes mon disciple élu", il faut s'en méfier !
On se pose souvent la question de savoir ce qu'est un lama. Le lama, c'est la confiance, la foi qui est au plus profond de notre esprit. Si cette confiance dans l'éveil est présente, le lama est présent aussi et cette présence est permanente. Si nous pensons que le lama est un bouddha pleinement éveillé, notre confiance fait que nous recevons la bénédiction d'un être éveillé.
Par contre, si nous le voyons comme un ami spirituel à qui nous pouvons poser quelques questions afin d'éclairer un peu notre; lanterne;, même s'il est un être totalement réalisé, on ne s'ouvrira qu'à cette dimension d’ami spirituel et on ne recevra donc que l'assistance d'un ami spirituel. Et si nous le considérons comme un ami tout simplement, nous recevrons le secours et l’assistance d'un ami tout simplement.
Il est vraiment important de comprendre que ce sont l'ouverture et la confiance du disciple qui font le lama; le maître est présent dans la confiance et la dévotion de celui qui s'adresse à lui: On essaye souvent d'être le plus près possible du maître, on recherche la présence physique du maître, considérant que plus on est près du corps du maître, plus on est prêt de la source de bénédiction, et donc mieux cela ira.
C'est une erreur profonde, parce que; nous pouvons passer notre vie aux pieds du maître sans la moindre ouverture; ni la moindre confiance, nous aurons été physiquement près de quelqu'un, mais nous n'aurons jamais rencontré un lama. A l'inverse, on peut rencontrer un maître une fois ou de temps en temps, mais notre aspiration et notre ouverture seront telles que, dès que l'on s'assoiera et qu'on invoquera ce maître, celui-ci sera présent. Et dans toutes nos actions, quoi que nous fassions, sera présent en notre esprit l'esprit du maître, ainsi que les bénédictions qui accompagnent cette indissociabilité.
Il ne faut donc pas s'attacher à la forme du maître, car elle est impermanente et nous pourrions être perdus lorsque cette forme disparaîtra. Par contre, si l'on s'est attaché à l'esprit, et que l'on a trouvé par sa confiance et son ouverture le maître en son esprit, que la forme soit là ou pas n'a pas d'importance. L'essentiel est de trouver cette confiance et cette dévotion qui sont le vrai maître.
Si le lama a des qualités, c'est bien, mais ce n'est pas essentiel; l'important est que le disciple, dans son esprit, voit ces qualités, qu'elles soient présentes dans son esprit par sa foi et sa confiance, et il recevra alors la bénédiction du maître. C'est vraiment la confiance du disciple qui fait la différence.
La rencontre d'un être éveillé, d'un maître totalement qualifié, avec un disciple qui lui aussi serait totalement qualifié, est extrêmement rare, comme les étoiles qui brillent en plein jour. Un maître pleinement qualifié est un être dont l'attitude du corps, de la parole et de l'esprit est totalement en accord avec le sens profond du dharma, en toutes circonstances, en public comme en privé, à l'intérieur comme à l'extérieur. Ces qualités sont aussi rares que les étoiles en plein jour.
« En prenant appui sur un suprême ami spirituel, les défauts s'épuisent Et les qualités se développent comme une lune ascendante.
L'aimer plus que soi-même,
C'est agir en bodhisattva. »
Thomé Zangpo
"Si nous nous en remettons à un ami spirituel authentique, quel qu'il soit, l'ignorance, l'attachement et l'aversion diminueront progressivement et les qualités issues des actes positifs s'accroÎtront en nous, telle la nouvelle lune qui grandit jusqu'à sa plénitude. C'est pourquoi considérer son ami spirituel comme le plus important que son propre corps est une attitude de bodhisattva. »
Thayé Dordjé
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