La dague indestructible
Chaque année, en juillet, khenpo Chödrak Rinpoché installe les Trésors bouddhistes de la connaissance à Dhagpo, pour trois semaines d’étude de textes philosophiques. Cinquante étudiants de tous âges et de multiples nationalités étaient au rendez-vous pour continuer l’étude du Soutra du diamant appelé également le Discours de la dague indestructible. Le mot diamant fait référence au discernement ; cette connaissance supérieure est indestructible, car elle éradique les états d’esprit qui entravent la réalisation de l’état éveillé d’un bouddha – état que nous souhaitons tous actualiser ! La dague donne l’idée de mettre fin à quelque chose ; ici, il s’agit de mettre fin à tous les obscurcissements qui nous empêchent de voir la réalité telle qu’elle est.
C’est la prajnaparamita qui est au cœur de cet enseignement particulièrement profond. La prajnaparamita ? C’est le discernement qui permet d’aller sur l’autre rive. L’autre rive ? C’est l’au-delà de la méprise et de la confusion, quand les causes de souffrance ont été épuisées et que les qualités pour aider les êtres sont actualisées. La prajnaparamita est accomplie quand la sagesse et la compassion sont amenées à maturité. C’est ce que chaque pratiquant s’efforce de mettre en œuvre en parcourant la voie du Bouddha. Lors des chroniques de l’année passée sur le cours d’été, j’ai abordé le contexte de l’enseignement, le sens du texte et la dynamique de traduction.
De l’étude à la réflexion
Cette fois, je propose de revenir sur le processus qui permet à la prajnaparamita de mûrir dans le courant de notre être et de faire qu’elle devienne une expérience personnelle par l’étude, la réflexion et la méditation. Khenpo Rinpoché a redéfini les termes.
L’étude, selon le Bouddha, consiste d’abord à mémoriser ce que nous avons à comprendre. En général, il s’agit d’apprendre par cœur ce qui est appelé le « texte racine », un texte qui ramasse le sens de l’enseignement à étudier en stances denses et synthétiques. C’est ensuite une récitation régulière du texte qui nous aide à ne pas l’oublier tout en cultivant l’entendement du sens des mots. Outre la récitation, le Bouddha nous conseille de lire le texte posément et de façon régulière pour faire mûrir notre compréhension. Ceci est l’étape initiale, elle nous permet de nous immerger dans une première compréhension du texte.
Nous pourrions avoir l’impression que ce type d’étude ne nous est pas accessible ! Il s’agit quand même de cultiver dans la durée quatre aspects complémentaires : mémoriser (1), garder à l’esprit en récitant régulièrement (2) et lire (3) posément afin de comprendre (4). Khenpo Chödrak nous explique que, bien évidemment, si nous ne parlons ni ne comprenons le tibétain, ce processus peut se faire dans notre langue maternelle (dès que nous sommes certains d’avoir une bonne traduction). Ceci me rappelle un conseil de lama Jigmé Rinpoché : pour lui, la meilleure façon de mémoriser un texte consiste à le lire quotidiennement. Ce que tout cela nous dit, c’est que cette première étape consistant à prendre connaissance du sens de l’enseignement demande du temps. La connaissance de l’étude ne semble pas s’acquérir à la simple écoute de l’enseignement, elle demande une période de mûrissement. Vient ensuite la réflexion.
Réfléchir ou contempler revient à approfondir la connaissance acquise par l’étude, afin de cultiver une compréhension du sens de l’enseignement au-delà des mots. Il s’agit d’analyser ce qui a été étudié pour en acquérir une compréhension personnelle. Réfléchir consiste à mener une investigation afin de découvrir par soi-même tous les aspects du sens des instructions et d’aboutir à une certitude interne en épuisant les doutes par l’étude-contemplation.
Par exemple, le Bouddha explique qu’il faut générer et cultiver l’esprit d’éveil pour actualiser les deux bienfaits, le mien et celui des êtres. Une fois cette notion étudiée, nous devons nous poser des questions afin de creuser le sens. Quel esprit ? Quel éveil ? Qui sont les êtres ? De quels bienfaits s’agit-il ? Et moi là-dedans ? Pourquoi faire naître cet état d’esprit ? Et comment le faire ? Quel en est le point de focalisation ? Etc. C’est ainsi qu’une compréhension progressive se fait jour en nous, accompagnée d’un besoin naturel de compléter notre connaissance par d’autres instructions.
Si ce processus est bien mené, tous les enseignements que nous recevons viennent nourrir la réflexion, car nous pouvons alors mettre les différentes instructions en lien. Qu’est-ce que la compassion a à voir avec la vigilance ? En quoi éthique et connaissance supérieure sont-elles liées ? Comment la réflexion mène-t-elle à la méditation ? En fait, les « bonnes questions » s’élèvent naturellement.
Khenpo revient encore sur le processus : « Les maîtres anciens de notre tradition ont tous dit que l’étude, la réflexion et la méditation doivent aller main dans la main. Personne n’a jamais dit : ”Maintenant que vous avez entendu mes instructions, oubliez-les et rentrez chez vous !” Essayez quotidiennement de voir si votre compréhension des instructions reçues est bonne ou non, si ce qui a été dit est un fait ou non. Il faut arriver à une certitude sur la base de notre connaissance et de notre réflexion personnelle et non parce que l’enseignant l’a dit. »
De la méditation à l’action
Mais qu’en est-il alors de la méditation ? Pendant l’étude et la réflexion, beaucoup de pensées sont mobilisées, mais une fois la certitude acquise, celle-ci devient notre point de focalisation et suivre les pensées n’est plus nécessaire. Le processus de réflexion n’est pas infini, il nous mène à un point de connaissance certaine des enseignements reçus, une compréhension personnelle en profondeur. Il faut alors la cultiver par la méditation, avec un esprit de plus en plus paisible et clair. C’est ainsi que la connaissance pointée par le Bouddha devient une connaissance intérieure, intime.
C’est donc ce processus que nous essayons de mettre en œuvre durant le cours d’été ; mais à bien y regarder, c’est ce que chacun est amené à appliquer, quelles que soient les instructions qu’il a reçues. À présent, quand nous disons « je vais pratiquer », cela ne veut plus uniquement dire « je vais méditer » ; c’est à nous de choisir entre une session d’étude, une période de réflexion ou un temps de méditation. Et comme l’a rajouté Khenpo, quand nous ne mettons aucun des trois en œuvre, c’est alors que nous nous appliquons à accomplir des actes vertueux qui viennent nourrir le courant de notre être, c’est l’action qui prend le relais. C’est ainsi que tous les aspects de notre vie deviennent la pratique spirituelle.
Puntso, responsable du programme de Dhagpo
Les Chroniques de l’Institut
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