Extrait du Tendrel 25, Avril 1991
Tous ceux qui veulent pratiquer le Dharma et atteindre l’illumination doivent fonder leur vie sur l’accomplissement du bienfait d’autrui. Si l’on persiste dans l’accomplissement de son propre bienfait, on ne fait que tourner dans le cycle des existences.
Il est nécessaire tout d’abord de développer la suprême intention de parvenir à l’illumination. Une fois développée cette parfaite intention, on doit s’efforcer de la mettre en pratique. Ainsi on progresse effectivement jusqu’à atteindre l’illumination. Intention signifie le moment où l’on souhaite aller quelque part.
Si notre intention est d’aller en Inde par exemple, le moment où nous formons cette idée représente le souhait ou l’intention. Tous les efforts que nous faisons ensuite pour aller jusqu’en Inde, le voyage lui-même, constituent l’application de notre intention. Souhaiter atteindre la suprême et parfaite illumination, c’est développer l’idée ou l’intention de réaliser la bouddhéité le plus rapidement possible, afin de pouvoir venir en aide à tous les êtres.
Tel est l’engagement, relatif au fruit ou au résultat que nous cherchons à atteindre, que nous prenons envers tous les êtres. Quand on développe véritablement l’attitude éveillée, cette fois-ci en relation avec notre pratique, on s’engage alors véritablement dans des actions du corps, de la parole et de l’esprit qui sont parfaitement vertueuses, avec l’intention d’atteindre à travers elles l’illumination pour les êtres. De cette manière on développe la suprême cause : toutes ces actions seront la cause même de l’illumination que nous recherchons.
Quand on développe l’intention de réaliser la parfaite illumination, il faut réfléchir à certains points. Considérez tout d’abord que partout où il y a de l’espace vivent des êtres qui sont en proie à différents karmas. Animés par diverses émotions, ils expérimentent toutes sortes de souffrances. Nous pensons alors que tous ces êtres vivants, humains et non humains, ont été de très nombreuses fois notre père ou notre mère dans nos existences antérieures.
Quand ces êtres étaient nos parents, ils nous ont témoigné la même tendresse et le même dévouement que nos parents de cette vie. Si nous n’apprécions pas leur bonté à notre égard, pensant qu’ils nous ont simplement élevés pour leur propre bénéfice et qu’ils sont donc la cause de nos souffrances actuelles, cela signifie que nous n’avons pas assez réfléchi au degré et au type exact de bonté que nos parents nous ont prodiguée au début de notre existence.
Nous étions nus à notre naissance, sans ressource, sans argent, sans nourriture, démunis et exposés aux dangers. Grâce aux soins de notre mère, nous avons pu demeurer en vie. Elle s’est entièrement occupée de nous, nous a nettoyés, nourris et a pourvu à tous nos besoins : vêtements doux et chauds, réconfort, etc. Elle nous a également protégés contre toutes les formes de dangers qui pouvaient menacer notre vie comme le feu, la chute, les blessures.
Quand nous tombions malades, elle faisait aussitôt son possible pour nous procurer les soins nécessaires. Elle s’est occupée de son enfant avec un total dévouement, sans aucune considération pour elle-même.
Nos capacités de communiquer avec autrui, marcher, subvenir à nos besoins et vivre de façon normale en tant qu’êtres humains sont issues de la bonté des parents qui nous ont élevés. Tous ces êtres qui ont été nos parents à un moment ou à un autre du passé sont semblables à nous, en ce sens que tous sans exception cherchent le bonheur et fuient la souffrance.
Malgré ce souhait général, les êtres, du fait de l’ignorance, sont incapables de distinguer les actions et leurs résultats. Par conséquent, ils ne savent pas que si l’on veut le bonheur, il faut accomplir des actions positives et que si l’on souhaite éviter la souffrance, il faut également éviter les actions négatives.
Négligeant cette connexion entre les actions et leurs résultats, dans leur quête du bonheur, les êtres continuent d’accomplir des actions négatives dont le seul résultat est la souffrance. C’est la raison pour laquelle ils tournent sans fin dans le cycle des existences, passant de vie en vie, souffrant éternellement sous différentes formes.
Prenant conscience de cela, on développe avec l’attitude illuminée le souhait de libérer tous ces êtres du cycle des existences et de la souffrance où ils sont plongés, et l’on décide de consacrer totalement l’énergie de son corps, de sa parole et de son esprit à des actions dont le seul but est cette libération de tous les êtres. Notre intention est donc d’atteindre la libération le plus vite possible afin de pouvoir libérer les autres.
Cette attitude d’esprit sincère et très profonde, qui n’est pas simplement une formule récitée de temps en temps mais une motivation authentique que l’on développe au plus profond de son être, doit être présente à l’esprit chaque fois que l’on pratique les enseignements du Bouddha.
Avec cette motivation totalement pure, chaque fois que l’on écoute les enseignements, que l’on réfléchit à leur sujet ou qu’on les met en pratique à travers la méditation, on suit le chemin des bodhisattvas qui mène directement à l’illumination.
Quand on pratique l’enseignement du Bouddha, on garde toujours clairement présente à l’esprit l’idée que l’on poursuivra cette pratique jusqu’au bout, sans l’abandonner à mi-chemin, jusqu’à ce que soit véritablement réalisé le fruit ultime de la pratique qui est l’obtention de la bouddhéité, afin d’avoir la capacité d’établir tous les êtres dans ce même état.
Cet engagement requiert beaucoup de courage et de fermeté d’esprit. Il faut persévérer, sans développer de doute sur notre possibilité de réaliser l’illumination et d’établir tous les êtres dans le même état. Quand on s’engage sur ce sentier, une profonde confiance doit être cultivée. Si nous gardons cette pure motivation constamment présente à l’esprit, notre activité spirituelle, mais également toutes nos activités quotidiennes, deviennent de parfaits moyens de réaliser l’illumination.
Si l’on se demande sans cesse comment venir en aide à autrui, il n’est plus nécessaire de se préoccuper de son propre bienfait car celui-ci se réalise dès lors spontanément. En fait, par l’application des moyens pour aider autrui, on développe également les moyens qui nous permettront de reconnaître la nature ultime de l’esprit. Cette réalisation de la véritable nature de l’esprit nous permet alors de nous émaner sous des formes variées et dans des situations infinies pour venir en aide aux êtres. On devient ainsi un bouddha capable de manifester cette réalisation sous la forme de corps qui agissent pour le bien des êtres.
On peut se demander s’il est vrai qu’en oubliant totalement son intérêt personnel et en se vouant exclusivement à l’accomplissement du bienfait d’autrui, on réalisera véritablement l’illumination. Cela ne fait aucun doute, le bouddha historique l’affirma et en donna l’exemple en abandonnant toute forme d’intérêt personnel pour se consacrer totalement à la réalisation de l’éveil. Il a été dit par le Bouddha que ceux qui continuent à se préoccuper de leur propre intérêt, sans s’occuper de celui d’autrui, se comportent comme des enfants, qu’ils ne font que tourner dans le cycle des existences.
En agissant comme le Bouddha, on abandonne toute idée d’autosatisfaction, toute forme d’intérêt personnel, pour se consacrer totalement au bienfait d’autrui. Les circonstances positives, les succès ou la réputation dont on jouit, tout cela est offert au bénéfice d’autrui. Quand se présentent des défaites, des problèmes ou des obstacles, on prend sur soi l’ensemble de ces difficultés.
Se consacrant totalement par le corps, la parole et l’esprit à l’activité positive qui accomplit le bienfait des êtres, on abandonne toute attitude négative. On est certain ainsi de réaliser la parfaite nature de bouddha. Dans le cas contraire, on demeure immature et ignorant, continuant d’agir sous l’influence égocentrique, tout en ignorant les possibilités d’action en faveur des autres. Notre unique préoccupation est alors de devenir plus grand, plus riche et plus puissant, de chercher à préserver notre réputation, tout en pensant que c’est aux autres d’endurer les difficultés qui se manifestent, et en tirant à soi les situations agréables et les succès.
On abandonne alors toute intention d’accomplir le bienfait des autres. Notre unique préoccupation étant la protection de nos avantages, nous n’hésitons pas à blesser autrui ou à lui nuire pour satisfaire nos intérêts. Une telle attitude ne fait que recréer les causes qui entretiennent le cycle des existences et ses souffrances.
Ainsi, quelle que soit notre activité, l’esprit ne devrait jamais abandonner les qualités fondamentales d’amour bienveillant et de compassion. L’amour bienveillant est l’intention de voir tous les êtres établis dans un parfait état de bonheur constant. La compassion est le souhait que tous les êtres puissent être libérés de la souffrance et des actions qui les plongent dans cette souffrance.
Nous devrions toujours nous interroger sur ce qui se passe dans notre esprit, et être capables de sonder notre motivation en toutes circonstances. Sommes-nous vraiment animés de l’intention de venir en aide aux êtres ou n’avons-nous pas, au contraire, une attitude nuisible à leur égard ?
Il est important de nous interroger de cette manière, sinon nous risquons de nous abuser, croyant avoir une attitude d’esprit positive et pensant agir de manière bénéfique, alors que tel n’est pas le cas et que notre état d’esprit est négatif, égoïste et sans considération réelle pour autrui. Développer une investigation honnête et véritable de l’état de notre esprit s’impose donc.
En observant ce qui se passe quand nous ne pensons qu’à nous-mêmes et que nous agissons pour notre propre bénéfice, nous nous apercevons que nos actions entretiennent et renforcent la fixation égocentrique responsable de notre errance dans le cycle des existences.
Si notre activité n’a d’autre but que de renforcer et d’entretenir cette fixation, elle ne fait que maintenir la souffrance. C’est pourquoi il est très important de développer en soi la ferme intention de détruire la saisie égocentrique. Pour ce faire, on consacre complètement son corps, sa parole et son esprit à l’accomplissement du bienfait des êtres, on essaie de renoncer à toute forme d’autosatisfaction et de ne jamais nuire à autrui.
Il est fondamental d’examiner soigneusement son esprit et de sans cesse se demander si l’on souhaite sincèrement aider les autres ou si l’on essaye de leur nuire. De cette manière, dès qu’on reconnaît une tendance négative, on peut immédiatement agir sur elle, éviter de la mettre en pratique et développer une motivation altruiste de plus en plus stable.
Si l’on essaie d’accomplir le bienfait d’autrui en conservant un état d’esprit négatif, cette tentative est vouée à l’échec car, dans ce cas, l’intention d’agir pour le bien des êtres alimente le souhait égoïste d’obtenir des avantages pour soi-même. C’est pourquoi il est fondamental de libérer l’esprit de toutes les tendances négatives qui l’entravent afin de développer la qualité d’amour bienveillant.
Cet amour bienveillant ne se borne pas à une simple intention. Il faut également le manifester dans le domaine de l’activité et le cultiver, ce qui signifie le mettre en pratique. On utilise alors son corps, sa parole et son esprit à l’accomplissement d’activités vertueuses dont on dédie le résultat positif à tous les êtres afin qu’ils atteignent l’éveil le plus rapidement possible.
Nous développons ainsi le souhait que notre pure motivation œuvre vraiment pour le bienfait des êtres. L’amour bienveillant n’est pas uniquement un état d’esprit, il implique une activité pour s’assurer du bonheur constant des êtres.
En développant la compassion, on est amené à comprendre que les êtres ont, par le passé, accompli beaucoup d’actions différentes et qu’ils évoluent dans une multitude de circonstances. Du fait de la variété des actions passées, ils expérimentent dans le présent différents types de souffrances ; et la variété des situations présentes fait qu’ils accomplissent différentes actions qui seront à leur tour la cause de multiples situations dans le futur.
Par conséquent il existe une grande variété de souffrances et d’états d’existence, mais tous ces états d’existence contiennent une forme de souffrance. C’est la raison pour laquelle on forme le souhait que tous les êtres puissent être totalement libérés non seulement de la souffrance, mais aussi des tendances de leur esprit qui les poussent à toujours accomplir des actions porteuses de souffrance. On développe constamment, nuit et jour, le souhait d’être capable d’agir dans ce sens et celui de voir les êtres générer dans le courant de leur être les tendances positives qui conduisent à accomplir des actions positives, causes du bonheur futur.
Mais l’intention de libérer les êtres de la souffrance n’est pas suffisante en elle-même, encore faut-il la mettre en pratique. Si l’on veut réellement libérer les êtres du cycle des existences, il est nécessaire d’être soi-même libéré de la souffrance. Tenter de libérer les autres de la souffrance sans s’être soi-même affranchi du cycle des existences n’apporte pas vraiment un grand bienfait aux êtres. Il importe d’abord de se libérer de sa propre souffrance et de toute forme d’action négative.
On cesse donc d’employer son corps, sa parole et son esprit à des actions négatives, pour constamment rechercher l’accomplissement d’actions bénéfiques. On tente d’influencer les autres dans le même sens, en développant différents moyens pour les aider à rencontrer des situations où ils pourront cultiver la vertu, cause de leur bonheur futur, et à éviter les actions négatives qui ne peuvent leur apporter que souffrance.
En utilisant toute notre énergie en ce sens, nous réussirons à libérer les autres de la souffrance. Telle est la pratique de la compassion. Cette bienveillance doit être étendue à tous les êtres vivants quels qu’ils soient, sans aucune exception et de manière totalement équanime. Il ne faut pas garder à l’esprit de préférence ou d’aversion, penser que nous devons montrer de la bienveillance envers nos amis ou notre famille, tout en rejetant nos ennemis ou ceux que nous n’aimons pas et en ignorant complètement ceux que nous ne connaissons pas. Partout où il y a de l’espace vit une infinité d’êtres et notre intention doit être de développer une activité bénéfique envers tous ces êtres où qu’ils soient, quels qu’ils soient.
L’esprit de bienveillance parfaitement équanime du bodhisattva se distingue d’un simple état sentimental ou d’un état d’esprit humain ordinaire. Tous les êtres possèdent une certaine forme d’amour et de compassion, mais elle est dirigée vers ceux qu’ils aiment et ceux avec qui existe une connexion proche.
Même les animaux sauvages comme les tigres éprouvent de l’amour et de la compassion pour leurs petits. Poussés par ce type d’amour et de compassion, ils chassent, se battent et tuent d’autres êtres pour protéger et nourrir leur progéniture. Ceci n’est qu’un sentiment mondain et partial, sans rapport avec l’amour et la compassion authentiques du bodhisattva.
En cultivant un état d’esprit de bonté, toutes les actions, influencées vertueusement, auront un résultat éminemment positif. Si l’on souhaite progresser sur le sentier de l’illumination, il faut d’abord s’établir dans ce pur état d’esprit de bonté fondamentale. “Pur état d’esprit” signifie qu’on ne laisse pas apparaître dans son esprit de pensées agressives ou nuisibles envers autrui et que l’on développe constamment dans le courant de son être le souhait de développer des activités bénéfiques.
Si l’on rencontre des obstacles dans les efforts déployés pour aider autrui, si des difficultés s’élèvent, un sentiment d’amertume ou de déception peut se développer, créant dans l’esprit un état de frustration. Il s’agit alors de comprendre que l’on fait au mieux avec les capacités du moment, et de souhaiter pouvoir agir plus tard avec des moyens plus vastes qui nous permettront vraiment de venir en aide aux êtres que l’on ne peut pas aider pour le moment.
Quelles que soient nos actions, il est nécessaire de développer un effort d’introspection et de considérer notre propre état d’esprit. Ce n’est pas si facile. L’esprit est extrêmement difficile à cerner, car très proche de nous. Si nous en étions physiquement séparés, il serait plus facile de le voir. Notre faculté de perception est tournée exclusivement vers l’extérieur et engendre une attitude naturelle qui nous incline à observer, critiquer et juger le monde et les êtres extérieurs.
En fait, il est beaucoup plus difficile de se considérer soi-même et de voir les pensées qui vont et viennent car nous n’avons pas de regard physique dirigé vers l’intérieur de nous-mêmes. Il est très important de développer la faculté de vision intérieure, l’aptitude à voir clairement l’esprit, et il faut le faire graduellement. Tant que nous ne parvenons pas à voir clairement notre esprit, nous demeurons totalement ignorants de notre véritable état d’esprit.
Nous pouvons nous croire pétris de qualités, avoir une motivation en apparence complètement altruiste et penser que nous agissons toujours pour le bienfait des autres. Mais lorsque que nous percevons des fautes et des négativités, c’est chez les autres que nous les voyons car notre attention se concentre sur l’activité d’autrui.
Nous apercevons ainsi de nombreuses imperfections chez les autres, considérant que telle personne agit de manière incorrecte, que telle autre a une mauvaise motivation et qu’un tel a un comportement erroné. Nous développons une attitude critique envers les autres, ce qui fait naître en nous la colère, la jalousie et l’irritation contre ces personnes.
Un état d’esprit ainsi perturbé par les émotions conflictuelles est la source de difficultés et nous plonge dans une souffrance constamment entretenue. L’esprit se trouve sous l’emprise des cinq poisons mentaux que sont l’orgueil, la jalousie, l’attachement, l’ignorance et la colère. Sur la base de production de ces cinq types d’émotions conflictuelles, nous projetons sur autrui notre état d’esprit perturbé et développons une vision des autres teintée par notre état émotionnel, nous les percevons remplis d’émotions, d’orgueil, de jalousie et de colère.
Cette attitude nous apporte beaucoup de souffrance, dans la mesure où elle perturbe constamment l’esprit et y crée un karma très négatif. Ceci est dû fondamentalement à l’impossibilité de voir nos attitudes, et au fait que nous ne procédons pas à un examen attentif de notre état intérieur. La capacité d’observer son propre esprit est ce qu’on appelle l’œil de sagesse : la faculté de nous examiner et de reconnaître comment nos états d’esprit négatifs sont projetés sur les événements et les êtres extérieurs.
Le développement de l’œil de sagesse permet de comprendre que toutes les fautes perçues chez autrui sont le reflet de nos propres négativités. Dans la mesure où nous nous considérions auparavant comme quelqu’un de très bien, lorsque nous prenons conscience que toutes les négativités remarquées chez les autres sont le reflet de nos propres émotions conflictuelles, l’orgueil se trouve pacifié.
Quand l’orgueil décroît, les autres types d’émotions s’apaisent, ce qui a pour effet de laisser place à un état de calme et de stabilité de l’esprit. Calme parce qu’on aura apaisé les émotions conflictuelles qui perturbent l’esprit, et stabilité parce qu’on sera capable de demeurer dans l’état de quiétude. Si l’on remarque en soi beaucoup de qualités, c’est le signe que l’esprit est sous l’influence de nombreuses fautes et négativités. Ces qualités que l’on pense détenir trahissent simplement la présence de l’orgueil.
Par contre, si nous percevons beaucoup de fautes dans notre esprit, c’est le signe d’une bonne qualité de base, car nous cultivons ainsi la capacité de nous en libérer et de les purifier. On peut comparer cela à une personne qui, bien qu’ayant de la saleté sur le visage, se promène fièrement dans la rue, inconsciente de cette saleté qui la recouvre. Ce n’est que grâce à un miroir qu’elle peut constater que son visage est sale et ainsi le nettoyer. Si nous restons inconscients de nos négativités, il est absolument impossible de nous en débarrasser, Par contre, en en prenant conscience, nous développons l’intention et la capacité de les dissiper. Dès lors devenir un bouddha est possible, car un bouddha est un être qui a totalement dissipé toute forme de faute, de voile ou de négativité, alors que l’esprit d’un être ordinaire demeure entaché de fautes et de négativités.
Il est nécessaire d’entraîner son esprit afin que cela devienne automatique. En tous temps et toutes circonstances, chaque fois que s’élève une pensée ou une intention pure, il faut immédiatement l’offrir au bénéfice d’autrui. Au contraire, chaque fois que l’on rencontre des négativités, il faut les prendre sur soi.
En se conformant à une telle attitude, on agit comme un bodhisattva qui pratique l’échange de soi et d’autrui. Cet échange, qui consiste à tourner vers autrui tous les avantages dont on bénéficie et à accepter pour soi-même les pertes et les difficultés auxquelles on est confronté, est contraire à nos tendances habituelles. Cette attitude plante en nous la graine de l’esprit illuminé, tous les êtres sensibles deviennent la racine du développement de la bodhicitta. Cette graine permettra d’épanouir les feuilles et les fleurs de la réalisation du dharmakaya. Il ne fait aucun doute qu’à travers une telle attitude, on expérimente un jour le résultat ultime.
En développant la bodhicitta, nous devons également nous entraîner à la patience car sans celle-ci, nous risquons de perdre cette attitude illuminée. Si quelqu’un est agressif à notre égard ou cherche à nous nuire, nous devons éviter de perdre patience, et considérer que s’il veut nous nuire maintenant, c’est que nous avons créé la cause de cette situation dans le passé. La situation conflictuelle n’est pas imputable à autrui, elle est le résultat de nos propres actions passées.
Face au mûrissement de situations difficiles, nous émettons le souhait de purifier nos actions négatives antérieures. Envers celui qui nous agresse, nous développons de la compassion en souhaitant que le fruit karmique négatif de sa colère mûrisse pour nous et non pour lui. Si nous perdons le contrôle de nous-mêmes, que que nous nous mettons nous-mêmes en colère, il faut essayer de nous rappeler que la personne qui suscite cette émotion est semblable au lama, puisqu’elle nous permet de prendre conscience que nous n’avons pas encore suffisamment développé la patience.
Nous devons être reconnaissants envers une telle personne, car nous avons besoin du support des situations difficiles pour développer les qualités inhérentes au chemin menant à la bouddhéité. Si personne ne nous agressait ni ne nous provoquait, nous serions dans l’impossibilité de trouver les bases sur lesquelles développer la patience. De même, sans les êtres affligés par la souffrance, il serait difficile de trouver les bases sur lesquelles développer la compassion, Ainsi, pour cultiver les différentes qualités du chemin, on s’appuie sur toutes les situations.
Tous les êtres, sans exception, tentent d’éviter la souffrance et d’obtenir le bonheur. Malgré les efforts que nous faisons, le bonheur ou le malheur échappe complètement à notre contrôle, car notre situation et notre expérience actuelles dépendent totalement de nos actions passées dans cette vie, et du karma accumulé dans nos vies antérieures.
Le bouddha Shakyamuni expliqua que si l’on veut savoir quelles furent nos actions passées, il suffit d’observer notre situation présente. Si nous souhaitons connaître nos conditions de vie future, il faut nous baser sur les actions que nous entreprenons maintenant.
Tout ce qu’on expérimente est le résultat direct des actions passées : la force de ces actions crée toutes les conditions d’existence expérimentées. Par l’examen attentif des conditions de vie que nous expérimentons – santé, maladie, bonheur, tristesse etc. –, nous déduisons assez clairement quels furent nos actes passés.
Le karma n’est pas quelque chose de recherché ni même de produit volontairement. Il s’agit d’une loi naturelle et spontanée : quelle que soit l’action accomplie, elle entraîne un karma. Chacun essaie de stopper la souffrance et d’obtenir le bonheur. Malgré tous les efforts déployés, les résultats escomptés ne sont pas obtenus car les conditions de bonheur ou de souffrance ne dépendent pas des actions accomplies maintenant.
On ne peut pas contrôler le bonheur. Même si on parvient, dans certaines circonstances, à obtenir un peu de bonheur et à éviter la souffrance, la plupart des circonstances sont hors de notre contrôle car elles sont gouvernées par la loi du karma. Toute action apporte un résultat particulier et ce résultat est infailliblement expérimenté par l’auteur de l’action. Il est impossible d’expérimenter des actions qui auraient été commises par d’autres personnes.
Toute forme d’action vertueuse entraîne un résultat inévitablement positif et heureux et, inversement, toutes les actions négatives provoquent inéluctablement la souffrance. Cette double connexion positivité/bonheur et négativité/souffrance est absolument infaillible. Les deux aspects sont toujours liés entre eux de cette façon.
C’est comme de planter une graine d’oranger et une graine de pommier. Chaque graine en germant, donne un arbre qui lui-même entraîne l’apparition des fruits correspondants : il est impossible d’obtenir des oranges sur un pommier et inversement.
Souhaitant éviter la souffrance, on abandonnera toute forme d’action non vertueuse et nuisible ; voulant le bonheur, on s’efforcera d’accomplir toute forme d’action positive et bénéfique.
Quelle que soit la souffrance rencontrée – maladie, obstacle, problème –, on se fige souvent dessus, on s’y attache et on la saisit. Ce faisant, elle prend une importance considérable, devient immense et occupe la totalité du champ de notre conscience. La saisie de la souffrance ne fait qu’augmenter le sentiment de douleur et qu’accroître la déprime.
Au contraire, la souffrance peut être perçue comme le mûrissement du karma négatif, qui, grâce la bonté des trois joyaux, se produit dans cette vie humaine pendant laquelle notre possibilité de souffrir est relativement limitée, comparée à ce que nous endurerions dans les autres états d’existence.
La souffrance rencontrée est infiniment moindre que celle que nous devrions rencontrer dans les enfers si ce karma n’était pas purifié dans cette vie. Cette souffrance est comparable au fait de se couper un doigt, ce qui n’est rien par rapport aux souffrances des enfers. La compréhension et l’acceptation d’une petite souffrance nous permet de développer de réelles possibilités de purifier tout le karma négatif que nous avons accumulé jusqu’à maintenant.
Plongé dans des situations difficiles, on peut aussi réfléchir au fait que l’on n’est pas le seul à souffrir. Tous les êtres de l’univers subissent différentes sortes de souffrances, souvent beaucoup plus grandes que les nôtres. Comprenant cela, nous formulons le souhait qu’à travers notre souffrance, celle de l’infinité des êtres soit purifiée et nous demeurons l’esprit joyeux de pouvoir ainsi accomplir leur bienfait. Cultiver cette attitude et s’y entraîner permet de garder un état d’esprit positif et joyeux lorsque nous sommes confrontés à une situation de souffrance, et celle-ci ne génère pas en nous d’attitude négative de l’esprit.
Quand nous expérimentons la souffrance, il faut en reconnaître la raison, à savoir, l’accomplissement d’actions antérieures en relation directe avec la saisie égocentrique : dans le passé nous avons accompli quantité d’actions par désir de protéger notre ego et ces actions entraînent maintenant une situation de souffrance.
Nous pouvons ainsi considérer la souffrance comme un enseignement qui nous montre le résultat auquel mènent les actions égoïstes. Dans ce cas, elle devient un véritable catalyseur nous dissuadant de persister à agir sous l’influence de cette fixation égocentrique. La souffrance étant un enseignement précieux, on peut l’aborder avec un état d’esprit joyeux.
Il y a ainsi beaucoup de méthodes à appliquer face à la souffrance. Leur résultat immédiat est notre libération progressive de cette souffrance. Ultimement, elles nous conduisent à l’éveil libre de toute forme de souffrance.
Il est important de considérer tous les êtres autour de nous, de prendre conscience des différents types de souffrance dont ils sont affligés, ainsi que des causes de ces souffrances. Nous comprenons alors que tous les êtres ont été nos parents dans les vies passées, et cette compréhension fait naître en nous la motivation de leur venir en aide.
Dans la mesure où cette attitude d’esprit se manifeste continuellement, elle permet que dans notre esprit, se développent spontanément les qualités authentiques d’amour et de compassion.
L’utilisation de supports tels que la respiration peut nous y aider. En expirant, on imagine que nos qualités, nos mérites et tout ce dont on jouit se transforment en une lumière blanche qui pénètre la totalité des êtres, leur apportant le bonheur, la vertu et toutes les qualités nécessaires à l’obtention du bonheur et à la libération de la souffrance. En inspirant, on imagine absorber une fumée noire et compacte, qui représente les souffrances, les maladies et les obstacles affligeant les êtres ; on pense ensuite que tous ces êtres sont libérés de leurs souffrances et des négativités. Enfin on laisse l’esprit dans son état naturel, la réalité ultime du mahamudra, dans lequel il n’y a plus de dualité entre le méditant et l’objet de la méditation.
Il faut comprendre que la méditation n’est ni un état clairement défini, ni quelque chose de fixe sur lequel on s’efforce de concentrer l’esprit. Méditer signifie tout simplement libérer toutes les tensions créées par nos différentes tendances telles que l’attachement, le rejet ou l’indifférence, tensions qui maintiennent l’esprit prisonnier. Il importe de reconnaître que les attitudes d’attachement, de rejet ou d’indifférence ne viennent pas de l’extérieur, elles sont déjà présentes dans l’esprit et nous les projetons sur les objets extérieurs.
En laissant l’esprit dans son état naturel, il ne s’investit plus dans ces mouvements émotionnels et n’est donc plus affecté par eux. Il demeure dans son état de détente naturel, ne s’attachant plus à l’idée de sujet et d’objet. Les émotions n’ont plus prise sur lui car leur existence est liée à cette polarité. Lorsque l’attachement à l’idée de sujet et d’objet disparaît, l’esprit s’établit dans un état de calme naturel et de stabilité, libre de toute forme de production émotionnelle.
On fait référence au calme car les émotions ont été pacifiées, et à la stabilité parce que l’esprit ne peut plus être perturbé par les émotions. Il faut simplement laisser l’esprit dans sa dimension naturelle de connaissance, complètement détendu et spontané, libre de toute interférence ou intervention artificielle. C’est de cette manière qu’il faut méditer.
La méditation ne consiste pas à cultiver un état particulier mais à se libérer des attitudes d’attachement ou de rejet. L’état de la méditation est totalement libre de toute forme de saisie ou d’attachement et de toute forme de rejet ou de répulsion. Quelles que soient les pensées ou les expériences qui surgissent, on les laisse simplement passer et elles disparaissent d’elles-mêmes. Cette attitude de lâcher – prise est l’attitude même de la méditation.
Si l’on pratique ainsi la méditation, on ressent graduellement que les objets des perceptions n’ont pas de réalité tangible ou substantielle. On reconnaît la dimension vide de tous les phénomènes. Ce sentiment de vacuité apparaît naturellement et spontanément dans l’esprit. En méditant pendant de longues périodes, on éprouve peu à peu un sentiment profond de félicité au niveau du corps et de l’esprit, on est parfaitement content, à l’aise et heureux. On ne recherche plus rien d’autre que la méditation et on éprouve la sensation de pouvoir demeurer indéfiniment en cet état.
Dans l’expérience de la méditation plus avancée, on développe une qualité de clarté de l’esprit, de telle sorte qu’il semble que tous les voiles et toutes les formes d’opacité aient simplement disparu. Ces états de non-conceptualité, d’expérience de la vacuité ou de la félicité, sont en fait les signes de réels progrès dans la méditation et de l’établissement du calme mental et de la stabilité de l’esprit. Par contre, si l’esprit devient de plus en plus rigide et s’obscurcit, c’est le signe que notre stabilité mentale n’est pas correcte.
Lorsque l’esprit demeure dans l’état où non-conceptualité, félicité et clarté sont indissociablement mêlées, et que l’union de ces trois types d’expériences apparaît de façon naturelle, sans saisie ni effort délibéré, c’est le signe qu’on a atteint l’état d’absorption méditative correspondant à la stabilité du calme mental.
D’autre part, quand on médite, il est important de se libérer des attitudes d’espoir ou de crainte. Il ne faut pas identifier la méditation à un état particulier de calme, de félicité, de clarté ou de non-conceptualité, ni chercher à tout prix à atteindre ou à conserver ce type d’état.
On doit simplement accueillir les expériences quelles qu’elles soient, sans s’y attacher, sans chercher à les retenir ni être effrayé de leur disparation. Sinon, cela provoquera beaucoup d’agitation dans l’esprit. Développer un commentaire à propos de notre méditation, tel que « elle est correcte car l’esprit est calme », ou au contraire « elle n’est pas bonne car l’esprit est agité de beaucoup de pensées », doit être évité, car ces deux appréciations créent des interférences : on essaie de maintenir l’état de méditation considéré comme valable et l’on tente de modifier ou de stopper l’état de méditation jugé mauvais ou négatif.
Commenter la méditation et agir par rapport à cela, provoque une méditation complètement artificielle. Quand on tombe dans l’erreur de juger la méditation, le remède est d’observer directement l’esprit qui juge et de rechercher l’essence de la nature de cet esprit qui pense que la méditation est bonne ou mauvaise. Cette investigation conduit à réaliser que l’esprit qui se prononce sur la méditation est dénué de réalité propre. Le moment de reconnaissance de la non-existence propre de l’observateur qui émet un jugement est l’instant même où l’on reconnaît l’essence de l’esprit.
Il n’est donc pas nécessaire de porter un jugement sur notre méditation puisque, lorsque l’esprit est dans un état de stabilité, c’est l’esprit même ; lorsque l’esprit est dans un état de mouvement, c’est encore l’esprit ; et lorsque l’esprit est conscient de chacun de ces deux états, c’est toujours l’esprit. De ces trois états, il n’y en a pas un auquel on doit s’attacher particulièrement. Si l’esprit est agité de nombreuses pensées, il faut simplement le laisser se détendre et éviter de saisir ces pensées.
Il faut reconnaître que les pensées émergent de l’esprit lui-même et les laisser s’y dissoudre. Étant capable de laisser les pensées apparaître et disparaître d’elles-mêmes, on pourra demeurer dans la méditation. Lorsque l’on médite, il ne faut pas essayer de bloquer ses pensées, et quand une pensée apparaît, il ne faut pas la saisir en tant qu’objet tangible réel. Les pensées sont sans forme définie ni existence inhérente. Elles ne sont que la manifestation de l’esprit.
Si on considère les pensées comme quelque chose de concret, on voudra agir sur elles et les contrôler, ce qui n’aura comme effet que de créer de la souffrance dans notre esprit. En effet, la véritable nature des pensées est d’être dénuée de forme, de couleur, d’existence réelle, les pensées ne sont pas des entités séparées de l’esprit. Quand on développe cette compréhension, on n’est plus concerné par l’apparition ou l’absence de pensées, on s’établit simplement dans l’état naturel de l’esprit en lequel le flot des pensées apparaît et disparaît de lui-même.
Lorsque l’on regarde l’essence des pensées dès qu’elles surgissent et que l’on reconnaît qu’elles n’ont pas de réalité propre ou indépendante, on voit que leur essence est le dharmakaya ou corps de vérité. Une telle reconnaissance opérée pendant la méditation permet de directement percevoir l’essence de chaque pensée dès qu’elle se manifeste, sans saisie et sans aversion. Les pensées deviennent semblables à des flocons de neige qui, tombant sur une pierre chaude, fondent et se dissolvent naturellement à son contact. Le méditant ayant obtenu ce niveau de réalisation est capable de laisser son esprit demeurer dans le jeu inobstrué de l’apparition et de la disparition spontanée des pensées.
Gampopa disait qu’en son temps, beaucoup de méditants commettaient une grave erreur : ils pensaient que la méditation consistait à obtenir un état dénué de pensées, un état dans lequel le processus d’apparition et de disparition des pensées est totalement bloqué. Gampopa expliquait que ce type de méditation ne sert qu’à créer un état d’inconscience totale semblable à l’évanouissement, et que cela n’a rien à voir avec la méditation authentique.
Il insistait sur le fait qu’il n’est pas nécessaire d’empêcher l’apparition du mouvement des pensées dans l’esprit, mais qu’il faut reconnaître l’essence de ces pensées : le dharmakaya ou corps de la réalité ultime. Si l’on peut demeurer dans cet état de reconnaissance de la nature réelle des pensées, celles-ci apparaissent et se libèrent naturellement d’elles-mêmes.
Comme ce flot constant d’apparitions et de disparitions des pensées constitue la dimension même de la réalité ultime, on reconnaît que les pensées sont extrêmement précieuses et qu’elles sont d’une grande aide.
Si le but de la méditation était d’atteindre un état libre de tout mouvement et de toute pensée, on pourrait dire que les rochers et la terre sont de bien meilleurs méditants que les êtres humains ! L’absurdité de cette idée montre que le but de la méditation n’est pas de se débarrasser du mouvement des pensées, mais de demeurer dans un état naturel de non-saisie vis-à-vis des pensées qui apparaissent.
Méditer consiste à libérer le corps et l’esprit des tensions et des entraves qui les maintiennent dans un état de perturbation. Dans la méditation, on réitère constamment le processus par lequel on desserre tous ces liens, jusqu’à établir le corps et l’esprit dans un état de complète détente, libre de toute tension. C’est cela la méditation.