Le 5 novembre 1981, Rangjung Rigpé Dorjé, Sa Sainteté le XVIᵉ Gyalwa Karmapa décédait au Zion Hospital, aux États-Unis. Khenpo Chödrak Rinpoché se trouvait alors au monastère de Rumtek, en Inde. Il se souvient en détails des jours qui ont suivi le rapatriement du kudung (la dépouille d’un maître éminent) de Karmapa en Inde, ainsi que des préparatifs culminant avec les derniers rites funéraires, le 20 décembre :
« Une fois la nouvelle reçue au monastère de Rumtek [du départ du XVIᵉ Karmapa], nous avons immédiatement commencé les préparatifs qui incluaient la réception et la préservation de la dépouille de Sa Sainteté Karmapa.
Le bâtiment principal du monastère Karma Dharmé Chakra, à Rumtek, comprend trois étages avec un temple au sommet ; c’est là que le kudung de Sa Sainteté a été préservé jusqu’à sa crémation. Nous nous sommes répartis en neuf équipes pour organiser tous les préparatifs nécessaires, y compris l’organisation des divers rituels et rassemblements qui devaient prendre place. Lorsque le kudung de Sa Sainteté est arrivé à l’héliport de l’armée indienne de Tadong, les moines de Rumtek sont allés la recevoir et l’ont accompagnée pour son dernier voyage.
J’ai été appelé par le secrétaire général de Sa Sainteté, [Damchö Yongdü], qui m’a demandé : “Nous devons nous occuper du kudung, est-ce que tu pourrais t’en charger ?” J’ai accepté en me disant que m’occuper du kudung serait la dernière fois que je servirais Sa Sainteté. Tülku Bokar, tülku Bardo et moi-même avions donc la responsabilité de nous occuper de la dépouille de Sa Sainteté selon l’ancienne tradition tibétaine, qui implique d’embaumer le corps dans du sel, lequel assèche tous les éléments liquides, une fois celui-ci placé dans une boîte reliquaire en bois.
Les semaines qui ont suivi ont été pour moi une source d’émerveillement personnel. Malgré le fait que Sa Sainteté était plutôt corpulente, parfois son corps semblait très léger lorsque nous le sortions du reliquaire, comme si nous manipulions une petite statue de Bouddha, et d’autres fois, il était très lourd ! Nous le replacions toujours dans la boîte reliquaire dans la même position, mais il arrivait aussi que lorsque nous ouvrions la boîte la semaine suivante, le visage de Sa Sainteté soit tourné dans une autre direction !
Chaque semaine, nous ouvrions le reliquaire, retirions le sel, lavions le corps, le séchions et le replacions dans le reliquaire avec de nouveaux sels d’embaumement. Je peux attester qu’il n’y a jamais eu la moindre odeur nauséabonde, l’odeur était toujours très agréable ! Il n’y avait aucun signe de décomposition. De plus, le corps ne prenait pas l’apparence d’un cadavre, il restait souple comme celui d’une personne vivante. Lorsqu’un maître éminent décède, il est d’usage de placer le corps en position de méditation complète, les jambes croisées, et de placer dans ses mains des objets rituels tels qu’une cloche et un dorjé, et ces manipulations pouvaient être accomplies très facilement. Le corps embaumé dans le sel était ensuite placé dans un reliquaire en bois qui était déposé sur un mandala.
Des pratiques rituelles ont été accomplies en présence du corps embaumé de Sa Sainteté, notamment par les quatre grands rinpochés, Kalu Rinpoché, Zurmang Trungpa Rinpoché et d’autres. En bas, dans la grande salle du temple, se trouvait une assemblée de nombreux moines dirigée par le maître vajra (dorjé lopön) de Rumtek. Il y avait au moins six groupes différents, accomplissant diverses pratiques rituelles liées à différents yidams, tels que Chakrasamvara, Kalachakra, Gyalwa Gyamtso, Hevajra, Vajra Varahi, Guhyasamaja. Jusqu’à 600 moines se réunissaient chaque jour. Les dépenses liées à cet événement, telles que la nourriture et les rafraîchissements, étaient prises en charge par l’administration de Tsurphu, les différents rinpochés, ainsi que les gouvernements du Sikkim et du Bhoutan.
Parallèlement, de nombreuses réunions ont eu lieu, au cours desquelles différentes décisions ont été prises, mais comme j’étais alors un membre “junior”, je n’ai pas été invité à la plupart d’entre elles et je devais parfois attendre dehors. Lors de ces réunions, les différents aspects organisationnels ont été décidés et la date et les circonstances de la crémation ont été déterminées.
Un grand nombre de lamas étaient présents, dont de nombreux représentants des lignées kagyü et nyingma. Sa Sainteté Dilgo Khyentsé Rinpoché et Dzigar Thugsé Rinpoché étaient arrivés bien avant la crémation. D’autres maîtres sont arrivés un ou deux jours avant, comme Sa Sainteté Drikung Khyabgön Rinpoché. Il est impossible de les citer tous.
Le 19 décembre 1981
La veille de la crémation, nous avons sorti le corps du reliquaire une dernière fois et l’avons lavé. Il a ensuite été recouvert d’or, une offrande principalement réalisée par Jamgön Rinpoché, Shamar Rinpoché et Sa Sainteté Dilgo Khyentsé Rinpoché. Il a également été orné des attributs du sambhogakaya. De nombreuses offrandes de parfums et d’herbes médicinales ont été faites. Le meilleur safran a été offert en grande quantité. Tülku Bokar, tülku Bardo et moi-même avons servi d’assistants pendant ces cérémonies. Les maîtres réunis ont récité sans interruption le Trésor des chants de réalisation kagyü (kagyü gur tso བཀའ་བརྒྱུད་གུར་མཚོ།) jusqu’au matin.
Le 20 décembre 1981

À l’aube, le kudung a été transporté au stupa funéraire construit à l’extérieur, qui était entouré de nombreuses assemblées effectuant divers rituels :
- À l’ouest du stoupa, Künzik Shamarpa et Beru Khyentsé Rinpoché dirigeaient le rituel du mandala de Gyalwa Gyamtso.
- Au sud, Sitou Rinpoché dirigeait le rituel du mandala de Vajra Varahi.
- Au nord, Jamgön Rinpoché et tülku Bokar guidaient le rituel du mandala de Hevajra.
- À l’est, Gyaltsap Rinpoché et Sangyé Nyenpa dirigeaient le mandala de Kürik Akshobya.
Kalu Rinpoché guidait le rituel de Kalachakra. Sa Sainteté Drikung Khyabgön Rinpoché et Thrangu Rinpoché avec de nombreux lamas et tülkus drikung kagyü comme Ontrül Rinpoché et Ayang Rinpoché, effectuaient le rituel du mandala de Chakrasamvara. Sa Sainteté Dilgo Khyentsé Rinpoché, Shechen Rabjam Rinpoché, Payül Dzongnam Rinpoché et Katok Shingkyong Rinpoché guidaient l’assemblée effectuant les rituels de Dorjé Sempa. Druk Thugsé Rinpoché, entouré d’autres lamas drukpa kagyü, guidait le rituel associé au mandala des treize présences éveillées de Chakrasamvara. Sur un autre côté, le maître Gelukpa lama Gangchen guidait le mandala de Guhyasamaja, entouré de plusieurs de ses disciples.
Au total, il y avait un mandala dans chaque direction cardinale et dans chaque direction intermédiaire. Tous les rituels ont commencé en même temps.
Représentant le Sikkim, le gouverneur Homi J. H. Taleyarkhan et le ministre en chef Nar Bahadur Bhandari étaient présents pour rendre leurs hommages. La famille royale bhoutanaise était représentée par Ashi Sonam Chodron, Dasho Namgyal Wangchuk, Ashi Chocik, Ashi Dekyi et Yum Pema Dechen, ainsi que par de nombreux autres représentants. À la demande du gouvernement indien, la police sikkimaise assurait la garde d’honneur.
Quatre personnes ont été chargées d’allumer le bûcher et de garder chaque côté du stoupa funéraire : Lopön Tsechu Rinpoché, le secrétaire personnel de Sa Sainteté Thubten Gyaltsen Dronyer Ngodrub, le ministre du roi de Nangchen appelé Pon Namkhai Dorjé et moi-même.
Plusieurs milliers de personnes étaient présentes pour la crémation. Je ne sais pas comment elles ont toutes pu tenir, étant donné que les environs de Rumtek sont plutôt limités. Toute la montagne était recouverte de gens en prière. Une fois le feu allumé, j’ai entendu un bourdonnement provenant de l’intérieur du stoupa funéraire. D’autres personnes ont rapporté avoir entendu des mantras. Je me trouvais à côté de Lopön Tsechu Rinpoché qui s’est tourné vers moi en me disant : « Entends-tu tous ces mantras ? » Certaines personnes ont rapporté avoir entendu le mantra principal de Chakrasamvara : « Om Shri Ha Hung Pe ».
Lorsque le feu commença lentement à décliner, nous avons entendu un bruit provenant de l’intérieur du stoupa et un morceau de chair rouge a roulé hors de l’ouverture nord. Je me demandais ce que c’était et j’étais persuadé qu’il s’agissait de quelque chose de spécial. J’ai alerté Lopön Tsechu Rinpoché qui m’a dit de le mettre de côté. […] Je l’ai touché et j’ai découvert que c’était la relique du cœur qui était tombée. […] Plus tard, il est devenu un peu plus petit, mais la relique est restée d’un rouge vif et éclatant et elle est conservée dans le petit stoupa de Rumtek.
[…] Pendant que le bûcher funéraire brûlait, tous les signes magnifiques imaginables sont apparus, y compris plusieurs arcs-en-ciel.
Une fois le bûcher funéraire consumé, les ouvertures du stoupa ont été bloquées avec des pierres gravées des différents mantras associés aux différents mandalas et le stoupa a été préservé intact pendant trois jours.
Lorsque nous avons rouvert le stupa, nous avons découvert que la plupart des os n’avaient pas brûlé. Dans le crâne, nous avons trouvé des reliques du cerveau, mais celui-ci avait pris la forme d’un œuf sphérique et était d’une couleur dorée brillante. Sa Sainteté Dilgo Khyentse Rinpoché l’a vu et a expliqué qu’il s’agissait d’une relique spéciale qui est l’un des signes prouvant qu’une personne a atteint l’état de bouddha. Elle a ensuite été conservée dans le stoupa du monastère de Rumtek.
Le bûcher funéraire a été construit au-dessus d’un mandala, et nous avons également examiné les cendres qui étaient tombées. Dans la direction du Tibet, trois empreintes de pas très nettes étaient visibles ! C’était une indication claire que le Karmapa prendrait sa prochaine renaissance au Tibet.
Je viens de vous raconter les événements tels qu’ils se sont déroulés. »
Dans La Guirlande de nymphéas blancs, une louange versifiée narrant le récit de libération du XVIᵉ Gyalwa Karmapa, Künzik Shamarpa décrit les derniers rites funéraires et les manifestations extraordinaires qui y sont associées, comme son cœur que Karmapa a laissé à ses disciples. Il est ainsi énoncé aux stances 45, 46 et 47 :
Au monastère de Shedrup Chö[korling],
Des centaines d’êtres éminents,
Et des individus en tous genres venus du monde entier,
Ont offert des nuées d’offrandes à la dépouille [de Sa Sainteté].
Signe de la manifestation magique du sambhogakaya,
L’espace était empli d’arcs-en-ciel ;
Au milieu du filet des rayons du soleil,
Il a révélé son corps de lumière.
Afin de guider le reste de ses disciples,
Trésor de générosité dont la vue libère,
La sphère du cœur de Rangjung [Dorjé]
Est apparue du stoupa funéraire comme support du dharmakaya.
1 Extrait des enseignements sur la vie de Sa Sainteté le XVIᵉ Karmapa, donnés à Karma Samphel Ling à l’automne 2024 et au printemps 2025, ainsi que d’une interview réalisée à Vienne en 2024, par Marta Gyorgy-Kessler, pour le film Meeting the Buddha (À la rencontre du Bouddha). Traduit du tibétain en anglais par Jana Fialova.
Ces photos proviennent de nos archives ou ont été recueillies dans le cadre des recherches pour les 50 ans de Dhagpo Kagyu Ling. Nous n’avons pas pu identifier tous les auteurs. L’utilisation des photos est à titre informatif dans le cadre de la célébration des 50 ans de Dhagpo Kagyu Ling. Leur usage est limité à cette actualité et à notre site et n’est pas à usage commercial
Événement
Pour commémorer cet événement, une journée de pratique du Gourou Yoga du XVIᵉ Karmapa se tiendra samedi 20 décembre à l’Institut de Dhagpo Kagyu Ling
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