"Le bouddhisme est un mode de vie par lequel nous développons les qualités de notre esprit.
C’est un mode de vie très particulier, car c’est une façon d’atteindre le bonheur
sans nuire à autrui."

LE XVIIe GYALWA KARMAPA, TRINLEY THAYÉ DORJÉ

Revue "Tendrel"

Retrouvez sur cette page des enseignements parus dans la revue "Tendrel" éditée par Dhagpo Kagyu Ling jusqu'en 2002.

 

SE PREPARER A LA MORT

Guendune Rinpoché

Nous avons tous rencontré des situations difficiles dans lesquelles des amis ou des proches sont morts; nous nous sommes tous trouvés à un moment ou à un autre perdus face à ce départ, sans savoir trop quoi faire. Que peut-on faire, à part pleurer, pour aider effectivement les défunts ?

Lorsque cette expérience entre dans notre vie, il faut associer l'esprit des défunts à notre pratique et se regrouper dans les centres du dharma ou le faire chez soi. Si cela a lieu dans un centre, ou s'il s'agit de la mort d'un membre de la sangha ou d'une personne que l'on connaissait, il est bon de se rassembler pendant les quelques jours qui suivent la mort, de façon assez régulière, et de faire en groupe une pratique essentielle, simple et universelle, celle de Tchenrézi. On peut aussi faire des offrandes de lumière et des offrandes en général à l'intention de ce défunt, mais ceci peut être fait aussi à l'intention de tous les défunts en général. Cette pratique de Tchenrézi ne doit pas être faite occasionnellement ou ponctuellement, à la mort de quelqu'un, mais tous les souhaits liés à cette pratique doivent être accomplis encore et encore. La persévérance dans la pratique est essentielle. On peut parfois être dérouté par la simplicité de la pratique de Tchenrézi et se dire que, puisque c'est simple, ce n'est pas important: il s'agit d'une petite pratique enfantine pour débutants. Il s'agit là d'une erreur profonde. En effet, si cette pratique est aussi largement accomplie, si elle est aussi universellement répandue, c'est précisément parce qu'elle est profonde. Tchenrézi représente la compassion de tous les êtres éveillés. Lorsqu'on récite le mantra de Tchenrézi, on en appelle à la compassion de tous les êtres éveillés. On développe cette compassion potentielle en soi également, on se met au diapason de la compassion universelle, et l'action pénètre et anime tout l'espace et touche tous les êtres. Il s'agit d'une pratique universelle, beaucoup plus profonde que sa simplicité pourrait le laisser paraître. Le mantra de Tchenrézi a un autre avantage: il est très simple à réciter, comme il est facile d'apprendre le rituel. Le mantra, om mani padmé houng, n'est pas difficile à apprendre, ni même à utiliser, et on ne court pas le risque de l'oublier. Cette pratique allie donc tous les avantages: la simplicité, la profondeur, l'universalité. Il ne faut donc pas s'en priver, mais, au contraire, l'utiliser très largement pour ses amis, pour ses proches défunts, au sein des centres, mais aussi chez soi.
Lorsque les défunts quittent ce monde, ils laissent derrière eux ce qui représentait leur environnement: leur corps, leur parole, le monde qui les entourait et tout ce qui constituait leur univers. Au moment de la mort, ils emportent avec eux toutes les tendances négatives et les émotions qui sont dans leur esprit, ce qui constitue un poids très lourd les poussant vers des conditions douloureuses. Il est évident que le seul soutien qu'on puisse leur apporter à ce moment-là est d'ordre spirituel. On ne peut pas matériellement et physiquement les prendre par la main, les protéger et leur dire de ne pas s'inquiéter, que tout ira bien, etc. Ce soutien spirituel s'exprime par la compassion et par une activité altruiste et positive du corps, de la parole et de l'esprit. Il est donc important, pour soutenir spirituellement les êtres, d'adopter un mode d'existence qui soit positif. De toutes façons, cela est utile pour soi-même, tout en représentant un soutien spirituel que l'on pourra offrir aux défunts. Il faut donc accomplir des actes positifs au niveau du corps, de la parole et de l'esprit. Si l'on peut, il est bien d'accomplir des pratiques, des récitations du mantra de Tchenrézi, des offrandes, etc. Puisque nous pouvons le faire, nous effectuons tout cela et l'offrons à l'intention de ces défunts.
Au cours de notre existence, comme nous sommes inattentifs du fait de notre ignorance, nous construisons d'instant en instant une prison sans le savoir. Nous ne nous rendons pas compte que chaque instant, motivé par l'égoïsme et soutenu par l'ignorance, est une source de pensées, de paroles et d'actions négatives. Tous ces actes du corps, de la parole et de l'esprit sont des charges qui restent inscrites dans l'esprit et ne disparaissent plus. La prison se construit petit à petit à notre insu. C'est au moment de la mort que l'on s'en rend compte, mais il est alors trop tard, car les murs sont achevés et la cellule est complète. Finalement, tout ce qui constituait l'environnement qui nous obnubilait, et qui faisait qu'on ne voyait pas cette accumulation négative se construire progressivement, disparaît, parce que Iton perd son corps, son environnement, sa famille ou bien ses richesses. On se retrouve alors dans un état où seul l’esprit demeure. Et comme on a laissé, par inattention, l'esprit accumuler toutes ces tendances négatives, ce sont elles qui restent, et cette charge négative nous conduit sans la moindre liberté vers des situations douloureuses. Il faut donc prendre conscience de cela maintenant. A présent, nous avons le choix, nous sommes libres de construire quelque chose de positif comme de nous laisser aller à la négativité. Mais lorsqu'il sera trop tard, nous ne pourrons nous en prendre qu'à nousmêmes. Il faut, dès maintenant, construire un environnement spirituel positif, créer une richesse spirituelle qui sera la seule utile et disponible après le moment de la mort. C'est elle qui nous permettra d'aller vers davantage d'espace, de sagesse et de liberté, en progressant de plus en plus vers l'éveil. Il faut d'ores et déjà, d'instant en instant, développer la vigilance et le travail de transformation sur les états d'esprit qui motivent le corps et la parole, et transformer tous ces instants de conscience en instants altruistes et positifs, de façon à n'avoir aucun regret au moment de la mort.

Si nous ne nous préparons pas à l'idée de la mort de notre vivant, nous serons très dépourvus lorsqu'elle viendra. Il est donc important d'avoir présent à l'esprit que notre existence se termine par quelque chose qui s'appelle la mort. Si l'on essaie d'évacuer ce fait, d'une part on n'y arrive pas et, d'autre part, on se prépare beaucoup de souffrances. En effet, on va vivre en essayant de profiter le plus possible de tous les instants, ce qui signifie qu'on renforcera la saisie égocentrique et qu'on accumulera beaucoup de négativités pour avoir le bien au dépens des autres. On chargera l'esprit d'encore plus de négativités et de lourdeurs qui vont générer la souffrance. Au moment de la mort, la prise de conscience que l'on meurt et qu'on ne peut pas l'éviter, s'opère, et cette réalité qu'on a essayé de ne pas voir tout au long de notre existence nous revient
directement, de façon incontournable. Et il y a alors une grande souffrance.
A l'inverse, si lion avait pris conscience de la mort de notre vivant et développé un mode de vie lié au fait que seule la richesse spirituelle pouvait nous aider quand celle-là viendrait, on ne serait pas pris au dépourvu ni même effrayé au moment de mourir. On saurait alors que c'est le processus naturel de la vie, que ce passage se négocie a l'aide d'un travail effectué au cours de l'existence. Et si lion avait travail lié de façon correcte pendant notre vie, on saurait alors qu'il n'y a pas de problème, on aurait confiance en les trois joyaux, on aurait développé les qualités de l'esprit, purifié ses négativités et on se saurait dans une bonne disposition pour faire face à la mort. Cette expérience de la mort ne serait plus la cessation d'un moment de joie, mais la promesse d'une autre expérience qui serait tournée vers Il éveil, avec davantage de capacités de libération à l'intérieur de soi pour y parvenir.
Ce travail est donc vraiment important. On ne peut pas éviter la mort, on peut éventuellement se dissimuler cette réalité, mais pas plus loin que le moment de l'agonie. Et ce moment risque alors d'être très douloureux. Il peut être un moment de joie et de libération, comme un moment de terreur et de douleur profonde. C'est nous qui faisons la différence maintenant, par notre action et notre prise de conscience, sinon nous serons comme des poissons sur la berge, sortis de l'eau et jetés dans un environnement totalement hostile.

Mourir simplement et dignement n'est pas difficile si on y est préparé par une vie de pratique. Au moment de la mort, les choses deviennent très simples, très ordinaires. Il n'y a plus de prétentions quelconques. On peut s'énorgueillir d'avoir étudié le mahamoudra Ou le dzogtchen, et de connaître beaucoup de choses; cette réalisation acquise durant notre existence pourra nous aider, mais nous n'aurons peut-être développé que des concepts qui seront très loin de la réalité de la mort. Que va-t-il rester alors ? Tchenrézi, les mantras que l'on aura récités dans notre vie, la confiance que l'on aura développée envers Tchenrézi. On peut essayer de s'établir dans la conscience ultime de l'esprit, mais, la mort venant, on sera peut-être tellement anxieux, apeuré et perdu, que, naturellement, c'est ce qui est vrai, profond, inscrit qui ressurgira, c'est-à-dire la confiance que l'on aura développée envers Tchenrézi. Et lion demandera vraiment dans cet instant le refuge et l'on invoquera vraiment Tchenrézi. Mais on ne pourra le faire que si l'on a travaillé dans cette existence à développer la tendance naturelle à appeler Tchenrézi au moment de la mort et à requérir sa protection, sa bénédiction et, à travers lui, la compassion de tous les bouddhas.
Cet acte sera spontané s'il a été cultivé par une vie de pratique. A ce moment-là, par l'habitude qu'on aura développée au cours de notre existence, Tchenrézi sera naturellement présent dans notre esprit. Ce ne sera pas quelque chose d'intellectuel, mais le résultat de notre confiance du CCEur et de l'esprit, confiance qui nous permettra d'appeler vraiment Tchenrézi. Notre corps sera alors perçu comme indissociable de Tchenrézi, notre parole sera indissociable de celle de Tchenrézi et notre esprit sera imprégné de confiance et d'ouverture, baigné d'une immense compassion, totalement indissocié de Tchenrézi. C'est ce qu'on appelle la réalisation de la divinité tutélaire ou yidam. Yidam signifie "ce à quoi l'esprit se lie pour réaliser sa véritable nature". Au moment de la mort, grâce à une vie de travail allant dans ce sens, on réalisera effectivement l'indissociabilité de nos corps, parole et esprit avec ceux de Tchenrézi . Cela s'opèrera naturellement. Et c'est dans cette ambiance d'abandon et de certitude que l'on rendra le dernier souffle.
Dans cette existence, il faut pratiquer, méditer et s'habituer à la pratique de Tchenrézi, afin de pouvoir profiter de cette réalisation au moment de la mort. Il est évident que la compassion est l'essence même de la pratique de Tchenrézi. Et nous devons donc être capables, dans tous les moments, de prendre sur nous les difficultés et la douleur et d'en soulager les êtres. Dans notre pratique et dans notre vie, quand nous rencontrons des difficultés, il faut immédiatement relier cette difficulté à la pratique de Tchenrézi et envisager nos corps, parole et esprit comme étant le corps, la parole et l'esprit éveillé de Tchenrézi. Intérieurement ou extérieurement, nous pouvons réciter son mantra et faire le souhait que toute la douleur rencontrée s'absorbe dans le courant de notre être et que tous les êtres puissent ainsi en être soulagés. Et s'il y a des limites à notre activité altruiste, nous pouvons faire des souhaits tels que: "Puissé-je rapidement obtenir la capacité de libérer les êtres de la souffrance" ou "Dans une situation similaire où, pour l'instant je n'ai pas la capacité d'aider, puissé-je, dans l'avenir, avoir cette capacité d'aider et de libérer effectivement les êtres de la souffrance". Cet entraînement spirituel acquis au cours de notre existence nous permettra, au moment de la mort, d'avoir une grande sérénité puisque nous prendrons sur nous la mort et la souffrance de tous les êtres en souhaitant les en soulager. Au travers de cette existence qui s'achèvera, la douleur des êtres se libèrera.
On prépare ainsi l'avenir avec une impulsion positive, en souhaitant que, dans l'état qui suivra la mort et dans tous ceux qui suivront l'état intermédiaire, on puisse constamment, d'une façon naturelle et spontanée, sans préconception, accomplir le bien de tous. Cette générosité est l'attitude d'un bodhisattva, celle d'un être qui se dédie au bien de tous les êtres. Il faut donc développer cette attitude et ce type de générosité autant que possible dans notre existence, afin d'être prêt au moment de la mort, afin de prendre sur soi toute douleur et toute
souffrance et d'offrir sans la moindre réticence toute forme de bonheur, toute félicité, toute joie. Cette générosité est vraiment essentielle. Au moment de mourir, si elle n'est pas complète, il reste de petites attaches, de petits liens qui nous empêchent de nous libérer totalement. C'est pourquoi, au moment de la mort, il faut envisager devant soi Déouatchène, la Terre de pure félicité, le Bouddha Amitabha et Tchenrézi qui est le guide qui nous conduit de notre plan d'existence vers la dimension éveillée de Déouatchène. Il faut vraiment avoir cette aspiration sans retenue à laisser de côté ce monde, qui se manifeste comme un monde de souffrance, pour aspirer à une dimension où il n'y a plus de souffrance et où toutes les conditions sont requises pour que l'esprit se libère en plus de sagesse et plus de compassion. Cette confiance doit être profonde. Au moment de la mort, on doit envisager tout ce qui nous attache au monde, et l'offrir à l'éveil, l'offrir au Bouddha Amitabha qui est devant nous dans l'espace, ou au-dessus de notre tête. Il s'agit d'offrir à l'éveil tout ce qui a été en notre possession, sans retenue, sans calcul, sans arrière-pensée. De toutes façons, on devra le laisser. Nous nous libérons complètement de l'attachement qui pourrait subsister à ce qui a été notre monde, et nous nous ouvrons complètement à la dimension de Déouatchène et à la bénédiction de Tchenrézi qui conduit vers Amitabha. Dans ce mouvement, notre esprit est complètement imprégné de la dimension de Déouatchène et, lorsqu'il quitte le réceptacle du corps, ce transfert S'effctue de façon instantanée.
On se manifeste ensuite dans la pureté d'un lotus qui transcende le mode de manifestation ordinaire. Cette naissance n'est pas une naissance comme on l'entend dans ce monde, mais une naissance spirituelle totalement pure, libre de toute polarité masculin/féminin. Notre corps est semblable au corps du Bouddha Amitabha, c'est-à-dire doué des qualités et des marques majeures et mineures qui symbolisent la perfection de la forme physique éveillée. Dans cet environnement, l'esprit peut continuer son cheminement vers l'éveil, développer sagesse et compassion, et agir effectivement pour le bien de tous les êtres. Ce souhait n'est donc pas une action que l'on effectue juste au moment de mourir, mais c'est vraiment l'aboutissement d'une vie de pratique. Au moment de la mort, notre esprit est alors dans ce qu'il a toujours été: la confiance en Déouatchène, en Amitabha, en Tchenrézi.





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