Trônant au cœur de la salle d’enseignement, il est devenu incontournable depuis près de trois ans. Mais connaissez-vous la genèse du Bouddha de l’Institut ? Découvrez dans cet article l’étape 3 : la peinture du visage de la statue.
Une quinzaine de jours avant le rabné, ou consécration, du Bouddha de l’Institut par Thayé Dorjé, Sa Sainteté le XVIIe Gyalwa Karmapa, une autre étape importante de l’histoire de la statue s’est jouée : la peinture de son visage. Traditionnellement, ce moment, qui n’est pas anodin, survient juste avant la consécration d’une statue ; c’est l’une des toutes dernières opérations qu’elle subit. Loin de se cantonner à un simple souci d’esthétique, cette étape prend une dimension rituelle. Elle fait d’ailleurs référence au fait d’« ouvrir les yeux du Bouddha ». Si elle commence avec le travail du peintre, cette « ouverture des yeux » ne prend véritablement effet qu’au moment du rituel de consécration final. Il y est d’ailleurs écrit : « Bien que l’œil de connaissance des bouddhas soit dépourvu de toute souillure obstructive [c’est-à-dire : bien qu’il soit déjà ouvert], que, par l’ouverture des yeux pour le bonheur des êtres, tous les êtres possèdent l’œil de connaissance. »
Pour ce travail minutieux et délicat, lama Jigmé Rinpoché a souhaité faire appel au désormais célèbre maître de peinture Denzong Norbou. Originaire du Sikkim, Norbou a été formé très tôt à la peinture religieuse tibétaine. Après sa rencontre avec le XVIe karmapa, il part s’installer près de lui, soit au Tibet à cette époque. Vivant à ses côtés comme son disciple, il exerce également son art à la demande de son maître, exprimant son talent à travers de multiples œuvres. C’est là qu’il reçoit la transmission de l’école d’art Karma-Gadri, créée par karmapa au XVIe siècle. Bien plus tard, tout en restant au service du XVIe karmapa, il commence à enseigner la peinture religieuse tibétaine au cours de ses voyages en divers endroits du monde, faisant naître la vocation chez ses élèves de différentes nationalités (cf. dans un extrait de la revue Tendrel, lama Kunkyab évoque le parcours de Norbou – cf. aussi l’émission « Sagesses Bouddhistes » qui lui a été consacrée).
En Europe, cette transmission commence lorsque Kunzig Shamar Rinpoché requiert sa présence en Auvergne, dans le cadre de la décoration du grand temple du Bost, tout particulièrement pour le grand mandala de Kalachakra destiné à être fixé au plafond. La réalisation de ce mandala de 8 mètres s’étale sur trois ans pendant lesquels le maître de peinture transmet l’art Karma-Gadri à de nombreux étudiants. C’est pour eux l’occasion de s’entraîner et de se perfectionner, aussi bien dans la fabrication des pigments naturels que dans l’application des couleurs. Le processus d’apprentissage de cet art est long, très long : les élèves s’exercent des mois entiers sur un seul élément (le ciel ou les nuages, par exemple) avant de recevoir enfin de nouvelles instructions de Norbou ! Si elle peut paraître monotone, cette inlassable répétition (agrémentée d’une certaine dose de patience !) est pourtant indispensable.
C’est justement avec deux de ses étudiants européens que Norbou est venu à Dhagpo, quelques jours avant Kamarpa. Juchés sur un échafaudage, dans un tête-à-tête privilégié avec le Bouddha, les artistes ont d’abord repeint en bleu sombre les cheveux de la statue. Puis ils ont appliqué une sous-couche sur le visage et le cou avant de les recouvrir d’une peinture mêlée de poudre d’or – poudre d’or qui avait préalablement été acquise par Dhagpo au Népal. Ils ont ensuite peint, dans l’ordre : les sourcils fins et arqués, le troisième œil sous la forme d’un discret cercle blanc, les yeux aux pupilles dorées et au regard bienveillant, et enfin la bouche rosée et souriante. Cette œuvre consciencieuse, bien que « limitée » à la tête de la statue, a duré trois jours.
On peut difficilement faire l’impasse sur l’élément étonnant qui s’est invité lors de cette étape : au terme du travail de peinture, une kata blanche a recouvert le visage du Bouddha, le dissimulant aux regards curieux. Et pour cause : personne ne devait le voir jusqu’à l’instant du rituel de consécration qui scellerait l’« ouverture des yeux » et ferait de la statue un véritable support de pratique…
Merci à Loïc, aux lamas et drouplas de Dhagpo et à droupeun Tenzin pour leur contribution à la préparation de cet article !
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