Extrait du Tendrel 30, Décembre 1992
Cet enseignement a été donné par Shamar Rinpoché à Dhagpo Kagyu Ling pendant l’été 1981. Le Shamarpa est considéré comme une émanation du Bouddha Amitabha.
Alors le Bouddha dit à Shariputra : « Dans la direction de l’Ouest, au-delà d’une myriade de milliards de terres de bouddhas, il existe un monde qu’on appelle “Terre de la Suprême Félicité”. Dans cette Terre vit un bouddha que l’on appelle Amitabha. Il y demeure actuellement et y enseigne le Dharma. Shariputra, pourquoi ce monde est-il appelé “Terre de la Suprême Félicité” ? »
Grand Soutra du bouddha Lumière Infinie
Jusqu’à la venue du Bouddha Shakyamuni, le Dharma1 était inconnu de notre monde, du fait des actions négatives2 commises antérieurement par ses habitants. Dans le but de supprimer cet obstacle le Bouddha s’est manifesté historiquement, a parcouru les étapes du chemin de l’éveil et les a ensuite décrites en détail pour permettre à ceux qui le souhaitent d’atteindre le même degré de perfection. C’est au “Pic des Vautours3 ” que Shakyamuni expliqua comment un autre bouddha ‑ Amitabha ‑ atteignit la complète illumination et par quels moyens chaque être peut connaître son monde appelé Dewachen4.
Cet enseignement fut transcrit et conservé sous le nom de “Soutra d’Amitabha” ; l’explication qui suit est basée sur ce texte.
I. Des mondes et des illusions
Avant d’aborder l’enseignement proprement dit sur le bouddha Amitabha et son monde, nous devons commencer par comprendre comment il est possible que différents types d’univers et d’êtres existent, d’une manière générale.
Nous reconnaissons l’existence d’un monde, le nôtre, parce que nous pouvons le voir. D’aucuns pensent qu’il n’est pas d’autres mondes habités en dehors de celui-ci, mais ceci est une idée très limitée. Étant donné que l’espace est infini, il est tout à fait possible qu’il contienne d’autres mondes et d’autres êtres. Après tout, un être est simplement quelque chose pourvu d’un corps et d’un esprit. Si nous ne pouvons fixer une limite à l’espace, nous ne pouvons davantage imposer l’idée d’un nombre limité d’êtres le peuplant.
Si nous acceptons le fait qu’il y a beaucoup d’êtres différents, il nous faut également reconnaître que chacun d’entre eux possède un karma5 individuel. C’est ce karma qui détermine le genre de monde auquel nous appartenons : si un groupe d’êtres de bon karma se réunit, son monde sera bon ; si ce sont des êtres dotés d’un karma négatif qui se rassemblent, il en résultera un mauvais monde. Chaque individu détient son propre karma, jusqu’au plus minuscule insecte. Les êtres ayant des karmas similaires naissent avec une apparence physique et des modes d’existence communs. C’est ce qui crée les différentes catégories d’êtres, telles que les insectes, les poissons ou les humains…
Comment tous ces mondes furent-ils créés ? Si nous nous contentons de répondre : « Par la combinaison des cinq éléments (espace, vent, feu, eau, terre) », ceci soulève la question : « D’où viennent ces éléments ? » Le problème ne peut être résolu par le postulat d’un créateur, cette conception n’amenant que d’autres questions sur l’origine de ce démiurge.
Il n’y a pas de créateur des cinq éléments. Le monde n’a jamais été fabriqué, il est plutôt une projection, une illusion de l’esprit.
Chercher des réponses sur le monde et son créateur, c’est comme se demander qui a créé la ville vue en rêve la nuit dernière. Personne ne l’a jamais fabriquée, elle n’est que l’expression d’une illusion.
Si un rêve n’est qu’une illusion qui dure un temps relativement court, notre vie/illusion dure plus longtemps. Quand le karma d’un individu s’harmonise avec celui d’un autre, ils deviennent tous deux sujets de la même illusion. Nous pouvons donc nous rencontrer parce que nous partageons la même illusion.
Mais la vie ne se réduit pas à une simple illusion. A l’intérieur de l’illusion, tout est réel jusqu’au moindre détail et il ne vient même pas à l’idée de celui qui y participe qu’il peut en être autrement. Si nous mettons notre main dans le feu, elle se brûle ; nous appelons cette “réalité”, réalité relative.
L’illusion peut être bonne ou mauvaise selon le karma des êtres qui l’expérimentent et ce karma est déterminé par l’état d’esprit de chaque individu. Tous les êtres ont une tendance naturelle à être facilement influencés par l’une ou l’autre des émotions perturbatrices. Ceci signifie que plus leurs actes sont négatifs, plus les illusions qui en découlent sont marquées par la souffrance. Cependant, tous les êtres possèdent la nature de bouddha6 qui leur permet, en présence de circonstances appropriées, de développer l’amour et la compassion, les conduisant à une illusion plus positive où ils connaissent davantage de bonheur.
Du nombre illimité d’êtres et de la variété d’actions par eux accomplie, résulte un nombre incommensurable de mondes plus ou moins bons ou mauvais. Notre monde possède ces deux aspects – on y connaît à la fois le bonheur et la souffrance -, signe que cette illusion reflète l’esprit d’êtres ayant un mélange de bon et de mauvais karma. En Dewachen, la souffrance n’existe sous aucune forme : il n’y a ni maladies, ni famines, ni agressions, ni guerres, par exemple. Ceci parce les êtres qui y naissent appartiennent à une très bonne illusion dans laquelle la souffrance n’apparaît jamais.
Dans les enseignements de Nagarjuna, il est dit : « Il faudrait progresser de luminosité en luminosité ». Par exemple, si nous avons un précieux corps humain7, nous connaissons une illusion qui est relativement claire et lumineuse. Nous devrions utiliser cette opportunité pour accomplir des actions positives et pénétrer plus avant dans la clarification de l’illusion. Mais si nous engageons notre vie humaine dans l’accomplissement d’actes négatifs, nous créons les causes d’une renaissance inférieure ; l’illusion s’assombrit, nous quittons la clarté pour les ténèbres et c’est fort dommage.
Celui qui prend naissance en Dewachen va naturellement de luminosité en luminosité et une fois en ce monde, personne ne retombe plus jamais dans les royaumes inférieurs d’existence. Par la pratique des enseignements que leur prodigue Amitabha, les êtres de Dewachen progressent vers l’éveil sans difficulté ; de cette illusion, la plus lumineuse de toutes, ils atteignent l’illumination.
Notre monde, comme nous l’avons dit, est un mélange de bonnes et de mauvaises illusions. Mais vous qui écoutez ces enseignements, vous participez d’une illusion des plus lumineuses dans laquelle vous allez pouvoir rencontrer le bouddha Amitabha face à face et atteindre l’éveil, sans même avoir eu besoin de connaître le bouddha historique Shakyamuni. Mais vous devriez faire vôtre l’avis de Nagarjuna et avancer de luminosité en luminosité. Quelqu’un jouissant d’une illusion lumineuse et s’engageant dans une action néfaste ternit son illusion et perd là une précieuse occasion. Il est comme celui qui, pourvu d’une bonne vue, tournerait en rond, regardant en l’air, et qui, faute de se servir de ses yeux, tomberait dans un précipice. Bien entendu, s’il est réellement aveugle il n’y peut rien mais s’il a ses yeux, il doit les utiliser correctement. De la même façon, c’est maintenant que nous avons une bonne vision et que nous devons faire tout notre possible pour la développer en quelque chose de plus lumineux.
II. Le monde de Dewachen
II existe quatre causes de renaissance en Dewachen.
La première est d’imaginer à quoi ressemble le monde de Dewachen. Par le fait de penser constamment aux excellentes choses de ce monde, s’établit un lien qui va nous permettre de nous y rendre. L’un des souhaits exprimés par Amitabha concernant ce monde dit : « Celui qui imagine comment est Dewachen, puisse-t-il développer la tendance qui le conduira à y renaître. » Ainsi, chaque fois que nous pensons à Dewachen, nous créons la première cause pour y renaître.
A quoi ressemble ce monde ? Il est beaucoup plus grand que le nôtre. Il n’a ni soleil ni lune mais il est perpétuellement éclairé par une lumière naturelle qui est dite provenir du corps d’Amitabha. Ceci est vrai, mais pas dans le sens où il serait une source lumineuse, une sorte d’ampoule géante ; c’est plutôt une clarté naturelle qui est une des bénédictions du corps d’Amitabha.
Le climat n’est ni trop chaud ni trop froid, la température correspond exactement à ce que chacun juge le plus agréable.
Pour ce qui est du paysage, peut-être à sa description ne le trouverez-vous pas à votre goût car il est complètement plat : il n’y a pas une seule montagne. Mais je peux vous assurer que vous vous en trouverez très heureux quand vous y serez. Vous n’aurez alors pas même la pensée d’une montagne. Il y a des petites collines ici et là, plutôt des amas rocheux qui sont composés de pierres précieuses : rubis, lapis-lazuli, etc.
Le sol est couvert d’un gazon vert d’une qualité particulière ; certains l’appellent “rebondissant”, mais c’est une mauvaise traduction. En réalité, lorsque vous marchez dessus il se redresse de lui-même après votre passage : il ne peut pas être écrasé.
L’eau de Dewachen apparaît spontanément. Il n’y a pas de processus d’évaporation et de condensation tel que nous en concevons la nécessité pour approvisionner les sources : un tel processus appartient à notre monde et n’a pas sa place en Dewachen. On y trouve des rivières dont l’eau est à la température désirée. Elles ne sont pas très profondes, leur niveau monte à la poitrine des habitants de Dewachen. De nombreuses pierres précieuses tapissent leur lit qui est très pur et non pas constitué de vase et de pierres comme ici.
Le pays est parsemé de petits lacs, chacun étant agrémenté de lotus de toutes couleurs. Il existe de grandes variétés d’arbres dont les feuilles sont dites d’émeraude, mais cela ne signifie pas qu’elles soient dures comme des joyaux. Lorsque le vent souffle dans les arbres, comme cela arrive quelquefois, son chant est celui des enseignements du Bouddha et chacun peut y entendre les Quatre Nobles Vérités, par exemple. De plus, il cesse dès que vos oreilles sont lasses d’écouter.
On connaît aussi les oiseaux de Dewachen. Dans certains soutras il est dit qu’ils émanent du corps d’Amitabha, dans d’autres que ce sont des animaux au karma complètement pur. Quelle qu’en soit la raison cela ne compte guère pour vous puisqu’ils existent.
Ce vaste monde est émaillé de grandes fleurs de lotus et dans chacune d’elles repose la conscience d’un être de Dewachen. Certains de ces lotus s’ouvrent immédiatement, d’autres plus lentement ; cela dépend des doutes émis par la conscience qu’ils abritent sur sa capacité à atteindre Dewachen. Ceux qui ont douté voient leur lotus se déplier lentement, alors que pour ceux qui sont libres de doutes les pétales de leur fleur s’ouvrent immédiatement. Mais même un être demeurant dans un lotus aux pétales fermés se sent parfaitement heureux et n’éprouve aucune sensation d’être enfermé ou prisonnier. La seule ombre est qu’il ne peut sortir instantanément pour voir Amitabha.
Tous les êtres ont un corps qui vit à l’intérieur du lotus. Si sa forme est la même que la nôtre (un visage, deux bras, deux jambes, deux yeux, etc.), sa qualité est différente, d’une façon que je ne saurais décrire car rien de ce monde ne peut y être comparé.
La peau du corps est d’une couleur dorée et brillante, très belle, comme celle du bouddha Shakyamuni. Le corps est dépourvu d’orifices et d’organes internes. Même dans notre monde nous connaissons des êtres dont les organes internes ont des fonctions différentes. En Dewachen, il n’est nul besoin d’organes.
L’esprit de chacun des êtres de Dewachen est empli de sagesse discriminante, ce qui leur permet de demeurer sans effort en absorption méditative. Notre propre esprit contient beaucoup d’opacité et de confusion qui nous empêchent de méditer aisément. Cette capacité de méditation commune aux êtres de Dewachen provient de leur intelligence ; dès qu’ils entendent les enseignements d’Amitabha ou ceux de nombreux bodhisattvas qui vivent en ce paradis, ils les comprennent immédiatement, les retiennent et les réalisent sans difficulté.
Cette sorte d’aisance mentale est le meilleur aspect du bonheur de Dewachen. Nous avons plutôt tendance à être attirés par le bonheur physique de cette terre, mais le bien-être et la félicité mentale lui sont de beaucoup supérieurs. L’esprit pouvant s’absorber en méditation ne connaît plus ni l’ennui, ni l’attente. Personne ne se suicide en Dewachen.
En outre, tous les habitants de Dewachen sont naturellement doués de pouvoirs miraculeux, par exemple celui de quitter Dewachen pour aller visiter d’autres terres pures où enseignent d’autres bouddhas ou de se rendre dans les mondes impurs afin d’y aider les êtres.
Beaucoup de gens tiennent ceci pour incroyable. Comment une telle chose est-elle possible ? Il nous faut comprendre que, d’une manière générale, pour quelqu’un doté d’un karma pur, il existe une correspondance intime entre ses vœux et la possibilité de leur réalisation, alors qu’un être doué d’un karma impur connaîtra une faille entre ses désirs et leur accomplissement. En Dewachen, souhaits et réalisation deviennent synonymes grâce au karma très pur des êtres qui y vivent et c’est quelque chose de complètement normal, il n’y a là rien d’extraordinaire. Demandez-vous simplement comment il est possible de marcher ; il n’y a rien de particulier à cela, nous le faisons naturellement. De même, il n’y a rien de spécial permettant aux êtres de Dewachen de visiter d’autres mondes. Cela fait partie de leur karma, comme la capacité de marcher fait partie du nôtre. Toutes les caractéristiques de Dewachen qui nous paraissent extraordinaires n’en sont que l’expression naturelle.
Pourquoi Dewachen est-il tel qu’il est ? Il n’y a à cela aucune raison autre que le karma des êtres de Dewachen. Il en va de même pour notre monde : pourquoi des hommes, des animaux, des arbres, etc. ? Il n’est d’autres causes que le karma. Nous pouvons tenter de répondre qu’en explosant un soleil a donné naissance à notre planète et ainsi de suite… Mais ceci n’explique pas l’existence de ce soleil et pourquoi il a explosé.
Maintenant vous savez tous à quoi ressemble Dewachen et vous pouvez l’imaginer clairement. Agir ainsi est la première pratique qui vous conduira vers une renaissance en ce monde. Vous devez visualiser Dewachen comme vous le faites pendant la phase de développement de la méditation. Ceci signifie que la visualisation doit être claire mais vide en essence comme le reflet de la lune sur l’eau. Si vous ne pouvez visualiser ainsi, de façon tantrique, pensez simplement que Dewachen est comme ce monde-ci mais en mieux, et c’est très bien. C’est comme si vous imaginiez Paris sans jamais y être allé. Représentez-vous-le tel que vous le voyez. Donc, vous imaginez que vous êtes en Dewachen comme cela a été décrit : avec son plat pays, l’herbe, les arbres, … Vous-même êtes dans une fleur de lotus ouverte et vous faisant face est le bouddha Amitabha sur un trône de lotus ; il est de couleur rubis, très lumineux et attirant ; il vous enseigne le Dharma continuellement. A ses côtés se tiennent ses principaux disciples : Chenrezi à sa droite et Vajrapani à sa gauche, dont le rôle est de préserver les enseignements d’Amitabha, tout comme firent les shravakas Shariputra et Mongallana pour ceux du bouddha Shakyamuni.
Visualisez tous les détails clairement. Pensez : « Je suis là » avec une intensité qui vous fait dresser les cheveux sur la tête et monter les larmes aux yeux, convaincu que vous êtes en Dewachen.
Ceci est le point de départ des pratiques que je vais maintenant vous expliquer.
III. Accumuler du mérite
La deuxième cause de renaissance en Dewachen est l’accumulation de mérite. Nous devons réaliser que notre tendance est généralement inverse, car la saisie de l’ego nous mène à accomplir les dix actions non vertueuses8.
Ainsi nous avons recours à toutes sortes de moyens pour assurer nos besoins matériels, le plus souvent sans penser aux autres : dans les affaires, nous sommes entièrement tournés vers le profit ; si nous mangeons de la viande, nous sommes responsables des souffrances et de la mort d’autres êtres vivants ; nous ne pouvons davantage manger des légumes sans partager la responsabilité de tous les torts causés aux insectes vivants sur et sous la terre. Nous commettons constamment des actes nuisibles dans notre recherche des nécessités de la vie. Cette accumulation de négativités doit être transformée en mérite pour atteindre Dewachen.
Quelle est la manière la plus efficace d’accumuler du mérite ? C’est la générosité, ce qui signifie faire des offrandes à un objet qui en soit digne.
Étant donné que nous créons du mérite à chaque fois que nous faisons un don, nous devrions nous y appliquer sans discrimination aucune. On distingue cependant trois types de réceptacles envers lesquels l’acte d’offrir est particulièrement bénéfique. Tout d’abord les êtres qui endurent un état9 de souffrance : ceux qui souffrent de la faim et de la soif, de la chaleur ou du froid extrême, ou ceux qui sont malades, terrorisés, etc. Si leur souffrance peut se trouver soulagée par notre générosité, un grand mérite naît alors de cet acte. La deuxième catégorie d’êtres à qui adresser nos dons, ce sont nos parents : puisqu’ils nous ont donné le meilleur de leur amour et de leurs soins dans cette vie, leur retourner cet amour par des offrandes est très bénéfique. Le troisième réceptacle particulier, ce sont les arhats, les bodhisattvas10 et les bouddhas. Vous vous demandez peut-être quel bien nous faisons en donnant à des êtres qui ne connaissent ni souffrance, ni faim, ni soif : la teneur du mérite réside dans la pureté de leur esprit.
La générosité orientée vers les êtres ordinaires crée un bienfait qui est toujours teinté du jeu des émotions et de la confusion. La générosité qui s’exprime par des offrandes aux bouddhas ne connaît pas ces imperfections ; nous offrons possessions et biens, sans attachement ni saisie. Si nous sommes en outre mus par une grande foi, nous recevons l’influence spirituelle de ces êtres purs et nous donnons naissance à l’esprit de l’éveil qui nous conduira à méditer jusqu’à l’état d’absorption11. Accomplir de telles offrandes crée un mérite particulièrement pur.
Vous devriez vous exercer continuellement à accumuler du mérite en pratiquant la générosité envers ces trois catégories de réceptacles. Mais c’est la troisième de ces catégories (celle des arhats, bodhisattvas, bouddhas) qui nous concerne particulièrement. Une fois établie la première cause de renaissance en Dewachen (la claire vision du monde de Dewachen), vous continuez en faisant des offrandes au bouddha Amitabha que vous devez imaginer juste en face de vous. Vous allez lui offrir une prière à sept branches dont vous trouverez le texte dans la pratique d’Amitabha12.
La première branche consiste à faire des prosternations, ceci afin de purifier les obscurcissements nés de la mauvaise utilisation de votre corps, depuis des temps sans commencement. Les prosternations sont la façon d’accumuler du mérite au moyen du corps, mais il est important également d’avoir le respect présent à l’esprit lorsque vous les accomplissez. De plus, il est très bénéfique de penser que tous les êtres sont réunis autour de vous et se prosternent aussi, car le mérite est réparti entre eux. Quel que soit le nombre de prosternations que vous faites, dirigez-les vers Amitabha ; vous pouvez même dire : « Je me prosterne devant le bouddha Amitabha » en même temps, si vous le souhaitez.
Dans la deuxième branche de la prière vous faites des offrandes à Amitabha. Celles-ci sont dites être de deux sortes : réelles et imaginaires. Les offrandes réelles sont celles qui sont matériellement présentes pendant votre pratique : fleurs, fruits, les sept bols rituels13, ce que vous avez et offrez en récitant les mots de la prière. Vous devez faire également des offrandes mentales en pensant à toutes les choses pures dans le monde et en imaginant qu’elles émanent de votre corps comme offrande au bouddha Amitabha : de belles fleurs, de l’eau pure, de la bonne nourriture, etc. et plus particulièrement les choses que vous aimez le plus. Ainsi vous transformez votre attachement par l’acte d’offrande et accumulez encore plus de mérite ; mais en ce cas n’offrez rien d’impur même si vous y êtes attachés, je veux dire des cigarettes ou des drogues, par exemple. C’est aussi l’occasion d’offrir un mandala de l’univers et d’y placer tout ce vous souhaitez.
Une autre sorte d’offrande qui s’intègre à la deuxième branche, c’est la récitation d’un hymne. Il en est un qui loue la manière dont Amitabha a tout d’abord développé l’esprit de l’éveil puis pratiqué les dix perfections14 jusqu’à l’illumination et qui célèbre également les qualités de ses Corps, Parole et Esprit. Si vous le récitez, cela vous aidera à garder en mémoire les qualités spécifiques du bouddha Amitabha.
Nous agissons similairement au niveau mondain : lorsque quelqu’un fait quelque chose de grand, nous parlons de lui; nous louons fréquemment les qualités de notre mari, de notre femme ou de nos enfants. Mais ce genre d’hommage mondain est entaché d’attachement ; par l’hymne à Amitabha nous le transcendons.
Par la troisième branche de la prière nous reconnaissons nos erreurs. La pratique de la confession est liée aux Quatre Forces15. Celle qui nous concerne ici est celle du support, c’est-à-dire Amitabha. C’est devant lui que vous confessez vos actes négatifs : « Depuis des temps sans commencement jusqu’à maintenant, je reconnais avoir fait mauvais usage de mon corps en tuant, volant et en ayant une conduite sexuelle incorrecte ; de ma parole en mentant, créant la discorde, usant de paroles dures ou futiles ; de mon esprit en étant envieux, haineux et en professant des vues fausses : tout ceci je le confesse en cet instant. »
La branche suivante est la réjouissance des mérites. A la base, elle est synonyme de joie sympathique. Nous sommes tous remplis d’émotions et lorsqu’elles se manifestent en nous ou chez les autres, nous nous sentons joyeux. Cette joie, il nous faut la purifier et la transformer; c’est pourquoi nous cultivons la joie sympathique. Nous devons penser clairement à tous ceux qui ont développé l’amour altruiste et la compassion, qui ont servi les autres, atteint l’état d’arhat ou de pratyekabuddha, qui se sont élevés à travers les différents degrés de bodhisattva ou qui ont obtenu l’éveil. Ici, nous devons tout particulièrement penser à la vertu accumulée par Amitabha lorsqu’il progressait vers l’éveil, comment il est devenu capable de régner sur Dewachen, entouré d’arhats et de bodhisattvas et comment il enseigne continuellement aux êtres de ce monde. Vous devez penser à tout ceci et vous entraîner à développer la joie sympathique. En fait, se réjouir ainsi des mérites des autres crée notre propre mérite mais uniquement si nous ne le faisons pas pour le mérite.
Par la cinquième branche nous requérons des bouddhas qu’ils tournent la Roue du Dharma pour le bien de tous les êtres. Pensez qu’Amitabha est juste en face de vous, entouré de tous les bouddhas et bodhisattvas des trois temps et des dix directions. Demandez-leur de mettre en mouvement la Roue des Enseignements, ayant conscience qu’ainsi vont pouvoir être dissipées toutes les souffrances de tous les êtres. Le résultat pour nous-mêmes d’une telle requête est que nous serons capables de suivre les bouddhas et d’accumuler du mérite par la préservation de leurs enseignements, tout comme le font Chenrezi et Vajrapani auprès d’Amitabha.
La sixième branche est celle où nous supplions les bouddhas de ne pas s’en aller dans le nirvana16. Les bouddhas ne naissent ni ne meurent, ils sont au-delà de ces conditions. Mais ils s’émanent en des formes variées pour faire reculer l’ignorance des êtres. Ainsi le bouddha Shakyamuni s’est émané en notre monde puis est passé dans le nirvana ; mais ce n’est pas comme un homme qui meurt, cela n’apparaît tel, que pour les êtres de ce monde. Lorsque les êtres d’un monde ont un karma positif, un bouddha se manifeste ; quand ce karma est épuisé, le bouddha disparaît. C’est afin de créer ce bon karma permettant l’apparition d’un bouddha que nous faisons la requête : « Quel que soit le nombre de bouddhas qui peuplent l’univers, puissent-ils ne pas s’en aller dans le nirvana mais continuer de se manifester pour le bien des êtres. » Vous devez adresser votre prière spécialement au bouddha Amitabha en face de vous.
Nous terminons par la septième branche en dédiant le mérite accumulé par cette prière et par tout autre moyen, pour qu’il permette à tous les êtres de renaître en Dewachen.
Ceci termine la prière à Amitabha qui nous fait accumuler du mérite.
IV. Se confesser
Nous avons déjà vu que c’est l’une des sept branches de la prière mais c’est aussi la troisième cause de renaissance en Dewachen. Nous commettons tous sans cesse, des actes négatifs par le corps, la parole et l’esprit et quiconque est lié au cycle des existences ne peut échapper à cette règle ; d’où la nécessité de confessions répétées pour les purifier.
Si nous avançons lentement vers l’éveil, c’est que nous projetons ces actes nuisibles : par la force de notre karma nous sommes nés dans un monde impur, dotés d’un état d’esprit qui donne prise aux émotions nées de la confusion et nous ne pouvons donc éviter complètement les actes négatifs. Cependant, si les actes vertueux deviennent plus forts que les actes non vertueux, nous progressons vers un karma où il sera ultimement possible d’endiguer définitivement le mal. C’est ce qui se produit en atteignant le premier degré de bodhisattva où l’on devient un “jeune” bouddha. Mais jusqu’à ce stade, le négatif prédomine. Nous accumulons de la négativité lorsque notre activité physique, verbale ou mentale est mue par l’une ou l’autre des émotions de la confusion, tels que la haine, la jalousie, l’orgueil, le désir ou l’ignorance. On ne peut dire que les émotions soient en elles-mêmes négatives mais plutôt l’acte qui en découle.
Qu’advient-il de ce négatif ? Il repose dans notre conscience de base sous forme de tendances qui vont mûrir ultérieurement en souffrance : par exemple, renaître dans un corps constamment malade ou souffrant de la chaleur, etc.
Depuis des temps sans commencement jusqu’à aujourd’hui, notre esprit s’est trouvé obscurci par les nuages de l’ignorance et leur projection en actes néfastes à travers d’incalculables existences. Les tendances issues de tels actes se sont déposées dans notre conscience de base, certains mûrissant dans cette vie. Ainsi, lorsque nous sommes touchés par l’adversité, c’est que l’une de ces tendances négatives vient à maturité. Comme nous avons agi négativement dans d’innombrables vies, beaucoup de tendances restent stockées dans notre conscience de base, prêtes à mûrir pour de futures vies, du moins si nous ne parvenons pas à les purifier en cette vie-ci. Une fois purifiées, ces tendances ne peuvent plus mûrir négativement ; il n’est alors plus nécessaire de chercher à purifier les tendances demeurant en la conscience de base.
La meilleure méthode pour purifier les négativités est de pratiquer toutes sortes de vertus, ce que nous faisons en pensant que nous sommes assis en face d’Amitabha et que nous lui offrons la prière à sept branches. Nous pouvons également accomplir les pratiques spécifiques de purification telle que la méditation de Dorjé Sempa ou celle des trente-cinq bouddhas de confession.
Cependant, la base de toute purification est de prendre l’engagement de ne plus réitérer même la plus infime action négative, quelles que soient les circonstances. Comme je l’ai dit, nous vivons dans un monde impur où il est impossible d’éviter complètement les actes négatifs, du fait de notre accumulation passée de négativités ; mais si nous nous efforçons maintenant d’accomplir tous les actes positifs en notre mesure, il devient possible de purifier et de dépasser tous les actes néfastes que nous impose notre condition.
Ceci suppose que nous commencions par développer la conscience du discernement de nos actes ; nombre d’actions négatives sont commises parce que nous ne sommes pas conscients de ce que nous faisons. Il nous faut encore comprendre pourquoi il est si important de purifier nos actes. Souvenons-nous que depuis les temps sans origine nous errons en une ronde sans fin dans le cycle des existences, accumulant le négatif d’une vie sur l’autre, ce qui nous mènera à d’intenses souffrances si nous ne le purifions pas. Et nous devons trouver à tout prix les moyens de cette purification ; par là nous engendrons le remords de ce que nous avons commis. Il est également d’une grande aide de se rappeler les mauvaises actions perpétrées en cette vie, de façon précise, afin d’en mesurer le poids.
Ceci constitue la troisième cause que vous devez entretenir sans cesse, aussi bien dans votre vie quotidienne que par la pratique spécifique d’Amitabha.
V. Développer l’esprit de l’éveil
C’est la quatrième cause qui permet d’atteindre Dewachen. Dès l’instant où nous donnons naissance à l’esprit de l’éveil, nous ne devrions jamais plus laisser notre esprit s’en dissocier. Cela ne veut pas dire que nous devons y penser chaque seconde de la journée mais plus simplement, qu’il faut le garder à l’esprit.
Lorsque après avoir récité la prière à sept branches vous vous imaginez en Dewachen face à Amitabha, vous prenez le vœu de l’esprit de l’éveil ; c’est le moment où vous devez prendre l’engagement d’agir comme l’ont fait antérieurement les bouddhas et bodhisattvas et spécialement Amitabha, c’est-à-dire l’engagement de développer l’amour et la compassion pour le bien de tous les êtres. C’est prendre le vœu de l’esprit de l’éveil en intention. Puis vous faites la promesse que, pareillement à tous les bouddhas et bodhisattvas du passé comme Amitabha, vous pratiquerez les dix perfections et les autres qualités qui sont le cœur de l’activité bénéfique à tous les êtres. Ceci est le vœu de l’esprit de l’éveil en action. Il est important de penser que prendre ces vœux devant Amitabha est un serment qui vous engage véritablement.
Si nous ne générons pas l’esprit de l’éveil, nos actes vertueux sont de peu de force. Les actions négatives par contre sont très puissantes car elles reposent sur la saisie de l’ego. Même une faute mineure connaît un résultat impressionnant. Il faut développer l’esprit de l’éveil pour que nos actes vertueux aient le même poids.
L’esprit de l’éveil est la cause directe de l’illumination. On distingue deux sortes d’esprit de l’éveil : relatif et ultime, qui sont tous deux présents, parvenus à pleine maturité au moment de la Réalisation.
L’esprit de l’éveil relatif se développe par la pratique de l’amour altruiste et de la compassion ; l’esprit de l’éveil ultime, par celle de la méditation.
VI. Souhaiter Dewachen
Cette autre manière de classer les quatre causes inclut la confession comme partie de la prière à sept branches par laquelle vous créez le mérite, et fait du développement de l’esprit de l’éveil la troisième cause. Dans cette classification, la quatrième cause est appelée “Souhaiter Dewachen” – soit la version intégrale, soit la courte prière17 – par laquelle nous établissons clairement notre intention d’y renaître.
Si vous ne récitez pas ces prières, tous les souhaits que vous avez pu exprimer pour renaître en Dewachen peuvent mûrir sous une autre forme qui sera sans doute agréable mais ce ne sera pas Dewachen parce que vous n’aurez pas exprimé votre souhait avec suffisamment de précision. Celle-ci se cultive par la récitation de la prière de souhaits de Dewachen. Nous disons : « Puissé-je renaître en Dewachen, devant Amitabha, dans un lotus ouvert, etc. » La force du souhait est telle, qu’au moment de la mort elle propulsera l’esprit vers une renaissance directe en Dewachen. Vous pouvez réciter en tibétain ou en français, comme il vous convient ; ce qui compte en récitant les mots, c’est la compréhension du sens.
VII. Quels sont les bienfaits de renaître en Dewachen ?
Ceux d’entre vous qui auront bien pratiqué ces quatre causes, même s’ils n’ont pas totalement purifié les négativités commises depuis des temps sans commencement, réussiront à renaître en Dewachen et dès lors ils ne connaîtront plus d’obstacles à la réalisation. Les conditions adverses, telles que la guerre ou la maladie qui entretiennent la production des émotions perturbatrices, n’existent pas en Dewachen ; bien au contraire, vous ne connaîtrez que des conditions positives et ne pourrez manquer d’atteindre l’éveil. Vous deviendrez ainsi une source de grands bienfaits pour les êtres vivants.
C’est pourquoi il est de votre responsabilité de pratiquer ces quatre causes en cette vie, pour la vie future.
Shariputra, si des êtres ont émis le vœu dans le passé, émettent le vœu maintenant ou émettent le voeu dans l’avenir de renaître en la Terre Pure du bouddha Amitabha, tous ces êtres atteindront sans plus jamais s’en détourner le Suprême et Parfait éveil. Ils sont nés en cette terre dans le passé, ils.y naissent maintenant, ils y naîtront dans l’avenir.
C’est pourquoi Shariputra, s’ils ont la foi, tous les fils et toutes les filles de bien doivent émettre le vœu de renaître en cette terre.
Soutra d’Amitabha
Tous les Tathagatas aussi nombreux que les sables du Gange, dans les dix directions, louent tous ensemble les qualités divines et les vertus inconcevables du bouddha Lumière Infinie.Tous les êtres vivants qui entendent son nom y croient et en éprouvent du bonheur et parviennent alors à l’unité de l’esprit.D’un cœur sincère ils se mettent à souhaiter la renaissance en cette Terre et obtiennent d’y transmigrer dans l’état où l’on ne revient plus en arrière.
Grand Soutra du bouddha Lumière Infinie
Notes
(1) Dharma : la vérité, le mode d’être réel des choses, tel que l’enseigne le Bouddha. Sans ces enseignements, il est impossible d’atteindre l’éveil. [↑]
(2) Selon la loi de cause à effet, les conditions expérimentées par les êtres sont toujours le résultat de leurs actes antérieurs. [↑]
(3) Le “Pic des Vautours” est le lieu où le bouddha Shakyamuni a tourné pour la deuxième fois la Roue de l’Enseignement, c’est-à-dire le mahayana. [↑]
(4) Dewachen : littéralement “le Monde de la Félicité”, Sukhavati en sanskrit. [↑]
(5) Karma : l’activité dans tous ses développements; tout à la fois la cause et la conséquence d’un acte. C’est ici la désignation de la structure propre à chaque individu, résultat de cette chaîne de causes et d’effets. [↑]
(6) Nature de Bouddha, sanskrit tathagatagarbha : la nature parfaitement éveillée qui est présente en chaque être. [↑]
(7) Précieux corps humain : une vie humaine dotée d’un corps capable de recevoir les enseignements du Bouddha est la base de l’obtention de l’éveil. Par sa rareté, ce corps humain est dit précieux. [↑]
(8) Les dix actions non vertueuses : trois du corps, quatre de la parole, trois de l’esprit. Elles sont énumérées dans l’explication de la deuxième partie de la prière à sept branches. [↑]
(9) Ici “état” fait référence aux trois classes inférieures d’existence : les enfers, les esprits avides, les animaux, dans lesquelles les conditions expérimentées sont particulièrement douloureuses. [↑]
(10) Arhat : celui qui a atteint la libération, mais pas l’éveil total. Bodhisattva : un être dont la motivation est d’atteindre l’éveil pour le bien des autres. [↑]
(11) État d’absorption, samadhi en sanskrit : l’état dans lequel l’esprit ne se détourne plus de sa méditation. [↑]
(12) Voir : “Prière de souhaits pour renaître en les Purs Champs de Félicité”. [↑]
(13) Les offrandes traditionnelles contenues dans les sept bols placés sur l’autel : eau pure, eau pour se baigner, fleurs, encens, élixirs parfumés, nourritures et musiques, auxquelles on ajoute fréquemment une offrande. [↑]
(14) Les dix Perfections, paramita en sanskrit : les dix qualités qui doivent être développées pour atteindre l’éveil : générosité, éthique, patience, énergie, méditation, sagesse transcendante, moyens habiles, force, souhaits, sagesse primordiale. [↑]
(15) Les Quatre Forces : la force du remords, la force du remède, la force du support, la force de l’engagement. [↑]
(16) Nirvana : l’au-delà de la souffrance, la libération du cycle des existences conditionnées. [↑]
(17) La courte prière est incluse dans le texte de la pratique de Chenrezi ; pour la longue prière, voir note (12). [↑]