"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."

LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ

Revue "Tendrel"

Retrouvez sur cette page des enseignements parus dans la revue "Tendrel" éditée par Dhagpo Kagyu Ling jusqu'en 2002.

LES CENT ETAPES DE L'ENTRAINEMENT DE L'ESPRIT

                  Shamar Rinpoché

Pour donner cet enseignement lors de son séjour à Dhagpo Kagyu Ling du 20 au 29 juillet 1991, Shamar Rinpoché s'est appuyé sur le texte du même nom, écrit par différents maîtres et

 inspiré par Atisha, Malheureusement, Rinpoché n'a pas eu le temps de terminer l'enseignement et il manque donc les deux derniers points de "L'entraînement de l'esprit en sept points". Néanmoins, Rinpoché a promis de nous les faire parvenir par écrit (ou par téléphone !), et nous les publierons dans Tendrel aussitôt que nous les recevrons.

Vous allez lire la transcription de la traduction directe du tibétain en français faite par Tashi. Et, afin de rendre la lecture plus facile, nous avons séparé chaque jour d'enseignement par une vignette.

 

Les cent étapes de l'entraînement de l'esprit ont été exposées graduellement par les successifs détenteurs de lignée. Ces cent étapes proviennent de ce qu'au fil des siècles la situation a changé ; la perception des gens s'est modifiée et il a donc été nécessaire d'adapter d'une manière précise les enseignements à la qualité de réceptivité, aux circonstances et aux temps. De ce fait, chaque détenteur de lignée a dû modifier légèrement certains aspects de la pratique; c'est ce qui a donné cette multiplicité d'aspects.

    Ces enseignements sont des conseils pour la pratique. Ils doivent être mis en application. En fonction de ce qui va se passer durant ces neuf jours, j'adapterai mon enseignement à la façon dont il est perçu par vous. Vous pourrez poser des questions. Par exemple, un jour j'exposerai un sujet; ensuite vous pourrez pratiquer et méditer dans cette tente ou, s'il fait trop chaud, vous pourrez aller méditer dans les bois. Le lendemain, on verra s'il est nécessaire de passer à un autre point ou s'il faut revenir sur le même point pour l'approfondir.

    Pratiquer revient à discipliner et maîtriser progressivement son esprit. Cette maîtrise dure jusqu'à ce que l'on réalise l'état de bouddha. Les pratiques peuvent appartenir au véhicule des anciens, dit des théravadas, ou au mahayana, dit aussi la voie des bodhisattvas. Tout cela implique un grand nombre de méthodes différentes; par contre, on retrouve toujours l'emploi de chiné (la pacification de l'esprit) et lhaktong (la vision pénétrante).

    Le véhicule des théravadas est aussi appelé hinayana, c'est-à-dire le petit ou le moindre véhicule. Pourquoi l'appeler ainsi ? Parce que les tenants de la pratique de ce moindre véhicule sont essentiellement concernés par leur propre avancement spirituel et par le fait de se libérer eux-mêmes de l'emprise du cycle des existences, sans s'estimer capables d'être concernés par tous les êtres. Du fait de cette limitation, ce véhicule est appelé moindre ou petit; mais il existe pour le petit véhicule un ensemble de techniques basées sur chiné- lhaktong.

    En ce qui concerne la méthode qui commence à chiné, on pratique la pacification de l'esprit de manière à diminuer l'agitation des phénomènes mentaux qui sont constamment produits par l'esprit. Par une méditation sur le souffle, sur les différentes parties du corps, etc., on permet progressivement à l'esprit de retrouver son calme, sa limpidité fondamentale. Ensuite apparaît la qualité appelée Lhaktong, qui est la vision pénétrante permettant d'analyser le moi lui-même et de comprendre le fait que ce moi est dépourvu d'existence propre et vide de toute caractéristique. 

    Il y a  longtemps  que je viens  en  Europe  pour  exposer  ces enseignements et pour montrer l'unité des différents véhicules bouddhistes, pour montrer qu'en fait il s'agit d'un seul et même enseignement. Malheureusement, j'entends toujours parler du petit véhicule, du grand véhicule et du vajrayana. Il faut savoir que hinayana, mahayana et vajrayana sont des termes que l'on ne rencontre pratiquement jamais dans les textes du Bouddha lui-même,

non plus que dans les textes qui furent développés par les arhats et les êtres réalisés. .Dans les commentaires de ces textes, il n'est pratiquement jamais fait mention de petit ou de grand véhicule, ou de véhicule fulgurant. Au contraire, il est fait mention du véhicule des auditeurs, du véhicule des bouddhas pour eux-mêmes et du véhicule des bodhisattvas. En fait, cette division en trois véhicules - hinayana, mahayana et vajrayana - a été accentuée et amplifiée par des auteurs occidentaux comme Lama Anagarika Govinda ou Herbert Guenther. Cette terminologie leur, est propre, mais elle ne reflète pas la vision bouddhiste telle qu'elle est perçue par les bouddhistes eux-mêmes.

          Ce problème de terminologie vient du fait que, lorsque Kalou Rinpoché et Trungpa Rinpoché sont arrivés en Occident, ils ont dû, pour être entendus, se conformer à une terminologie qui avait été déterminée par les Occidentaux : la terminologie de ceux qui faisaient autorité à l'époque, c'est-à-dire Lama Govinda, le docteur Guenther, etc. Il ont donc dû parler de mahayana, de hinayana, de  vajrayana, etc., renforçant encore l'idée de ces véhicules. Après, nous  avons dû suivre, sans cela les gens auraient pensé que nous parlions de tout autre chose. Il existe une histoire, que je ne connais pas bien mais qui doit être assez drôle, dans laquelle un renard est devenu roi en prétendant être un autre animal. Tout se passait bien jusqu'au jour où d'autres renards sont venus. Quand ils ont vu le roi renard sur son trône, ils l'ont salué en aboyant comme des renards. Le roi n'a rien pu faire d'autre que aboyer, révélant ainsi sa nature de renard.

       J'ai cherché à savoir d'où venait cette classification du dharma en trois véhicules, mais je n'en ai pas trouvé la source. Il est possible que les universitaires chinois soient à l'origine de cela ; ils ont l'habitude de faire des classifications. C'est plausible. Il existe d'ailleurs un autre exemple : en Occident, vous avez l'habitude de parler des "bonnets rouges" et des "bonnets jaunes" en ce qui concerne les Tibétains. Or cette classification est typiquement chinoise. H est donc possible que la distinction en trois véhicules que nous faisons en Occident provienne de la vision chinoise du bouddhisme. 

      Cette distinction en trois véhicules est malcommode. Lorsqu'on atteint une vision des choses encore teintée d'une certaine conscience d'un moi existant par lui-même, cela correspond à l'état d'arhat,  c'est-à-dire au véhicule de ceux qui écoutent. Lorsque l'on va plus loin, que l'on s'est débarrassé, mais pas complètement, de toute notion d'entité propre dans les phénomènes et soi-même, on atteint alors l'état de pratiéka, c'est-à-dire de bouddha pour soi-même. Quand on a complètement évacué tout concept d'entité propre des phénomènes, on peut se diriger vers l'état de bouddha parfaitement réalisé. Ce sont simplement des gradations dans la réalisation, qui ne correspondent pas en fait à des différences aussi tranchées qu'on veut bien les voir ici. C'est pourquoi il est très difficile de concilier l'explication de la voie progressive au travers de chiné-lhaktong avec une division aussi tranchée en trois véhicules.

    Il faut replacer l'enseignement de l'entraînement de l'esprit qui est donné ici par rapport aux conceptions que nous avons des trois véhicules bouddhistes. Il ne s'agit pas d'un enseignement de chiné-lhaktong du petit ou du moindre véhicule, ni du véhicule des bouddhas pour eux-mêmes. Il s'agit d'un enseignement appartenant au grand véhicule, c'est-à-dire à la voie des bodhisattvas. Concernant l'entraînement de l'esprit de la voie des bodhisattvas, il faut distinguer deux voies, ayant toutes deux la même base que l'on appelle la voie des soufras - les textes et les pratiques basés sur les soutras. L'une de ces voies n'utilise que la voie des soutras, et permet par la pratique de chiné puis de Lhaktong de parvenir à l'Eveil ultime. L'autre voie commence de toute façon par l'étude et la pratique de la voie des soufras, pour déboucher ensuite sur l'étude et la pratique de la voie des tantras ou des mantras. Ces deux voies ont donc une base commune et ne sont pas différentes.

    Si on laisse de côté la voie des tantras et que l'on concentre son attention sur la voie des soutras, on reconsidère le processus pour commencer par chiné. II existe dans la voie des soutras un chiné "commun" et un chiné "extraordinaire ou non commun". Les pratiques de chiné dites communes sont appelées ainsi parce qu'elles sont communes aux véhicules des auditeurs et des bouddhas pour eux-mêmes et au véhicule des bodhisattvas. Quelle que soit la voie que l'on choisisse de suivre, il est nécessaire d'obtenir une pacification des phénomènes mentaux, et le processus est le même dans les trois véhicules. Les techniques de chiné dites non communes ou spéciales font référence à ce qui vient faciliter ou développer la simple absorption méditative qu'est la pacification mentale. En plus des techniques de pacification mentale, on développe quelque chose qui accélère et approfondit le processus, et qui est en fait le développement de l'esprit de l'Eveil par différentes méditations et techniques.

    Pour résumer l'enseignement concernant la pacification de l'esprit, sachons que l'utilisation des moyens dits communs implique de détailler une multitude d'étapes dans  l'approfondissement de l'absorption méditative. Tout cela est compliqué, voire fastidieux. Les moyens particuliers à la voie du bodhisattva permettent d'atteindre le même niveau 'absorption méditative, et en plus utilisent le développement de l'amour et de la compassion qui est décrit dans  l'entraînement de l'esprit.

    Lorsque l'on aborde l'étude de l'entraînement de l'esprit, lodjong, on aborde les deux aspects de la bodhicitta : l'esprit de l'Eveil au niveau relatif et au niveau ultime. On est frappé par le fait que la place consacrée à l'étude de la bodhicitta relative est bien supérieure à la place consacrée à l'enseignement de la bodhicitta ultime. Pourquoi ? Parce que l'étude et la  compréhension de la bodhicitta au niveau relatif sont absolument essentielles à une réalisation équilibrée et correcte au niveau ultime. Lorsque l'on pratique l'entraînement de l'esprit, on pratique les six paramitas. Cinq de ces vertus transcendantes concernent un niveau relatif; seule la sixième concerne le niveau ultime de la réalité. Cela permet, dans la pratique et la méditation, de développer conjointement et d'une manière harmonieuse les deux aspects indispensables à une réalisation complète, à savoir l'aspect des moyens et l'aspect de la sagesse. Faute de quoi, lorsqu'on arrive à une certaine réalisation, si l'on n'a pas convenablement travaillé sur l'aspect relatif, on n'a pas parfaitement réalisé ou compris l'un des deux aspects de l'absence d'existence propre des phénomènes. Il y a l'absence d'existence propre des phénomènes au niveau extérieur, et l'absence d'existence propre des phénomènes au niveau de la conscience de l'observateur. Lorsqu'on n'a pas parfaitement médité sur les aspects relatifs de la bodhicitta, on risque d'avoir une faiblesse dans la compréhension et dans la réalisation de cette absence d'entité propre des phénomènes au niveau extérieur, ce qui entraîne une réalisation qui n'est pas celle d'un bouddha parfaitement réalisé. Cela peut entraîner une réalisation dans le mode appelé pratiéka bouddha, ce qui induit le risque de déchoir et de ne pas aller aussi loin qu'on aurait pu le faire. En fait, si l'on n'a pas un bon développement de l'amour et de la compassion à tous leurs niveaux, on court le danger de ne pas comprendre parfaitement la voie des tantras. Donc, qu'il s'agisse de la voie des tantras ou de celle des soutras,il faut savoir que la base est essentielle. Pour celui qui a vraiment compris cet entraînement de l'esprit,  l'Eveil est tout proche, à quatre doigts du bout du nez. Pourquoi cette distance de quatre doigts ? Parce qu'il manque encore un tout petit quelque chose pour parvenir à l'illumination !

     Que l'on parle de chiné ou de lhaktong il s'agit toujours d'un processus d'absorption méditative. Lorsque l'on pratique la méditation du calme mental, on la pratique pour calmer l'agitation mentale et pour faire en sorte que l'esprit puisse être posé sur un objet désigné,extérieur ou intérieur, et n'en pas dévier. Cette capacité de l'esprit à demeurer là où on l'a mis est ce qu'on appelle chiné, et cela est commun à la voie des shravakas (ou auditeurs), à celle des pratiékas ou à la voie du bodhisattva. Vient ensuite une autre forme d'absorption méditative, lhahtong, la vision excellente. Il s'agit de la contemplation qui ne fait plus appel à un objet et qui apparaît lorsque l'esprit est établi dans le calme parfait; ensuite on passe à lhaktong. Cela aussi est commun aux trois voies. Nous venons de recevoir aujourd'hui les enseignements préliminaires à l'enseignement de lodjong, l'entraînement de l'esprit.

     En conclusion, il faut retenir que l'entraînement à la pratique de la bodhicitta comporte deux aspects : ultime et relatif. Il s'agit bien d'entraînement à la bodhicitta. Dans tout cet entraînement de l'esprit, c'est l'entraînement de l'esprit à la bodhicitta au niveau relatif qui prend le plus de place et d'importance pour l'instant. Il convient de réaliser que cette pratique de la bodhicitta aux niveaux relatif et ultime ne va jamais à l'encontre des vœux que l'on a pu prendre. Quand on prend des vœux, qu'il s'agisse des vœux de discipline extérieure ou intérieure ou des vœux du vajrayana, il ne s'agit pas d'une contrainte imposée de l'extérieur, pour quelque raison que ce soit. Les'vœux sont simplement le moyen de se garder de ce qui pourrait nuire au développement des qualités de l'esprit, nuire à la pratique de l'amour et de la compassion, nuire à la progression spirituelle. C'est la raison pour laquelle l'entraînement de l'esprit sous quelque forme que ce soit, qu'il s'agisse de la bodhicitta au niveau relatif ou au niveau ultime, ne va jamais à l'encontre des vœux.

       Les samayas, ou liens initiatiques, sont ce qui nous garde de tout ce qui pourrait venir endommager notre pratique. Cela n'a rien à voir avec la conception que l'on en a souvent, qui est une conception extérieure, et à laquelle on limite alors le samaya. La pratique des samayas consiste en fait à se garder de tout ce qui pourrait venir endommager la pratique ou lui nuire. Si vous établissez solidement la base de votre pratique et la pratique elle-même, c'est-à-dire la base et la voie, vous êtes automatiquement protégés des risques de briser vos samayas.

    Cela conclut l'enseignement d'aujourd'hui. Nous avons adopté jusqu'à présent un point de vue théorique; demain nous aborderons l'enseignement lui-même, qui est quelque chose "de pragmatique et qui doit être mis en application par chacun d'entre nous. 

    Avant de faire la pratique de lodjong, il est bien de réciter les prières à son maître spirituel. C'est pourquoi nous allons réciter maintenant quelques prières à Sa Sainteté Karmapa.

    L'entraînement de l'espnt consiste en un entraînement à l'amour et la compassion. Les termes tibétains parlent d'un entraînement, d’un processus à la fois de développement et de pratique de l'amour et de la compassion, permettant ensuite la manifestation naturelle de ces qualités qui deviennent un trait même de l'esprit. En l'état actuel, nous avons la plupart du temps des impulsions qui nous poussent à ressentir de l’amour ou de la compassion de façon ponctuelle et peu naturelle. Il faut souvent se forcer ou se rappeler à l’ordre. On entend par « esprit complètement entraîné » le fait de manifester naturellement l'amour et la compassion, de les éprouver de façon spontanée un peu comme Tchenrézi lui-même.

 

    L'essence de l'esprit est vacuité : il est libre de toute caractéristique. L'esprit est limpidité, pure conscience, pure cognition: il  est  dépourvu  de  tout  ce  qui  pourrait l'obscurcir.  Il  est  sans obstruction : au sein de l'esprit, tous les phénomènes peuvent se manifester sans obstacle; tout l'univers se manifeste au sein de l'esprit, sans quoi nous n'en aurions pas conscience. La pratique de l'amour et de la compassion vient s'inscrire dans cette dernière caractéristique de l'esprit. Lorsque l'on développe l'amour et la compassion tels qu'on les développe par la pratique de l'entraînement de l'esprit, ils sont sans obstacle et ne connaissent pas de limitation. L'amour et la compassion viennent donc s'inscrire dans les caractéristiques mêmes de l'esprit, qui est vacuité, parfaite limpidité (c'est-à-dire parfaite cognition) et non obstruction (c'est-à-dire amour et compassion). Par la réalisation de cela, on progresse vers les différentes étapes de l'Eveil.

    Comprenez-vous bien cette caractéristique de non obstruction de l'esprit.? A l'intérieur de l'esprit, tous les phénomènes peuvent apparaître. Qu'entend-on exactement par non  obstruction ? Cela signifie qu'il n'existe pas de partition, de limite ou d'espace clos dans l'esprit. L'esprit peut contenir absolument n'importe quoi, et pas seulement nos pensées ou ce que nous imaginons. C'est beaucoup plus vaste que cela. Par exemple, nous sommes dans un espace où vous m'avez arrangé un trône, une table avec des micros, etc. En bas, sont assis des gens. Tout cela apparaît sans obstruction dans l'esprit. C'est quelque chose qui est là. Imaginez qu'une personne soit endormie ici, elle pourrait rêver d'une vaste cité comme Paris. Cette vaste cité quelque part est là aussi. Il y a également toute une foule qui perçoit un univers : chacun perçoit l'univers à sa façon, et tous ces univers perçus par chacun d'entre nous se trouvent contenus dans un même espace. II n'y a pas de limitation dans l'esprit. Tout peut y entrer à la fois.

    Lorsque l'on parle des apparences de l'esprit comme étant dépourvues de limites, cela fait référence à l'immensité de l'esprit, mais cela fait aussi référence à quelque chose de profond. Par exemple, si je perçois cet espace devant moi, je perçois des objets sur la table. Dans le même temps, ces objets sont dépourvus d'existence propre et cette perception que j'ai est leur seule réalité. Ils n'ont pas en tant qu'objets d'autre réalité que la perception que j'en ai. Ils sont en quelque sorte illusoires. Maintenant revenons à notre rêveur. Cette personne est en train de percevoir une vaste cité comme Paris. Bien entendu, Paris n'est pas ici; la seule réalité de cette vaste cité est aussi la conception que le rêveur en a. Ensuite, nous tous ici percevons l'univers et le monde. Mais cet univers et ce monde n'ont d'existence, au sens où nous l'entendons habituellement, que dans la mesure de la perception de chacun d'entre nous. Il y a donc ma perception individuelle des objets, il y a la conception illusoire du rêve sur Paris, il y la perception de l'univers par chacun d'entre nous. Tout cela coexiste, forme et compose une réalité qui, bien qu'illusoire, est coexistante dans l'esprit. L'esprit admet et accepte toutes ces réalités complètement, sans aucune gêne, sans aucun obstacle.

     Est-ce que c'est clair ? Si vous avez compris, levez la main ! Vous commencez peut-être à comprendre quelque chose, mais je ne suis pas certain que vous ayez compris au point de dire : c'est vraiment comme cela et d'avoir vraiment confiance en cela !Les apparences non limitées de l'esprit dépendent en fait des deux autres qualités de l'esprit : la clarté et la vacuité. Elles dépendent en tout premier lieu de la vacuité de l'esprit. Qu'entend-on par vacuité de l'esprit ? Rien dans l'esprit n'existe de façon intrinsèque ou indépendante; il n'y a pas d'atomes d'esprit en quelque sorte. Réaliser cela est très important car, si l'esprit n'était pas parfaitement vide de toute caractéristique et de toute substantialité, il y aurait une limite à ce que peut contenir l'esprit ou à ce qu'il peut imaginer. Quand on rêve par exemple, on imagine des univers entiers. Si les productions de l'esprit et l'esprit lui-même n'étaient pas vides, cela finirait par encombrer l'esprit. Au fur et à mesure des perceptions, des phénomènes mentaux, des pensées, etc., l'esprit se trouverait peu à peu rempli. Mais cela ne se passe pas ainsi ; on peut toujours concevoir d'autres phénomènes mentaux.

 Il y a trois sortes de vacuité, dont il faut bien prendre conscience:

    - la vacuité de l'esprit en laquelle tout peut s'élever.

    - la vacuité des phénomènes extérieurs. On ne perçoit de ces phénomènes que leur représentation dans l'esprit, qui nous apparaît comme une réalité extérieure, et celle-ci n'a d'autre réalité que celle que nous lui prêtons, c'est-à-dire la réalité de notre esprit. C'est pourquoi on dit que les phénomènes extérieurs sont vides également.

    - la vacuité des phénomènes mentaux qui apparaissent et se dissolvent dans l'esprit sans laisser de trace.

    Il est important de comprendre ce que l'on entend par esprit. De par sa nature propre, il est vacuité. On a l'habitude de dire que son apparence est non obstruction; cela traduit en fait son mode de manifestation. Sa caractéristique est d'être limpidité. Limpidité signifie pure conscience, au sens du terme anglais "awareness" : être conscient de, savoir que quelque chose existe; en français, on peut traduire cela par pure cognition : ce n'est pas la connaissance mais la faculté qui permet de connaître. Il importe de comprendre ces trois caractéristiques de l'esprit parce qu'elles se manifestent à chaque fois que nous prenons conscience d'un phénomène quel qu'il soit. Par exemple, je tiens un vajra dans la main : en tant que vajra tel que je le vois, il n'a d'autre existence que ce que j'en perçois, que l'image que j'en forme dans mon esprit. Peu m'importe de savoir qui l'a fait ou comment il a été fait, il n'a pour moi d'autre existence que ce qui en est perçu par mon esprit, et mon esprit étant vacuité, cet objet n'a  pas  d'autre xistence que la vacuité de mon esprit. Donc cet objet lui-même est vide. La qualité de non obstruction de l'esprit permet l'apparition, dans mon esprit d'une multitude infinie de phénomènes et d'objets différents sans pour autant qu'ils interfèrent les uns avec les autres. Lorsque nous rêvons, nous percevons les objets comme étant totalement réels, mais nous savons à notre réveil qu'ils sont complètement illusoires.

Nous avons tendance aussi, lorsque nous sommes éveillés, à percevoir les objets comme réels, alors qu'en fait le processus est exactement le même que dans le rêve : ce qui me fait percevoir le vajra dans mon rêve est exactement le même processus qui me fait percevoir le vajra à l'état de veille. Les perceptions du rêve ont exactement le même degré de réalité que les perceptions à l'état de veille. Dans toute perception interviennent ces trois caractéristiques de l'esprit : la vacuité (son essence), la limpidité (la cognition, la faculté de percevoir et de prendre conscience des choses) et la non obstruction (ce qui caractérise les apparences de l'esprit).

 

    Tout ce que l'on vient de dire concernant la nature de l'esprit et le caractère illusoire des phénomènes relève de la logique; il est bon de le savoir et d'en tenir compte. Il faut  comprendre que les phénomènes et l'esprit lui-même sont dépourvus d'existence propre, qu'ils sont vacuité, que c'est la limpidité de l'esprit qui permet de prendre conscience de tous les phénomènes quels qu'ils soient, et que c'est sa non obstruction qui permet à l'infinie multitude des phénomènes d'apparaître constamment.

 

    On a parlé d'entraînement de l'esprit à l'amour et la compassion. Cet amour et cette compassion imprègnent l'esprit grâce à son caractère de non obstruction : ils vont peu à peu imprégner tous les aspects de l'esprit. A quoi cela va-t-il aboutir ? Il existe dans l'esprit un niveau où viennent s'inscrire les résultats de toutes nos actions, qu'elles soient du corps, de la parole ou de l'esprit. Ces résultats forment ce que l'on appelle le voile du karma. Celui-ci est très important car c'est un ensemble de germes prêts à se manifester, et certains viennent à maturité de telle façon qu'ils constituent toute la réalité telle que nous la percevons. Si nous voyons l'univers d'une manière qui nous est commune en ce moment, c'est parce qu'un certain nombre de germes du voile du karma sont venus à maturité chez chacun d'entre nous au même moment, de la même façon, etc. C'est extrêmement puissant puisque cela conditionne notre mode d'existence et de perception, ainsi que tout ce qui nous arrive. Il faut savoir qu'à partir du moment où l'un de ces germes du karma parvient à maturité on ne peut plus rien faire. Il faut le subir. Mais tant qu'il reste à un niveau potentiel, il est possible de le neutraliser en le purifiant. L'instrument de cette purification des germes potentiels est justement l'amour et la compassion : par l'entraînement, l'amour et la compassion imprègnent complètement l'esprit dans tous ses aspects, jusqu'au niveau du voile du karma qui peut ainsi être purifié.

 

    Le premier fruit de la pratique de l'amour et de la compassion est donc une purification des traces karmiques. 

    Passons au deuxième aspect : lorsque l'on pratique l'amour et la compassion, une progression ...a lieu. Par exemple, lorsque l'on pratique en fonction de l'entraînement de l'esprit en sept points, les six premiers points concernent la mise en application de l'amour et de la compassion de manière dite relative, puis le septième point mène à la réalisation de la vacuité de l'esprit. Par l'entraînement de l'esprit, on pratique la voie des accumulations, puis la voie de la transformation de l'esprit, puis la voie de la vision, puis la voie de la méditation. On progresse ainsi vers les différentes étapes de la réalisation, de manière parfaitement harmonieuse. Il faut considérer, dans l'existence de tout un chacun, deux phases : un état d'absorption méditative - ce que nous faisons lors de la méditation - et tout ce qui n'est pas la méditation, c'est-à-dire la vie quotidienne. L'entraînement à l'amour et la compassion nous permet d'une part d'approfondir notre réalisation, et d'autre part de manifester de plus en plus spontanément cet amour et cette compassion dans tous les aspects de notre vie. Comment entend-on cela ? Il y a un amour et une compassion qui sont en quelque sorte fabriqués par l'esprit : "Je développe l'amour et la compassion; je m'entraîne à l'amour et la compassion". C'est ce que l'on appelle l'amour et la compassion conceptuels. Mais il y a une autre sorte d'amour et de compassion, qui est spontanée : ceux de Tchenrézi ou de Manjoushri. Un être réalisé n'a pas besoin de penser à développer l'amour et la compassion; c'est une qualité qui lui est propre et qui fait que, spontanément, sans réflexion, sans formulation d'intention, toutes ses actions s'accomplissent en accord avec le plus grand bien des êtres qui l'entourent. Cet amour et cette compassion spontanés se manifestent dans chaque instant de l'existence et pas seulement dans la méditation. L'entraînement de l'esprit fait que, progressivement, cette réalisation que nous obtenons, pendant la méditation, de la vacuité des phénomènes de l'amour et de la compassion, etc., imprègne notre vie quotidienne, pour petit à petit devenir spontanée. On passe d'un amour et d'une compassion fabriqués à une réalisation de la nature des choses spontanée.

 

    Le troisième bienfait de la pratique de l'entraînement de l'esprit correspond à l'absorption méditative stable. Quand on médite sur l'amour et la compassion, on pratique chiné. Qu'on appelle cela chiné du mahayana ou chiné du vajrayana, c'est pareil puisqu'il s'agit toujours de la stabilité mentale. Quelle que soit la forme de chiné dont on parle, il ne s’agit pas de quelque chose d'inférieur ni de quelconque. Chiné est extrêmement profond; c'est ce qu'on appelle en  tibétain Ting-gnédzin et en sanskrit samadhi. On distingue deux chiné . le chiné mondain et le chiné paramondain, c'est-à-dire le chiné au-delà du samsara.  Mais même lorsque l'on parle de chiné mondain, il s'agit de quelque chose d'extrêmement subtil et profond.

 

    Par la pratique de l'absorption méditative, on parvient à la réalisation du mahamoudra. Mais il faut savoir que cette voie commence par l'entraînement de l'esprit. Cet entraînement de l'esprit amène à une méditation sur l'amour et la compassion, qui développe la stabilité mentale et dans le même temps purifie le voile du karma. Lorsque ce voile est purifié jusqu'à un certain point, l'obstacle qui empêche les vertus de l'esprit de se manifester est alors considérablement dissipé, et toutes les qualités intrinsèques de l'esprit peuvent entrer en œuvre spontanément. C'est une aide très puissante pour progresser vers la réalisation du mahamoudra. Cela mène à la réalisation de la première terre de bodhisattva. Une fois que dans cette existence on a obtenu cette première terre, l'état de bouddha lui-même n'est pas loin.

    Que pensez-vous que peut être cette première terre de bodhisattva ? Pensez-vous que c'est un diplôme universitaire ?  

    Un des obstacles auxquels nous sommes confrontés est la non adaptation des langages occidentaux à la transmission du dharma, parce que le dharma n'a pas été enseigné dans ces langues. Le vocabulaire occidental n'a pas été forgé pour décrire les réalités enseignées dans le dharma, et nous sommes obligés d'utiliser des métaphores ; nous parlons de corps d'arc-en-ciel, de véhicule de diamant, de lotus, de s'envoler dans les airs, etc. C'est très beau, On lit cela et on le trouve magnifique. Finalement, on se décide à recevoir une initiation; mais en y assistant, grosse déception ; le lama n'apparaît pas lumineux, ne se trans forme pas en arc-en-ciel, ne se dissout pas en lumière pour être absorbé en nous, etc. On se dit que ce n'était peut-être pas le jour, ni le lama qu'il fallait, que mieux vaut retourner à une autre initiation. Mais la fois suivante, cela ne marche toujours pas ! On commence à avoir des doutes. On recommence une troisième fois. Et là, il est évident qu'on nous a raconté des histoires ! On finit par se poser des questions : cela vaut-il bien la peine de faire tout cela ? C'est vraiment ficher son argent par les fenêtres ! C'est ce qui arrive en Extrême-Orient, où les gens se disent que le vajrayana ne correspond pas à ce qu'ils attendaient. C'est ce qui risque aussi d'arriver en Occident.

 Cependant, il y a de l'espoir parce que, maintenant, tout le monde fait des efforts pour que l'enseignement du dharma porte de plus en plus sur les réalités essentielles du dharma, et pour qu'il soit compris correctement. Les gens, dorénavant, viennent pour essayer de comprendre, pour essayer de réaliser ce qui est dit, et non plus pour s'abreuver d'une sorte de folklore miraculeux.

    Nous en avons terminé avec la partie théorique de l'enseignement de Lodjong. Nous avons vu la théorie et la philosophie de lodjong, et il s'agit maintenant de pratiquer l'entraînement de l'esprit.  Comment fait-on ? En méditant. Pour méditer, il faut s'asseoir dans la posture la plus correcte possible et pratiquer un certain nombre d'expirations forcées qui purifient en quelque sorte le système. Ensuite, on pose son esprit sur le va-et-vient du souffle et on compte ainsi: expiration, pause, inspiration (c'est 1), expiration, pause, inspiration (c'est 2), etc. Ou, si l'on trouve cela un peu trop difficile à suivre, on fait simplement : expiration (1), inspiration (2), expiration (3), inspiration (4), etc. De toutes façons, il est bien de s'en tenir à des cycles de 21; ce n'est pas trop long et c'est suffisamment long pour maintenir l‘attention. Que fait-on pendant ces 21 cycles respiratoires ? On pense que l'on envoie et donne, à chaque fois que l'on expire, à tous les êtres sans exception, toute la vertu, toutes les qualités, toutes les potentialités positives de notre esprit. C'est en fait la véritable cause de tout bonheur, et nous en faisons don à tous les êtres, conformément à nos vœux de bodhisattva. Lorsque nous inspirons,nous pensons que nous prenons sur nous toute la négativité, toutes les potentialités négatives de l'esprit de tous les êtres, et que nous les purifions ainsi de toutes les causes de souffrance. Nous continuons jusqu'à 21. Après quoi. nous faisons une petite pause, puis nous recommençons.

 

    Je vous ai conseillé hier, lorsque vous désirez pratiquer l'entraînement de l'esprit, de tout d'abord pratiquer le gourou-yoga de Sa Sainteté Karmapa.

 

    Vous visualisez tout en haut le premier Karmapa, ensuite deux rangées successives de sept Karmapas, puis en-dessous, le dernier Karmapa, le seizième, celui que vous avez peut-être rencontré. Tous sont assis dans la position de Maitreya et font le geste de la bénédiction : la paume de leurs mains est tournée vers nous, ainsi que la plante des pieds. Chacun des Karmapas est assis de cette façon, et on voit la paume de ses mains et la plante de ses pieds, nous transmettant la bénédiction.

 

    Ensuite, on récite la prière "Mo Nom Ka Tang Nyam Petite,,." :"Moi, ainsi que toutes mes mères, nous vous prions lama qui êtes le bouddha, lama qui êtes le dharmakaya, le sambhogakaya, le ninnanakaya...". Et nous pensons que toute la grâce et la puissance de tous les bouddhas passés, de tous les bouddhas existants et de tous les bouddhas du futur se concentrent dans cette visualisation de la lignée des Karmapas et nous sont transmises par leur intermédiaire. Nous imaginons aussi, autour de nous, tous les êtres sans exception sous une forme humaine - nous n'imaginons pas les six classes d'êtres sous des formes différentes, mais nous imaginons que tous les êtres ont enfin obtenu le précieux corps humain avec ses dix-huit caractéristiques - et nous pensons que, tous ensemble, nous faisons cette invocation au lama, afin de requérir sa grâce et sa bénédiction.

    Au cours de cette méditation, il convient de développer la dévotion ou aspiration. Cette dévotion doit être confortable et dépourvue de tension ou de stress. Parfois, lorsqu'on est crispé mentalement, le corps tremble et une espèce d'exaltation se développe. Ce n'est pas cela. C'est une aspiration qui irradie et emplit tout l'esprit, mais sans créer aucune tension. Dans cet état dévotionnel sans tension, on récite le mantra Karmapa Tchenno aussi longtemps qu'on le désire et qu'on en a la possibilité. Lorsqu’approche la fin de la récitation, on visualise les différents aspectq du Karmapa. Il y en a seize. Ces seize aspects n’ont rien de physique ni de solide. Ils sont semblables à une réflexion dans un miroir : ils apparaissent sans posséder aucune substantialité. Quinze de ces aspects sont absorbés dans le seizième, qui est Rigpai Dordjé.Ce dernier Karmapa vient se placer au sommet de notre tête alors que nous continuons de réciter Karmapa Tchenno. Ensuite, il se dissout en lumière et est absorbé en nous. Il faut éviter de penser que le lama passe par un petit trou au sommet de notre tête pour être absorbé en nous. Il n'y a aucune espèce de substantialité dans tout cela. Si vous imaginez quelque  chose de substantiel, tout ce que vous risquez de faire est un gros trou au sommet de votre tête ! Il faut bien comprendre que ce n'est qu'une visualisation. Comme tel, il s'agit d'un symbole dépourvu de matérialité, qui représente le fait que toute réalité est ramenée à l'essence même qui est le dharmakaya. Quand on dit que la figure du lama se dissout et est absorbée en nous, cela signifie que tous les phénomènes, toutes les apparences et toute la réalité sont ramenés à leur essence qui est le dharmakaya, et que nous en prenons conscience. N'essayons surtout pas d'imaginer qu'il s'agit d'une dissolution réellement physique du lama dans notre corps ! De même, il n'est pas impoli de visualiser les Karmapas pieds nus devant soi !  

 Il convient de bien saisir ce processus  : on médite le lama en tant qu'essence des trois kayas ou trois Corps du Bouddha, c'est-à-dire le Corps de vacuité (dharmakaya), le Corps de jouissance (sambhogakaya) et le Corps de manifestation (nirmanakaya). Lorsque cette essence des trois Corps est dite nous pénétrer et se fondre en nous, cela signifie que ces trois Corps ne sont rien d'autre que l'essence de nos corps, parole et esprit. Quand on imagine cette fusion des trois Corps avec nos corps, parole et esprit, on purifie symboliquement ceux-ci afin que notre esprit devienne la manifestation du dharmakaya, notre parole la manifestation du sambhogakaya, et notre colps la manifestation du nirmanakaya. C'est une opération symbolique qui facilite la réalisation de la véritable nature de nos corps, parole et esprit. Il faut bien le comprendre.

    La posture de méditation est très importante. Une posture défectueuse entraîne un certain nombre de risques ou de dangers. Pencher le corps d'un côté ou de l'autre, en avant ou en arrière, n'est pas du tout anodin. Cela peut entraîner le développement de problèmes dans l'équilibre de l'esprit. De la même façon, lorsque l'on respire, on a parfois tendance à le faire avec la poitrine et à ne pas faire descendre le souffle suffisamment bas. Cela aussi peut entraîner certains inconvénients. Le corps subtil est extrêmement délicat et le fait de l'équilibrer est très important. C'est un équilibre très subtil qu'il faut parvenir à maîtriser.  Une posture déconseillée consiste à avoir les genoux plus hauts que le derrière. C'est ce qui arrive immanquablement si l'on essaie de méditer dans un fauteuil. C'est très mauvais pour la méditation. Lorsque l'on commence à méditer, ' on reçoit des enseignements préparatoires à la pratique de la méditation. L'une des choses enseignée, avec la posture, est l'hygiène alimentaire. Normalement, les moines bouddhistes sautent un repas et ne mangent pas le soir, dans le but de ne pas trop engraisser, parce qu'un excès de poids fait apparaître des problèmes dans la méditation. Au Tibet, pays froid, les moines mangeaient un repas léger le soir; mais, quoi qu'il en soit, personne n'était encouragé à trop manger. Pourquoi les moines sont-ils gros, est une question que l'on pose souvent. Cela vient  d'une coutume chinoise qui dit que plus le moine est gros, plus il a de bénédiction. Cela fait impression, c'est radieux. Les Chinois ont cette culture : ils aiment qu'un moine soit gros, impassible et ne plaisante pas. Ce n'est pas du tout la conception que j'en ai.  Quelqu'un qui médite, moine ou laïc, ne devrait pas être obèse ou  avoir trop de poids. Lorsque le ventre vous tombe sur les genoux, vous êtes gêné pour respirer, vous haletez et ce n'est pas bon. Qui que vous soyez, moine ou laïc, si vous souhaitez méditer correctement, surveillez un peu votre ligne. Evitez par dessus tout les nourritures grasses qui engendrent la somnolence. Certains moines très gros, mais aussi très réalisés, ne sont plus du tout influencés par leur corps; leur esprit peut être complètement ancré dans la méditation. A ce moment-là, il n'y a plus de problème. Beaucoup de lamas commencent la retraite en faisant cent mille prosternations, à un rythme très intensif. D'une part, Ils perdent du poids; en même temps, leur corps se détend et se muscle, Mais lorsque ces cent mille prosternations sont finies, ils arrêtent brutalement et passent à des pratiques telles que la pratique de Vajrasattva, qui est une méditation assise. Faisant moins d'exercice, ils reprennent du poids, et les pratiques étant la plupart du temps assises, ils ont tendance à engraisser en retraite, ce qui n'est pas une bonne chose. Donc, faîtes attention et surveillez un peu votre poids, car parmi les différentes causes qui engendrent la torpeur dans la méditation, la première est le fait d'être gras !

Il faut également veiller à ne pas sombrer dans l'excès contraire, l'anorexie. A partir du moment où l'on est trop maigre, le corps physique n'ayant plus suffisamment d'énergie, le corps subtil ne dispose pas non plus de l'énergie suffisante pour développer une bonne méditation. Tous les moyens sont alors bons p'our renforcer ce support physique : prenez des vitamines C, B, ce que vous voulez ! 

    Traditionnellement, cinq choses nuisibles sont à abandonner au niveau de l'hygiène personnelle. Sans rentrer dans les détails, il faut savoir que les instructions qui viennent d'être données nous permettent d'éviter ces choses néfastes. Le mieux est de se conformer à l'hygiène diététique occidentale : la façon occidentale de concevoir l'équilibre physique du corps est excellente, et si l'on s'y conforme, en général on est en forme pour la méditation.

Un autre conseil est de ne pas tenter de méditer au plus profond de la nuit. Jusqu'à 22 heures, ça va. Normalement il faut dormir avant 22 heures et ne pas tenter de méditer à 2 heures du matin. Ce n'est pas une bonne chose. Par contre, à 4 heures, on peut commencer à méditer parce que l'esprit est clair. Mais entre 22 heures et 4 heures du matin, ce n'est pas la peine d'essayer de méditer. C'est la raison pour laquelle sauter le repas du soir peut être très profitable : si l'on ne mange pas le soir et que l'on se couche avant 22 heures, on n'a aucune difficulté à se réveiller à 4 heures du matin, avec l'esprit clair. Bien sûr, comme toutes les habitudes, cela demande un certain effort. C'est comme pour nos émotions : ce sont des habitudes et il est difficile de les maîtriser, mais pour peu qu'on s'en donne la peine, le bienfait en est vraiment très grand. Si notre but est une méditation correcte, il nous faut faire des efforts dans ce sens.

 

    S'il y a, parmi vous, des personnes qui prennent contact pour la première fois avec le dharma, qui débutent dans cette voie, je voudrais les mettre en garde contre une tendance très répandue. Quand on vient écouter les enseignements, on aimerait qu'ils soient conformes à ce que l'on souhaite, qu'ils nous fassent plaisir, que tout soit facile et agréable, etc., et on a tendance à  transformer ce que l'on a entendu pour le rendre conforme à ce que l'on préjugeait qu'il devait être. Je vais souvent à Hong-Kong, la ville des hommes d'affaires. Tous ces gens font beaucoup d'affaires mais certaines ne marchent pas très bien; ils forment cependant de grand espoirs et aimeraient que cela se déroule bien. Alors ils viennent voir un Rinpoché et lui demandent : "Si je continue dans ce domaine-là, est-ce que tout ira bien ?" Je prends mon mal a et je fais ce que l'on appelle un Mo, Lorsque je dis : "Vous savez, ce n'est pas très bon", je vois la tête de l'homme d'affaires qui se transforme en un masque de tristesse renfrognée, mais immédiatement les rouages commencent à tourner, l'homme se disant : " Il dit que c'est mauvais, mais enfin quelque part cela doit être bon." L'homme commence à transformer les choses et, finalement, repart persuadé qu'il a raison de continuer dans la direction qu'il avait prise. Il faut faire très attention parce que nous ne sommes pas exempts de ce genre de choses : quand nous entendons des enseignements qui ne nous plaisent pas vraiment, des choses que nous n'avons pas envie de faire, etc., nous les transformons, et nous nous sentons justifiés dans nos anciennes habitudes, au lieu d'en changer. Il faut faire très attention à cette tendance.

    Pour ce qui est de la méditation sur l'amour et la compassion que l'on appelle "prendre et donner" (Tonglen), il existe une visualisation par laquelle on envoie vers tous les êtres tout le karma positif que l'on possède pour les en faire bénéficier et on prend sursoi toutes les négativités. Très souvent l'esprit erre et se trouve distrait. On se prend à penser à autre chose. L'important est de s'en rendre compte, de développer suffisamment de vigilance pour s'apercevoir qu'on a été distrait. A ce moment-là, il ne faut pas se faire de souci. Au contraire, il faut rester parfaitement calme et simplement revenir à la méditation sans penser : "c'est bien" ou "c'est mal". Il ne faut surtout pas en ressentir du dépit ou du découragement, car cela ne sert strictement à rien. 

    J'ai donné les instructions concernant la méditation de Tonglen. Lorsque l'on pratique la méditation, il y a toujours deux phases : la méditation formelle et la phase post-méditative. En ce qui concerne la méditation formelle, nous devrions nous en tenir à Tonglen tant que nous n'avons pas complètement maîtrisé cette pratique. 

    Concernant le reste de notre vie, qui n'est pas la méditation elle-même, nous devons nous efforcer d'introduire l'esprit de l'Eveil dans tous les aspects de notre existence, de relier le maximum d'activités quotidiennes à l'esprit de l'Eveil. Mais en disant cela, il convient de rester prudent. L'excès peut être dangereux. En s'efforçant, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de ne penser qu'à l'esprit de l'Eveil, on risque d'avoir un accident de voiture ! Il faut quand même prêter attention à ce que l'on fait ! C'est tout particulièrement lorsqu'on a affaire aux émotions conflictuelles qu'il importe de se souvenir de l'esprit de l'Eveil. Les émotions conflictuelles sont ce qui trouble l'activité fondamentale de l'esprit. 

En particulier, trois aspects des émotions conflictuelles sont à considérer :

    - le désir-attachement :  il s'élève en nous lorsque nous nous trouvons en présence d'une personne, d'un objet ou d'une circonstance qui nous paraît souhaitable pour nous-mêmes, qui pourrait éventuellement accroître nos possessions ou notre moi.

    - l'aversion-rejet : c'est tout ce qui semble nous menacer directement ou indirectement, et que nous repoussons d'autant plus violemment que nous le craignons.

    - l'ignorance-opacité mentale : c'est une tendance de l'esprit à  ignorer délibérément ce qui ne nous convient pas ou ce qui ne nous intéresse pas directement. Il ne faut pas négliger cet aspect d'ignorance ou d'indifférence parce qu'il est à la base de la plupart de nos erreurs. Nous laissant aller à l'ignorance, nous développons une vision des choses erronée. Nous avons une conception du bien et du mal, du bon et du mauvais, du positif et du négatif, qui n'est pas basée sur la réalité des faits mais sur notre envie et nos désirs du moment. C'est une manifestation d'ignorance contre laquelle l'esprit de l'Eveil est extrêmement puissant, car il nous oblige à examiner vraiment les choses. Lorsqu'on a formé le vœu d'accomplir autant que possible le bien de tous les êtres et de les considérer avec amour et compassion, on ne peut pas se contenter de dire : "cela doit être comme cela". On est obligé d'examiner réellement la situation, de voir en soi les émotions et de considérer la position d'autrui. En comprenant ce qui se passe en soi et ce qui se passe en l'autre, on ne peut pas faire autrement que de développer une véritable considération et une compassion authentique pour autrui. On cesse alors de fonctionner avec des opinions pour fonctionner sur des faits plus proches de la réalité.

    Notre pratique principale doit être Tonglen, prendre et donner, et en dehors de la méditation, nous devons relier tous les instants de notre vie à l'esprit de l'Eveil, sans oublier de souhaiter pouvoir débarrasser autrui du mûrissement des causes négatives. Mais tant que nous n'avons pas atteint une véritable stabilité d'esprit, nous risquons de nous ennuyer terriblement dans la méditation. Si l'on essaie de pratiquer Tonglen et que l'esprit n'est pas suffisamment stable, au bout d'un moment on en a assez. Si l'on ne change pas de pratique, on s'ennuie et on finit par abandonner la pratique. Ce n'estpas comme cela qu'on parvient à l'Eveil. On peut donc proposer autre chose pour éviter cela. Quand on en a assez de pratiquer Tonglen, on laisse cette pratique de côté et on pratique simplement la contemplation de l'esprit lui-même. Cela signifie qu'au lieu de se fixer sur une visualisation ou sur un objet quelconque, l'esprit repose en lui-même et essaie de se percevoir lui-même. L'esprit est vacuité, et si l'on voit l'essence de l'esprit, on perçoit la vacuité. Mais lorsqu'apparaît une émotion ou un phénomène mental, ce sont les apparences de l'esprit que l'on peut examiner. En principe, lorsqu'on essaie de demeurer dans la contemplation de l'esprit, comme on est rarement capable de percevoir directement l'essence même de l'esprit, des phénomènes mentaux apparaissent. Ces phénomènes mentaux sont généralement des émotions conflictuelles qu'il convient d'examiner à deux niveaux : un niveau ultime et un niveau relatif. L'examen relatif sert à percevoir et diminuer l'emprise de la saisie égocentrique. Grâce à l'examen des émotions au niveau relatif, on comprend comment la saisie égocentrique se manifeste et peu à peu on en diminue  l'emprise. Quand on médite, on s'établit dans la posture correcte de méditation avec la  respiration appropriée, etc. Lorsque s'élève dans l'esprit des émotions et des phénomènes mentaux, on les examine afin d'essayer de voir ce qu'ils sont et comment ils fonctionnent : pourquoi ces émotions s'élèvent-elles ? Quelles conséquences peuvent-elles entraîner ? Par exemple, si l'on considère un objet ou une situation, le désir-attachement peut s'élever. Lorsqu'on a reconnu cette émotion " la première chose à faire est d'être bien présent et conscient de ce qui se passe – on examine les problèmes qu'elle pose. Si nous éprouvons du désir et nous laissons aller à ce désir sans réagir, cela tend à susciter à l'intérieur de nous l'avidité. Ensuite, le désir nous pousse à agir afin de nous procurer cette chose. Si nous l'obtenons, nous éprouvons une sensation, supposée agréable, qui renforce donc le  mouvement consistant à ramener à soi et à rechercher les objets de plaisir, et qui accroît le désir. C'est une première conséquence, mais ce n'est pas la seule. En général, une même chose est convoitée par plusieurs personnes à la fois. Par exemple, lorsque différentes entreprises travaillent dans un même champ d'application, un chantier ou un client s'avère être un objet de désir, et suscite entre les entreprises une concurrence qui peut être féroce, générant jalousie, colère, duplicité, etc. Bien que nous ne soyons pas une entreprise, nous entrons souvent en concurrence plus ou moins directe avec nos voisins pour l'objet de nos désirs. Cela peut nous entraîner à développer envers eux de l'aversion, de la jalousie, voire de la violence, etc.

    Une autre émotion habitant notre esprit en permanence est l'orgueil. Nous nous apercevons peu de l'orgueil car c'est une tendance qui nous est naturelle : "naturellement, je suis le meilleur; naturellement, je suis au centre de tout, je suis le plus beau, etc."

Quelque chose à l'intérieur de nous pense toujours comme cela. Il convient d'en prendre conscience et de voir les conséquences de cet orgueil. La première conséquence est la susceptibilité. Dès que quelqu'un nous adresse une parole que nous comprenons mal ou nous parle sur un ton que nous estimons ne pas être suffisamment respectueux de nos qualités, dès que nous ne sommes pas immédiatement reconnus pour l'excellente personne que nous croyons être, nous nous mettons en colère. Ou pire, lorsque nous voyons que quelqu'un d'autre est considéré avec des égards que nous pensons n'être dus qu'à nous-mêmes, nous  développons de la Jalousie. Et cette jalousie engendre de la violence.

    Il  est important de procéder de cette manière.  Lorsque l'on a reconnu une émotion, il ne suffit pas de reconnaître sa présence, mais il faut essayer de prendre conscience des  conséquences qu'elle peut entraîner, et qu'elle entraîne souvent. En procédant de la sorte dans notre méditation, nous pourrons voir à quel point nous sommes mauvais.

    Quant à l'ignorance, nous pouvons aisément en voir les conséquences dans la façon dont fonctionne notre esprit. Ce que l'on nomme ignorance est la non reconnaissance, par l'esprit, de sa propre nature, De ce fait, le mode de fonctionnement de notre esprit – tout ce que nous appelons nos processus mentaux - est caractérisé par l'ignorance : à la base de tout notre fonctionnement, se trouve l'ignorance fondamentale. Et l'esprit, qui est en essence vacuité, ne cesse d'apparaître au travers de phénomènes plus ou moins confus que nous appelons les phénomènes mentaux. Parce que nous sommessoumis à l'ignorance, nous associons les phénomènes mentaux qui apparaissent et se dissolvent dans l'esprit à l'esprit lui-même. En fait, ce que nous voyons n'est pas vraiment la nature de l'esprit, mais la manifestation de l'ignorance dans notre esprit. 

    Il convient de respecter une certaine méthode dans cette façon d'examiner l'esprit, et d'introduire un élément de stabilité dans cette contemplation. Par exemple, pendant un certain temps, on, examine l'aversion et la colère; et on s'en tient à l'examen de la colère aussi longtemps que l'on n'a pas vu clairement ce qu'elle est et quelles sont ses implications. Aussi longtemps que l'on n'a pas compris ce que sont le désir et ses implications, on s'en tient à l'examen du désir; et ainsi de suite. Il faut éviter de papillonner d'un phénomène mental à l'autre, d'une émotion à l'autre, parce que l'on n'obtient pas de résultat valable. Il convient de voir que le but de ce genre de contemplation est d'obtenir une certitude dans l'esprit concernant telle ou telle émotion. Mais il ne faut pas non plus sombrer dans le mépris de soi-même ou dans une tendance auto-destructrice.

Il existe une seconde façon d'examiner les phénomènes mentaux, qu'il est recommandé d'utiliser lorsqu'on a suffisamment pratiqué ce premier examen discursif dans lequel on examine mentalement les conséquences de telle ou telle émotion. Afin de ne pas risquer de se lasser des moyens utilisés, il est bon de changer encore une fois de mode d'examen. On considère donc simplement les phénomènes mentaux en essayant de les voir tels qu'ils sont. Lorsqu'un phénomène mental apparaît dans l'esprit, on essaie de voir de quoi il est fait et ce qu'il est, au-delà de l'apparence du phénomène mental. Si j'examine un phénomène mental de cette façon-là, il disparaît de lui-même en se résorbant dans la nature de l'esprit. On voit ainsi que les phénomènes mentaux en eux-mêmes n'ont pas d'existence. Il en va de même pour les phénomènes mentaux directement liés à des émotions conflictuelles : si l'on regarde de cette manière la colère, l'aversion, la Jalousie, l'attachement, etc., on les voit se dissoudre et se résorber totalement dans l'esprit.

  On commence donc par faire un examen discursif des phénomènes mentaux et, au bout d'un certain temps ou lorsqu'on en a assez, on peut passer à ce genre d'examen, qui n'est plus discursif mais qui est une contemplation des phénomènes mentaux en profondeur.

    Maintenant que vous connaissez les différentes méthodes de méditation, il s'agit de les utiliser; sinon, au lieu de méditer, on fait du discours. Lorsqu'il y a ainsi une période d'enseignement, elle doit être immédiatement suivie par la pratique de cet enseignement.

    Je vais maintenant enseigner l'Entraînement de l'esprit en sept points. Ces explications sont très importantes et il convient d'en prendre note. Ces enseignements sont condensés mais complets : ces sept points résument toutes les instructions de lodjong. Celui qui s'y adonne totalement, d'une manière pure, n'a aucune inquiétude à avoir : il atteindra réellement l'Eveil, au pire dans le bardo après la mort. En effet, la libération dans le bardo est plus facile, du fait que ce que l'on appelle les karmas venus à maturité perdent de leur force juste après la mort : les karmas qui ont été portés à maturité dans la vie qui vient de s'écouler prennent fin, et ceux de l'existence qui va suivre n'ont pas encore commencé à venir à maturité. Il y a comme un intervalle de temps dans lequel la venue à maturité des karmas est ralentie. Cependant, il n'est pas nécessaire d'attendre la mort pour que la pratique pure de lodjong porte ses fruits. Si l'on s'y consacre avec suffisamment d'enthousiasme et de persévérance, en cette existence même il est tout à fait possible de parvenir à l'Eveil. 

    Cet enseignement comporte sept points. Il convient de les pratiquer à la fois dans la méditation elle-même et dans la phase post-méditative, c'est-à-dire dans la vie quotidienne qui n'est pas la méditation, et le lien doit être clairement établi.  

         Le premier point concerne la pratique du gourou-yoga que j'ai  déjà expliquée.

        Le deuxième point concerne l'entraînement à l'esprit de l'Eveil. Il y a deux aspects à cet esprit de l'Eveil ; l'aspect relatif et l'aspect ultime. L'esprit de l'Eveil au niveau ultime est directement lié à lhaktong, la vision pénétrante. Il est aussi directement lié à la pratique du mahamoudra. L'aspect relatif de la bodhicitta est directement lié, lui, à la pratique des accumulations. Pour parvenir à l'Eveil, il est absolument nécessaire de réunir la sagesse (par la pratique de lhaktong et de la bodhicitta au niveau ultime) et les moyens habiles, qui sont donnés par la pratique des accumulations. L'esprit de l'Eveil au niveau ultime nécessite, pour être vraiment développé, de s'appuyer sur un point de vue parfaitement juste. Il s'agit de considérer l'esprit comme étant vide - donc dépourvu de caractéristiques - parfaitement limpide et dépourvu de toute obstruction. Pour parvenir à la contemplation de l'esprit tel qu'il est,  il est extrêmement important d'avoir au départ une idée précise et claire de ces points de vue ; vacuité, limpidité, non obstruction. Mais la compréhension intellectuelle ne suffît pas; il faut encore aller voir par soi-même, ce qui est l'affaire de la pratique de la méditation.

      Cet esprit, dont l'essence est parfaite vacuité, complète limpidité (ou cognition) et non obstruction, peut se manifester de deux façons. Tant que sa nature parfaitement pure, limpide, etc., n'est pas reconnue, il se manifeste dans les productions ou la radiance de l'esprit. Au lieu d'être l'esprit dans son essence dépourvue de production, il y a conception et saisie égocentrique. Le mode de conscience qui correspond à cette saisie égocentrique est ce qu'on appelle Namshé, la conscience dite ordinaire. Namshé signifie : ce qui perçoit les apparences, ce qui connaît tout. Effectivement, à partir de cette conscience ordinaire de base, se développent des modes ou des instruments de perception : il y a une conscience correspondant à la vue, une conscience correspondant a l'odorat, une conscience correspondant au goût, une conscience correspondant au toucher, une conscience correspondant à l'ouïe, II y a enfin une sixième conscience, qui correspond à l'intégration dans le mental. Ceci se situe au niveau de l'esprit de l'individu, mais, du fait de ces six consciences, l'univers apparaît en tant que ce que nous appelons les apparences illusoires : l'esprit saisit la réalité ultime non pas en tant que réalité ultime, mais en tant que réalité fractionnée par ces six consciences. C'est ce que nous appelons les phénomènes. Les phénomènes sont d'abord le corps et les différents attributs de celui qui détient cette conscience, et puis tous les phénomènes extérieurs, c'est-à-dire l'univers.  Cela constitue le point de vue concernant à la fois la nature ultime de l'esprit et la nature de la conscience ordinaire, et la nature des phénomènes. C'est un point de vue relativement aisé à comprendre.

   Le problème est que, lorsque l'on est confronté au quotidien, c'est beaucoup plus difficile à percevoir. On peut très bien comprendre que les phénomènes sont vacuité, que l'esprit est vacuité, que tout cela est une illusion, mais tant qu'on y est plongé, cela a l'aspect d'une réalité tout à fait tangible. Si je prends cette cloche, elle est solide; si je la remue, elle sonne.               C'est absolument indéniable. Je peux me dire que la cloche n'a pas d'existence propre, que le son est vacuité et que ce n'est qu'une production de mon esprit.

  C'est vrai. Mais il m'est extrêmement difficile de le reconnaître au moment même où je fais cette expérience. Ces points de vue demeurent intellectuels. Il faut maintenant passer à la phase la plus importante qui est l'application dans la méditation. Je ne sais pas si c'est très facile, pour des Européens, de le faire. En tous cas, voilà comment nous procédons. On médite sur le monde extérieur, sur les phénomènes.  On dit que tous les phénomènes, bien qu'apparaissant réels, sont illusoires : si on les examine, on s'aperçoit qu'ils sont vacuité et qu'ils représentent juste une illusion de l'esprit. Pour y parvenir, il y a deux façons de procéder :

     -  soit on comprend vraiment le raisonnement logique et on le refait.

     - soit le raisonnement logique ne nous apparaît pas clairement, mais nous l'acceptons comme tel puisque le lama nous l'a ainsi expliqué.

     Lorsque l'on possède une intelligence suffisamment entraînée, si l'on a développé un certain sens de la logique, il est possible de parvenir tout seul à la conclusion que les phénomènes sont illusoires. Il  n'est  pas  obligatoire  d'être  bouddhiste  ou  d'avoir  reçu les enseignements du Bouddha pour parvenir à cette conclusion. Il faut savoir que les enseignements du Bouddha correspondent à la réalité telle qu'elle est. Ce n'est pas une doctrine qu'il faut croire, c'est simplement la description des choses telles qu'elles apparaissent et telles qu'elles sont. Shakespeare fait une allusion à cela quand il dit: "Etre ou ne pas être, dormir, rêver peut-être, etc."; cela signifie que pour cet auteur l'existence réelle n'a peut-être pas plus de réalité qu'un rêve. Je ne suggère pas ici qu'on puisse comparer Shakespeare au Bouddha lui-même, mais cet exemple est destiné à expliquer qu'on peut parvenir aux mêmes conclusions avec des raisonnements différents.

 

      Tout cela n'est que de la théorie. Cependant, il s'agit d'une théorie importante parce qu'elle nous donne des points de vues exacts pour commencer. Mais l'essentiel est de s'asseoir, de méditer et de  réaliser cela. Je m'asseois et je calme mon esprit. Calmer l'esprit signifie, par exemple, suivre vingt et un cycles respiratoires  : inspiration, expiration, etc. Au bout de vingt et une fois, mon esprit devrait être suffisamment calme pour que je tente de voir ce qu'il est, J'essaie de voir l'esprit sans le relier à quoi que ce soit d'autre, sans tenter de voir autre chose, de voir les phénomènes, II importe simplement de voir l'esprit lui-même.

     Il faut aussi faire attention à ne pas se perdre dans cette quête. Quand on examine l'esprit, on s'aperçoit qu'il n'a pas de forme propre, pas de couleur ni de caractéristique propre. C'est quelque chose qu'on chasse constamment et qu'on ne trouve pas. Il n'y a rien de substantiel à quoi s'accrocher. Cela peut donner le vertige. Il importe de bien faire attention et de ne pas retomber comme une fusée qui se brise.

     Dans l'esprit apparaissent des phénomènes mentaux, mais quelque soit le phénomène mental, aussi abstrait puisse-t-il paraître, il est toujours connecté à un objet qui n'est pas l'esprit. Lorsqu'apparaît un phénomène mental, si l'on regarde ce phénomène mental (l'objet), on s'aperçoit que l'objet est une production de l'esprit, qu'il n'a pour nous d'autre existence que d'être une production de notre esprit, et si l'on examine la véritable nature de cet objet, on s'aperçoit qu'il est lui aussi totale vacuité.

    Le fait de pouvoir demeurer dans la contemplation de son propre esprit est le résultat d'un entraînement qui peut s'apparenter à n'importe quel entraînement. Simplement, dans le cas de l'esprit, il s'agit d'un entraînement où les muscles n'ont aucune part.

    En clair, cela signifie qu'il faut méditer. Tous les enseignements sont très bons, mais ils ne doivent pas devenir une espèce de trésor ou de nourriture intellectuelle qu'on trimbale avec soi ou qu'on exhibe. En fait, tous les enseignements et toutes les explications donnés sont seulement destinés à nous permettre d'en faire l'expérience dans la méditation.

    Lodjong un enseignement simple, mais très précieux. On ne devrait pas recevoir de tels enseignements si l'on n'est pas vraiment décidé à les mettre en application dans la méditation. Quand on prend les vœux de refuge, de fidèle laïc, de moine ou de nonne, de moine pleinement ordonné ou de nonne pleinement ordonnée, quand on reçoit au cours d'initiations les vœux du vajrayana, tout cela n'est pas destiné à nous contraindre à remplir des obligations vis-à-vis de quelque déité à laquelle nous devrions rendre compte. Non, cela est uniquement destiné à nous aider à dissiper les obstacles, qui oe sont pas à l'extérieur de nous - il y a très peu d'obstacles extérieurs à la pratique - mais proviennent de nous-mêmes. C'est pour cela qu'on prend des vœux, et non pour autre chose. Je tenais à bien. marquer la spécificité des vœux du bouddhisme; c'est une précision destinée à faciliter la pratique. Cela conclut l'enseignement concernant la bodhicitta au niveau ultime.

     Il y a donc sept points, le deuxième concerne l'esprit de l'Eveil, dans lequel il y a un niveau relatif et un niveau ultime; nous venons de voir le niveau ultime. En ce qui concerne la bodhicitta au niveau relatif, je l'ai déjà clairement expliquée. Elle se développe par la pratique de Tonglen, méditation qui consiste à prendre et donner. En expirant, on envoie à tous les êtres les causes de bonheur que l'on peut avoir soi-même développées. En inspirant, on prend sur soi toute la souffrance et la négativité de tous les êtres. Telle est la visualisation, mais ce qui compte vraiment, c'est l'amour et la compassion que l'on développe et éprouve à l'intérieur de soi. Il s'agit d'un amour et d'une compassion qui doivent être sincères et authentiques. Il ne s'agit pas de faire une visualisation vide ! Il faut qu'elle corresponde à quelque chose de réellement ressenti.

     Le troisième, point consiste à intégrer à la voie les éléments négatifs. Lorsqu'on entraîne l'esprit, il s'agit de combattre la saisie égocentrique. Lorsque la saisie égocentrique diminue, les émotions conflictuelles décroissent, et l'esprit devient plus clair. Il est indispensable de développer des points de vue justes, de méditer sur l'amour et la compassion, de pratiquer le développement de la bodhicitta. Mais il convient aussi d'aller plus loin et, dans le quotidien, de rendre tout ce qui peut être considéré comme négatif et de travailler sur ce négatif de manière à diminuer cette fameuse saisie égocentrique. Cela se fait aussi bien au niveau relatif qu'au niveau ultime, aussi bien dans la phase méditative que dans la phase post-méditative.

    Quelles que soient les difficultés et les maladies auxquelles on se trouve confronté, à l'origine il y a toujours notre propre saisie égocentrique. Qui est touché par ce qui est désagréable et douloureux ? C'est moi ! Effectivement, si cette saisie égocentrique n'existait pas, rien ne pourrait être désastreux ni irritant. Par exemple, si le traducteur fait des erreurs et que je m'en irrite, cette irritation ne vient pas du traducteur mais de moi. Si je n'ai pas d'ego, je ne peux pas être irrité. Le traducteur pourrait raconter ce qu'il voudrait, cela neme ferait strictement rien. Si je suis irrité par quelque chose, si je souffre d'une situation quelle qu'elle soit, à l'origine de ces souffrances il y a ma propre saisie égocentrique. 

    En méditant ainsi, nous nous apercevons que tout ce qui nous arrive de désagréable trouve son origine en nous-mêmes. Les autres peuvent avoir un comportement négatif, erroné ou irritant, mais l'irritation que nous ressentons est directement liée au fait que nous avons un ego. Sans ego, nous ne poumons pas être irrités et nous n'aurions pas à souffrir. Nous pouvons ainsi parvenir à la conclusion que ce que nous trouvons mauvais dans le monde est en fait dû à notre perception. Par exemple, si je suis juge et que le traducteur est le prévenu qui a commis quelque chose de mal, cela irrite ma conscience morale ; mais si cela m'irrite, c'est de ma faute car j'ai un ego. D'un autre côté, si je ne suis pas irrité et que je considère que c'est de ma faute, le traducteur ne sera pas châtié. Et s'il n'est pas châtié, il recommencera. Alors que dois-je faire ? Voilà comment je réglerais l'affaire, en me référant à l'une des histoires des vies passées du Bouddha. Le Bouddha était alors capitaine d'un grand navire de commerce. Il y avait là de fort riches marchands et des matelots. Parmi les matelots, l'un d'eux était très jaloux et ne supportait pas de voir ces riches marchands ne rien faire, alors que lui trimait pour demeurer pauvre. Par dépit, il décida de mettre fin à cette situation, tout simplement en faisant un trou dans le bateau. Mais c'était compter sans la clairvoyance de celui qui allait devenir le Bouddha, qui immédiatement réalisa la chose, et tua le matelot. Pourquoi l'a-t-il fait? C'était un bodhisattva, il n'avait aucune colère ni aucun ego; il n'avait donc pas de raison de tuer quelqu'un, ce qui est un acte particulièrement horrible. En fait, il a simplement réfléchi que, s'il ne tuait pas le matelot, les nombreuses personnes à bord du bateau allaient mourir, et non seulement cela, mais le matelot aurait un karma épouvantable pour avoir accompli cet acte motivé par la jalousie. Afin d'éviter tout a la fois aux personnes d'être noyées et au matelot d'être envoyé dans les états infernaux d'existence, il l'a tué. Le matelot, n'ayant pu accomplir jusqu'au bout son action négative, hérita d'un karma considérablement allégé; en même temps, le Bouddha a sauvé la vie des passagers. C'est ainsi que j'agirais.

    Telle est l'intégration des éléments négatifs au niveau relatif. Au niveau ultime, cela a lieu lorsque l'on a obtenu une véritable réalisation et que l'on est capable de se manifester au niveau des Terres Pures. A ce moment-là, on a parfaitement réalisé la vacuité de tous les phénomènes et le caractère illusoire de ces manifestations, mais on demeure cependant conscient de la souffrance des êtres qui restent plongés dans cette illusion. Pour soulager leur souffrance, on manifeste les Terres Pures et on s'y manifeste soi-même de toutes les façons possibles, de manière à soulager une souffrance que l'on sait être illusoire au niveau de réalisation où l'on se trouve, mais qui, au niveau relatif, est parfaitement réelle. On s'y consacre donc pleinement. Cela est une des caractéristiques d'un bodhisattva parfaitement réalisé. En ce qui concerne les bodhisattvas qui n'ont pas encore obtenu la réalisation, ils peuvent considérer les phénomènes en tant que le Corps d'émanation, considérer que le fait que les phénomènes sont en essence vides correspond au dharmakaya, et considérer enfin que le fait que les deux réalités - relative et ultime - coexistent sans s'exclure correspond au sambhogakaya.

    Je vous mets en garde contre le manque de mesure ou de discernement. On peut très bien être amené à se dire : "Je suis le nirmanakaya, le Corps d'émanation des bouddhas; tout est nirmanakaya, tout est vacuité; donc rien n'a d'importance. Vous avez coupé le cou du poulet ? Cela n'a aucune importance : je suis nirmanakaya, il est nirmanakaya et le couteau lui-même est nirmanakaya; par conséquent, tout est bien." Il s'agit d'un exemple grossier et il n'y a .pas de danger, dans ce cas, de fausse conception.. Mais il faut faire attention car, lorsque l'on est aveuglé par ses désirs, on a souvent tendance à tordre le cou aux apparences et à la réalité pour les faire correspondre à nos souhaits. N'imaginez pas qu'il est bien de se balader tout nu eu public parce que tout le monde est nirmanakaya ! 

 

       Le quatrième point est : l'intégration à la vie quotidienne de la  voie, La bodhicitta et l'entraînement de l'esprit ne doivent pas demeurer des choses à part dans notre existence, mais devenir une habitude de tous les instants. Il faut utiliser toutes les expériences et circonstances pour voir à l'œuvre notre égocentrisme et pour essayer de le subjuguer et de constamment le diminuer. Cela doit devenir absolument naturel : à chaque fois que l'on se trouve en face de quelque chose de désagréable - un problème ou une maladie - on doit immédiatement voir que cela provient de l'ego et du karma. Et il est grand temps que nous nous libérions du piège de l'ego !

 

     Plus particulièrement, il y a quelque chose à pratiquer et à établir pour le moment précis de la mort. Il est très important d'arriver libéré d'un maximum d'attaches au moment de la mort, surtout des attaches matérielles. Lorsque l'on voit la mort approcher et que l'on sait qu'il n'y a plus d'issue, il est extrêmement important de se défaire de toutes ses possessions. On les lègue sans problème en disant : "Je lègue ceci à mes enfants, ma famille, mes amis; puisse cela les aider à atteindre l'Eveil." Et si on le désire, il est bien d'utiliser une partie de ses possessions pour pratiquer la générosité; on le fait le plus sincèrement possible, en ayant conscience de se débarrasser d'un fardeau. Il importe d'avoir disposé de ses biens avant sa mort et de ne pas aborder le dernier moment de sa vie avec en tête le souci del'argent que l'on a en banque ! Il faut vraiment partir avec l'esprit complètement débarrassé de toute attache matérielle. Au moment de mourir, si l'on peut, on s'asseoit dans la posture de méditation, sinon, il faut se coucher sur le flanc droit, en plaçant si possible la main sous la joue, le petit doigt bouchant la narine droite. Dès lors et jusqu'au moment de la mort, on se consacre à la pratique de Tonglen (prendre et donner), en s'efforçant d'aller peu à peu vers une méditation qui nous amène à la contemplation de la réalité ultime des phénomènes. On peut aussi faire des souhaits : "Puisse-je, lors de mon passage dans le bardo, être utile au plus grand nombre d'êtres possible. Puisse-je me remanifester en des Terres Pures et obtenir l'Eveil de façon à libérer de la souffrance un maximum d'êtres." C’ est très important de mourir en faisant ce genre de souhaits.

 

    Le cinquième point concerne le fait de mesurer notre progression sans l'entraînement de l'esprit. La seule mesure valable est la diminution de la saisie égocentrique. Cela doit être fait le plus objectivement possible. Il ne s'agit pas de se congratuler en se disant : "maintenant je n'ai plus d'ego, c'est fantastique !" mais simplement d'être conscient des progrès que l'on a pu faire, ou ne pas faire. Pour cela, il suffit de regarder nos réactions face à des circonstances inattendues et désagréables : réagissons-nous avec violence, avec calme, avec compassion, avec amour vis-à-vis des autre ? C’est là qu’on peut véritablement mesurer sa progression et il convient d’être réellement sincère dans cet examen.

 

Le sixième point porte sur les engagements de l’entraînement de l’esprit et le septième point consiste essentiellemnet en des conseils qui permettent de demeurer dans la voie de l’entraînement de l’esprit.

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