"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."

LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ

Revue "Tendrel"

Retrouvez sur cette page des enseignements parus dans la revue "Tendrel" éditée par Dhagpo Kagyu Ling jusqu'en 2002.

LE MAHAMOUDRA DU GANGE - 3

Lama Guendune Rinpoché

Suite de l'enseignement donné par Lama Guendune Rinpoché en août 87,
  basé sur un commentaire des instructions orales sur le Mahamoudra qui
furent transmises à Naropa par son maître Tilopa sur les rives du Gange, à
l'aube de ce millénaire.


 L' univers est simplement la manifestation de notre
         esprit. Reconnaissant ainsi qu'esprit et manifestation
         ne sont qu'une seule et même chose, il convient de
 ne pas s'égarer dans une appréhension dualiste de l'esprit et
 des phénoménes. Il est trés important de garder ceci présent à
 l'esprit avant de s'engager dans la méditation.
     Bien que tous les phénoménes de l'univers soient dé-
 pourvus d'existence intrinséque, néanmoins ils se manifestent
 et sont perceptibles. Cette manifestation n'a pas de véritable
 existence ; c'est la raison pour laquelle manifestation et
 vacuité sont dites inséparables. La non-dualité de la vacuité et
 de la manifestation doit être reconnue comme le jeu de la
 grande félicité, celle-ci n'étant autre que le Dharmakaya,
 spontanément présent. Ce jeu de la félicité et de la vacuité est
 une autre maniére de nommer le Mahamoudra, de même
 qu'on peut affirmer du Mahamoudra qu'il est non-dualité de la
clarté (ou lucidité) et de la vacuité. Enfin, dans la méditation
du Mahamoudra il ne faut établir aucune différence entre la
personne qui médite, l'action de méditer et l'objet de la
méditation ; ces trois aspects sont inséparables.

     Sur le chemin de la méditation, nous reconnaissons notre
situation actuelle. Pour l'instant, bien qu'il n'y ait pas de "je"
ou d'"ego" réellement existant, nous nous accrochons cependant
à son existence, ce qui entraîne l'attachement à l'idée que les
autres sont extérieurs à nous. Cela nous conduit à une
situation de dualité et, de ce fait, nous nous mettons à porter
un jugement sur nous-même et sur autrui, considérant
certaines personnes comme proches de nous et d'autres comme
éloignées. Nous les catégorisons en amis et ennemis, et dans
notre esprit diverses émotions s'élévent alors. Sous l'influence
de ces émotions, nous accomplissons des actes qui auront des
résultats impurs, qui entachent et recouvrent l'esprit, nous
empêchant de reconnaître sa vraie nature.
    Il faut, dans la méditation, cultiver un état d'esprit qui ne
s'attache à rien et dans lequel on "laisse aller" simplement.
Ainsi, on coupe court à ce processus de dualité, d'émotions, de
karma, etc., et l'on peut voir que l'essence de l'esprit est le
Dharmakaya. Cela survient pendant la méditation de faÁon
naturelle, ce n'est pas quelque chose que l'on peut produire
par de grands efforts. Il est important de le comprendre, sinon
nous allons essayer d'atteindre dans notre méditation un état
qui soit libre de toute pensée, et les efforts que nous ferons
pour y parvenir seront source de grande souffrance.

    Dire que l'on réalise l'état ultime du Mahamoudra et
penser que l'on accomplit ainsi quelque chose de nouveau est
une erreur, car la réalisation du Mahamoudra est présente en
nous de maniére permanente, depuis des temps sans
commencement. Simplement, elle est temporairement
recouverte des voiles de nos actions karmiques. Lorsque l'on
réalise enfin l'essence de son propre esprit, on se rend compte
que cet état ultime du Mahamoudra a toujours été là présent
en nous : reconnaître l'essence de son propre esprit est comme
reconnaître quelqu'un que l'on a toujours connu et que l'on
avait juste perdu de vue pendant quelque temps. Au moment

 de la reconnaissance, l'esprit devient naturellement libre : ses
limitations ordinaires sont dénouées et il peut se libérer de
toute contrainte.


    Notre esprit est ordinairement dans un état de grande
contrainte ; cela est dû aux émotions, au fait que nous nous
attachons aux choses et que nous les rejetons : nous sommes
constamment sous l'emprise des émotions d'attachement et de
répulsion (ou de colére). De plus, notre esprit est dans un état
d'ignorance. Ce sont ces trois modes impurs (attraction,
répulsion et ignorance) qui nous emprisonnent dans le cycle
des existences. Abandonner ces limites nous permet de
reconnaître que notre esprit est Bouddha : nous n'avons nul
besoin de chercher à l'extérieur l'état de Bouddha, il est déjà
en nous. Il n'est pas éloigné dans le futur, mais
instantanément présent ici et maintenant. Puisqu'il en est
ainsi, il n'est pas difficile de parvenir à la bouddhéité.

      Dans le chant de Tilopa, "Le Mahamoudra du Gange", il
 était dit : "Si l'on ne transgresse pas le sens ultime de "sans
 demeure" et "sans point de référence", le samaya du
 Mahamoudra n'est pas transgressé : c'est l'état que l'on
 nomme "torche dans l'obscurité de l'ignorance".
      Il faut abandonner toute tendance à l'argumentation
 intellectuelle concernant la réalité ultime de l'état naturel. On
 ne doit pas laisser son esprit se raccrocher au dualisme
 "bon/mauvais" ni aux émotions qui en résultent, la colére et
 l'attachement. Quand on est libéré de tout cela, peu importe le
 nombre des pensées apparaissant dans l'esprit, elles ne
 transgressent pas cet état naturel ultime et, bien au contraire,
 se libérent d'elles-mêmes automatiquement, exactement comme
 les dessins que l'on peut voir sur l'eau. En effet, tout comme
 le mouvement de l'eau crée des dessins à la surface, le
 mouvement des idées à l'intérieur de notre esprit crée toutes
 sortes de pensées ; mais ces pensées viennent de l'esprit et
 s'en retournent dans l'esprit sans en troubler l'état naturel.
      Par conséquent, si l'on ne transgresse pas la méditation
 ultime sans demeure et sans point de référence pour l'esprit,
 on ne transgresse pas le samaya (l'engagement secret) du
 Mahamoudra. Cela devient donc comme "une torche qui a la
 capacité de dissiper l'obscurité de l'ignorance".

     Le chant poursuit, expliquant qu'être affranchi des ex-
 trêmes de la colére et de l'attachement permet de comprendre
 tous les enseignements des Sûtras, sans exception. Si l'on
 s'absorbe dans la réalité de cet état, on s'évade de la prison
 du cycle des existences. Si l'on parvient à un état de stabilité
 dans cette réalité ultime, toutes nos négativités et tous nos
 voiles se consument. C'est ce que l'on nomme "la torche de
 l'enseignement".
     Demeurer en dehors de tout extrême représente l'omni-
 science de la sagesse primordiale, celle-ci pouvant voir et
 comprendre chaque chose exactement telle qu'elle est en
réalité. Cette sagesse primordiale inclut également la
 compréhension de la diversité de tous les phénoménes : de la
réalité ultime s'éléve une manifestation multiple, et la
 connaissance de l'état ultime est également connaissance de
 l'infinie diversité du mode de manifestation, connaissance de
 la vérité relative. Cette seconde connaissance apparaît
 automatiquement aprés la premiére ; quand cela se produit,
 on peut comprendre tous les enseignements, qu'ils soient
 bouddhistes ou non-bouddhistes. Se garder de l'extrême de
 l'existence aussi bien que de l'extrême de la pacification de
l'existence - les deux extrêmes du samsara et du nirvana -
 permet d'atteindre la réalité ultime des phénoménes.
     Le chant donne ensuite des instructions sur la maniére de
 développer la compassion pour tous les êtres qui n'ont pas
 réalisé cette réalité ultime à cause de leur intelligence limitée.
 Les êtres qui n'ont aucune foi ni confiance en la réalité
 ultime, ceux qui n'ont pas la capacité de la comprendre et de
 la reconnaître, sont emportés sans fin par le flot de l'existence
 cyclique, et s'épuisent. Les souffrances des trois royaumes
 inférieurs ne finissent jamais pour ceux qui y sont plongés et
 il faut donc développer une grande compassion pour ces êtres
 inconscients. Ceux qui souhaitent mettre fin à ces souffrances
 insupportables doivent s'en remettre à un lama qualifié ; la
 réception en leur cúur de sa gr‚ce permet à leur esprit d'être
 complétement libéré de l'ignorance.
    Réaliser le Mahamoudra est donc essentiel. Tous les
phénoménes du cycle des existences ne sont cause que de
souffrance et sont dénués de sens et sans aucune importance.
Tous les phénoménes composés, toutes nos actions manifestées,
sont également sans essence ou sans signification véritable.
Par conséquent, nous devrions abandonner ces actions
dépourvues de sens et plutÙt appréhender directement la
signification essentielle de la réalité ultime.

    Les différents aspects du cycle des existences - les
émotions perturbatrices ; le karma, c'est-à-dire les actions
accomplies sous l'emprise de ces émotions ; et les skandhas ou
divers constituants de notre être - sont cause les uns des
autres, selon un processus sans fin, un cercle vicieux ; c'est
pourquoi nous expérimentons la souffrance dans ce cycle des
existences qui ressemble à une grande roue que nous faisons
tourner sans arrêt. Notre habituelle saisie d'un sujet et d'un
objet constitue la racine de ce processus cyclique : nous
conceptualisons les objets, les nommant constamment, les
définissant et leur donnant des attributs, et nous nous
attachons aussi à l'idée d'un sujet, qui se trouve sous le
contrÙle des objets qu'il perÁoit. Les différents phénoménes du
cycle des existences, qu'ils en soient la cause ou le résultat,
sont sans valeur et dénués de sens. Le samsara n'est qu'un
cycle d'accumulation puis de complet dépérissement de tout ce
que l'on a accumulé. Ainsi il nous faut reconnaître que par
nature l'existence cyclique est absurde et inutile.

    Le chant poursuit :

    La vue royale est celle qui transcende tonte saisie d'un
    sujet et d'un objet.
    La méditation royale est celle qui est libre de toute
    distraction.
    L'activité ou conduite royale est celle qui est libre de tout
    effort et intention.
    Et lorsque l'on demeure libre de tout espoir et de toute
    crainte, on rend le fruit manifeste..

    Ensuite il est expliqué que, si l'on demeure dans un état
qui transcende tout objet pouvant servir de point de référence
à la conscience, la nature de l'esprit devient évidente et claire.
On est sur le chemin vers la bouddhéité quand on ne suit
aucun chemin. Méditer sans objet de méditation est le signe
qu'on atteindra l'insurpassable Eveil. On ne doit pas
rechercher un type particulier de vue, de méditation ni
d'action ; il faut également être libre de toute recherche d'un
objet de méditation susceptible de constituer un point de
référence relatif à cet état naturel ultime ; et l'on doit être
libre de toute idée de progression le long d'un chemin.
Certains enseignements sur l'obtention de la réalisation
parlent de différents niveaux et chemins, mais dans
l'enseignement du Mahamoudra, la base, le chemin et le
résultat sont inséparables. Pour cette raison, puisqu'il n'y a
pas à passer d'un état à un autre, l'enseignement du
Mahamoudra est un enseignement ultime et un trés court
chemin jusqu'à l'illumination.

    La partie suivante du chant donne des instructions sur la
maniére de mettre en pratique cette réalité ultime. Le texte
 explique que l'on ne doit pas regarder comme dignes d'intérêt
 les phénoménes mondains, les phénoménes de l'existence
 cyclique : on doit reconnaître leur impermanence et ne pas
leur prêter attention. Ils sont comme une illusion magique ou
un rêve dépourvu de réalité propre. Puisqu'il en est ainsi, il
nous faut développer le renoncement, reconnaître que toute
activité mondaine est complétement inutile et insensée et
abandonner alors complétement cette activité dénuée de sens.
On doit couper tous les liens entresoi-même et les objets du
cycle des existences, que ces liens soient basés sur
l'attachement ou la colére, et méditer en un lieu isolé (au
milieu d'une forêt ou sur le versant d'une montagne) en
demeurant dans un état de non-méditation même lorsque nous
méditons.

    La partie suivante du chant parle des bienfaits provenant
de la pratique du Mahamoudra : si l'on atteint ce qui est hors
d'atteinte, c'est le Mahamoudra. Par exemple, si l'on coupe
simplement les racines d'un arbre immense pourvu de
multiples branches et feuilles, toutes ses branches se
dessécheront, qu'il y en ait dix mille ou cent mille. De la
même maniére, si l'on coupe les racines de l'esprit, toutes les
feuilles du cycle des existences qui proviennent de l'esprit se
dessécheront. Ou encore, comme une simple torche a le
pouvoir de dissiper l'obscurité accumulée pendant un millier
d'éres cosmiques, de même un instant de Claire-lumiére, de
reconnaissance de la nature de l'esprit, a le pouvoir de
dissiper toute l'ignorance, les négativités et les voiles que nous
avons accumulés pendant des temps infinis.
    Rinpoché précise que, lorsque l'on parle de la
Claire-lumiére de l'esprit, on doit être attentif à ne pas
prendre cela dans un sens trop littéral ni penser que lorsqu'on
atteint la réalisation on voit des flots de lumiére, des
arcs-en-ciel ou des rayons de différentes couleurs. Même si de
telles expériences peuvent se produire, elles ne sont pas ce que
l'on appelle la Claire-lumiére, mais simplement les
 manifestations qui s'élévent en celui qui désire fortement faire
 des expériences. La véritable Claire-lumiére fait référence à ce
 qu'est l'esprit quand il est libre de toute impureté et de tout
 voile, c'est-à-dire à sa clarté naturelle.
     On peut alors se poser la question de savoir comment il
 est possible, lorsqu'on a réalisé la nature de l'esprit,
 d'accomplir le bienfait de tous les êtres vivants si celle-ci est
 vide. En fait, même si la nature de l'esprit est vide, le bienfait
 de tous les êtres est contenu dans cette nature vide : celui qui
 réalise son esprit est capable d'accomplir le bienfait d'autrui
 sans aucun effort ; c'est quelque chose de tout-à-fait spontané
 et naturel. Prenons des exemples : on sait que le feu inclut la
 qualité de chaleur, que l'eau comporte la qualité d'être humide
  et que le miel a la qualité d'être sucré. Toutes ces
  caractéristiques - chaleur, humidité et douceur - ne sont pas
  des qualités qui s'ajoutent à la substance, elles en font partie.
  De faÁon similaire, la capacité d'agir spontanément pour le
  bienfait de tous les êtres vivants fait partie de la nature de
  l'esprit. Elle n'est pas quelque chose d'extérieur devant être
  ajouté.
                                                      (à suivre)

                        Traduit de l'anglais par Claudine Ledroit

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