
Couverture du livre écrit par Künzik Shamarpa Le Parfum des nymphéas blancs Louange et commentaire du récit de libération du glorieux XVIᵉ Gyalwa Karmapa, Rigpé Dorjé
Le 5 novembre 1981, Rangjung Rikpé Dorjé, Sa Sainteté le XVIᵉ Gyalwa Karmapa quittait son enveloppe corporelle à l’American International Hospital de Zion, à Chicago, aux États-Unis.
Le mahaparinivana des êtres éminents comme Karmapa échappe à notre entendement de néophytes voilés par divers obscurcissements. Écoutons donc à ce sujet les paroles dénuées de confusion d’un autre être éminent, le Karmapa à la Coiffe Rouge, Mipham Chökyi Lodrö, Sa Sainteté le XIVᵉ Künzik Shamarpa.
En 1982, Künzik Shamarpa a écrit La Guirlande de nymphéas blancs, une louange versifiée narrant le récit de libération du XVIᵉGyalwa Karmapa (ཀརྨ་པ་བཅུ་དྲུག་པ་རིག་པའི་རྡོ་རྗེའི་སྐུ་ཚེའི་རྣམ་ཐར་ལ་བསྟོད་པ་ཚིག་སུ་བཅད་པ་ཀུནྡའི་ཕྲེང་བ།) louange qu’il a accompagnée , en 2012, d’un commentaire explicatif : Le Parfum des nymphéas blancs (ཀུནྡའི་དྲི་བསུང་།). Dans un style poétique traditionnel tibétain révélant toute sa maîtrise de l’écriture littéraire, Shamarpa y relate l’essence de la vie du XVIᵉ Gyalwa Karmapa, depuis sa manifestation jusqu’à l’abandon de ce corps d’émanation.
Le XVIᵉ Karmapa avait évoqué à plusieurs reprises son départ imminent, comme l’indique la stance 40 :
Sur le ton de la plaisanterie, [Gyalwa Karmapa] disait parfois
Qu’il abandonnerait bientôt ce corps formel
Pour prendre soin de ses disciples à venir.
Il s’agira du dernier acte qu’il donnera à percevoir.
Dans son commentaire, Shamarpa explique que dès 1976, auprès de plusieurs enseignants de renom comme Adro Rinpoché ou encore Sa Sainteté Drukchen Rinpoché, Karmapa annonce qu’il ne vivra pas longtemps et partira prochainement vers un nouveau champ d’activité.
Ce que nous appelons communément “maladie”, qui s’accompagne de souffrances physiques et mentales, sceau du mal-être de la destinée humaine, est ici décrit et éprouvé de façon bien différente par ce nirmanakaya d’un bouddha.
Shamarpa énonce ainsi aux stances 41 et 42 :
Afin de prendre la souffrance d’autrui
Et de dissiper les filets de la saisie de la permanence
Au sein de la manifestation duelle chez les disciples de cette terre,
[Gyalwa Karmapa] montra le processus de la maladie.
Ayant vu que bien-être et mal-être sont des illusions,
Ses agrégats étaient dénués de douleur,
Il demeurait l’esprit joyeux,
Signe que son expérience du bonheur était dénuée de toute souillure.
Au cours de la longue maladie du XVIᵉ Karmapa, lui imposant différentes opérations chirurgicales et des traitements douloureux, tant les médecins – cartésiens et scientifiques convaincus – que l’entourage proche de Karmapa, comme Sopön Tsültrim Namgyal ou encore lama Jigmé Rinpoché ont été témoins de l’extraordinaire détente de cet être hors du commun, qui se souciait davantage des peines et maux du personnel soignant que de son propre état et refusait tout traitement contre la douleur.
Dans son commentaire des vers ci-dessus Shamarpa explique :
À ce moment, Karmapa devait éprouver des douleurs insupportables, mais il pouvait dormir sans interruption ; il ne voulait prendre aucun anti-douleur. Les médecins étaient stupéfaits ; ils commencèrent à avoir une véritable confiance [envers lui]. […] De l’extérieur, il semblait que Karmapa dormait, mais en réalité, il demeurait dans la [dimension] de clarté-luminosité, n’éprouvant ainsi aucune douleur physique.
Lorsqu’un changement s’est opéré au niveau de la [conscience] base-de-tout depuis laquelle s’élève le sextuple rassemblement [de consciences], [l’individu] demeure alors dans la clarté-luminosité [de son esprit]. De ce fait, l’expérience des six objets des sens comme le visible, les sons, etc. et de leurs consciences respectives change donc pour devenir [celle] du dharmata.
Quant à ses sensations quand il était réveillé, la phase d’absorption méditative n’était pas mêlée à celle de post-méditation ; en post-méditation, les apparences duelles étaient éprouvées comme des illusions.
Après différentes tentatives de traitements infructueuses, le 5 novembre 1981, Karmapa quitte son corps pour les champs purs, comme Shamarpa le relate dans les stances 43 et 44 :
Étant affranchi depuis longtemps
Des chaînes de la naissance et de la mort,
Vous pouvez prendre naissance à votre guise
Dans toutes les terres, pures comme impures.
À l’aube du huitième [jour] du neuvième mois [lunaire]
De l’année Oiseau de métal femelle du seizième [cycle],
En Occident, entouré de nombreux disciples,
[Gyalwa Karmapa] est parti dans la dimension absolue.
Shamarpa explique dans son commentaire de ces stances qu’au moment du départ de Gyalwa Karmapa, il se trouvait en Belgique. La même nuit, il a fait le rêve suivant :
Dans le ciel, au milieu d’une nuée de nuages blancs, se trouvait Rigpé Dorjé qui ressemblait à un stoupa. Il flottait à environ un mètre au-dessus de ma tête. Je me suis mis à réciter progressivement une louange au protecteur Bernachen :
Au sein du dharmadhatu,
Le protecteur de sagesse et son entourage s’approchent,
Me considérant
Ils m’accordent leur bénédiction.
Alors que je chantais les vers de réception des accomplissements, à ce moment, la voix du suprême Gyalwang, dénuée de toute confusion, s’est adressée à moi en ces termes : “Tu as accumulé une immense abondance pendant des éons”. Je l’ai écouté et il a répété ces mots encore une fois. Je me suis dit que cette abondance faisait référence à une immense accumulation [de mérites] pendant des éons. Son corps s’est ensuite dissout , comme absorbé par les nuages et je me suis réveillé au son du téléphone. Mon frère Jigmé m’annonçait le départ de [Gyalwa Karmapa]. Les médecins ont dit que son cœur s’est arrêté, comme indiqué par les machines. J’ai regardé l’heure, il était 3 h 02 du matin, il devait être 3 h quand il est décédé, le huitième jour du neuvième mois du calendrier tibétain en Belgique. Il devait être 20 h à Chicago, le septième jour.
[…]
Le XVIᵉ Gyalwa Karmapa a quitté son corps le 5 novembre 1981.
De toutes les empreintes,
Celle de l’éléphant est l’empreinte suprême ;
De toutes les perceptions,
Celle de l’impermanence est la perception suprême ;
De toutes les visions,
La vision pure du nirvana d’un être noble qui est vue en rêve est la vision suprême.
La stance 50 dit ceci :
མདོར་ན་ད་ལྟ་འཕགས་ཡུལ་སོགས།།
གང་ན་མདོ་སྔགས་ཐུབ་པའི་གསུང་།།
འཆད་ཉན་སྒོམ་པའི་ལེགས་ཚོགས་ཀུན།།
ཕལ་ཆེར་ཉིད་ཀྱི་མཐུ་ལས་བྱུང་།།
En quelques mots, aujourd’hui, en Inde et de partout,
La parole du Muni, qu’il s’agisse des soutras ou des tantras, est grandement répandue,
Les enseignements, l’apprentissage et la méditation réunissent toutes les excellences,
C’est à votre puissance que nous le devons.
Telles sont les paroles d’hommage de Shamarpa à l’égard de Rangjung Rigpé Dorjé, Sa Sainteté le XVIᵉ Gyalwa Karmapa.
1 Kalimpong : Diwakar Publications, 2013. Ces deux textes sont à paraître prochainement aux Éditions Rabsel. Les stances ont été traduites depuis le tibétain.
2 Il s’agit du seizième cycle de 60 ans qui constitue une révolution complète des douze années associées à douze animaux et à cinq éléments.
3 Dans le texte, le terme est littéralement རྔུལ་ཆེན་ qui signifie “suée”.
Événement
Pour commémorer cet événement, une journée de pratique de droupcheu aura lieu à Dhagpo Kagyu Ling. Puis, le dimanche 9 novembre, à 14 h 30, lama Jigmé Rinpoché partagera ses réflexions et souvenirs sur le mahaparinirvana du XVIe Karmapa.
Ils seront retransmis en ligne sur Youtube, et traduits en plusieurs langues.















