La rencontre de deux destins
Alors qu’en 1946 Dom Robert Le Gall naît à Saint-Hilaire-du-Harcouët, trois ans plus tard Jigmé Rinpoché vient au monde au Kham, dans l’Est du Tibet.
Rapidement, Jigmé Rinpoché réside à Tsurphu, au monastère du Karmapa au Tibet puis, en 1959, au monastère de Rumtek, au Sikkim, dans le Nord de l’Inde, accompagné par le Karmapa et de nombreux maîtres réincarnés de tous âges. Là il reçoit directement de Karmapa l’intégralité des transmissions de sa tradition.
Pendant ce temps, Robert Le Gall suit des études de philosophie et de théologie dans les abbayes de Sainte-Anne de Kergonan et de Solesmes. Il obtient sa licence en théologie à l’université de Fribourg et complète sa formation par des études bibliques en Israël.
1974 est une date importante pour les deux hommes.
Robert Le Gall est ordonné prêtre. Plus tard, comme moine bénédictin, il est élu abbé de l’Abbaye Sainte-Anne de Kergonan.
Jigmé Rinpoché est désigné comme le représentant du Karmapa en Europe et vient s’installer en son siège, Dhagpo Kagyu Ling en Dordogne.
Au fil des années, les deux hommes déploient leur activité respective. Aujourd’hui, l’un est archevêque de Toulouse et l’autre secrétaire général du Karmapa, relayant l’activité de celui-ci partout dans le monde.
C’est en 2001 que nos deux hommes se rencontrent dans la perspective de la publication d’un livre d’entretiens : Le Moine et le Lama. Ils passent du temps ensemble dans leurs lieux respectifs (l’abbaye de Kergonan et Dhagpo Kagyu Ling) pour échanger sur les thèmes essentiels des deux traditions. Qui sont Bouddha et Jésus ? Qu’est-ce que l’homme et quel est le sens de sa vie ? Le bonheur est-il le but ultime de la vie ? Y a-t-il quelque chose après la mort ? Comment prier et comment méditer ?
Ces entretiens simples et vivants, authentiques et profonds, ont fait naître une estime mutuelle entre le moine bouddhiste et le moine catholique. Puisant bien sûr dans leur érudition, ils ont échangé sur base de leur expérience personnelle et des responsabilités que tous les deux assument dans leur tradition.
Ils se sont ensuite retrouvés au gré des conférences suscitées par la publication du livre. Le 16 août prochain, ils se rencontrent à nouveau à l’occasion des 40 ans de Dhagpo. Le 15 août est, pour les chrétiens, le jour de l’Assomption. L’Assomption consiste en la montée de Marie au ciel sans avoir connu la corruption de la mort et de son corps physique. En ce sens, elle préfigure notre destinée. Partant de cet évènement fondateur du monde catholique, Mgr Le Gall et Jigmé Rinpoché ont choisi d’échanger sur le thème de la libération. Quelles sont les conditions à rassembler pour que la voie, chrétienne ou bouddhiste, nous mène, en tant que pratiquant, à la libération ? Et que signifie ce mot pour chacune des traditions ?
Les « retrouvailles » entre les deux moines sont réjouissantes. Ils se connaissent bien et pourront ainsi aller directement à l’essentiel et continuer ensemble l’exploration des points communs et divergences des deux religions. De plus, l’un et l’autre sont connus pour la clarté de leurs exposés et, ce qui ne gâte rien, leur sens de l’humour.
Le dialogue interreligieux : quand les convictions se rencontrent
Le dialogue interreligieux est question de convictions. La conviction s’oppose au préjugé. Elle permet de passer de l’ignorance à la connaissance. Nos convictions se construisent avec notre histoire de vie, elles s’enracinent en nous en profondeur. Elles sont liées à nos valeurs qui guident nos choix dans les circonstances de la vie (même si la vie nous montre combien il est parfois difficile de vivre nos convictions au quotidien).
Un véritable enjeu s’impose à nous lorsqu’il nous faut rencontrer des personnes de convictions différentes. L’exercice du dialogue devient alors incontournable. La rencontre avec l’autre est l’espace privilégié pour clarifier nos convictions. Nous ne pouvons réduire l’autre à notre propre réalité ; pour le rencontrer, il faut nous ouvrir à son questionnement. Si le dialogue est authentique, une véritable écoute peut prendre place. Les convictions de chacun s’en trouvent alors nourries.
Néanmoins, un tel dialogue est à chaque fois un défi. Si nous sommes mus par un désir honnête de rencontre, de découverte et de reconnaissance, nous sommes prêts alors à mettre en jeu nos convictions, explorant le terrain fertile de l’enrichissement, mais aussi de la vulnérabilité. Le risque de la rigidité reste en embuscade : nous rabattre dans la dévalorisation des convictions qui nous sont étrangères, ou minimiser les différences. Bref, rater le rendez-vous est toujours possible.
Un dialogue authentique n’essaie pas de modifier ce que pense l’autre ni ce que nous pensons. Il s’agit de parler vrai, de rester soi-même et d’être à l’écoute. Le fruit d’une telle rencontre est l’enrichissement de la vision que nous avons de l’autre. Comme le dit Jigmé Rinpoché dans Le Moine et le Lama : « Chacun continue évidemment de suivre sa propre voie, mais le dialogue réussi devient un puissant facteur de paix et d’harmonie qui étend ses effets bien au-delà du cercle des pratiquants directement concernés. »
Voilà pourquoi il nous semblait important que Mgr Le Gall et Jigmé Rinpoché puissent se retrouver à nouveau à l’occasion des 40 ans de Dhagpo afin de permettre de faire vivre les convictions de chacun sur la voie qui est la sienne.
Puntso
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